COMMENT CONSTRUIRE UNE MONJOIE EN PIERRE SÈCHE Building a dry stone cairn
En guise d'introduction En catalan de la province de Tarragone, le terme monjoia désigne un monticule de pierres ou un pilier en pierre érigé pour baliser un chemin ou une portion de territoire (1). Dans son dictionnaire occitan-français, Louis Alibert donne montjoìa comme bloc de pierre servant de borne ou de limite ou consacrant un souvenir (2). Le terme est présent en dialecte nissart sous la forme mounjoia, désignant un tas de pierres marquant une étape de transhumance ou un sommet (3). Ce sens de tas de pierres amoncelées ou de bloc de pierre dressé servant de balise, de borne, de repère, se retrouve dans le mot français monjoie ou montjoie, employé depuis longtemps dans la littérature relative aux pèlerinages religieux et plus récemment dans celle consacrée à la pratique de la randonnée (4). Que l'on soit pélerin catholique redécouvrant le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle ou randonneur estival marchant sur les traces de l'âne de Stevenson dans les Cévennes, il est de bon ton de s'extasier sur les monjoies rencontrées au bord des chemin, d'y ajouter une pierre éventuellement, voire d'ériger une nouvel amoncellement. Il n'est jusqu'aux praticiens de la sculpture paysagère ou land art qui ne reprennent cette tradition à leur compte, ainsi l'Anglais Andy Goldsworthy, bâtissant ses cairns (5) en forme d'œuf de Colomb ou de pomme de pin dans la Réserve géologique de Haute Provence à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence).
Il y a dans ce regain d'intérêt quelque chose de sympathique que nous nous proposons d'encourager à l'aide des conseils qui suivent sur l'art et la manière de construire une monjoie. Les dimensions
Le fruit En se reculant de quelques pas et en répétant l’opération dans plusieurs directions, on sera en mesure de voir si le fruit est bien respecté ou s’il y a bombement en creux ou encore replat du parement. Comme ces défauts ne se remarquent qu’au bout de deux ou trois assises, on sera peut-être obligé de défaire le bout de parement incriminé pour ensuite le remonter, et ce à divers endroits.
Pour donner au parement le fruit qui convient, les pierres en seront très légèrement inclinées vers l’intérieur.
Cas d’une monjoie au sommet pointu Du fait de la réduction progressive du diamètre des assises, les pierres employées doivent être de plus en plus petites, ce qui ne facilite pas le travail du bâtisseur. NOTES (1) Cf. El Cim, Butlleti Informatiu Núm. 6, Grup Excursionista del Camp de Tarragona, Oct. 1994, p. 12 (Terminologia Muntanyenca). (2) Cf. Louis Alibert, Dictionnaire occitan-français, Nouvelle édition, Toulouse, Institut d'études occitanes, 1977. (3) Cf. le dictionnaire nissard-français (Diciounari Nissart-Francés) consultable sur le site www.nicerendezvous.com/FR/. (4) Le nom commun monjoie (orthographié diversement montjoie, monjoye, montjoye) a une longue histoire sémantique (sans parler du toponyme), ainsi que l'attestent les archives et la littérature. Si notre propos n'est pas de retracer l'évolution exacte et précise du terme, nous livrons cependant au lecteur quelques exemples d'emploi à travers les siècles. A la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, les Etats du Gévaudan (la Lozère actuelle) faisaient poser des « montjoies » le long de la route traversant la Can de l'Hospitalet, ce petit plateau calcaire perdu au beau milieu des Cévennes schisteuses : il s'agissait de pierres dressées dont le rôle était de guider les voyageurs les jours de brouillard ou de tourmente de neige. Au début du XIXe siècle, Laurent Parlier, châtelain au Pompidou, argumentait encore pour la réhabilitation de plusieurs tronçons, proposant la mise en place sur toute la longueur de la Can, de « montjoies » ou poteaux de pierre. Au XVIe siècle, Montaigne emploie le mot pour décrire des dunes de sable qui ensevelissent des terres dans le Médoc : « et voyons des grandes montjoies d'arène mouvante qui marchent d'une demi lieue devant elle [la mer], et gaignent pays ». Un siècle plutôt, dans ses Ballades de la Coquille, le poète Villon, met en garde ses amis malfrats contre le sort qui les attend : « Coquillards, rebecquez-vous de la Montjoye » (Coquillards, tenez-vous à l'écart du gibet). La Montjoye en question est le gibet parisien de Montfaucon, bâti sur une éminence. Du sens propre de monticule, d'éminence, on en vient au sens figuré de comble, de degré suprême, ainsi dans Le Mystère de saint Martin, d'Andrieu de la Vigne (1496) : « Le PERE (à la mère). Ma chiere amye, ma doulce pourtraiture, Chief de plaisance et d'onneur la montjoye, Possible n'est qu'on peult, par escripture, Aulcunement deschiffrer ma grant joye ». Le sens d'amas, d'amoncellement, de monceau, de tas, rencontré chez Montaigne, se trouve appliqué également à des choses aussi diverses que des pièces de monnaie, des fleurs, des ossements, des jambons, etc. (en plus de pierres évidemment) pendant ce siècle et le précédent : « Les passans pelerins Alloient semans roses et romarins. Faisans de fleurs mainte belle montjoye » (Clément Marot) - « la prochaine poincte de Morbien [Morbihan] en devers l'est, là où est la Montjoie de pierres dessus elle » (description du monument mégalithique de la pointe de Petit-Mont, dans cet itinéraire maritime qu'est le Grand Routtier de Garcie Ferrande) - « Gourmandons en jour et nuyt montjoyes de jambons, de guerdons et de bresmes, meismes » (Jehan Meschinot, XVe siècle) - « et quant il vit telle monjoye d'escus en sa main il fut sy tresravy qu'il ne savoit que faire » (Antoine de la Sale, milieu du XVe siècle). A voir tous ces exemples, on comprend que le mot en soit venu à signifier aussi « abondance » : « Merciez Dieu, pensez de le servir, / Il vous garde de tous biens grant montjoye / Et vous fera avoir vostre desir » (Charles d'Orléans, XVe siècle). À la fin du XVe siècle, Jean de Tournai mentionne, dans une de ses relations de pèlerinage, les « montjoies » qui lui ont évité de se perdre dans la neige : « Nous boutions nos bourdons [bâtons] bien souvent dans cette neige jusqu'au bout, pour savoir s'il n'y avait point de montjoie et quand nous ne trouvions rien nous nous recommandions à Dieu et allions toujours et quand nous oyions que notre bourdon cognait, nous étions bien joyeux car c'était à dire qu'il y avait une montjoie ». Au XIIIe siècle, le Cardinal Hugues de Saint-Cher évoque les monceaux de pierres surmontés d'une croix ou « montjoies » érigés par les pèlerins lorsqu'ils apercevaient le lieu de dévotion où ils se rendaient en pèlerinage. On touche là un autre sens revêtu par le terme monjoie, celui d'oratoire en pierre abritant dans une niche la statuette d'un saint ou de la Vierge et faisant l'objet d'une dévotion locale. Ainsi cette monjoie du 3e quart du XVe siècle à Saint-Gence en Haute-Vienne ou encore ces deux monjoies du XVIIe siècle à Nieul en Corrèze.
