Recension Jean Cuisenier, Henri Raulin, François Calame, volume Nord Pas-de-Calais Parution initiale dans L’Architecture vernaculaire, tome XII, 1988, pp. 55-56 Saluons le courage de la maison d’édition La Manufacture d’avoir repris une collection dont l’insuccès faillit faire sombrer Berger-Levrault, pourtant d’un gabarit autrement solide. Pour aguicher le lecteur, la couverture a pris des couleurs et l’on a fait figurer un beau moulin en pierre de taille – clin d’œil ou appel du pied aux molinologues amateurs si actifs dans la région – mais qui évoque plutôt l’ouest de la France à moins que ce ne soit « Les lettres de mon moulin ». Seule concession à une présentation plus scientifique ou remords tardif, se dessine en traits blancs, dans un angle, l’élévation d’une maison de tisserand du Cambrésis. Trois auteurs ont uni leurs efforts dont les noms apparaissent dans un ordre proportionnel à une ethno-hiérarchie descendante et inversement proportionnel à une implication sur le terrain et une connaissance pratique de l’architecture rurale. À Jean Cuisenier, conservateur en chef du musée des ATP (1), l’on doit un avant-propos et des « propositions théoriques… » dont le modèle se répète – avec des variantes – d’un volume à l’autre (soit 5 pages x 22 volumes = 110 pages au total) et où l’on apprend que des « affinités profondes (…) existent entre la structure de la langue et la structure de l’édifice bâti » et que le bâtisseur construit en choisissant des « parties constitutives » dans un « stock » tout comme le locuteur puise ses mots dans un dictionnaire, bref qu’il fait de la prose sans le savoir, à l’instar de M. Jourdain. Il ne resterait plus alors qu’à déterminer la langue et l’appartenance ethnique de tel ou tel bâtisseur pour comprendre son architecture... On ne manquera pas d’être surpris en constatant que le maître d’œuvre de la collection, le Centre d’ethnologie française, s’est départi de sa politique traditionnelle en prenant, en la personne de François Calame, ethnologue régional de Picardie, le premier chercheur de la série à avoir une connaissance concrète des bâtiments ruraux et à avoir fait des relevés. On est toutefois rassuré en voyant ce dernier chapeauté par Henri Raulin, inlassable coordinateur du Corpus, coutumier de vues élevées plongeant dans l’histoire des peuples européens depuis le Néolithique. Ne lit-on pas, dans l’introduction précédant les monographies, que « la charpente à la française » des auteurs est baptisée « charpente à ferme latine » par les charpentiers contemporains, que « les charpentes à la française prédominent largement dans tous les secteurs de parler picard », que « le comble à portique » – « structure classique en pays germaniques » – coïncide exactement avec « les secteurs de parler flamand », et autres considérations sur un prétendu caractère ethnique des techniques de construction, bien dans le style de celles émises par Dauzat il y a une cinquantaine d’années. Quant aux 30 monographies qui suivent, elles semblent devoir moins à une sélection scientifique qu’aux possibilités de déplacement des architectes chargés de faire les relevés sous Vichy ou ultérieurement. On ne les regardera pas de trop près, de peur d’être troublé par des inconsistances comme la présence de deux fermes de charpente sur la photo d’une maison ruinée de pêcheur-cultivateur à Fort-Mardick, alors que le descriptif d’accompagnement parle seulement de « deux versants (…) portés par des pannes reposant sur les murs-pignons et de refend » (monogr. No 1). En définitive, ce 23e volume du Corpus n’est pas sans laisser l’impression, comme tous ses prédécesseurs, qu’il eût été plus honnête de publier tels quels, même à quarante années de distance, les relevés faits pendant la Seconde Guerre mondiale. Le spécialiste comme l’amateur d’architecture rurale pourront hésiter, à juste titre, devant l’achat d’un volume qui coûte 295 F. NOTE (1) Le Musée des Arts et Traditions Populaires à Paris, dont Le Monde du 14 juin 1988 écrivait, sous la plume de Marie-Christine Robert, qu’il ne mobilisait pas les foules (seulement 69 000 visiteurs en 1987 contre 116 000 en 1980), alors que la fréquentation globale des 33 musées nationaux avait dépassé 11,8 millions de visiteurs en 1987 contre 9,6 millions en 1980. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure Parution initiale dans L’Architecture vernaculaire, tome XII, 1988, pp. 55-56
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