CLAUDE FAGÉ : LE PHOTOGRAPHE ET LES LAVIERS

Christian Lassure

 

LE PHOTOGRAPHE

 

Claude Fagé est un photographe « cartepostalier » (selon ses propre termes) qui, dans les décennies 1980 et 1990, en Saône-et-Loire, édita en cartes postales des photos noir et blanc, prises principalement dans son département de Saône-et-Loire mais aussi dans le Lot, l'Aveyron, le Cantal et le Puy-de-Dôme.

 

Ses thèmes de prédilection étaient, outre des sujets personnels (les chats, les motos, les études de nus), les petits métiers d'autrefois en voie de disparition ou insolites (Le lavier, Le bouilleur de cru, Le jougtier), les gens (Les amoureux du banc public, La petite fille au vélo, La vieille dame), le spectacle des foires et marchés (La foire de la Balme, Le marché à la moto), la démolition des usines désaffectées, les vieilles fenêtres et devantures, les ruches en tronc de châtaignier creusé, un temple maçonnique, autant de personnages, de scènes, de bâtiments et d'objets appréhendés à la manière d'un ethnologue (1).

 

Dans cette première époque, il préfère, à la couleur et à la facilité commerciale, le noir et blanc et la recherche esthétique, voyant dans la carte postale un des moyens d'expression du photographe et le support privilégié de son art.

 

Sur son site web, Claude Fagé livre quelques indications biographiques sur ces deux décennies qu'il a consacrées à la photo en noir et blanc. Il fait ses débuts en tant que photographe professionnel en 1979 et obtient une médaille d'argent au salon ART EXPO au musée d'art moderne de New York en 1982. Jusqu'en 1997, s'inspirant du photographe humaniste Albert Monnier (1915-1998), il publie des cartes postales noir et blanc et participe à diverses expositions et salons (2).

 

En 2004, il découvre les possibilités et les couleurs de l'art numérique et, l'année suivante, expose à Chalon-sur-Saône ses premières estampes numériques, compositions aux couleurs éclatantes élaborées à partir de ses propres photos. En 2010, il ouvre une galerie à son domicile et, en 2011, imprime ses œuvres directement dans son atelier. En 2013 puis en 2019, il expose à Macon (3).

 

Site web de Claude Fagé : https://www.claude-fage.com/

 

(1) Nous avons eu l'occasion, en 2018, de nous intéresser à trois cartes postales noir et blanc éditées par Claude Fagé au milieu des années 1980 : il s'agit de vues de l'embrasure intérieure de deux petites fenêtres de l'église de Saint-Clément-sur-Guye, l'une dans la nef, l'autre dans la sacristie. L'image de la fenêtre de la nef (en tableau photographique et non pas en carte postale) vaudra à son auteur la médaille d'argent du musée d'art moderne de New York en 1982. Cf. Christian Lassure et Georges Fouchet, Saint-Clément-sur-Guye (Saône-et-Loire) à travers les cartes postales anciennes, pierreseche.com, 13 avril 2018 (figures 22, 22 bis, 23, 23 bis et 24, 24 bis). Adresse : http://www.pierreseche.com/cartes_postales_st-clement.htm.

 

(2) Sur les activités « cartepostalières » de Claude Fagé, nous avons trouvé les références suivantes :

- Cartoliste Claude Fagé, Gazette du Club international de la carte postale contemporaine (CICPC), No 5, mai 1987, p. 18,

- Gilles Bonnet, Claude Fagé, le retour, Gazette du Club international de la carte postale contemporaine (CICPC), No 82, juin 2006, p. 29.

 

(3) Cf. Marc Bonneton, Des estampes numériques signées Claude Fagé, dans Le Journal de Saône-et-Loire, 22 novembre 2013.

 

 

LES « LAVIERS »

 

On doit au Claude Fagé de la première époque une série de six cartes postales sur le travail du « lavier », ou lauzier, à l'église Saint-Laurent de Nanton en Saône-et-Loire, à l'hiver 1988. Trente-cinq ans plus tard, alors que la « lave » (ou « lauze ») bourguigonne n'est plus qu' un matériau vestigial et que les rares laviers subsistants sont confinés à des chantiers patrimoniaux subventionnés, cette série de cartes postales est devenue un document ethnologique de valeur sur le savoir-faire de cette profession au XXe siècle finissant.

