LE CONCEPT DE L’« ÉCO-MUSÉE » N’A PLUS LA COTE Falling from grace: the "eco-museum" concept Christian Lassure
Extrait de L'Architecture vernaculaire, t. XIV, 1990 Il y a dix ans déjà, nous avions dans les pages de la présente revue, dressé le constat de l’inadéquation du prétendu « éco-musée » à la Française, cette fumeuse création de Georges-Henri Rivière qui devait plus à la mode ethno-écologique des années 1970 qu’à une méthodologie véritablement scientifique (1). Dans le contexte bien-pensant de l’éthno-muséologie de l’époque, notre article avait de quoi déranger, on en conviendra. Nous n’avions jamais escompté voir nos idées reprises et un constat identique dressé, sinon par des spécialistes étrangers des musées de maisons en Allemagne, en Suisse ou dans les pays scandinaves. Il faut croire que le temps qui passe a raison de tout et même des modes qui semblent le plus solidement établies. En effet, dans le journal Le Monde des 26-27 mai 1991 (2), Emmanuel de Roux, qui y fait office de relais des ethnologues et muséologues ATP, va jusqu’à faire de l’ironie à propos du concept même de l’éco-musée. Nous en sommes tombé à la renverse. Qu’on en juge : « Qu’est-ce au juste qu’un écomusée ? La réponse ne tient pas en moins de trois feuillets, affirment les hommes de l’art, qui trouvent réductrice la définition du dictionnaire : 'un musée ethnographique présentant une collectivité humaine dans son contexte géographique, social et culturel '. Georges-Henry Rivière, le créateur du Musée des arts et traditions populaires (ATP), l’un de ceux qui ont le plus réfléchi sur le sujet, en faisait une description boulimique : 'un écomusée s’intéresse à tout, ses limites ne sont pas thématiques mais géographiques'. Ce système attrape-tout, né ici dans la mouvance de mai 68, devait révolutionner le monde 'vermoulu' des musées. Le mot fit fortune et, quelques années durant, l’idée brilla d’un éclat sans pareil. Les subventions de l’Etat, celles de la ville et de la région se multiplièrent. Les universitaires se penchèrent sur le berceau de cet enfant si prometteur. On embaucha des spécialistes : archivistes, historiens et architectes. On convoqua les arts plastiques au rendez-vous. Sur place, les longues veillées se multiplièrent pour déchiffrer le terrain. L’instituteur, le curé et le facteur – trilogie insécable – furent longuement soumis à la question. Les différentes activités de la communauté, passées au crible, donnèrent lieu à des expositions. Temporaires bien sûr. Pas question de s’encombrer d’un fonds permanent : les habitants doivent apporter les objets à montrer et gérer leurs propres collections, affirmait-on avec conviction. Le succès de l’écomusée fut d’autant plus grand qu’on était en pleine euphorie industrielle. La manne pleuvait de toutes parts. » Que ces choses n’aient été dites lorsqu’il eût fallu les dire, par exemple en 1980 à l’occasion de l’Année du Patrimoine ! Peut-être la France aurait-elle aujourd’hui – en dehors de l’Alsace – de véritables musées régionaux de maisons lui permettant de ne pas faire figure de pays arriéré dans le cadre de l’Europe de 1993. NOTES (1) Christian Lassure, Aspects comparés de la conservation des témoins d’architecture vernaculaire en France et dans les pays de l’Europe du nord, du nord-Est et du Nord-Ouest, dans L’Architecture Vernaculaire Rurale, tome IV, 1980, pp. 9-29. Un condensé, réalisé par Nicole Gauthier, a été publié par la Ligue française de l’enseignement et de l'éducation permanente dans sa revue Pourquoi, sous le titre « Plaidoyer pour l’architecture vernaculaire et sa conservation » (No 161, janvier 1981, pp. 14-25). (2) Emmanuel de Roux, La renaissance de l’écomusée du Creusot. Du même journaliste on lira également avec profit « Les musées meurent aussi » dans le monde du 10 octobre 1990 (qui comporte en outre un entretien avec Jean Cuisenier, ancien conservateur-en-chef du Musée des ATP : « Le Musée des arts et traditions populaires : un héritage menacé »). Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure
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