ÉCLAIRAGES SUR LE CHÂTEAU DE CHAUMONT À MAINSAT / LA SERRE-BUSSIÈRE-VIEILLE DANS LA CREUSE Christian Lassure Le château de Chaumont est une grande maison bourgeoise du début du XXe siècle, située au lieu-dit Chaumont, à cheval sur les communes de Mainsat et de La Serre-Bussière-Vieille, dans l'Est du département de la Creuse. La route qui y mène (la rue de Chaumont) se trouve à Mainsat, mais le corps de l'édifice est à La Serre-Bussière-Vieille. Réduit à l'état de ruine et abandonné à la suite d'un incendie en 1986, le château est acquis en 2022 par un expatrié anglais de 33 ans, Daniel Preston – jardinier de son métier et fondateur du blogue vidéo Escape to rural France sur la plateforme YouTube – pour le sauver de la démolition. Sur son « vlogue », on peut suivre quotidiennement l'état d'avancement des travaux de déblaiement et de consolidation de l'édifice, auquel il manque les planchers, les escaliers intérieurs et l'entièreté du toit et de la flèche. LE CHÂTEAU AU TEMPS DE SA SPLENDEUR Plusieurs cartes postales du début du XXe siècle restituent la vision de l'édifice intact, dominant les arbres qui l'entourent, ainsi que ses façades avant et arrière.
HISTORIQUE La bâtisse est construite den 1886 pour accueilir Eugénie Bardet, chanteuse d'opéra née à Mainsat et devenue riche et célèbre dans le Paris de la Belle Époque. Elle y vit avec sa fille, Gilberte Bardet.
Celle-ci loue le château en 1939 à l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), organisation s'occupant du sauvetage d'enfants juifs entre 1939 et 1945. C'est un des trois centres d'accueil pour enfants mis sur pied dans la Creuse (en zone libre). Il est dirigé par l'éducatrice juive Lotte Schwarz. Enfant, l'humoriste juif Popeck (Judka Herpstu), âgé de 4 ans, séjourna au château de 1940 à 1942, ainsi que le rappelle une plaque commémorative à l’entrée de la rue de Chaumont. Après 1945, Gilberte Bardet loue le château à des colonies de vacances jusqu'en 1960. Il devient « Centre de vacances et de plein air » sous l'appellation « Le Nid », ainsi qu'on peut le lire sur une carte postale du début des années 1950.
Après la mort de Gilberte Bardet en 1967, le château est vendu en 1971 à Jean-François Mironnet, ancien valet de chambre, confident et homme de confiance mais aussi héritier de la créatrice de mode Coco Chanel, et à sa femme, ancienne bonne au service de cette dernière. Ils l'aménagent et y habitent plus ou moins régulièrement avec leur fils. L'ex-valet y établit un atelier où il façonne des bijoux qu'il vend à Saint-Tropez. La bâtisse brûle intégralement dans la nuit du 25 au 26 février 1986. L'épouse Mironnet, seule sur les lieux au moment de l'incendie, réussit à échapper aux flammes depuis un balcon en nouant des draps de lit en guise de corde.
En 2014, la ruine est rachetée par un certain Patrick Surget lors d'une vente aux enchères. Celui-ci met en vente la propriété sur le site Leboncoin en indiquant dans son annonce que les éléments subsistants du château peuvent être démontés ; il souhaite cependant trouver un acheteur qui restaure l'édifice. C'est alors qu'intervient Daniel Preston, qui acquiert l'édifice aux conditions fixées par le vendeur.
