ARCHÉOLOGIE DE LA MAISON VERNACULAIRE

REPRÉSENTATION GRAPHIQUE UNIQUE ET REPRÉSENTATION GRAPHIQUE MULTIPLE

 

Christian Lassure
agrégé de l'Université

 

Extrait d'un article publié il y a près de 40 ans :
Approche archéologique des maisons rurales et modes de représentation architecturale,
L'Architecture vernaculaire
, CERAV, Paris, tome 6, 1982, pp. 8-21

L'archéologie de la maison vernaculaire – dans ses superstructures aussi bien que dans ses substructions – est une science pratiquée non seulement en Europe mais aussi en France, où les monographies relevant de cette méthode font appel à deux types de représentation ou figuration graphique :
- une représentation unique, où les périodes sucessives de construction ou d’accroissement sont marquées par des conventions graphiques différentes (trait plein, hachurage, tireté, etc.) ;
- une représentation multiple, où les stades successifs de l’évolution d’un bâtiment sont figurés au moyen d’autant de plans différents que de stades.
La valeur didactique de ces types de figuration saute aux yeux : ils permettent de saisir d’emblée l’historique d’un bâtiment.

On ne voit pas pourquoi l’on se passerait de l’approche archéologique pour les bâtiments vernaculaires lorsqu’à l’évidence ils ont un long passé et ont subi des modifications importantes. Le relevé non chronologique, quant à lui, ne peut se justifier que pour des bâtiments très récents, exempts de toute modification.

 

1 - Représentation graphique unique

Exemple

Boyan Kouzoupov, Les maisons d'Arbanassi, Monumentum, vol. XV-XVI, 1977, numéro spécial consacré au colloque sur l'architecture vernaculaire tenu à Plovdiv les 24 septembre-2 octobre 1975, pp. 101-104, en part. p. 103

Ce plan au sol d'une maison du village d'Arbanassi en Bulgarie est la transposition, dans le domaine de l'architecture vernaculaire, d'un type de représentation caractéristique des études d'architecture religieuse : les périodes successives de construction sont marquées par des conventions différentes (noircissement pour le noyau originel, quadrillage pour la période suivante, blanc pour la dernière période).

Ce type de figuration, qui suppose une lecture archéologique du bâtiment, permet d'en saisir d'emblée l'historique. Il s'applique par excellence à l'habitat rural ancien, où nombre de maisons, loin d'avoir été bâties d'un seul coup, se sont augmentées petit à petit.

Dans le cas présent, le noyau d'origine est une pièce unique voûtée, à usage de réserve – l'habitation étant à l'étage –, caractéristique, avec son couloir d'entrée voûté en plein cintre, d'un type de maison-bloc en hauteur de la région de Ternovo, d'inspiration médiévale par ses techniques de construction et remontant à l'époque de la domination ottomane (1393-1878) qui précéda la période dite du Réveil national bulgare (fin XVIIIe-début XIXe).

On remarquera que la destination des pièces ou parties n'est pas spécifiée dans le dessin.

 

2 - Représentation graphique multiple

Exemple 1

Monographie DA 24 du volume Dauphiné du Corpus de l’architecture rurale française (pp. 148-153)
Exploitation agro-pastorale au lieu-dit L’Achard à Villard-de-Lans (Isère)
Relevé fait en 1942 par René Charles, architecte DPLG
Retour sur place en 1972

Il s’agit d’un bâtiment tout en longueur abitant sous un même toit maison et annexes, à l’exception d’un four à pain et d’une soue. Les pièces de la partie d’habitation (cuisine, chambre, débarras, cave) comme celles de la partie utilitaire (remise, chappi ou petite grange, écurie-étable) communiquent entre elles. On peut circuler d’un bout à l’autre de la maison sans avoir à sortir.

Selon le descriptif, « Le plan affecte la forme d’un rectangle dont la partie d’habitation occupe une des extrémités, avec la cuisine et une chambre basse sans ouverture sur l’extérieur ; l’étable est reliée directement à la cuisine par une porte intérieure, et une remise termine le bâtiment » (p. 41).

On a jugé utile d’illustrer l’historique de la maison d’une série de six dessins montrant les étapes de l’évolution du bâtiment.

Dessin No 1 - La date de construction n’a pu être établie avec précision mais l’on sait que le bâtiment figure sur le cadastre de 1833 sous la forme d’un quadrilatère flanqué d’un four en prolongement sur le pignon ouest. Toutefois, des éléments de décor stylistique pointent vers une date plus haute pour la partie habitation : le chanfrein sur l’arête de l’encadrement de l’entrée et l’accolade sur le linteau (XVIe siècle).

Dessin No 2 - Vers 1840, est construite, contre le pignon ouest, en contrebas du bâtiment, une chambre basse voûtée en berceau et couverte en appentis.

Dessin No 3 - En 1890, le plafond haut de cette pièce est exhaussé et la voûte remplacée par un plafond de plâtre. Les ouvertures en sont agrandies.

