LES CABANES DE SAGNE DE MARIGNANE (BOUCHES-DU-RHÔNE)

D'APRÈS DES CARTES POSTALES ET PHOTOS ANCIENNES

The reed-built huts of Marignane, Bouches-du-Rhône, as shown in old postcards

Christian Lassure

L'étang de Bolmon est une lagune méditerranéenne située dans la partie sud de l'étang de Berre (à l'ouest de Marignane) (1). Il en est séparé par un cordon lagunaire, le Jaï.

(1) L'étang de Berre est à l'est de la Camargue et de la Crau.

Le canal en vert sombre bordant le bord sud de l'étang est le canal du Rôve. Il n'existait pas à l'époque des cartes postales servant à la présente étude. La zone à cabanes est au nord de ce canal, dans la partie droite de l'image.

Dans des cartes postales des bords de cet étang, apparaissent d'authentiques cabanes en roseau qui ne sont pas sans évoquer, dans leur morphologie, leur structure et leur détail, les cabanes végétales camarguaises mais s'en éloignent, pour la majorité d'entre elles, par une caractéristique tout à fait remarquable ainsi qu'on va le voir.

La Pointe du Ruisseau

Documents Nos 1 et 2

Située en bordure de l'étang de Bolmon, au lieu-dit « La pointe du ruisseau », cette cabane de pêcheur possède cette caractéristique remarquable : ses versants de toiture recouvrent les murs latéraux et descendent jusqu'au sol ou quasiment, donnant à l'édifice une section en forme d'ogive. Le vent, les intempéries, ou l'âge, ont toutefois quelque peu mité les claies des rangées inférieures. Le bas de la rangée supérieure est maintenu en place par ce qui ressemble à une perche disposée horizontalement. Un tortillon de sagne enserre la pointe de l'arbalétrier-chevron de croupe.

Carte postale des années 1900.
Légende : 302  MARIGNANE - Cabane de Pécheurs (sic).
Éditeur : Guende Phot. Marseille.

Alors que dans la première vue la hutte semble faire le gros dos au vent qui souffle sur l'étang, ployant les tiges des roseaux et agitant la surface de l'eau, dans la deuxième vue le vent est en panne, pas une ride ne froisse l'eau.

Carte postale des années 1900. La bordure nuagique en bas postule une publication antérieure à 1904.
Légende :  MARIGNANE - Cabane de Pêcheurs à la pointe du ruisseau - No 2.
Éditeur : Collection L.  A.

 

Agrandissement d'un « Plan du Territoire » [de Marignane] de 1872 où apparaissent les lieux-dits associés aux cabanes de roseau : de bas en haut : « La Pointe du Valat », « L'Estéou », « La Signore ». La carte est orientée au nord nord-est (source : Paul Deleuil, Marignane. Histoire et Documents,  Syndicat d'initiative de Marignane et association du Musée de Marignane, 1974, p. 130).

 

Documents Nos 3 et 4

Les deux cartes postales qui suivent sont regroupées car elles ont pour sujet un seul et même ensemble de trois cabanes situé à Marignane. Sur la première et vraisemblablement la plus ancienne carte (« Paturage sur les bords de l'Etang ») (sic, pâturage s'écrit avec l'accent circonflexe), les cabanes semblent encore en activité et en bon état, exception faite de celle du milieu dont le toit présente une brèche. Sur la deuxième carte, la plus récente (« L'Estéou – Lei Cabano dou Mestré Panon ») (2), la cabane médiane s'est affaissée sur elle-même et les lieux semblent abandonnés, l'herbe n'a plus rien à craindre de la dent des moutons...

Un doute existe quant à la fonction de ces constructions : s'agit-il de cabanes de pêcheurs, de cabanes de chasseurs, ou ont-elles un rapport avec le berger et son troupeau en train de paître devant les cabanes?

(2) Estèu (noté ici Estéou) signifie « récif », « écueil » en provençal.

Carte postale des années 1900 (a voyagé en 1906).
Légende : 293 MARIGNANE - Paturage (sic) sur les bords de l'Étang.
Editeur : Guende Phot. Marseille.

 

Carte postale des années 1900.
Légende : MARIGNANE. - L'Estéou - Lei Cabano dou Mestré Panon.
Éditeur : information non disponible.

