AUVENTS DE MAISONS À NEF ET BAS-CÔTÉS DE LA GRANDE LANDE Recessed gable porches of aisled houses in the Grande Lande region Christian Lassure
1. Introduction Dans le cadre des recherches que j’avais menées dans les années 1980 sur les maisons à nef et bas-côtés en France (1), j’avais entrepris, à partir de relevés déjà publiés, la description de plusieurs auvents d’anciennes métairies landaises relevant de ce type architectural. Ces descriptifs dormaient depuis dans mes archives personnelles. J’ai décidé de les publier dans la partie « architecture vernaculaire » du présent site et, ce faisant, d’attirer une nouvelle fois l’attention sur ce grand type vernaculaire qu’est la maison à nef et bas-côtés, malheureusement toujours ignoré des chercheurs de l’Ethnologie et du Patrimoine.
Il convient de rappeler que la maison à nef et bas-côtés est une maison à développement en profondeur (c'est-à-dire perpendiculairement à l'axe de la faîtière) dont l'ossature interne – une charpente à couples de poteaux portant ferme – délimite une nef encadrée de deux bas-côtés ou, plus rarement, d'un seul. Elle regroupe, sous un même toit, les fonctions d'habitation et d'exploitation, abritant à la fois humains, cheptel, matériel et réserves. Cette promiscuité relève d'une conception totalement opposée à celle de la ferme aux bâtiments ordonnés autour d'une cour centrale. Les maisons à nef et bas-côtés sont en fait des maisons construites pour des métayers, à l'origine par des seigneurs nobiliaires ou ecclésiastiques, ultérieurement par la bourgeoisie de robe ou marchande. Les témoins les plus anciens remontent au XVIIe siècle et les plus tardifs au XIXe. Certaines maisons de ce type ont d'abord été des granges à nef et bas-côtés relevant de domaines d'Ancien Régime, dans lesquelles un logis en dur a été aménagé au XIXe siècle. Le type se rencontre en assez grand nombre dans les Landes, le Pays Basque, en nombre moins élevé dans l'Agenais, la Charente, le bas Quercy, la Lorraine. Quelques témoins sont présents en Bourgogne, en Champagne, dans le Berry, en Périgord. Dans ces maisons, la division fonctionnelle épouse généralement la division constructive de la charpente, ainsi dans certains spécimens basques du XVIIe siècle, où des refends longitudinaux, perpendiculaires au pignon-façade et joignant les poteaux, délimitent une nef centrale à usage de remise, d'aire à battre, de vestibule (l'eskaratza, c'est-à-dire le « carré »), et deux collatéraux, l'un pour l'habitation des humains, l'autre pour les locaux d'exploitation, le tout sous un vaste fenil-grenier. Le seul élément transversal est un cellier ou une étable ajoutée à l'arrière du bâtiment. Inversement, la division fonctionnelle peut ne pas recouper la division structurelle, ainsi dans certains témoins des XVIIe-XVIIIe siècles observables dans les villages-rues de Lorraine : des refends transversaux, perpendiculaires aux alignements longitudinaux de poteaux, déterminent trois travées d'occupation (les rangs), la 1re pour le logement des humains, la 2e pour celui du bétail et la 3e pour l'engrangement, chacune avec son ouverture propre en gouttereau-façade. 1. L’auvent de la maison Le Mineur à Sabres (Landes) Documents graphiques : Maison de maître au XVIIIe siècle, maison de métayer au XIXe. Millésime 1772 inscrit sur l’enduit de l’auvent. Plan rectangulaire : profondeur = 13,20 m.
La structure porteuse de l’auvent consiste en deux poteaux de fond, distants de 4,76 m l’un de l’autre, en tête desquels s’encastrent les bouts d’un entrait légèrement convexe et qui portent les pannes sablières. Sur l’entrait s’emboîte un poinçon court qui porte la panne faîtière et en tête duquel s’assemblent deux arbalétriers légèrement convexes, raidis par des contrefiches et par des jambettes (ces dernières au droit des pannes latérales). Deux poteaux intermédiaires et des aisseliers en quart de cercle soutiennent l’entrait. Â mi-hauteur, un joug maintient entre eux leur espacement. Les pannes, qui sont saillantes, ont leur about chantourné. Les poteaux corniers portent une sablière chevauchée par l’arbalétrier de bas-côté; cet arbalétrier a son autre extrémité fichée dans le haut du poteau de fond opposé. Le pan de bois des bas-côtés consiste en une entretoise basse et une entretoise haute, entre lesquelles se dressent des tournisses. L'espace entre entretoise haute et arbalétrier est occupé, lui aussi, par des tournisses...