Dessin No 4 - En 1900, on démolit le four en pignon et l’on construit un four-fournil isolé au sud et un hangar au nord.

Dessin No 5 - En 1925, on ajoute à l’habitation une pièce au rez-de-chaussée et deux chambres à l’étage. Les redans du pignon ouest sont arasés. À cette époque toutes les parties du bâtiment étaient couvertes en essendoles (essentes sciées).

Dessin No 6 - Entre 1930 et 1940, la couverture est remplacée progressivement par du fibro-ciment à l’occasion de diverses réfections. La hotte et le conduit en pierre de la cheminée sont démolis et remplacés par un conduit en briques pour l’évacuation de deux poêles.

Ce genre de représentation multiple, d’une valeur didactique évidente, est l’exception et non la règle dans le Corpus de l’architecture rurale française.

Exemple 2

Jean-Luc Massot, Maisons rurales et vie paysanne en Provence, Éditions SERG, 1975
- p. 291, ill. 412 « Évolution en quatre stades d’un mas des plaines de la région de Lauris »
- p. 98, ill. 142 : « Plans et élévation d’un mas des plaines de la région de Lauris »

Cette reconstitution de l’« évolution en quatre stades d’un mas des plaines de la région de Lauris » (Vaucluse), se trouve dans le livre de l’architecte Jean-Luc Massot, Maisons rurales et vie paysanne en Provence, paru en 1975.

Il s’agit d’une représentation multiple concernant le plan d’un mas, pris au sol et à l’étage. Comme aucun texte n’accompagne ces dessins, on ignore la date de départ et celle d’arrivée du processus d’agrandissement. Cependant, on peut s’en faire une idée d’après le dessin de l’élévation du gouttereau-façade qui orne la page 98 du livre : les baies des entrées et des fenêtres présentent une rectilinéarité et une absence de traits stylistiques qui fleure le XIXe siècle.

1 - À l’origine, on a une salle commune carrée, à voûte d’arêtes, surmontée d’une chambre à laquelle on accède par un escalier extérieur plaqué contre le pignon de droite. Une écurie voûtée en berceau s’appuie contre l’angle du gouttereau arrière.

2 - À ce noyau, vient s’ajouter, dans la continuation du pignon de gauche, une deuxième salle commune, voûtée en berceau, avec, à l’étage, une deuxième chambre. Il n’y a pas de communication intérieure entre les deux salles. La ligne de faîtage, qui est parallèle aux gouttereaux, se prolonge au-dessus de l’extension.

3 - Des appentis, à usage de caves, viennent s’accoler au gouttereau arrière du bâtiment tandis qu’un enclos est aménagé devant le pignon de droite, le fond de l’enclos étant occupé par un bâtiment à usage de  porcherie en bas et de clapier en haut. Un petit poulailler est intercalé entre la façade de la deuxième salle commune et un puits couvert isolé présent dès l’origine.

4 - Dans l’étape finale, un nouvel enclos est ménagé devant le gouttereau-façade du corps de logis tandis que la première salle commune est divisée par un refend pour en faire une cave double. La chambre au-dessus devient une magnanerie ainsi que l’étage, à usage de grange, de la cave et de l’écurie à l’arrière de la première salle commune.

Du premier au dernier stade, la ligne de faîtage ne bouge pas, elle reste parallèle aux gouttereaux et toutes les adjonctions, sauf la porcherie, se font sous le prolongement du versant arrière.

Ce type de représentation multiple, dont la valeur didactique saute aux yeux, est une variante éclatée, fractionnée, de la représentation unique où les étapes successives d'accroissement sont matérialisées par des conventions différentes (trait plein, hachurage, etc.). L'auteur a pris soin de noter, pour chaque partie, son affectation première et les modifications éventuelles de celle-ci, lesquelles traduisent l'évolution économique (ainsi à l'étage, la chambre et la grange d'origine transformées finalement en magnaneries).

 

Quel que soit le type de représentation adopté, le chercheur ne peut faire l'économie
- d'une part, d'un relevé détaillé (plans, coupes, détails, sans oublier la charpente) du bâtiment et de ses additions et/ou modifications successives ;
- d'autre part, d'un examen minutieux de la construction (interruptions verticales dans la maçonnerie trahissant une extension, différences d'appareillage et de mortiers, surhaussements de murs-pignons, anciennes portes et fenêtres murées, etc.).


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© Christian Lassure - CERAV
23 avril 2020

 

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Archéologie de la maison vernaculaire: représentation graphique unique et représentation graphique multiple (Archaeology of the vernacular house: single graphical representation vs multiple graphical representation)
http://www.pierreseche.com/archeo_maison_representation.htm
23 avril 2020
(Source : Approche archéologique des maisons rurales et modes de représentation architecturale,
L'Architecture vernaculaire, CERAV, Paris, tome 6, 1982, pp. 8-21)

 

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