Si nos trois cabanes sont alignées côte à côte et regardent toutes du même côté, elles présentent toutefois des différences architecturales notables.

La plus intéressante des trois est sans conteste celle de droite, la plus grande, et manifestement habitable à en juger par le conduit de fumée qui saille à la verticale de l'arrière du versant gauche (et qui est relié vraisemblablement à un poêle en fonte car il faudrait un pignon en dur pour accueillir une cheminée). Mais la caractéristique la plus remarquable, c'est l'enveloppement des murs gouttereaux par les versants de toiture qui descendent jusqu'au sol, donnant au bâtiment une section en forme d'oignon et au bas de la couverture l'aspect d'une robe de danseuse de flamenco. À cela s'ajoutent l'avancée prononcée des versants par rapport au pignon, le tortillon recourbé coiffant le bout du chevron axial de croupe, les cannes fixées aux claies de couverture pour les maintenir en place (procédé également appliqué au pignon). Un écriteau, malheureusement illisible, est fixé tout en haut du pignon.

Curieusement, l'entrée de la cabane est axiale, ce qui exclut, a priori, la présence d'un poteau axial porteur. Elle est fermée par une porte en bois dont la moitié supérieure semble être protégée par un panneau mobile. Une toile accrochée au-dessus du linteau, complète le dispositif.

La cabane du milieu, légèrement en retrait, est plus petite et plus simple. Pas d'avancée des rives de la toiture au niveau des rampants. Le trou dans le versant visible laisse voir la faîtière et un chevron qui s'appuie sur elle. La porte est légèrement décalée vers la gauche, ce qui postule un poteau porteur axial. Sur la deuxième photo, l'édifice est en voie d'effondrement.

La troisième cabane est de même taille que la précédente, avec des versants de toiture enveloppants comme pour la première. L'entrée est axiale, on ne peut guère en dire plus.

 

Document No 5

On retrouve ici la même carte postale que le document No 3, sauf que cette fois-ci une inscription manuscrite en provençal, barrant le haut de la carte, vient fournir des renseignements de choix sur la fonction de l'édifice de premier plan et le nom de son propriétaire : en cas que achos pas lou quart aouras toujours la jasso de Bittarrentis (au cas où tu n'aurais pas le quart, tu auras toujours la jasse de Bittarentis). Pour qu'il n'y ait pas de confusion, l'auteur du commentaire a écrit Bittarentis en travers de la jasse en question. Le dos de la carte n'apporte pas toutefois de renseignement supplémentaire sur cette énigmatique mention.

Carte postale de la première décennie du XXe siècle.
Légende : 193. MARIGNANE - Pâturage sur les bords de l'Etang.
Éditeur : Guende Phot. Marseille.

Texte en français rédigé au dos de la carte :

Toulon le 24 mai 1915 Bien chère Lucie
Contrairement à ce que je croyais je n'ai
rien reçu aujourd'hui de ta part cela m'a un peu
contrarié car je voulais te faire une lettre et je me vois
obligé de te faire une carte au lieu d'une lettre.
Je dois te dire que hier prosper Canac est venu
me voir il est toujours en parfaite santé et ne pense pas
partir ou du moins avant qu'on l'opère mais il est
bien comme il est et il y restera le plus possible.
Je termine en te redisant à demain une lettre si j'en
reçois une – je suis toujours bien portant et content
aujourd'hui il fait très chaud, amitiés à vous deux R. A.

(l'orthographe d'origine a été conservée).

 

Document No 6

Sur cette carte postale de « La pointe du Vallat » à Marignane, on aperçoit, sous les « Mille baisers de Léontine », le côté et l'arrière des trois cabanes précédentes (du moins nous le supposons d'après l'agrandissement de détail mais nous n'en sommes pas sûr). Celle au premier plan exhibe une vaste toiture enveloppante « en robe de danseuse de flamenco ». On remarque que les couches de roseau ne comportent des cannes horizontales que sur la chemise et dans l'arrondi de l'abside.

La médiane a un mur latéral vertical revêtu de cinq rangées de roseau sous un versant oblique classique, lequel est, lui aussi, couvert en roseau (cinq rangées sous la chemise).

