LES COUVREMENTS D'ENTRÉES DANS LES CABANES EN PIERRE SÈCHE :
Entrance coverings in dry stone huts: Christian Lassure
1 - PRINCIPES Le franchissement de l’espace a été un problème majeur pour les bâtisseurs à pierre sèche non seulement en ce qui concerne l’habitacle de la cabane mais aussi pour ce qui est de l’entrée de cette dernière. Pour couvrir l’entrée, ils ont fait appel à des procédés dont la diversité, l’originalité et l’ingéniosité méritent d’être signalées. Les deux solutions principales auxquelles ils ont eu recours sont : 1.1 Le linteau peut être : Divers systèmes de décharge peuvent venir soulager le linteau : Dans certains cas, le linteau en pierre, et éventuellement les arrière-linteaux, laissent la place à des traverses en bois (rondins bruts ou poutres équarries). 1.2 L’arc clavé peut être : Une deuxième arceau de plaquettes peut venir doubler le premier sur son extrados. 2. EXEMPLES |
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2.1 LIEU DIT THÉRONDELS |
Entrée d’une cabane au corps de base cylindrique et à la toiture conique de lauses (enlevée). Ce très bel encadrement en grès a été taillé spécialement pour cette cabane, ainsi que l’atteste la taille à la courbe du parement des blocs des piédroits. Ces derniers sont ancrés solidement dans la maçonnerie grâce à leur alternance de boutisses et de panneresses de bonne longueur. Le bloc parallélépipédique qui sert de linteau, est abrité par deux dalles saillantes formant une sorte d’auvent. Un autre bloc sert à la fois d’assise aux montants et de pierre de seuil. Une porte en bois fermait la bâtisse : les gonds en sont encore visibles dans l’embrasure à droite. Les deux pierres plates trouées fichées dans la maçonnerie à droite et à gauche de l’encadrement et à des hauteurs différentes, sont des pierres d’attache (pour des ânes ou des mulets). l serait d’autant plus malvenu d’attribuer à cet encadrement une grande ancienneté que les dimensions de l’embrasure ressortissent du système métrique (2 m pour la hauteur, 1 m pour la largeur). On est dans un XIXe siècle tardif, voire carrément au début du XXe. |
Entrée d’une cabane en forme de cube surmontée d’un tambour en retrait. La composition de cette entrée mérite qu’on s’y attarde. Ses côtés sont montés en pierres à peine plus grosses que celles de la maçonnerie sèche environnante, mais soigneusement imbriquées et calées. Le contraste est saisissant avec le puissant parallélépipède de pierre au parement aplani qui lui sert de linteau. |
2.2 SOUVIGNARGUES (GARD) |
2.3 LIEU DIT MAS AUDRAN |
Entrée d’une grande cabane formée de quatre troncs-de-cônes dégressifs superposés. L’originalité de cette entrée vient de son linteau : une grande dalle de basalte arquée naturellement sur ses deux faces, qui évite au constructeur de recourir à un arc de décharge. Ce couvrement repose sur deux piédroits en gros blocs appareillés grossièrement mais solidement en besace d’angle. |
Entrée d’une cabane en forme de cylindre à fruit (toiture enlevée). La composition du couvrement de l’entrée révèle une grande technicité. Tout d’abord, le linteau, légèrement arqué naturellement, repose à chaque extrémité sur un corbeau à la face oblique (côté embrasure). Ensuite, une sorte de plate-bande tiercée arquée, consistant en une clé prise entre deux longs claveaux, vient décharger le linteau. Tous les éléments de l’encadrement sont de beaux blocs de calcaire dur parementés sur leurs faces vues. Les faces de lit et de joint sont aplanies de façon à laisser le moins d’espace possible entre les pierres. On est quasiment dans une maçonnerie à joints vifs. |
2.4 LIEU DIT LA GARDETTE |
2.5 LIEU DIT MAS DE LARTILLOU |
Entrée d’une cabane de plan quadrangulaire et au couvrement campaniforme. Pour l’encadrement, le maçon a eu recours non pas aux traditionnels piédroits alternant boutisses et panneresses mais à un procédé expéditif, à savoir deux longues dalles calcaires qui sont fichées verticalement dans le sol et dont le haut vient se loger dans les encoches d’un épais linteau en bois. Ces deux dalles, d’épaisseur uniforme et occupant toute la profondeur de l’embrasure, bloquent la maçonnerie sèche de chaque côté. |
Entrée d’une cabane d’aire de dépiquage. Faute peut-être d’une dalle calcaire assez grande et épaisse pour servir de linteau à cette entrée plutôt basse, le constructeur a fait reposer la médiocre dalle qu’il avait sous la main, sur deux dalles plus petites, d’une part placées en panneressses et en corbeaux, d’autre part inclinées vers l’extérieur de l’embrasure et en sens opposé. C’est là un procédé courant, qui permet de conserver à l’entrée une largeur suffisante. |
2.6 LIEU DIT LES RINARDAS |
2.7 LIEU DIT CARRIGNARGUES |
