LE PATRIMOINE DE PIERRE SÈCHE The Dry Stone Architectural Heritage Christian Lassure
CABANES EN PIERRE SÈCHE ET DURÉE DE VIE Cela a été dit et redit : les cabanes en pierre sèche ne sont pas éternelles. Comme toutes les productions architecturales humaines, elles ont une durée de vie, cest-à-dire une naissance, une existence et une mort. Même restaurée, une cabane ne sera pas prolongée indéfiniment : un jour ou lautre, il faudra à nouveau réparer les dégâts du temps. Est-ce à dire quil faille renoncer à toute initiative de restauration ? Certes non. Simplement, le travail de remise en état devra être précédé dun relevé rigoureux et dune couverture photographique exhaustive qui permettent de conserver pour le très long terme, la trace, le souvenir de lédifice.
CABANES EN PIERRE SÈCHE ET INCONNU ARCHITECTURAL Peut-on, et surtout doit-on, se risquer à refaire les superstructures de cabanes dont il ne reste que quelques assises de muraille ? À cette question que tout restaurateur avisé se doit de se poser, on répondra quil convient dadopter la même prudence que celle qui prévaut dans la restauration des édifices des architectures savantes : on ne restituera que ce dont on est sûr. Si rien dans les pans de mur encore debout ne permet de dire quon a affaire à une voûte de pierres encorbellées et inclinées extérieurement plutôt quà une voûte de plaquettes clavées ou encore à un couvrement charpenté, on sabstiendra. Le désir, louable, de sauver un édifice de la ruine complète ne doit pas primer sur le respect de lauthenticité. CABANES EN PIERRE SÈCHE ET INFLATION PATRIMONIALE Ces deux dernières décennies, le mot « patrimoine » a connu le succès que lon sait. Les édifices en pierre sèche de lhexagone ont bénéficié eux aussi de cette étiquette qui magnifie tout ce à quoi elle est accolée. La plus petite guérite devient un élément du patrimoine, justiciable dêtre étudié, protégé, restauré, subventionné, etc. Mais est-ce bien justifié ? Ny aurait-il pas en la matière quelque exagération, quelque excès ? Tout ce qui est en pierre sèche nest pas automatiquement, par la seule vertu du matériau employé, un chef-duvre architectural, un coup de maître technologique. On sait que certaines cabanes sont des uvres de jeunesse, construites par jeu, par imitation, par des adolescents, aspirants bâtisseurs à pierre sèche. On nignore pas que dautres bâtisses présentent des défauts ou des faiblesses de construction qui se se sont soldé par des fissures, des tassements, des désordres nécessitant des consolidations. Il faut donc faire preuve de discernement et ne crier à la merveille architecturale quà bon escient. CABANES EN PIERRE SÈCHE ET PROPRIÉTÉ PRIVÉE OU PUBLIQUE Par ailleurs, il ne faut pas oublier quune bonne partie du « patrimoine de pierre sèche », malgré son apparente accessibilité sur le terrain, est en fait la propriété de quelquun. Avant dêtre le patrimoine culturel de tous, les cabanes sont dabord un patrimoine immobilier appartenant à des particuliers (en règle générale) ou à des communes ou des administrations (moins souvent), sauf lorsquelles sont en complète déshérence. Largent des collectivités (État, Régions, Départements, Communes) na pas pour vocation dentretenir les biens immeubles des particuliers. Tout au plus largent public peut-il être affecté à la restauration, la conservation et la mise en valeur touristique de constructions sises sur des terrains communaux ou domaniaux. Il convient donc de tenir compte de cet aspect et de trouver le bon moyen dinciter les particuliers à entretenir, à leurs frais, un bien dont ils ne voient pas lutilité. CABANES EN PIERRE SÈCHE ET RÉSORPTION DU CHÔMAGE Ces dernières années, on a assisté à la multiplication, un peu partout, des restaurations de cabanes en pierres sèches à la suite de la prise de conscience que ces dernières constituent certes un témoignage fragile de l'histoire économique rurale mais aussi un éventuel atout touristique pour les communes qui possèdent de beaux spécimens de ce type d'architecture. Il convient de s'interroger, toutefois, sur l'emploi de chômeurs, sans compétence notoire en matière de maçonnerie à sec, sur certains chantiers. On peut se demander au nom de quel principe des cabanes devraient servir d'occasion à ces personnes (par ailleurs fort estimables dans leur désir de retrouver dignité sociale) de se faire la main alors qu'il ne viendrait à l'idée de quiconque de mettre de parfaits novices sur de véritables monuments. N'y a-t-il pas là comme une dépréciation implicite de l'objet même que l'on veut préserver ? Si initiation il y a, elle doit se faire en construisant murs ou cabanes ex nihilo, la restauration des cabanes restant dévolue aux maçons à pierres sèches patentés ou reconnus. En cas de malfaçon d'ailleurs, leur responsabilité sera engagée comme dans toute activité liée au bâtiment. TERRASSES DE CULTURE ET PATRIMOINE « Les terrasses de culture font aujourd'hui partie intégrante du patrimoine régional », peut-on lire dans le préambule à une plaquette administrative sur Les terrasses de culture en Languedoc-Roussillon parue en 1999. Faut-il en être surpris alors que le mot « patrimoine » est depuis une décennie appliqué à n'importe quelle production humaine, même la plus terre-à-terre? De fait, accoler l'étiquette « patrimoine » à ces aménagements agricoles, c'est d'emblée inviter les pouvoirs publics à sortir leur carnet de chèque pour entretenir des structures qui ont désormais passé le terme de leur durée de vie utile et qui, faute d'entretien et de cultures, s'effaceront progressivement du paysage rural, tout comme sont disparus leurs bâtisseurs et utilisateurs de naguère. En dehors de la préservation de quelques sites marquants promus au rôle de musées en plein air, on voit mal comment les paysages bâtis légués par le XIXe siècle pourraient être sauvegardés à moins d'engloutir en permanence des sommes pharaoniques à payer des dizaines de milliers de maçons et de jardiniers. © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure
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