La cabane à l'arrière plan se devine à la pointe saillante de son chevron de croupe.

Carte postale des années 1900. La bordure nuagique en bas postule une publication antérieure à 1904.
Légende : 2348 - Marignane - Bords de l'Etang – La Pointe du Vallat.
Éditeur : Phototypie E. Lacourt  Marseille.

 

Agrandissement de détail.

 

Document No 7

Cette carte postale est la version colorisée de la carte ci-dessus. Il s'agit du lieu-dit « La pointe du Vallat ». Nous ne nous y attarderons pas outre mesure sinon pour regarder de plus près un agrandissement de la cabane sous les arbres à droite. Il s'agit d'une grande cabane dont le pignon a pour particularité d'être protégé sur un côté par une avancée semi-circulaire du versant de toiture, dispositif jusqu'ici inédit.

Le toit de sagne de la cabane intermédiaire a été coloré en rouge comme s'il avait une couverture de tuiles mécaniques !

Carte postale colorisée de la première décennie du XXe siècle (cachet de la poste du 25-10-07). La bordure nuagique en bas postule une publication antérieure à 1904.
Légende : 2348 - Marignane - Bord de l'Etang (La pointe du Vallat).
Éditeur : Phototypie E. Lacour Marseille.

Agrandissement de détail.

 

Document No 8

Dans cette troisième carte postale des « bords de l'étang », l'éditeur n'a pas jugé utile de préciser qu'il s'agit de la Pointe du Vallat bien que la vue soit à peu près la même que dans les deux cartes précédentes. Comme le photographe s'est rapproché de la grande cabane de droite, on aperçoit mieux certains détails du bâtiment : il y a une fenêtre dans la paroi de sagne à gauche de l'entrée, le mur gouttereau sous le versant de sagne est mieux visible, celui-ci ne s'abassant pas jusqu'au sol contrairement au versant opposé. La charrette a disparu, des éléments de platelage s'appuient contre le gouttereau.

Carte postale colorisée des années 1900.
Légende : en haut, dans la moitié gauche, 399 MARIGNANE - Les Bords de l'Etang.
Éditeur : Guende phot. Marseille

 

Document No 9

Un œil averti ne peut manquer de reconnaître, sur cette carte postale colorisée des années 1900, la troisième cabane à compter de la droite du groupe de l'Estéou (cf. documents Nos 3 et 4) : même inflexion de la ligne de faîte, même disposition des rangées de roseau de la toiture. Si l'on avait un doute sur la destination de l'édifice, la présence de deux chasseurs et de leurs chiens ne manque pas de le lever.

Cette vue plus rapprochée de l'édifice en montre la technique rudimentaire : en particulier, le faîtage n'est pas étanche, étant obtenu par l'affrontement des ultimes claies de couverture des versants opposés.

Carte postale colorisée des années 1900 (existe également en noir et blanc). La bordure nuagique en bas postule une publication antérieure à 1904.
Légende : 340  MARIGANNE (sic) - Les Bords de l'Etang.
Éditeur : Guende phot. Mar(s)eille.

 

Document No 10

Si l'on avait un doute quant à la fonction des cabanes de maître Panon, ce doute est levé par une deuxième carte de l'Estéou : on y découvre « Lei Barques dou mestré Panon » (« les barques de maître Panon  »), ce qui laisse entendre que les cabanes servaient aux activités de pêche ou de chasse sur l'étang. En dehors des embarcations, on aperçoit quelques pans de murs et de toiture de cabanes derrière des arbres mais surtout le pignon arrière d'une cabane en bon état, pignon dont la caractéristique est d'être droit (et non pas arrondi) et de comporter, dans l'axe médian, une petite fenêtre se découpant dans la paroi et son revêtement de claies de roseau. Cette fenêtre à quatre carreaux est même dotée d'un volet qui se rabat. Malheureusemet, un timbre inopportunément collé empêche de voir la partie antérieure de la bâtisse.

Carte postale des années 1900-1910. Dos divisé (donc édition postérieure à 1903). Un  autre exemplaire de la carte porte l'inscription manuscrite 20 juin 1914.
Légende : MARIGNANE. - L'Esteou - Lei Barques dou mestré Panon.
Éditeur : Editions Chapus.