La distribution intérieure, qui est dévolue à la fonction de logement, épouse longitudinalement la structure en nef et bas-côtés. Les poteaux porteurs n'étant pas figurés, il est impossible d'indiquer le nombre de travées découpant la nef et les bas-côtés. La nef est occupée, d'avant en arrière, par l'auvent, une grande salle (pour le maître) et une petitre salle (pour le métayer), l'une et l'autre partageant une cheminée double. Chaque bas-côté est occupé, d'avant en arrière, par trois chambres successives, les deux premières pour le maître, la dernière pour le métayer. Manifestement, ce dernier se trouve à la portion congrue... On observe un axe de circulation central pour l'auvent, la grande salle et la petite salle. Dans chaque bas-côté, les deux chambres avant donnent sur la grande salle, la chambre arrière s'ouvre sur la petite salle. 2. L’auvent de la maison de Los Mysours à Lencouacq (Landes) Document graphique : élévation de l’auvent (source : Dr. A. Cayla, Architecture paysanne de Guyenne et de Gascogne, éd. Serg, 1977, 124 p., en part. p. 24 : « Elévation de la charpente du pan de bois de façade de la maison de Los Mysours à Lencouacq »).
L’auvent est porté par deux poteaux de fond, en tête desquels s’encastrent les extrémités d’un entrait et qui portent les pannes sablières. Sur l’entrait, s’emboîte un poinçon court qui porte la panne faîtière et en tête duquel s’assemblent deux arbalétriers courbes raidis par des contrefiches. Chaque poteau cornier porte une sablière sur laquelle chevauche l’extrémité de l’arbalétrier du bas-côté, l’autre extrémité étant fichée dans le haut du poteau de fond. L’entrait et les arbalétriers des bas-côtés sont soutenus par des aisseliers. La charpente de l’auvent est la même que celle de la maison Le Mineur à Sabres : comme elle, est doit être de la 2e moitié du XVIIIe siècle. Pour l’élévation de la façade visible en arrière de l’auvent, la charpente semble être différente (un unique poteau central montant de fond jusqu’à la faîtière ?). 3. L’auvent de la métairie Saint-Sever, quartier Gilles à Luxey (Landes) Document graphique : élévation de l’auvent et plan du bâtiment (source : Pierre Toulgouat, La maison de l’ancienne Lande, éd. Marrimpouey Jeune, Pau, 1977, 136 p.). Plan rectangulaire : pignon = 12,75 m - gouttereau = 13,40 m.
La structure porteuse de l’auvent est constituée par deux poteaux de fond avec aisselier, distants entre eux de 5,50 m. Les têtes portent l'extrémité de l’entrait puis la sablière faisant office de panne de versant. Un poinçon porte la panne faîtière. Deux arbalétriers en forme de courbe et de contrecourbe (ils sont sciés dans la même grume) s’assemblent en tête du poinçon. Deux contrefiches et deux couples de jambettes obliques raidissent chaque triangulation. Le bas-côté gauche montre un arbalétrier encastré dans le haut du poteau de fond à droite, assemblé à tenon passant dans le haut du poteau cornier à gauche et raidi par deux aisseliers. La distribution intérieure, qui est presqu’entièrement dévolue à la fonction de logement, calque longitudinalement la structure en nef et bas-côtés.
La nef, qui comporte cinq travées, est occupée par l’auvent (1re travée antérieure), puis par la pièce commune (2e, 3e et 4e travées) avec une cheminée latérale, enfin par une chambre (5e travée ou travée postérieure). Le bas-côté droit est occupé, du pignon avant au pignon arrière, par une resserre-à-outils, une souillarde et une chambre. Le bas-côté gauche est occupé par trois chambres. Deux grands axes de communication s’observent : 4. L’auvent de la maison de maître de Marquèze (Landes) Documents graphiques : Plan carré : pignon = env. 14,80 m, gouttereau = env. 15 m. Le millésime 1824 est gravé sur le linteau de la porte d’entrée.
L’auvent est occupé par deux poteaux de fond, en tête desquels s’encastre un entrait se prolongeant dans les bas-côtés et qui portent les pannes sablières. Cet entrait est doublé, en dessous, d’une sorte d'entretoise légèrement cintrée, dont les extrémités sont assemblées dans les poteaux et qui est elle-même soutenue par deux poteaux centraux. L’entrait porte un poinçon, en haut duquel repose la panne faîtière. Il y a non pas des arbalétriers mais des chevrons posant par chevauchement sur la faîtière, les sablières de la nef et les sablières des bas-côtés. Entre l’entrait et l'entretoise, sous le poinçon, se dressent un potelet central avec ses contrefiches ainsi que des aisseliers, afin de contrecarrer tout fléchissement de l’entrait. À mi-hauteur du poinçon, un faux entrait est soutenu par des contrefiches. Des jambettes se dressent au droit et en dessous des pannes intermédiaires hautes. Une entretoise barre à mi-hauteur les bas-côtés, dont le pan de bois est à poteaux de remplissage très rapprochés. L’auvent ressortit non pas de la ferme triangulée mais de la charpente à chevrons formant fermes. Ce dernier système se rencontre encore dans la travée suivante puis laisse la place à de véritables fermes avec un entrait chevauchant les sablières et portant un poinçon court où s’assemblent les arbalétriers, pour ensuite revenir dans la dernière travée. C’est ce qu’on appelle le système de la quadrangulation centrale.
L’organisation fonctionnelle de l’édifice en épouse assez bien la structure. La quadrangulation centrale est occupée par l’auvent et la salle commune dans son prolongement. La croupe arrière est occupée en son milieu par une salle à feu (la cheminée étant double). Les bas-côtés sont divisés en trois travées égales : trois chambres à droite, deux chambres puis une souillarde à gauche. Les pièces des bas-côtés communiquent avec celles de la nef.
NOTES 1/ Bibliographie sur le sujet : - (en collaboration avec Benoît Delarozière), Une « maison-halle » des XVIe-XVIIe siècles (?) à Saint-Jean-de-Bonneval (Aube), dans L'Architecture vernaculaire, t. 5, 1981, pp. 21-32 - À propos des « maisons-halle » du Berry : la « maison carrée » de Villegenon, commune de Vailly-sur-Sauldre (Cher), dans L'Architecture vernaculaire, t. 5, 1981, pp. 33-34 - Une « maison-halle » à Montcaret (Dordogne), dans L'Architecture vernaculaire, t. 5, 1981, pp. 35-36 - Y a-t-il eu des « maisons-halle » en Béarn ?, dans L'Architecture vernaculaire, t. 5, 1981, p. 65 - À propos des « maisons-halle » du Berry : un rare témoin à Saint-Phalier, commune de Levroux (Indre), dans L'Architecture vernaculaire, t. 5, 1981, pp. 57-58 - Les « maisons-halle » en Saintonge et en Angoumois à la lumière de relevés anciens et récents, dans L'Architecture vernaculaire, t. 6, 1982, pp. 34-40 - La tradition supra-régionale des maisons-halle en Lorraine : un accroc au mythe régionaliste de la « maison rurale de type lorrain », dans L'Architecture vernaculaire, t. 7, 1983, pp. 39-51 - Sur quelques constructions à pauxfourches, balanciers de puits et bâtiments de type halle dans le nord-est de la Dordogne, dans L'Architecture vernaculaire, t. 13, 1989, pp. 81-86 - (en collaboration avec François Véber), La grange à dîmes de Chauzanaud à Savignac-les-Eglises (Dordogne) : étude architecturale d'une grange à nef et bas-côtés du XVIIe siècle, dans L'Architecture vernaculaire, t. 14, 1990, pp. 61-67 © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Chritian Lassure page d'accueil sommaire architecture vernaculaire
|