 

Côté nord de l'église Saint-Laurent à Nanton (Saône-et-Loire)

Côté nord de l'église Saint-Laurent à Nanton (Saône-et-Loire) : seuls la nef, le transept et l'appentis (de droite à gauche), sont couverts de lauzes. Si la nef est ancienne, les croisillons ont été ajoutés entre 1822 et la fin du XIXe siècle, un relevé fait en 1822 ne montrant qu'une tour-clocher à deux versants de toiture là où les cartes postales du tournant du XXe siècle laissent voir un transept. La tour démolie a été remplacée par l'ajout d'un clocher surdimensionné à l'avant de la nef.

 

La nef et le transept de l'église avaient leur toiture de lauzes en très mauvais état et les infiltrations de la pluie avaient dégradé les voûtes de pierre et les boiseries si bien qu'une réfection s'imposait. Le maintien du matériau originel fut décidé eu égard au passé de la région comme lieu d'extraction de laves. La Sauvegarde de l'Art français versa une subvention de 40 000 francs pour les travaux (4).

 

(4) Source : le site de l'association à l'adresse https://www.sauvegardeartfrancais.fr/nanton-eglise-saint-vincent/ (lapsus calami, l'église est en fait dédiée à saint Laurent).

 

 

CARTE No 1 - EXTRACTION DES LAVES

 

La vue est celle d'une « lavière » (forme régionale de « lauzière»), excavation aménagée en haut d'une pente où la terre végétale a été enlevée, faisant apparaître un matériau calcaire feuilleté donnant de grandes dalles.

 

Lavière

 

 

Lavière

 

 

 

CARTE No 2 - POSE DE LA COUVERTURE DEPUIS LES LAVES DE RIVE

 

Emplacement : sur la toiture du croisillon nord. En dessous de la grande bâche mettant la charpente au sec, on aperçoit les anciennes planchettes minces, fixées en quinconce sur les chevrons pour recevoir le platelage, ou lit, de lauzes brutes contre lequel s'appuyaient les rangées de lauses taillées (voir vue No 5).

 

Lattes

 

 

 

 

 

 

CARTE No 3 - TRI ET FAÇONNAGE DES LAVES

 

Emplacement : au pied du croisillon nord. Les lauzes empilées en tas sont des lauzes neuves, extraites de carrière et façonnées. Elles sont prêtes à être montées sur la toiture grâce au monte-matériaux dressé contre l'échafaudage. Les lauzes posées au sol et inclinées sont en cours de triage.

 

 

 

 

Façnnage des laves

 

 

 

CARTE No 4 - DÉBITAGE DES LATTES

 

Dans cette vue, l'ouvrier est en train de faire des lattes de chêne en fendant un tronc d'arbre écorcé à l'aide de deux outils : dans la main gauche, un outil dont le fer a un côté tranchant et l'autre côté plat et, dans la main droite, un autre outil, non identifiable car flouté, avec lequel il tape sur le premier.

 

Fendage des lattes

 

 

 

Fendage des laves

 

 

 

CARTE No 5 - POSE D'UNE RANGÉE DE LAVES

 

Emplacement : sur la toiture du croisillon nord. Cette vue laisse voir, de haut en bas du versant de toiture, premièrement les lattes» fichées sur le chevronnage, deuxièmement le platelage (appelé ici « doli» (dallage) (5), voir carte précédente) de lauses brutes posées en rangées et sans calage, troisièmement les assises successives de lauzes au biseau rectiligne, aux côtés en retour d'angle et à la queue plus ou moins effilée.

 

Pose des laves

 

 

 

Pose des laves

 

(5) Le terme « doli» (dont l'origine semble avoir échappé aux spécialistes des lauzes) est une forme régionale signifiant tout simplement « dallage ». On a affaire à un dallage à sec suivant la pente du toit.

 

CARTE No 6 - CALAGE DES LAVES

 

Emplacement non précisé. Le couvreur se tient plus souvent plié en deux que droit, métier oblige. Ici, il s'apprête à mettre une cale sous la queue de la lauze qu'il vient de poser.

 

 

 

 

Calage des laves

 

 

La description que donne Claude Fagé des étapes de la restauration d'une couverture de laves est très proche de celle publiée par l'architecte d.p.l.g. Benoît Delarozière dans la revue Lithiques à la même époque (1989) (6). À titre de comparaison, nous en reproduisons ci-dessous un extrait.

 

Technique de mise en œuvre de la lave »

 

Technique éprouvée, s'il en fut, la mise en œuvre d'une couverture en lave est fonction de la nature du support qui la reçoit. Deux cas principaux se présentent, celui de la charpente et celui de la voûte.