 

Document No 11

Le toponyme « La pointe du ruisseau » est manifestement l'équivalent français de la légende « La pointe du Vallat » imprimée sur le recto de la carte postale précédente. Mais là n'est pas l'intérêt de cette nouvelle carte postale : il est dans la présence de la proue d'une grande et haute cabane de sagne aux versants qui descendent jusqu'au sol, caractéristique déjà notée dans d'autres cartes. Cependant, on discerne mal la disposition si particulière des rangées de roseaux se chevauchant à la façon des épaisseurs d'une robe de danseuse de flamenco. La couverture de roseau, qui semble d'un seul tenant tant les épaisseurs des rangées sont faibles, est maintenue en place par des lignes parallèles de cannes. Le faîtage est formé par la réunion des rangées supérieures de roseau de part et d'autre. On note aussi une avancée des rampants au-dessus du pignon-façade, sauf qu'il en manque un bout au niveau de la moitié supérieure du rampant le plus proche. Enfin, on entrevoit un bout de l'entrée, décalée dans la partie droite du pignon. Il est difficile d'en dire plus sur la structure de la cabane étant donnée l'angle sous lequel celle-ci a été prise. À côté des personnages visibles dans la partie gauche de la carte, on distingue comme des filets de pêche suspendus à des fils.

Carte postale des années 1900-1910.
Légende : 5  MARIGNANE  La pointe du ruisseau.

Sur la vue, une main anonyme a ajouté 'L'Estéou", nom du lieudit qui se trouve juste au-dessus de La Pointe du Ruisseau ou Pointe du Vallat sur la carte de 1872 supra.
Éditeur : information non disponible.

 

Document No 12

Encore et toujours à Marignane, une cabane à toiture « en robe de gitane dansant le flamenco », à l'élévation si caractéristique en forme d'oignon, avec entrée s'ouvrant dans la partie de droite du pignon. Ici encore on a affaire à une cabane manifestement de chasseurs de gibier d'eau..

Carte postale des années 1910-1920 (ton sépia).
Légende : 3832 – MARIGNANE – Arrivée de la Battue (Le Partage).
Éditeur : P. Ruat, édit., Marseille.

 

Docment No 13

De par son numéro (3831) et sa légende (« Pendant la Battue »), cette carte vient immédiatement avant la précédente dans la série des cartes décrivant une battue aux foulques et éditées par le Marseillais P. Ruat. L'intérêt de la numéro 3831 réside dans la cabane entièrement végétale dont on aperçoit un versant et la pointe de l'arbalétrier-chevron de croupe à l'extrême droite, derrière une cabane en planches au toit en bâtière couvert de roseaux.

Carte postale des années 1910-1920 (ton sépia).
Légende : 3831 – MARIGNANE – Bords de l'étang – Pendant la Battue.
Éditeur : P. Ruat, édit., Marseille.

 

Document No 14

Cette nouvelle carte postale de la Pointe du Ruisseau (ou Pointe du Vallat comme indiqué sur une des cartes précédentes) laisse voir une petite cabane végétale dont les deux versants de toiture descendent jusqu'au sol, le versant de gauche s'avançant légèrement par rapport au pignon en guise de protection contre le vent. L'entrée se découpe dans la moitié gauche du pignon (poteau axial porteur oblige).

On devine une deuxième cabane plus à gauche, sous un bosquet d'arbres et, pour finir, le haut d'une grande cabane apparemment affaissée. La mauvaise qualité de la reproduction ne permet pas d'en dire plus.

Carte postale du début du XXe siècle.
Légende : MARIGNANE. - La Pointe du Ruisseau.
Éditeur : information non disponible. 

 

Document No 15

On retrouve, dans cette nouvelle carte de la Pointe du Ruisseau, la petite cahute de roseau de la carte précédente mais elle n'est plus seule, étant accompagnée d'une hutte plus élaborée et plus soignée (son versant visible comporte au moins huit rangées successives de sagne contre trois seulement pour la cahute), et un tortillon de roseau coiffe le bout de l'arbalétrier-chevron de croupe.

Une cabane aux murs en planches et au toit en tuiles mécaniques, d'un type plus moderne, se dresse dans la partie droite de l'image.

L'inscription manuscrite « Si vous voulez prendre un bain » est, pour son auteur, une façon voilée de signifier que l'endroit n'est guère engageant pour les baigneurs, et que si ces derniers ne s'en persuadent pas, le tas d'immondices sur la berge et la barque chargée de déchets végétaux se chargeront de dissuader les imprudents de faire trempette.

Carte postale des années 1900. La bordure nuagique en bas postule une publication antérieure à 1904. Dos simple, tampon de la poste de Marignane du 12 mai 03, tampon de la poste de La Ciotat du 13 mai 03.
Légende : MARIGNANE. - Quartier de la pointe du ruisseau.
Éditeur : Collection L. A.

 

Document No 16

Incontestablement on a affaire ici à une des plus spectaculaires cabanes de « la pointe du ruisseau ». Entièrement en sagne, elle ressemble aux cabanes camarguaises de la même époque (tout début du XXe siècle). Le versant de toiture ne descend pas jusqu'au sol, laissant voir une paroi latérale verticale ne dépassant pas le tiers de la hauteur de l'édifice. Il y a sept rangées successives de roseaux, dont la plus haute et la plus large (la chemise) est maintenue en place par une ligne horizontale de plusieurs cannes réunies courant sous le faîte et par un fil de fer juste en dessous. Les six autres lignes de cannes, cachées par le recouvrement des rangées de roseau, se devinent à leur extrémité qui saille au niveau du pignon. La pointe de l'arbalétrier-chevron axial de la croupe est enveloppée d'un tortillon de sagne. Le haut du pignon est en claies maintenues par des lignes de cannes. Les éléments visibles dans la partie inférieure sont cependant difficiles à identifier : il y aurait au centre, hissée sur un portique, une sorte d'armoire étroite, à deux portes, en avant d'une paroi en planches de bois. L'entrée est cachée par un rouleau de claies de roseau disposé sur la gauche du pignon, dans le prolongement de la paroi de la cabane.

Carte postale des années 1900. La bordure nuagique en bas postule une publication antérieure à 1904.
Légende : MARIGNANE. - Cabane de Pêcheurs à la pointe du ruisseau – No 1.
Éditeur : Collection L. A.
 

Agrandissement.
 

Agrandissement de détail.

 

Document No 17

La scène se passe encore et toujours à Marignane, au lieu-dit la « pointe du Ruisseau », au début du XXe siècle. On reste songeur quant à ce qui a pu inspirer le photographe à prendre cette vue d'un cabanon en dur, partiellement caché par des arbres rachitiques et une hétéroclite barrière en bois dont la hauteur est accentuée par le choix de la contre-plongée. De plus, la photo est penchée. Quoi qu'il en soit, cette carte nous offre le spectacle, sur la gauche du cabanon en dur, d'une petite cabane végétale dont la toiture, très basse, s'avance légèrement par rapport au nu du pignon. L'entrée se dessine dans la moitié gauche du pignon.

Carte postale du début du XXe siècle.
Légende : 33 MARIGNANE - La pointe du Ruisseau.
Éditeur : information non disponible. 

 

Document No 18

La légende au recto de la carte est des plus laconiques : « MARIGNANE - Le bord de l'Étang ». Le verso n'apporte aucune indication supplémentaire en dehors de la mention « CARTE POSTALE » et d'un double trait de division. On aperçoit dans la moitié droite de l'image un alignement de trois cabanes entièrement végétales disposées parallèlement entre elles, et dans la moitié gauche un alignement composé de deux cabanes à toit de tuiles mécaniques et d'une cabane végétale.

Carte postale du début du XXe siècle (au verso, message manuscrit daté du 13 octobre 1909).
Légende : MARIGNANE - Le bord de l'Étang.
Éditeur : non indiqué.

Malheureusement, la végétation ne laisse pas voir grand chose des cabanes végétales. Tout au plus peut-on dire que le faîtage de la cabane de droite la plus proche est obtenu par la saillie des roseaux d'un versant par rapport à ceux du versant opposé, signe d'une médiocre technicité.

Agrandissement.

L'étang de Bolmon

Document No 19

Le photographe a mis les deux barques au centre de son cadrage, ce faisant il a saisi la partie avant d'une grande cabane aux gouttereaux en dur et à la toiture en bâtière couverte de roseaux des marais.

