Recension Claudine Remacle, Construire en montagne. L'exemple d'Ayas à travers les prix-faits du XVIIe et du XVIIIe siècle, extrait de « Archivum Augustanum », II, nouvelle série, Aoste, Imprimerie E. Duc, 2002, pp. 59-111 (53 p.) + 16 pl. h. t.
Ayas est une commune du Val d’Aoste, cette région italienne francophone limitrophe de la Savoie. Mme Claudine Remacle, architecte de son métier et spécialiste de l’architecture rurale valdotaine, a choisi cette commune pour y confronter les bâtiments villageois encore visibles et les descriptions d’édifices recueillies dans de rares prix-faits conservés dans les archives de notaires d’Aoste. L’étude minutieuse à laquelle elle s’est livrée lui permet d’éclairer d’un jour nouveau certains aspects de l’architecture rurale jusque là mal compris en raison de la prévalence des idées romantiques : « Les textes », écrit-t-elle, « montrent en effet que les paysans ne construisaient pas leur maison de leurs propres mains et qu’ils ne vivaient pas toute leur vie confinés dans leurs montagnes, loin du reste du monde, loin de la ville ». Au passage, l’auteur rappelle le sort fait par l’Inventaire des édifices ruraux en Vallée d’Aoste aux idées fumeuses et calamiteuses diffusées de ce côté-ci de la frontière dans la deuxième moitié des années 1970, entre autres : Pour en revenir aux sources mêmes de l’étude, ce sont en tout soixante prix-faits (appelés tache avant 1660, convention, prisfaict, ou pact aux XVIIe et XVIIIe siècles, capitulation parfois à la fin du XVIIIe) que Mme Remacle a pu réunir. Pour faire bonne mesure, elle y a adjoint des textes où apparaissent des artisans : inventaires après décès, contrats d’association, contrats d’émancipation et surtout d’apprentissage. À partir de ce corpus non négligeable, elle s’est mise en devoir d’établir qui étaient les bâtisseurs à Ayas, quels édifices ils construisaient, en combien de temps, avec quelles techniques, dans quelles conditions et pour quel prix. Ce n’est pas le lieu ici de faire un résumé détaillé de l’étude riche et fouillée de Mme Remacle. Nous nous contenterons de reproduire les conclusions qu’elle donne en fin d’ouvrage : La confrontation des bâtiments décrits dans les prix-faits avec ceux existant aujourd’hui montre qu’avec le passage du temps (remaniements après partages successoraux, démolitions pour raison de vétusté, etc.), c’est une gageure que de reconnaître sans l’ombre d’un doute des bâtiments correspondant aux descriptions des prix-faits, et ce d’autant plus que le nom du lieu peut avoir changé ainsi que les éléments remarquables de l’environnement immédiat. Mme Remacle a cependant reconnu trois raccards et une partie de maison correspondant à quatre prix-faits, et soupçonne plusieurs autres bâtiments d’être des versions réaménagées de constructions citées dans les documents notariaux. Au-delà de ces conclusions fort instructives, il est un aspect de la construction rurale dans la commune d’Ayas qui retient l’attention du lecteur, c’est le foisonnement des termes de français notarial employés par les scribes des XVIIe et XVIIIe siècles et recouvrant des termes de patois ayassin, entre autres : Citons encore la crotte (la cave), l’alloir (le corridor d’entrée de la cave), le gabénet (le coin des hommes dans l’étable), les labies (les lauses), le sollan(c) ou sollivan ou solluanc (le plancher), les loges (les balcons situés devant la maison et le poële), le corps (la poutre faîtière), les costères (les pannes intermédiaires), la gronde (la gouttière en bois), les armements (les châssis dormants en bois), la rusque (l’enduit), le blanchun (la terre argileuse faisant office de mortier), les trabs ou traibs (les grosses poutres), les travets (les solives transversales), les aix cousuz (les planches embrevées), les collonnes (les poteaux en bois), l’onzine (le contrefort), les jambes (les plots en forme de champignon soutenant un raccard), les chantons (les pierres d’angle), les sultans (les pierres à paver le four), la dépoillie (la dépouille, les matériaux d’une maison démolie), etc. On est pris de vertige devant ce vocabulaire si pittoresque mais désormais aboli. Les 16 planches photographiques en fin d’ouvrage permettent de se faire une idée Il reste à espérer que les travaux novateurs et fructueux de Mme Remacle feront école de ce côté-ci des Alpes où l’étude de la maison rurale est passée en trois décennies de l’admiration béate d’un prétendu cachet esthétique (« sauvons nos belles maisons paysannes ») à la célébration non moins niaise d’une prétendue valeur patrimoniale (« valorisons notre patrimoine de pays »). Lourde tâche, et bien incertaine … Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure page d'accueil sommaire architecture vernaculaire
|