LES MAISONS À NEF ET BAS-CÔTÉS EN SAINTONGE ET EN ANGOUMOIS
À LA LUMIÈRE DE RELEVÉS ANCIENS ET RÉCENTS

Houses with nave and aisles in Saintonge and Angoumois
in the light of ancient and recent surveys

 Christian Lassure

 

Réédition d’un article paru dans le tome VI, 1982, de la revue L’Architecture vernaculaire, sous le titre initial
 « Les maisons-halle en Saintonge et en Angoumois à la lumière de relevés anciens et récents »

Par plusieurs articles ou notes publiés dans le tome V de la présente revue (1), nous avons voulu attirer l'attention sur l'existence en France de maisons-bloc à nef et bas-côtés – ou « maisons-halle » pour reprendre la terminologie de la recherche européenne. Aux diverses régions sur lesquelles notre enquête – tant bibliographique que de terrain – avait porté tout d'abord (Champagne, Berry, Périgord, Béarn), nous ajoutons aujourd'hui la Charente. En effet, trois monographies de maisons à nef et bas-côtés charentaises sont actuellement disponibles, qui permettent d'élargir à cette nouvelle province l'aire de répartition déjà connue de ce type de maison, d'y esquisser l'extension temporelle de sa tradition constructive et de s'interroger sur l'origine sociale et l'organisation économique de ses utilisateurs. Ces trois monographies proviennent, pour deux d'entre elles, du volume Poitou, pays charentais, paru en 1981 (2), du Corpus de l'Architecture Rurale Française, et, pour le troisième, d'un relevé que nous avons effectué, à l'été de cette même année, d'un édifice déjà signalé (3) mais abandonné à la ruine malgré son inestimable intérêt archéologique.

Deux indubitables exemples de maisons à nef et bas-côtés charentaises se trouvent publiés dans le volume Poitou, pays charentais du Corpus de l'Architecture Rurale Française : il s'agit des monographies PC 23 et PC 26, la première d'une ancienne métairie située à Thézac, dans le Bois Saintongeais (Charente-Maritime), la seconde, également d'une ancienne métairie, située à Saint-Quentin-de-Chalais, dans la Lande Saintongeaise (Charente). Si ces deux maisons-bloc à terre à nef et bas-côtés ne sont pas reconnues en tant que maisons à nef et bas-côtés (le type étant encore ignoré des divers auteurs de cette collection), elles sont toutefois désignées, avec toute la perspicacité souhaitable puisqu'il s'agit d'anciennes métairies, comme spécimens du genre « la maison paysanne ».

LA MAISON À NEF ET BAS-CÔTÉS DE THÉZAC (CHARENTE-MARITIME)

La maison à nef et bas-côtés de Thézac (à laquelle l'auteur de la notice monographique a judicieusement trouvé les « caractères remarquables » d'un « édifice compact formé de trois bâtiments ») devait être primitivement une maison à nef et bas-côtés méridionale fort classique, chacune de ces subdivisions longitudinales correspondant à une attribution fonctionnelle distincte : grange pour la nef, étable pour le bas-côté nord-ouest, habitation pour le bas-côté sud-est, avec entrées dans le même pignon sud-est pour la grange et l'étable, et entrées dans le gouttereau sud-est pour l'habitation (il n'y a pas, ou plus, de communication intérieure entre la partie habitée et les parties utilitaires).

Le plan et la coupe transversale du bâtiment nous en donnent la structure interne : une nef divisée en quatre travées (4) par trois couples de poteaux de fond portant une ferme à poinçon sur entrait, les bas-côtés ayant chacun trois demi-fermes sur entrait portées par le gouttereau en maçonnerie d'une part et par les poteaux de fond d'autre part. L'absence de vues de détail ne permet pas, cependant, de discerner la nature exacte de l'assemblage entrait/sablière en tête des poteaux de fond (5).

Le bas-côté dévolu au rôle d'habitation a été transformé, sur plus de la moitié de sa longueur, au XIXe siècle : surhaussement du gouttereau et prolongement de celui-ci sur 2,50 m en avant du pignon-façade, suppression de deux poteaux du même alignement côté partie habitée et extension de celle-ci aux dépens de la nef servant de grange, avec édification d'un refend porteur longitudinal. Suite à cette transformation, on a donc extérieurement un versant de toiture ayant deux parties de pentes différentes, partant de la même ligne de faîtage (20 degrés pour la partie non changée, 11 degrés pour la partie changée).

La coupe transversale A B du bâtiment, au niveau de la partie surélevée, témoigne de l'état originel de la charpente. L'entrait traverse le refend interpolé et en saille de 1 m environ; l'arbalétrier gauche a été raccourci, donnant une moitié de ferme dissymétrique.

L'examen des encadrements de baies du gouttereau sud-est montre que ces modifications sont intervenues au XIXe siècle (baies rectangulaires bien appareillées, entrée à imposte caractéristique, jours demi-circulaires éclairant le grenier, recherche d'une ordonnance symétrique, cela pour la partie surélevée ) sur un substrat du XVIIIe siècle (baies à linteau en arc segmentaire pour la partie non surhaussée). D'ailleurs, cette dernière partie est qualifiée d'« ancienne salle commune » (6).

LA MAISON À NEF ET BAS-CÔTÉS DE SAINT-QUENTIN-DE-CHALAIS (CHARENTE)

Comme celle de Thézac, la maison à nef et bas-côtés de Saint-Quentin-de-Chalais est d'un plan et d'une affectation fonctionnelle tout à fait classiques (le rédacteur de la monographie ne manque pas de noter sous l'en-tête « caractères remarquables » : « habitation et grange-étable dans un même bâtiment »): une nef centrale, servant de grange, est flanquée de deux bas-côtés, celui à l'est étant occupé par l'habitation, celui à l'ouest par l'étable (l'angle sud-est de la nef est toutefois cloisonné en deuxième chambre). Chacune des trois subdivisions a un accès en pignon, mais les bas-côtés disposent également d'un accès en gouttereau. La grange communique intérieurement avec l'étable mais elle ne le fait pas (ou plus) avec l'habitation. Les dimensions extérieures sont de 18,20 m pour les pignons et de 20,70 m pour les gouttereaux (à Thézac, si la largeur est la même – 18,25 m –, la profondeur est moindre – 15 au gouttereau nord-ouest et 17,55 au gouttereau sud-est –).

La charpente de la nef n'est pas différente dans ses grandes lignes de celle de Thézac. Si, côté étable, on a un alignement de cinq poteaux de fond, par contre côté habitation, un mur de refend porteur se substitue au système de poteaux. Cinq fermes à poinçon sur entrait déterminent six travées inégales. La charpente des bas-côtés est constituée par de simples arbalétriers s'encastrant dans les gouttereaux en maçonnerie d'une part et dans les poteaux ou dans le refend en maçonnerie d'autre part. Ici encore, l'absence de vues de détail ne permet pas de se faire une idée exacte de l'assemblage sablière/entrait en haut des poteaux de fond.

Alors que la précédente maison à nef et bas-côtés est, comme on l'a vu, du XVIIIe siècle pour ses parties les plus anciennes, celle de Saint-Quentin-de-Chalais est, pour sa part, entièrement du début du XIXe : c'est ce qu'affirme la tradition locale, laquelle d'ailleurs n'est en rien contredite par le style caractéristique des encadrements du pignon-façade (piédroits en pierres de taille harpées, linteaux monolithes droits ou platebande tiercée). La toiture, à deux versants (pente de 20 degrés) couverts en tuiles-canal, comporte au-dessus du pignon-façade, une demi-croupe en tuiles plates écaille qui sacrifie manifestement à la mode du XIXe siècle.

Un trait fonctionnel retient l'attention : des ouvertures percées dans la cloison entre l'étable et la grange permettent l'approvisionnement des râteliers depuis cette dernière.

La maison à nef et bas-côtés de Saint-Quentin-de-Chalais, dans l'état où la fige son relevé, ne paraît pas avoir été tardivement altérée comme celle de Thézac : la conception d'ensemble à laquelle elle correspond, se lit parfaitement. Cet édifice constitue un spécimen récent de la maison-bloc à terre à nef et bas-côtés en Charente, témoignant des derniers temps d'une tradition qui, comme on va le voir, existait déjà au XVIIe siècle.

LA MAISON À NEF ET BAS-CÔTÉS DE VILLESOUBIS, COMMUNE DE JUILLÉ (CHARENTE)

Une ancienne métairie, rare spécimen de maison à nef et bas-côtés du XVIIe siècle, était encore visible à l'été 1981, au lieu dit Villesoubis sur la commune de Juillé en Charente. Elle achevait de s'y effondrer dans l'indifférence des pouvoirs publics et sous les coups du vandalisme de son propriétaire.

Derrière un pignon-façade bâti en maçonnerie de moellons calcaires assisés et comportant une entrée charretière axiale accotée d'une entrée piétonnière, deux alignements de trois poteaux à droite et de deux poteaux à gauche divisent un rectangle de 15,80 m de largeur sur 12,50 m de profondeur en une large nef (6,80 m) et deux bas-côtés (4,45 m) de quatre travées approximativement égales.

Les têtes, « en fût de fusil », des poteaux portent longitudinalement une sablière et transversalement un entrait massif (section : 30 x 30 cm), un assemblage complexe liant poteau, sablière et entrait les uns aux autres (7). Au milieu de l'entrait, s'encastre un poinçon effilé portant faîtière et en haut duquel s'assemblent deux arbalétriers. Des aisseliers soulagent l'entrait. Les bas-côtés sont franchis par de simples arbalétriers assemblés dans le haut des poteaux et reposant sur une sablière sur l'arase du gouttereau (bas-côté droit) ou bien encastrés dans le gouttereau même (bas-côté gauche). La pente de la toiture est de 24 degrés.

La partie habitation occupe le bas-côté gauche et empiète sur un quart de la nef, où elle est limitée parallèlement au gouttereau par un refend qui, à hauteur de la deuxième travée antérieure, remplace dans son rôle porteur le poteau de fond primitif supprimé. Un deuxième refend, celui-ci transversal, divise la partie habitée en deux-pièces non-communicantes, avec entrée en gouttereau et – du moins pour l'une – avec accès à la partie grange. La pièce du fond comporte une cheminée adossée contre le refend; la pièce du devant, lequel possède en plus une entrée dans le pignon-façade, n'a pu être visitée, étant encombrée d'éboulis. Le bas-côté droit, pour sa part, est divisé par un refend bas transversal en deux séries de trois stalles.

Contre le pignon arrière de ce noyau originel est venu s'accoler un rectangle ayant sensiblement les mêmes dimensions et divisé dans l'axe du bâtiment par un refend, à gauche duquel se dressent les ruines d'une pièce (d'habitation ?), à l'entrée en gouttereau, et un hangar ouvert sur l'arrière du bâtiment.

Outre certaines caractéristiques de la charpente (importantes sections des pièces, tête en « fût de fusil » des poteaux de fond, assemblage poteau/sablière/entrait, effilement du poinçon), le style marqué des ouvertures en gouttereau de la salle commune (linteaux droits posés de chant, arêtes chanfreinées), de l'entrée piétonnière du pignon (pointe d'accolade gravée sur le linteau) et de la lucarne au-dessus de l'entrée charretière (en arc d'ogive), militent en faveur d'une datation haute, au début du XVIIe siècle.

Selon la tradition locale, la métairie de Villesoubis, bien d'Église avant la Révolution, aurait été rachetée en 1792 par la communauté de métayers qui l'exploitait : une trace tangible semble en être l'inscription A II (An II) gravée sur les linteaux de la porte et de la fenêtre de la salle commune et sur celui de l'entrée piétonnière en pignon. La mention d'une communauté de métayers est une chose importante à noter par ce qu'elle suggère du niveau social et de l'organisation économique des exploitants de maisons à nef et bas-côtés charentaises sous l'Ancien Régime.

En conclusion, ces trois monographies de maisons à nef et bas-côtés attestent la continuité d'une tradition constructive de la maison-bloc à plan basilical et à charpente sur poteaux en Saintonge et en Angoumois du début du XVIIe siècle au début du XIXe (soit une durée de trois siècles).

Ces deux nouvelles régions viennent s'ajouter à l'aire d'extension connue de la maison à nef et bas-côtés dans le Sud-Ouest : Basses-Pyrénées, Landes, Gers, Lot-et-Garonne, sud de la Gironde, sud de la Dordogne, sud-ouest du Lot, Haute-Garonne (8). Aucun élément n'est encore disponible qui permette d'inclure le Poitou dans cette aire, mais la présence signalée de granges à nef et bas-côtés dans le Bocage et la Gâtine (9), constitue une incitation à pousser nos investigations à venir en Vendée et dans les Deux-Sèvres.

Enfin, le lien établi par la tradition orale entre la maison à nef et bas-côtés de Villesoubis et une communauté taisible, signale à l'attention des chercheurs un nouveau thème d'étude, et ce non seulement pour la Charente mais pour toute cette zone centrale allant de la Bourgogne à la Saintonge et où, sous l'Ancien Régime, ont existé des communautés familiales (10).

NOTES

(1) Cf. Christian Lassure, Une « maison-halle » des XVIe-XVIIe siècles (?) à Saint-Jean-de-Bonneval (Aube), dans L'Architecture Vernaculaire, revue du C.E.R.A.V., t. V, 1981, pp. 21-32; A propos des « maisons-halle » du Berry : la « maison carrée » de Villegenon, commune de Vailly-sur-Sauldre (Cher), op. cit., pp. 33-34; une « maison-halle » à Montcaret (Dordogne), op. cit., pp. 35-36; A propos des « maisons-halle » du Berry : un rare témoin à Saint-Phalier, commune de Levroux (Indre), op. cit., pp. 57-58; Y a-t-il eu des « maisons-halle » en Béarn ?, op. cit., p. 65.

(2) Suzanne Jean, Poitou, pays charentais, dans l'Architecture Rurale Française, Corpus des genres, des types et des variantes, Ed. Berger-Levrault, 1981, 300 p.

(3) Cf. Aspects de l'architecture rurale en Europe Occidentale, Etablissements humains et environnement socio-culturel, No 15, UNESCO, 1979, 70 p., en part. pp. 48 et 50.

(4) C'est prendre le tout pour la partie que de désigner nef et bas-côtés, comme le fait l'auteur du descriptif technique de la monographie, par le terme de « travées ». Au niveau du plan, la « travée » est la partie d'un « vaisseau » comprise entre deux couples d'éléments porteurs se faisant vis-à-vis; au niveau du comble, elle est cette même partie entre deux fermes (cf. le « Vocabulaire de l'Architecture » de Jean-Marie Pérouse de Montclos).

(5) Au caractère généralement sommaire des relevés de charpentes du volume Poitou, pays charentais du Corpus (op.cit. en note 2), vient s'ajouter l'extrême réduction des dessins, deux facteurs rendant aléatoire l'exploitation de ces données graphiques. À titre de comparaison, on se reportera aux relevés de charpentes publiés par le Centre de Recherches sur les Monuments Historiques (cf. Charpentes de halles et de granges, vol. 1, XVe et XVIe siècles, régions diverses).

(6) Le hasard a voulu que l'élévation de la façade de la partie habitation de la « maison à nef et bas-côtés » de Thézac ait été retenue comme dessin de couverture de ce volume du Corpus : il s'ensuit qu'à première vue, on a l'impression d'avoir affaire à une maison étroite à développement en longueur, à une « longère » !

(7) Ce type d'assemblage dans les bâtiments à nef et bas-côtés, où l'extrémité de l'entrait est posée sur la sablière, est dit « normal assembly » par les spécialistes anglais par opposition au « reversed assembly », où la sablière est posée sur le bout de l'entrait. Un exemple très caractéristique du procédé de « reversed assembly » (sablière sur entrait) nous est fourni par la charpente de la « maison à nef et bas-côtés » de Saint-Jean-de-Bonneval dans l'Aube (cf. note 1).

(8) Déjà, en 1944, Pierre Toulgouat, chargé dans le cadre de l'Enquête d'Architecture Rurale, de faire des relevés dans les Landes, esquissait l'extension géographique de ce type de maison que, dans une perspective localiste, il désignait sous l'appellation de « maison à façade sous pignon type basque » : « Du pays basque où il semble avoir pris naissance, ce bâtiment se disperse d'Est en Nord-Est à travers le Département des Landes, atteint l'Armagnac où il devient la maison du vigneron. On le retrouve au sud de Marmande où sous l'auvent sèche le tabac, atteint l'Agenais mollassique, le bas Quercy, se dissémine en Dordogne vers Sainte Foy pour disparaître vers Angoulème et la Saintonge » (La maison de l'ancienne Lande, Marrimpouey Jeune, Pau, 1977, en part. p.17).

(9) Cf. Suzanne Jean, op. cit., p. 75. Dans les monographies de ce volume, on note une « grange à nef et bas-côtés » à Sallertaine (Marais breton) (PC 02) et une autre aux Landes-Genusson (Haut Bocage) (PC 04), toutes deux à charpente sur poteaux. Malheureusement, les élévations de charpente s'avèrent peu exploitables, soit qu'elles fassent totalement défaut (ainsi pour la grange en PC 02, représentée seulement par son plan au sol alors qu'est publiée, sur la page en regard, l'inintéressante charpente moisée et boulonnée d'une écurie !), soit que, lorsqu'elles existent, elles soient dessinées de façon sommaire, sans le détail des assemblages, voire de façon fantaisiste (ainsi en PC 04, où les contreventements en haut des poteaux de fond relient ceux-ci à des sablières... fantômes !).

(10) Sur les communautés familiales, on consultera :
- Henriette Dussourd, Les communautés familiales agricoles du centre de la France, G.-P. Maisonneuve et Larose, Paris, 1978;
- Gilles Gudin de Vallerin, Le déclin des associations familiales en Auxois du XVIIe siècle à nos jours, thèse de 3e cycle d'histoire, Dijon, juin 1980.


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Le 9 novembre 2006 / November 9th, 2006

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Les maisons à nef et bas-côtés en Saintonge et en Angoumois à la lumière de relevés anciens et récents (Houses with nave and aisles in Saintonge and Angoumois in the light of ancient and recent surveys)
http://www.pierreseche.com/maisons_nef_charente.htm
9 novembre 2006
(Réédition d’un article paru dans le tome VI, 1982, de la revue L’Architecture vernaculaire, sous le titre initial « Les maisons-halle en Saintonge et en Angoumois à la lumière de relevés anciens et récents »)

 

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