Entrée d’une cabane en forme de pyramide aux quatre faces curvilignes. Les piédroits en pierres taillées disposées alternativement en boutisses et parpaignes, la feuillure pour l’emplacement de la porte en bois, le linteau double avec son rectangle de décharge, les initiales gravées sur le parement de deux panneresses opposées à mi-hauteur des piédroits, autant d’éléments qui témoignent du soin apporté à la construction de l’édifice. |
Entrée d’une cabane en forme de parallélépipède (toiture de lauses enlevée). « Deux précautions valent mieux qu’une » : c’est manifestement ce qu’a pensé le bâtisseur de cette cabane en grès rouge lorsqu’il a ménagé un double rectangle de décharge au-dessus du linteau de l’entrée. Chaque rectangle de décharge est composé d’une dalle posée à chaque bout sur une autre dalle bien ancrée dans la maçonnerie. On se retrouve en quelque sorte avec trois linteaux superposés mais non jointifs et de taille dégressive. |
2.8 SAINT-JEAN-DE-LA-BLAQUIÈRE (HÉRAULT) |
2.9 LIEU DIT LA PENOTE |
Entrée d’une cabane parallélépipédique coiffée d’un tronc-de-cône en retrait (ou « tourelle »). Ne disposant que d’une médiocre dalle comme linteau pour cette entrée par ailleurs assez étriquée (hauteur : 1 m 25, larg. : 0 m 75), le constructeur a combiné deux solutions pour décharger ce couvrement : Comme le vide entre le linteau et la bâtière est bouché par des plaquettes, la charge est malgré tout transmise au linteau, ce qui augure mal de sa résistance à la longue... |
Entrée d’une cabane en forme de parallélépipède surmonté d’un couvrement en pavillon surbaissé. De faible élévation et assez fruste, l’entrée a pour montants des empilements faits de petites dalles et de quelques gros blocs. Le linteau est une grosse dalle au-dessus de laquelle le bâtisseur a déployé un arc de plaquettes clavées, censé faire office d’arc de décharge. Las, cette protection paraît bien illusoire : il n’y a pas, en effet, de vide entre l’arc et le linteau, et donc la charge est quand même transmise à ce dernier au lieu d’être reportée aux retombées de l’arc. Ce pseudo-arc de décharge se retrouve, un peu comme une signature, sur l’entrée d’une autre cabane cornillonaise de facture identique. |
2.10 CORNILLON-CONFOUX (BOUCHES-DU-RHÔNE) |
2.11 JONCY (SAÔNE-ET-LOIRE) |
Entrée d’une cabane en forme de parallélépipède. La grande dalle servant de linteau, jugée trop mince pour supporter sans se briser le poids de la maçonnerie supérieure, est déchargée par deux petites dalles affrontées en bâtière. Les dalles occupant le haut des piédroits sont légèrement biseautées, à la façon de consoles, pour mieux reprendre les charges reportées vers elles par les côtés de la bâtière. La moitié supérieure des piédroits alterne boutisses et panneresses, alors que leur moitié inférieure consiste en dalles posées verticalement. L’ensemble constitue ce qu’on appelle « de la belle ouvrage ». |
Entrée d’une cabane incorporée dans une muraille. Très bel arc clavé, de profil hémicirculaire régulier, formé de dallettes aux côtés soit parallèles, soit légèrement convergents, et de quelques cales (matériau : calcaire doré de Theizé). La clé de l'arc est une pierre plus grosse, en forme de coin, comme le sont également les pierres servant d'appui à l'arc de chaque côté. Le recours à un cintre en bois ne fait pas de doute, ainsi que la retaille des faces visibles des plaquettes. |
2.12 ENCLOS DU BANCILLON |
2.13 SAIGNON (VAUCLUSE) |
Entrée couverte par un arc clavé en petites plaquettes calcaires. L’examen attentif de cet arc clavé montre qu’un cintre en bois ou un succédané de cintre a dû être employé pour le bâtir. On distingue en effet, aux naissances de l’arc, à droite comme à gauche, une encoche qui a été comblée par deux petites plaquettes superposées, sans doute après avoir servi à loger le bout d’une grosse planche de bois (entrait de cintre). |
Entrée d'une cabane en forme de pain de sucre au profil régulier, en molasse calcaire du Miocène, matériau facile à dégrossir et à mettre en œuvre. Cette molasse se prête également à la confection d’arcs clavés pour couvrir une entrée, solution commode qui évite d’avoir à trouver une grande dalle pour faire office de linteau. Dans le cas présent, l’arc est sommaire mais efficace : au lieu d’une véritable clé, il y a deux claveaux opposés formant un V, à l’intérieur duquel sont coincées deux autres pierres. Pour réduire la portée de l’arc clavé à faire, le bâtisseur a fait converger les deux montants l’un vers l’autre. Une feuillure, des gonds fichés dans l’embrasure de l’entrée, sont les seuls vestiges d’une porte en bois disparue. |
2.14 LIEU DIT L’ILLET |