Une souche de cheminée perce la toiture au tiers de la longueur du faîtage, signe de l'utilisation de l'édifice comme habitation. Derrière le rideau de tamaris, on entrevoit les deux rampants de toiture en saillie par rapport au pignon, un gouttereau blanchi à la chaux où s'ouvre une fenêtre. Le bâtiment n'est pas sans évoquer les cabanes de gardian rencontrés un peu plus à l'est, en Camargue, à la même époque, mais il est difficile d'en dire davantage, la partie arrière de l'édifice n'étant pas visible.

Carte postale des années 1950 (bords dentelés, non représentés ici) (cachet de 1951 au dos).
Légende : MARIGNANE - ETANG DE BOLMON.
Éditeur : information non disponible.

 

Document No 20

Dans cette autre vue de l'étang de Bolmon, on aperçoit, au centre de la carte, non pas une cabane mais une loge de roseaux en forme de bâtière, qui semble portée par des potelets très bas. Elle est disposée perpendiculairement au bras d'eau et légèrement inclinée vers celui-ci, son pignon et ses côtés sont ouverts : s'agit-il d'un abri à embarcation ?

Carte postale des années 1930-1940 (bordure blanche).
Légende : Les environs de Marseille - L'étang de Bolmon - Les Cabanes.
Éditeur : Editions Gandini à Marseille. 

 

Document No 21

Toujours à l'étang de Bolmon, une loge de roseaux qui semble posée au sol pour autant qu'on puisse en juger d'après le pan visible. Ce pan de toiture est en mauvais état : les cannes horizontales qui maintiennent les roseaux en place s'en détachent.

Carte postale des années 1930-1940 (bordure blanche).
Légende : Les environs de Marseille - L'étang de Bolmon - Les Cabanes.
Éditeur : Editions Gandini à Marseille. 

 

Documents Nos 22 et 23

Les deux documents qui suivent sont non pas des cartes postales mais des photos découpées dans une revue qui remonte à l'année 1928 et dont nous ignorons malheureusement le titre (L'Illustration ?). Elles concernent les cabanons du  lieu-dit l'Estèu au bord de l'étang de Bolmon. Un texte rédigé par un certain Adrien Frissant, au lyrisme quelque peu suranné aujourd'hui, donne des informations sur leur localisation, leurs matériaux, leurs propriétaires et leur utilisation.

VISION EXOTIQUE EN PROVENCE

« A quelques kilomètres de Marseille, au sortir du célèbre tunnel du Rove à côté du camp d'aviation de Marignane, le touriste averti peut s'offrir la surprise la plus inattendue : celle d'un paysage bien invraisemblable dans le voisinage immédiat de tout ce modernisme.

Prenez au bas de la populeuse Canebière un des nombreux « teuf-teuf » qui s'offrent à vous dans le Vieux-Port, longez les bassins si prodigieusement animés de la Joliette, débouchez dans l'étang de Berre après avoir traversé le tunnel qui constitue un des plus magnifiques ouvrages d'art de la navigation mondiale et qui fait l'émerveillement des Américains eux-mêmes, vous débarquerez à Marignane et, au bout de quelques minutes de marche dans la direction de l'ouest et sous le vrombissement des aéroplanes, vous aurez devant vos yeux un spectacle qui vous donnera tout à coup l'étrange illusion d'être transportés à des milliers de kilomètres ou à plusieurs siècles en arrière.

Une étroite bande de terre qu'on appelle le Jaï, sépare le vaste étang de Berre de l'étang plus petit de Bolmon sur les bords duquel, dans un paysage désolé de criques, de marécages et de canaux, s'élèvent de misérables cabanes au milieu d'une végétation presque aussi haute qu'elles. C'est d'ailleurs avec les roseaux et les bambous qui poussent là que sont édifiés les pauvres abris qui font songer aux villages nègres les plus primitifs.