 

Mais, auparavant, il faut parler d'un travail préparatoire qui concerne les deux cas, celui de l'extraction du matériau. On a vu que la lavière est attachée au village. Différente de la carrière de pierre à bâtir, elle se présente sous la forme d'un « découvert », espace débarrassé de la terre végétale que l'on attaque au pic et au levier, pour décoller notre pierre stratifiée, et ceci généralement en automne.

 

Cette pierre est exposée aux intempéries, si possible, pendant plusieurs hivers, afin de sélectionner par le gel, les éléments propres à l'emploi. Sa taille est réalisée au moyen d'un petit outillage, marteau, massette, hachette, le but étant de façonner des plaques présentant un bord sensiblement rectiligne abattu en biseau sur sa dace supérieure et, dans le cas général, deux angles droits à chacune de ses extrémités, le côté opposé étant habituellement laissé brut. À la faveur de cette taille, tout élément qui ne sonne pas clairement est rejeté, ce que ne permet pas le tronçonnage que l'on aurait tendance à employer aujourd'hui. Les éclats résultant de cette taille sont conservés pour servir de cales lors de la mise en œuvre de la couverture.

 

Dans le cas d'une charpente, toujours réalisée en chêne, c'est le charpentier qui se charge de sa fabrication et de son montage, le lavier n'intervenant qu'à partir du lattage. Ce dernier est constitué par des perches de chêne fendues et fixées au chevronnage au moyen de clous forgés ou de chevilles de bois. Plus le lattage est rugueux, meilleure sera l'adhérence des matériaux. Au-dessus des lattes, un opus incertum de laves brutes posées à plat, le « doli », est assemblé, destiné à recevoir la couverture proprement dite. C'est alors un véritable mur à sec oblique qui est monté, à joints croisés et à partir d'une corniche constituée par des laves épaisses, parfois scellées au mortier de chaux et recouvrant les murs gouttereaux. Les chutes de taille sont utilises pour le calage de l'ensemble, contre le «doli ». Un cordeau règle la pente des versants de la base au sommet ; celle-ci est progressivement réduite afin de diminuer l'épaisseur de l'ouvrage et ainsi l'alléger. L'inclinaison des toitures en Bourgogne avoisine généralement 42°, soit 90%, mais on peut rencontrer en Saône-et-Loire, des pourcentages allant jusqu'à 130%, soit 50°. Le faîtage est enfin constitué par des laves présentant une forme rectangulaire allongée, biseautées de part et d'autre de l'axe du toit et inclinées de préférence contre le vent de pluie, le vent d'Ouest en Bourgogne. Il faut souligner qu'en dehors du premier rang de laves, aucun scellement n'intervient dans la réalisation de la couverture, afin d'assurer sa ventilation et d'éviter des tassements ainsi que l'absorption de l'humidité et son corollaire le gel, qui ne manqueraient pas de se produire en cas d'utilisation d'un mortier.

 

Lorsqu'on a à couvrir un bâtiment de plan circulaire, la technique est identique ; les seules différences portent sur le lattage qui est alors constitué d'éléments courts, sur la forme des laves qui sont « gironnées », c'est-à-dire taillées en trapèze, et enfin sur le faîtage qui, devenant ponctuel, est souvent l'occasion d'un véritable travail de sculpteur, le pigeon étant son modèle privilégié.

 

(6) Benoît Delarozière, architecte d.p.l.g., Laves et laviers de Bourgogne, dans revue Lithiques, No 6 (Pierres de Bourgogne (1)), 1989, pp. 21-32.

 

Pour conclure, il faut savoir que Benoît Delarozière, vers l'époque où Claude Fagé photographiait Michel Virot et ses ouvriers sur le chantier de l'église de Nanton, avait enquêté ou allait enquêter sur cette entreprise artisanale pour le compte de la Mission du Patrimoine ethnologique. Il devait faire part du résultat de ses recherches dans un dossier intitulé Laviers de Bourgogne. Connaissance et transmission d'un savoir, publié en 1991. Mais c'est une autre histoire (7).

 

(7) Benoît Delarozière, architecte d.p.l.g., et association Connaissance du Patrimoine, Laviers de Bourgogne. Connaissance et transmission d'un savoir, Mission du patrimoine ethnologique, 1991, 224 p., en particulier pp. 149-167.

 


© CERAV
Le 2 décembre 2023 / December 2nd, 2023

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Claude Fagé : le photographe et les laviers
http://www.pierreseche.com/nanton_chantier_laves.htm
2 décembre  2023

page d'accueil                    site de Claude Fagé