LES CAUSES DE DESTRUCTION DES CABANES EN PIERRES SÈCHES What causes dry stone huts to fall Christian Lassure
Longtemps on a cru que les constructions en pierre sèche visibles dans les champs et les friches étaient anciennes – voire antiques – et faites pour durer. On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien et que, bien au contraire, ces constructions sont les vestiges d'un mouvement moderne de conquête et d'aménagement rationnel des marges des terroirs dont le temps fort fut grosso modo les décennies 1760-1860 ; on sait qu'elles sont depuis un siècle dans une phase de déclin et de disparition irréversible. Les structures agricoles en pierres sèches, qui incarnèrent en leur temps le fin du fin en matière de techniques constructives appliquées aux champs et à ses aménagements, disparaissent peu à peu du « paysage» rural. Un exemple frappant de cette attrition nous est donné par Michel Garnier. Alors qu'en 1935, 155 cabanes avaient été recensées dans le Mont d'Or lyonnais sur un site d'une vingtaine d'hectares – le lieu dit Les Essarts à Saint-Didier –, il n'en subsiste plus que deux ou trois en 2002 (1) ! Les causes de destruction des cabanes sont multiples, elles peuvent être liées à la cessation d'activité du propriétaire, à la piètre qualité de la construction elle-même, à l'action des intempéries, à l'envahissement de la végétation, à l'intervention de personnes étrangères mues par la cupidité ou le vandalisme, à des tremblements de terre ou à la traversée du mur du son par des avions de chasse, à des opérations d'aménagement agricole ou de reboisement, à une mauvaise restauration. 1/ cessation d'activité du propriétaire : - la cabane est abandonnée par le propriétaire qui, du fait de l'éloignement ou du grand âge, n'exploite plus la parcelle qui la porte; - après la mort de leur dernier utilisateur, la parcelle et la cabane passent en indivision. 2/ piètre qualité de la construction : - le linteau de l'entrée, insuffisamment épais ou non protégé par un système de décharge, peut se rompre et entraîner l'effondrement des parties du couvrement situées juste au-dessus;
- le parement extérieur fait ventre et s'éboule en raison du manque de boutisses susceptibles de l'ancrer dans la maçonnerie ou parce que le blocage intérieur, empilé à la va-vite, se tasse et agit comme un coin.
3/ action des intempéries : - les bourrasques de vent, les orages violents accompagnés de coups de tonnerre peuvent mettre à mal la toiture de lauses d'une cabane; - le gel hivernal délite les pierres du parement et de la toiture des cabanes édifiées en calcaire marneux.
4/ envahissement de la végétation : - les branches d'arbres ayant poussé à proximité de la cabane en balaient la toiture ou le revêtement, en fouettent la corniche, descellant les lauses qui finissent par chuter.
5/ cupidité humaine : - les pierres des piédroits et du linteau sont arrachées par un propriétaire de résidence secondaire ou par un entrepreneur en maçonnerie; - les dalles et les lauses du couvrement sont enlevées par les mêmes pour la confection d'un dallage autour d'une piscine ou d'un habillage façon pierre sèche des murs d'une villa (quand elles ne l'ont pas déjà été par le propriétaire lui-même, conscient de la valeur marchande des lauses);
- l'édifice est mis à bas et son matériau est enlevé par camions entiers pour servir de remblai à des routes et des chemins. 6/ vandalisme gratuit : - les visiteurs du dimanche ou les vacanciers, par leurs passages répétés, dégradent la cabane et son cadre : graffites, ordures, déjections, etc.; - l'escalade des couvrements par les enfants descelle les lauses; - les feux allumés à l'intérieur par les visiteurs font éclater la pierre calcaire;
- la maçonnerie sèche est fragilisée par les trous opérés à la base des parois par des chasseurs à la recherche d'un lapin gîtant dans une anfractuosité; - les chercheurs de fossiles font de même. 7/ opérations de remembrement rural ou de reboisement : - murs de pierre sèche et cabanes sont rasés d'un coup de bouteur lors de l'agrandissement d'une parcelle ou de son aménagement en vue d'une plantation d'arbres. 8/ tremblements de terre, traversées du mur du son par des avions de chasse : - sous l'effet d'une secousse sismique ou d'un passage du mur du son par un avion, la cabane s'effondre sur elle-même. 9/ mauvaise restauration : - certaines restaurations intempestives donnent à l'édifice une morphologie ou une élévation qu'il n'avait pas à l'origine. Cette énumération à la Prévert n'épuise pas le registre des causes de destruction : elle peut être augmentée, affinée, illustrée d'exemples concrets. Le « parc » des cabanes de pierres sèches se réduit comme peau de chagrin.
NOTE (1) Michel Garnier, Les "cabornes" du Mont d'Or lyonnais, dans Faiseurs de champs, aménageurs de terrasses et bâtisseurs de capitelles - L'univers des formes dans l'architecture de pierre sèche, L'architecture vernaculaire, t. 24, 2000, pp. 67-73, en part. p. 67. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as: Christian Lassure page d'accueil sommaire geologie
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