Pendant toute la semaine, il est rare de rencontrer âme qui vive à l'Estèu, sauf, de temps à autre, quelques pêcheurs professionnels. La plupart de ces « cabanons », comme on les appelle là-bas, appartiennent à des amateurs marseillais, qui y viennent le samedi et y passent le dimanche. Mais c'est surtout aux époques de l'année où s'organisent les grandes battues pour capturer les oiseaux migrateurs que les chasseurs de foulques – sortes de poules d'eau qui pullulent sur ces étangs –  donnent de l'animation à l'Estèu.

On peut être surpris qu'aucun des peintres si nombreux qui, à chaque salon, exposent des vues de Martigues, la Venise provençale toute proche, n'ait jamais songé à aller planter son chevalet dans ce coin d'une originalité si pittoresque et si imprévue. Sans doute l'ignorent-ils. On ne saurait trop conseiller à ceux qui veulent connaître ce curieux spectale de ne pas attendre trop longtemps. Le port aérien de Marignane prend chaque jour une expansion plus grande. Il est déjà le plus important camp d'aviation de France après le Bourget. D'autre part, avec le tunnel du Rove, l'étang de Berre va maintenant devenir le prolongement du port de Marseilles, de plus en plus à l'étroit dans les bassins  de la Joliette. Combien de temps encore l'Estèu gardera-t-il cet aspect primitif qui donne à ses rares visiteurs stupéfaits la sensation de se trouver tout à coup si éloignés de notre civilisation tumultueuse ? »

Adrien Frissant

Dans la première photo, trois cabanes dressent leur pignon le long d'un chemin envahi par la végétation. Seule la plus avant est entièrement végétale, celle du milieu ayant son pignon et ses côtés en dur, et celle à l'arrière – dont on ne voit pas grand chose – étant une construction moderne à en juger d'après les rampants de sa toiture.

La cabane au premier plan présente un aménagement intéressant : la paroi latérale se prolonge côté pignon, formant comme l'amorce d'un auvent. Elle semble à l'abandon, une planche manque à la porte en bois.

La cabane du plan intermédiaire se singularise par la brisure de ses versants couverts de roseau.

Photo No 1

Dans la deuxième photo, on aperçoit un abri rudimentaire, en forme de bâtière allongée, de facture assez fruste. D'après le pignon visible, laissé ouvert, la structure porteuse semble se résumer à des couples d'arbalétriers-chevrons posés au sol, entrecroisés au sommet et enserrant la faîtière dans l'entrecroisement. La couverture de roseau est des plus sommaires : une seule épaisseur de roseau, maintenue en place par des cannes horizontales. S'agit-il, comme dans le document No 19, d'un hangar rudimentaire pour embarcation ?

Photo No 2

 

Photo No 2 : Agrandissement de détail.

 

Document No 24

Cette carte postale lourdement colorisée de la rive de l'étang de Bolmon nous donne l'occasion de voir ce qui semble bien être la partie avant d'un abri à embarcation avec ses deux versants partant du sol et son ouverture  béante tournée vers l'étang.

Carte postale colorisée des années 1900-1910.
Légende : Marignane (B.-du-R.)  – Etang de Bolmon.
Editeur : indication non disponible.

 

Document No 25

Les battues aux foulques (nom local des macreux) organisées naguère sur l'étang de Bolmon n'ont pas manqué d'attirer l'attention des photographes et éditeurs de cartes postales à l'aube du XXe siècle. Une série de cartes préservent le souvenir de cette chasse disparue, dont celle ci-dessous où l'on aperçoit deux abris à barque, un grand et un petit, tous les deux reconnaissables à leur ligne de faite légèrement inclinée vers l'étang.

Carte postale colorisée des années 1900-1910.
Légende : 3834 – Marignane - Battue aux Foulques.
Éditeur : Phototypie E. Lacour Marseille.

 

Document No 26

Moins ancienne que les deux précédentes, cette carte postale photographique des années 1930 (d'après sa bordure blanche) offre le spectacle d'une partie de pêche à l'étang de Bolmon. Contre la bordure droite, on aperçoit l'ouverture triangulaire d'un grand et haut abri à barque au versant rapiécé. Une ferme de charpente en forme de chevalet ou de A (deux arbalétriers et un faux-entrait) sert de support à la faîtière. On distingue, à l'intérieur, deux glissières latérales sur potelets. Il est difficile d'en dire plus.

Carte postale photographique des années 1930 (d'après la bordure blanche).
Éditeur : indication non disponible.