3. REMPLOIS Il n’est pas rare de rencontrer, dans une architecture aussi impécunieuse que celle des cabanes en pierres sèches, des encadrements d’entrées ayant été prélevés sur des bâtiments d’un niveau social et économique plus élevé après que ceux-ci sont tombés en désuétude ou en ruine. Le contraste est alors frappant : le matériau est de la pierre de bonne qualité, les éléments sont taillés en parement, voire sur les autres faces. La raison principale de tels remplois réside dans le fait qu'une cabane champêtre, annexe éloignée de la maison villageoise, doit pouvoir être fermée à clé, lorsque ses utilisateurs ne sont pas aux champs. Il lui faut donc une porte en bois, et qui dit porte, dit encadrement, et rien ne vaut un viel encadrement en pierres de taille avec tableaux et feuillure. |
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3.1 LES HAUTS RESCALETS |
Entrée d’une grande nef gordoise. L’embrasure extérieure présente un mélange de traits élaborés et de caractères rustiques. Si l’on regarde de près les piédroits, on ne voit que de gros blocs de molasse calcaire disposés approximativement en alternance de panneresses et de boutisses et dressés à coups de poinçon ou d’aiguille sur leurs faces vues. Par contre le couvrement est très marqué stylistiquement : il s’agit d’une belle et grande dalle posée de chant et à la tranche inférieure taillée en demi-cercle. On n’a aucun mal à penser que c’est un remploi provenant d’une façade ancienne de maison villageoise (époque : milieu du XVIIe siècle). La dalle servant de pierre de seuil témoigne aussi du soin apporté à la confection de cette baie. |
Entrée de la cabane No 52 de Gordes (selon la nomenclature établie par l’abbé Verney). L’encadrement de l’entrée, en pierres taillées et appareillées, est couvert par un arc en plein cintre, fait de claveaux que l’on a davantage l’habitude de voir dans une architecture noble. Cet encadrement tranche avec les dalles grossières de l’auvent qui le protège et les grandes dalles extraites du sol dont sont faits les murs du bâtiment. Dans ces conditions, il apparaît illusoire de vouloir tirer parti du millésime 1738 incisé au-dessus des lettres RM sur la clé de l’arc. Ce millésime ne date que l’encadrement lui-même. |
3.2 ROUTE DE L'ABBAYE DE SÉNANQUE, |
3.3 MANE (ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE) |
Dans le cas de ce cabanon pointu des abords du village de Mane dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, l’encadrement est de ceux que l’on peut trouver sur des façades de maisons villageoises de la 2e moitié du XVIIe siècle. Est-ce à dire que notre cabanon remonte à l’époque de Louis XIV ? Cette interrogation est levée dès que l’on regarde d’un peu plus près ce bel encadrement. Tout d’abord, les piédroits ont divergé, entraînant la descente des deux niveaux supérieurs de l’arc quarté. Cette vicissitude est due au fait que cet entourage, prévu à l’origine pour une façade bien d’aplomb et rectiligne, a du être adapté à une paroi curviligne au fruit marqué, d’où un remontage de fortune. Ensuite, on observe que les parements des blocs des piédroits, dans leur partie engagée dans la maçonnerie sèche, sont non pas lisses mais striés de coups d’outil : c’est le signe que ces parties étaient dissimulées par un crépi. Pour l’observateur attentif de l’architecture rurale, il ne fait pas de doute que cet encadrement est un remploi venant d’une façade villageoise. |
Entrée d'une cabane au corps de base cylindrique au fruit marqué, sous une toiture de lauses "en chapeau de Chinois" à la rive saillante. L'encadrement, avec ses montants en pierres de taille mais surtout son linteau en arc segmentaire avec fausse clé, est caractéristique de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il s’agit indubitablement d’un remploi, venant d’une maison villageoise, ainsi que l’attestent les ruses employées par le constructeur pour remonter cet encadrement dans un mur au fruit tellement marqué qu’il en est oblique : les montants sont non plus parallèles mais divergents, les joints de pose sont non plus horizontaux mais inclinés vers l’intérieur de la construction ! La porte en bois est à l’avenant. |
3.4 MANE (ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE) |
3.5 LIEU DIT LE CAMP |
Entrée latérale d'une ancienne bergerie en forme de parallélépipède au sommet bombé, couvert à l'origine d'une bâtière surbaissée de grandes lauses. À la moitié de son développement, le long côté sud est percé d'une entrée couverte d'un arc de moellons clavés, de profil segmentaire. Cette entrée latérale a été ultérieurement murée en raison du flambement du montant de droite. À l'intérieur, de part et d'autre de l'embrasure, deux piliers de pierre maçonnés à la terre argileuse viennent renforcer le pan de voûte. Les montants de l’entrée latérale murée remploient les éléments d’un encadrement plus petit, d’où l’absence de linteau et le manque d’une deuxième parpaigne dans le montant de droite. Résultat de cette mauvaise conception : le flambement de ce piédroit. |
Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure |