LES « FANTASMES » DE QUERCY-RECHERCHE Quercy-Recherche's phantasizing (about architectural types) Christian Lassure Extrait de L'Architecture vernaculaire, t. XIV, 1990 Une lettre-circulaire émanant de la revue Quercy-Recherche nous apprend que le Service des monuments historiques de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) de Midi-Pyrénées a confié à M. Jean-Luc Obereiner, directeur de cette revue, une étude sur l’architecture rurale du haut Quercy (c’est-à-dire le département du Lot), devant servir de « base de référence » à l’ « évaluation raisonnée des éventuels dossiers d’inscription ou de classement concernant cette catégorie de constructions » (1). Le protocole de cette étude prévoyant « la rencontre des divers intervenants privés ou institutionnels qui ont acquis une compétence en la matière », nous avons été conviés, en tant que responsable du CERAR (sic) (2), à cette réunion. La lettre de notre confrère était accompagnée d’un questionnaire dont la lecture n’a pas manqué de nous dissuader d’apporter notre caution à son entreprise. Une question visait à discerner des « types généraux de maisons d’habitation rurale » « particulièrement représentatives du Quercy ». Une autre sollicitait une « définition globale personnelle de ce que représente » (pour le destinataire du questionnaire) « une maison rurale traditionnelle ». Enfin, un avertissement venait conforter notre refus de participation : notre confrère affirmait qu’il ne visait pas à « faire spécialement ressortir des règles archéologiques ou historiques que tout le monde connaît plus ou moins » ; il souhaitait, au contraire, de « voir exprimer toutes les 'réponses' par rapport au concept de 'maison traditionnelle' : des plus savantes aux plus sensibles, des plus intellectuelles aux plus irrationnelles ». Le bouquet final : l’organisateur de la réunion appelait les futurs « intervenants » à « rapporter les images fortes, voire les fantasmes » qu’ils avaient été amenés à rencontrer dans le cadre de leurs activités professionnelles,. Et de conclure : « Autrement dit nous traquons plus la rumeur sociale que les indices 'scientifiques'… ». Que M. Jean-Luc Obereiner se rassure : depuis sa conversion à l’approche ethnologique, laquelle, ancrée dans la contemporanéité, ignore sciemment l’historicité du monde rural, qu’elle travestit des oripeaux du « traditionnel », nous n’avons aucun mal à croire qu’il est devenu imperméable à toute approche archéologique ou historique de l’architecture rurale. Il est plus facile de rapporter les clichés de nos contemporains concernant une pseudo « maison quercynoise traditionnelle » que de repérer les rares témoins actuels d’un type ancien de demeure rurale, ayant connu en son temps une grande diffusion mais arrivant aujourd’hui au terme de sa « durée de vie » en tant que type, avant sa complète disparition. Parler, d’entrée de jeu, de « types généraux de maisons d’habitation rurale » « particulièrement représentatives du Quercy », c’est inévitablement se cantonner aux types les plus récents (ceux du XIXe siècle) et faire une croix sur les types antérieurs. Si tant est qu’un type soit caractéristique d’une région, il ne peut l’être qu’au moment de sa plus grande extension. Plus le temps passe, plus les témoins d’un type donné se font rares et, partant, perdent de leur « représentativité » géographique. Un type dominant à une époque donnée peut, un siècle plus tard, à la suite d’une période de construction ou de reconstruction, se retrouver réduit à un petit nombre de témoins. Il aura alors perdu toute prétension à une quelconque « représentativité » et, de ce fait, si l’on accepte ce critère de sélection cher à M. Obereiner, tout droit à une quelconque mesure de sauvegarde. On en viendrait ainsi à la situation paradoxale et absurde où les services des Monuments historiques refuseraient de « classer » ou d’« inscrire » des maisons rurales anciennes et rares parce que non représentatives ! Il appartient au service des Monuments historiques de Midi-Pyrénées de faire correctement son travail selon les règles de la recherche historique : pour « classer » ou pour « inscrire » un édifice rural, il convient de tenir compte de son ancienneté et de sa rareté, et surtout pas de sa « représentativité » actuelle. Si ce dernier critère avait été appliqué aux architectures « nobles », le Midi-Pyrénées aurait-il encore des « monuments historiques » ? NOTES (1) Lettre-circulaire en date du 27 février 1991. (2) Le CERAR est devenu officiellement CERAV à partir de 1981. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure Extrait de L'Architecture vernaculaire, t. XIV, 1990
Bibliographie de Jean-Luc Obereiner
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