Enfin, s'écartant de cette famille de sens, on trouve celui d'oriflamme des rois de France. Le cri de guerre Montjoie Saint Denis des chevaliers du Moyen Age en serait issu. 5/ En anglais, cairn est l'équivalent du français monjoie dans l'acception d'amas de pierres érigé pour servir de borne ou de mémorial. Le mot, qui est d'origine écossaise et provient d'une racine gaélique désignant une élévation, a été adopté en français d'abord dans le sens de tumulus celtique au début du XIXe siècle par les archéologues, puis dans celui de pyramide de pierres servant de repère ou de marque de passage au milieu du XIXe par les alpinistes. Force est de noter qu'il y a dans le monosyllabique « cairn » une sécheresse, une raideur qu'on ne retrouve pas dans « monjoie », qui véhicule, du fait de l'homonymie de sa dernière syllabe, une impression de chaleur humaine. Qu'on ne s'étonne pas si, malgré notre bilinguisme, nous préférons, quant nous parlons de la France, ce dernier terme, vieux de plus d'un millénaire. De plus, un autre équivalent anglais de monjoie est barrow, ainsi que nous l'apprend A Dictionary of the French and English Tongues, de Randle Cotgrave (1611) : « Mont-joye: f. A barrow; a little hill, or heape of stones, layed in, or neere a highway, for the better discerning thereof; or in remembrance of some notable act performed, or accident befallen, in that place... ». En archéologie anglaise, barrow désigne un tertre funéraire datant de la période allant de la fin du Néolithique à la fin de l'Age du bronze (2900-800 av. notre ère). C'est également un toponyme. À la différence du cairn, le barrow est constitué principalement ou entièrement de terre, un terril en quelque sorte.
ANNEXE Étymologies du toponyme Au nom commun monjoie/montjoie correspondent le toponyme Monjoie/Montjoie et ses variantes. Plusieurs hypothèses sont en lice quant à l'origine de ce dernier. 1/ Le toponyme aurait pour origine le latin Mons Gaudii, censé signifier « mont de la joie ». Hélas, cette interprétation semble avoir été concoctée spécialement pour conforter la tradition selon laquelle les pèlerins du Moyen Age en route pour Saint-Denis, Le Puy, Saint-Jacques-de-Compostelle, Jérusalem ou Rome, désignaient par cette expression le point de vue d'où ils apercevaient, le cœur rempli de joie, leur destination. Effectivement, il existe, à 2 km au nord du Vatican, une haute colline baptisée Mongioia par les pèlerins (mais son vrai nom est Monte San Mario). De même, la dernière colline avant d'arriver à Saint-Jacques-de-Compostelle, est connue sous le nom de Monte del Gozo; au nord-ouest du Puy-en-Velay, il existe un sommet du nom de Montgausy, dans lequel de pieuses personnes voient un « mont de la joie » d'où les pèlerins apercevaient la ville du Puy-Notre-Dame (aujourd'hui Le Puy); à cinq kilomètres de Jérusalem, la colline d'où les premiers Croisés découvrirent la Ville Sainte, fut appelée par eux Montjoye (alors qu'elle avait dejà pour nom Nebi Samuel, car abritant la tombe du prophète Samuel). Il paraît que cette hypothèse aurait contre elle le fait que mons est masculin et ne saurait avoir donné un nom féminin (la mon(t)joie). En fait, il y a tout lieu de croire que c'est Mon(t)joie, réinterprété en Mont de la joie, qui a suscité Mons Gaudii et non l'inverse ! 2/ Le toponyme serait issu du francique mund-gawi, signifiant « protège-pays », « protection du pays », appellation donnée à une hauteur stratégique servant de poste d'observation et pouvant recevoir des fortifications pour la défense d'une ville ou d'un pays (gawi est à rapprocher de l'allemand moderne gau, « territoire », « district »). 3/ Le toponyme aurait pour origine le latin Mons Jovis, désignant une hauteur consacrée au dieu Jupiter. Mons Jovis aurait donné les variantes toponymiques Montjoi, Montjeu, Montjou(x). Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure Le 25 mai 2007 / May 25th, 2007 - Complété le 27 mai 2007 - 3 juin 2007 - 3 août 2007 - 6 août 2007 - 4 janvier 2010 / Augmented on May 27th, 2007 - June 3rd, 2007 - August 3rd, 2007 - August 6th, 2007 - January 4th, 2010 page d'accueil sommaire maçonnerie
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