 

Conclusion

Des cartes postales du début du XXe siècle mais aussi quelques-unes des années 1930-1940 nous font découvrir l'existence autrefois de cabanes tout en bois et roseau servant à la pêche ou à la chasse au gibier d'eau, à Marignane, au bord de l'étang de Bolmon.

Il convient de rappeler que les zones palustres du littoral méditerranéen depuis les Pyrénées-Orientales jusqu'aux Bouches-du-Rhône ont connu, au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, ce type de cabane lié principalement à la pêche traditionnelle et, en certains endroits, à la chasse.

À côté de cabanes aux murs latéraux droits, bien distincts des versants de toiture, nous avons rencontré des cabanes dont les versants recouvrent les murs latéraux et descendent jusqu'au sol ou quasiment, et aussi ce qui semble être des structures à couples d'arbalétriers-chevrons posés au sol servant de hangar à une embarcation..

D'autres documents, photographiques ou archivistiques, seraient nécessaires pour en savoir plus sur la typologie architecturale et fonctionnelle de ces constructions. C'est là une recherche qu'une initiative locale serait capable de mener à bien.

Dans une version numérique et mise en ligne sur le Web du numéro 42, 43e année, du « Mémorial d'Aix, journal politique, littéraire, administratif, commercial, agricole et feuilles d'annonces légales » daté du 20 octobre 1878, nous avons trouvé cette annonce dans la rubrique « Nouvelles diverses » : « Une grande battue aux macreuses aura lieu aujourd'hui, à Marignane, dans l'étang de Bolmon. Le départ aura lieu à 9 h du matin, de la cabane dite la Macreuse, située à l'Estèu, où l'on se procurera des pavillons, au prix de 45 fr ».

La monographie de Paul Deleuil, « Marignane. Histoire et Documents », publiée par le Syndicat d'initiative de Marignane et l'association du Musée de Marignane en 1974, apporte des renseignements sur la présence de cabanes à la fin du XVIIIe siècle sur le cordon ou jaï entre l'étang de Bolmon et l'étang de Berre. Dans l'inventaire des Biens nationaux de Marignane de Paul Moulin annexé à l'ouvrage, on trouve les mentions suivantes (page 22) :

17 floréal III (6 mai 1795)

Bâtiment dit le Grand Bourdigue (42 cannes 3 pans, 1 rez-de-chaussé composé de 2 pièces, et une partie de terre inculte servant à sécher les filets (1 arpent 22 toises), au chemin entre l'étang de Bolmon et l'étang de Berre – de l'émigré Anne-Louis Covet-Marignane (3) –. Est. 3.500 l. Adj. 4.700 l. à Jean-jacques GALEIGNE, propriétaire et « bourdigoulier », en compte à demi avec son frère Jean-Louis GALEIGNE, à Marignane.

Bâtiment dit Petit Bourdigue (15 cannes, 1 rez-de-chaussé, composé de 2 pièces, et partie de terre inculte servant à sécher les filets (1 arpent 43 toises), au chemin entre l'étang de Berre et celui de Bolmon – de l'émigré Anne-Louis Covet-Marignane –. Est. 3.000 l. Adj. 3.800 l. à Jean-jacques GALEIGNE, en compte avec ses frères Jean-Louis GALEIGNE et Jean-Joseph GALEIGNE, à Marignane.

(3) Il s'agit de l'ex-seigneur de Marignane, mentionné comme suit dans le document : « Covet dit Marignane, ci-devant marquis et ancien enseigne des chevaux-légers, à Aix ». Il possédait « Deux bourdigues sur l'étang, canaux, etc., contenant 1 charge, 2 panaux ».


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Le 11 novembre 2010 / November 6th, 2010 - Complété le 25 avril 2021 - 12 janvier 2023 - 16-18 mai 2023 / Augmented April 25th, 2021 - January 12th, 2023 - May 16th,-18th 2023

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Les cabanes de sagne de Marignane (Bouches-du-Rhône) d'après des cartes postales anciennes (The reed-built huts of Marignane
Bouches-du-Rhône, as shown in old postcards
)
http://www.pierreseche.com/cabanes_de_marignane.htm
11 novembre 2010

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