ARCHITECTURE L'édifice comporte un corps central rectangulaire, de direction nord-est sud-ouest, à cinq niveaux. Contre lui, s'appuie, de chaque côté, une aile constituée d'un corps également rectangulaire mais moins large et moins haut, de quatre niveaux. Le plan de l'ensemble est celui d'une croix aux croisillons peu développés. Le premier niveau est un soubassement en pierre faisant fonction de sous-sol. Il forme une avancée qui sert de terrasse aux escaliers des façades avant et arrière du corps central et de l'aile sud-est. L'aile nord-ouest ne possède pas d'escalier extérieur. Au-dessus, se trouve le rez-de-chaussée, accessible par deux escaliers jumelés en rampe droite sur la façade avant (nord-est), par un deuxième escalier sur la façade sud-est et par un troisième sur la façade arrière (sud-ouest). Le deuxième niveau est le premier étage, le troisième niveau le deuxième étage (sous comble pour les ailes). Au niveau de la toiture d'ardoises, la façade se réduit à une seule travée qui sert de base à la tourelle. La façade avant du corps central est à trois travées, la travée mediane étant marquée par une succession de trois larges baies, celle du bas à arc en plein cintre et les deux au-dessus à arc segmentaire. Elles éclairent le grand escalier qui dessert les différents niveaux. La maçonnerie alterne pierres de taille grises et briques rouges. Les ailes sont en maçonnerie de moellons revêtus d'un enduit au ciment, sauf aux angles et aux baies, l'entourage de ces dernières alternant pierres de taille et briques. La toiture de chaque aile est à la Mansart, avec des baies couvertes d'un fronton triangulaire sculpté.
La disposition des pièces et leur affectation – lorsque le château accueillait de jeunes réfugiés – nous sont connues grâce au témoignage d'Eric Thorn qui, arrivé à Chaumont à l'âge de 10 ans, y séjourna d'octobre ou novembre 1939 à juillet 1941, date de son départ pour les États-Unis. « Au sous-sol se trouvaient le chauffage et les récipients à charbon, la cuisine, le cellier, les réserves, la buanderie, le stock de bois. Au rez-de-chaussée il y avait dans l’entrée les lavabos et plus loin dans les trois ailes du château, les trois salles à manger : pour les petits, les moyens et les grands. En dehors des heures des repas ces salles à manger étaient utilisées pour différents autres usages. La salle à manger pour les grands était reliée à un espace immédiatement à l’extérieur de la cuisine par un escalier, mais il n’y avait pas de perron ou de balcon comme ceux que les deux autres salles à manger possédaient. Deux piliers cylindriques en granite flanquaient l’escalier qui conduisait au premier étage (1) (...). Il y avait ici deux dortoirs pour les petits, ainsi que deux petites pièces pour les surveillantes. (...) Il y avait aussi à cet étage les installations pour le cuisinier, pour les deux autres membres du personnel et un grand espace où l’on trouvait des douches et des toilettes – mais il n’était pas possible de se laver. À l’étage immédiatement supérieur il y avait deux dortoirs pour les moyens ; les garçons et les filles partageaient les chambres. Si mes souvenirs sont exacts, à mon époque, il y avait 15 enfants dans l’une et 14 dans l’autre. (...) Toujours à cet étage on trouvait aussi le dortoir des grands garçons et un petit dispensaire. Un autre étage atteignait la base de la tour. On trouvait ici le dortoir des grandes filles ainsi que le logement de Lotte Schwartz (...). En plus d’être à la tête de l’établissement, elle avait la charge des grands. (...) Encore plus en haut de la tour il y avait une pièce qui servait de débarras, et encore plus haut, tout à fait au sommet, il y avait une petite pièce à laquelle on n’avait trouvé aucun usage et que j’utilisais avec un couple d’amis comme salle de réunion. (...) ». Extrait de : Éric Thorn : de l'Autriche à Chaumont (1) Au sens français, c'est-à-dire l'étage au dessus du rez-de-chaussée ; en anglais américain, on parle de "second floor"...
Il reste maintenant aux restaurateurs à mettre un nom d'architecte sur ce bel édifice, à trouver les dates du chantier de construction et à faire le relevé des élévations et des niveaux à défaut de mettre la main sur les plans d'origine.
SOURCES : * Vick Vance, Le valet de chambre de Coco Chanel. Il dit : « elle m'avait promis un million de dollars sur son testament », Paris Match, No 1232, 16 décembre 1972, pp. 106-111. * Lotte Schwarzt, sur le site de l'AJPN (Anonymes, Justes et Persécutés durant la période Nazie dans les communes de France). * À Mainsat, le château de Chaumont - refuge de jeunes juifs pendant la guerre - est à vendre, Reportage France bleu, 27 septembre 2017. * Hélène Abalo, Mainsat : le château est à vendre, pas son histoire, franceinfo, 28 septembre 2017. * Séverine Pierrier, Un château ayant recueilli des enfants juifs en Creuse en vente sur Le Bon Coin, La Montagne, 17 septembre 2017 http://www.youtube.com/@escapetoruralfrance © CERAV
À citer comme suit :
Christian Lassure,
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