UN BATIMENT INTRIGANT :

 

L'ANCIENNE MAIRIE DE GUICHE (PYRÉNÉES-ATLANTIQUES)

 

Guiche est un petit bourg des Pyrénées-Atlantiques relevant, sous l'Ancien Régime, de la province basque du Labourd. Il possède divers bâtiments historiques dont un, tout particulièrement, attire l'attention par son architecture singulière : l'ancienne école et mairie, formée d'une salle haute sur un préau ouvert bordé par trois colonnes en pierres de taille.

 

Deux cartes postales ont été consacrées au bâtiment au cours du XXe siècle :

- la première, dans les années 1900, qui qualifie l'édifice de « Mairie et perron » et le fait remonter au XIVe siècle,

- la deuxième, dans les années 1930, qui se borne à un laconique « La Mairie » (1).

 

L'édifice apparaît également dans une carte postale représentant « L'Église » de Guiche mais en tant que détail et sans être signalé.

 

Carte postale « Mairie et perron »

 

Carte postale noir et blanc des années 1900 postérieure à 1904 comme indiqué par son dos divisé, selon l'arrêté ministériel du 18 novembre 1903, en « correspondance » à gauche et « adresse » à droite. Sous l'en-tête « CARTE POSTALE » figure la mention « La correspondance au recto n'est pas acceptée par tous les pays étrangers. (Se renseigner à la Poste). » Sur les cachets de la Poste visibles tamponnés sur les deux faces de la carte, on devine « SAINT-PRIX (SEINE-ET-OISE) », mais la date reste élusive.

 

La face illustrée de la carte nous fait découvrir, bordant la place du village, les façades de l'ancienne mairie et de l'actuelle maison paroissiale, ainsi que des parties du chevet, du transept et de la flèche de l'église. La scène est prise sur le vif : des enfants, filles et garçons, jouent à la balle sur la place ou discutent derrière un mur de jardin. Le mur du cimetière, qui sert également de gouttereau à l'ancienne mairie, est constellé de vieilles affiches (réclame pour l'apéritif Byrrh sur la droite). La date entre parenthèses – XIVe siècle, soit 1300-1399, en pleine guerre de Cent Ans – laisse songeur.

 

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Carte postale « La Mairie »

 

Carte postale colorisée à bordure blanche des années 1930. L'éditeur est Yobled (c'est-à-dire Marcel Delboy, à Bordeaux). On lit sur la face vue, dans la bordure inférieure, « 1. - GUICHE (B.-P.) – LA MAIRIE », et entre les deux parties de la face écrite, « Phototypie Renaud-Buzaud et Cie / 39, rue de la Rousselle - Bordeaux ».

 

D'après cette vue de trois quarts, on a affaire à un édifice du type « maison-bloc en hauteur ». Le rez-de-chaussée sert de porche tandis que l'étage, auquel on accède par un escalier extérieur, sert de logis. L'ensemble possède des traits singuliers :
- le pignon avant est entièrement ouvert au niveau du rez-de-chaussée ;
- le mur gouttereau de droite (par rapport à l'observateur), est remplacé par trois colonnes à châpiteau toscan ;
- le mur pignon postérieur est en maçonnerie de moellons et de mortier ;
- l'étage est en pan de bois et hourdis sous un toit à deux versants faiblement inclinés couverts de tuiles canal ;
- le rez-de-chaussée abrite un vaste perron à degrés convexes composé de onze marches (2) ; il conduit à une grande ouverture à arc en anse de panier, laquelle mène d'une part au cimetière, d'autre part à l'étage de la maison. Une grille double en fer ouvre sur le cimetière.
Le pignon-façade comporte une fenêtre à volets, la paroi latérale est percée de trois petites baies à encadrement de bois, ménagées chacune dans l'intervalle entre deux potelets de bois, celle du milieu étant double.

 

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À ces deux cartes postales, s'ajoute une troisième qui, tout en se focalisant sur l'église de Guiche, laisse entrevoir l'ancienne mairie sous un angle différent.

 

Carte postale « L'Église »

 

Carte postale noir et blanc de l'église et du cimetière de Guiche vus depuis la rue du bourg au sud. La légende est sur la face illustrée, en haut à droite : « 2. - GUICHE (B.-P.). - L'Église - M. D. ». Les initiales sont celles du photographe Marcel Delboy à Bordeaux. Date de publication : années 1920 ou 1930.

 

L'intérêt de cette vue dans le cadre de la présente monographie tient à la présence, à droite du chevet de l'église Saint Jean Baptiste, de l'ancienne mairie, dont on aperçoit le pignon avant (regardant le sud sud-est) et le gouttereau côté cimetière. On devine même le portail à anse de panier et sa grille double.

 

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Alors que les cartes postales de l'édifice ne désignent celui-ci que sous le vocable de « mairie », la notice que lui consacre la base Mérimée du Ministère de la culture en fait un ancien « pigeonnier » :

« Description historique : Le petit bâtiment reposant sur 3 colonnes aurait été selon la tradition orale un pigeonnier dépendant de la maison noble de Labadie (1817 A2 517) [Labadie est un lieudit situé au sud-ouest de léglise, en bordure de la rue du bourg]. Édifié à une époque inconnue, il fait l'objet d'une restauration totale et d'un agrandissement à partir de 1760. Il est aménagé en école communale de 1850 à 1863, puis en mairie » (4).

 

L'auteur, en 1978, d'une monographie historique et architecturale du village – René Delcassou-Péhaut – voit dans le bâtiment le « Colombier de l'ancien château de Chuhenne » (5), Chuhenne étant un lieudit situé à l'ouest de Labadie, en bordure de la rue du Bourg.

 

Le blogue paysbasque1900.fr affirme, pour sa part, que « Sous l'Ancien Régime, la salle haute du pigeonnier ser[vai]t de lieu de réunion aux assemblées paroissiales qui regroup[ai]ent les maîtres de maison ». Si cette utilisation semble plausible, l'auteur, toutefois, reste muet quant à ses sources (6),

 

Cependant, on voit mal comment un pigeonnier, ou colombier, aurait pu être construit à l'entrée du cimetière et à quelques mètres de l'église du village. Au vu d'un tel emplacement, on peut se demander si l'édifice ne serait pas, à l'origine, une seroranea, ou maison de benoîte, femme célibataire chargée des  enterrements et de l'entretien du lieu de culte dans les villages basques aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles (3).

 

Analogies entre le bâtiment à préau de Guiche et la maison de la benoîte à Saint-Pierre-d'Irube

 

Parmi la trentaine de benoîteries qui ont été recensées, celle se trouvant à Saint-Pierre-d'Irube présente quelques analogies avec le bâtiment qui nous occupe ici :

- elle se dresse à l'extérieur du cimetière, à droite de l'entrée ;

- elle relève du type de la maison-bloc en hauteur ;

- son étage est en pan de bois avec garnissage de briques plates entre les potelets ;

- mais surtout, au XVIIe siècle, elle a été agrandie côté cimetière, à partir de trois piliers cylindriques en maçonnerie de pierre, l'espace entre les piliers étant ensuite comblé en maçonnerie de pierre ou de brique au début du XVIIIe siècle, ainsi que nous l'apprend sa description historique dans la base Mérimée (7).

 

Carte postale noir et blanc (phototypie) des années 1920. Dos divisé portant en haut l'avertissement «Aucune inscription n'est admise du côté de la Vue » au-dessus de la mention en capitales « CARTE POSTALE ». Un filet double partage la « Partie réservée à la Correspondance » (à gauche), de la partie Exclusivement réservée à l'Adresse » à droite).

 

Cette ancienne benoîterie édifiée à l'entrée du cimetière de Saint-Pierre-d'Irube trahit dans son pignon-façade et sa toiture aux versants inégaux, l'agrandissement latéral dont elle a bénéficié à l'intérieur de l'enclos. Le mur du cimetière marque la séparation verticale entre le bloc initial et son extension dotée de sa propre fenêtre en pignon (à l'étage de pan de bois) et d'un préau bordé de trois piliers (par la suite muré).

 

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La présence à Guiche d'un préau lié aux usages funéraires plaiderait donc en faveur de l'existence d'une maison de benoîte.

 

Les trois colonnes

 

Alors que sur les cartes postales anciennes les trois colonnes du préau de Guiche donnent l'impression d'être chacune d'un seul fût, dans la réalité elles sont toutes composées d'un empilement de trois ou quatre tambours, de différentes hauteurs.

 

Détail d'une photo couleur récente trouvée sur le site francefilm.net.

L'enduit du mur arrière du préau a été malheureusement décapé, mettant au jour une maçonnerie de pierres tout venant aux joints largement beurrés.

 

Les colonnes sont de hauteur décroissante de droite à gauche en raison de la déclivité du terrain. L'empilement de tambours de diamètre différent apparaît nettement. On remarque également que les chapiteaux sont sculptés dans de la pierre dont l'origine géologique n'est pas la même que celle des tambours.

L'étage du bâtiment a ses solives qui viennent au niveau de la douelle de l'arc quinté du portail de façon à ne pas obstruer celui-ci. Serait-ce le signe que la partie haute, les colonnes et le mur-pignon arrière sont postérieurs au portail dans le mur du cimetière ?
 

NOTES

 

(1) La mairie actuelle se trouve à quelques dizaines de mètres à l'est de l'ancienne, en bordure de la rue du bourg.

 

(2) en calcaire de Bidache.

 

(3) Sur les maisons de benoîtes, voir l'ouvrage collectif suivant : Les benoîteries au Pays basque, Ekaina. Revue d'études basques, association culturelle Ekaina, No 37,1991, 80 p.

Sommaire :

- Michel Duvert, Andere Serora. La femme et le sacré dans la civilisation basque ;

- Maïté Lafourcade, La charge de benoîte en Pays basque ;

- Charles Martin-Ochoa de Alda, La benoîterie d'Arbonne ;

- Gracie Laffite et Josiane Mersch, Occupation de la benoîterie d'Arbonne ;

- Hubert Desport, Benoîterie et benoîtes de Saint-Pierre-d'Irube).

 

(4) pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA64000305 - 1817 A2 517 = cadastre de 1817, feuille A2, parcelle 517.

 

(5) René Ducassou-Péhaut, Images de Guiche, Éditions Elkar, Bayonne, 1978, 40 p.

 

(6) paysbasque1900.fr/2017/02/pigeonnier-ancienne-mairie-de-guiche.html

 

(7) pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00084552

 


© Christian Lassure - CERAV
Le 19 juin 2025 / June 19th, 2025

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Un bâtiment intrigant : l'ancienne mairie de Guiche (Pyrénées-Atlantiques)
http://www.pierreseche.com/ancienne_mairie_de_guiche.htm
19 juin 2025

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