QUELQUES EXEMPLES LOTOIS D’UNE TECHNIQUE DE CONSTRUCTION ARCHAÏQUE : LA FOURCHE PORTEUSE OU « PAUFOURCHE » Christian Lassure
Réédition d'un article publié dans La lettre du CERAV, bulletin de liaison No 5, juin 1986 Dans une étude parue en 1985 dans la revue Caesarodunum, éditée par le Centre de Recherches A. Piganiol à Tours (1), nous présentions une première synthèse nationale sur la construction à poteaux fourchus ou « pauxfourches » (pour reprendre le terme employé par le français médiéval). Cette techniques archaïque, déjà attestée dans la construction protohistorique, se retrouve dans l’« infra-construction » rurale au Moyen Âge, aux Temps Modernes et à l’époque contemporaine. A l’occasion des campagnes d’étude et de relevé de charpentes rurales que nous avons conduites dans le Lot ces dernières années, nous avons été amené à enregistrer divers exemples d’utilisation de la fourche porteuse dans des structures bâties rudimentaires. Il s’agit : 1/ d’étais d’arbres fruitiers ; Nous nous proposons de décrire, dans les pages qui suivent, ces différentes utilisations en faisant appel, pour les six premières, à nos observations personnelles sur le terrain, pour les deux dernières, aux croquis et descriptions publiés pas Jean-Luc Obereiner dans la revue Quercy-Recherche (2). 1 - ÉTAIS D’ARBRES FRUITIERS L’emploi de perches de châtaignier fourchues pour étayer le tronc ou les branches d’arbres fruitiers est une pratique courante, observable en divers points du département. Dans le Gourdonnais, nous avons vu, dans un verger, de vieux pommiers dont les branches contournées étaient soutenues à leur naissance par des « pauxfourches » fichés obliquement en terre (ill. no 1).
Dans la région de Saint-Céré (Glanes, Saint-Michel-Loubéjou, etc.), nombreux sont les noyers à être étayés de perches fourchues. Selon un informateur local, ces béquilles ont été installées en 1983 à la suite d’une tempête qui ravagea les noyeraies. Le noyer est en effet un arbre ayant un houppier trop important par rapport au tronc, donnant de ce fait prise aux vents violents et aux tempêtes (ill. no. 2). 2 - CONTREVENTEMENTS DE CHARPENTES DE LOGES VEGÉTALES Deux loges végétales, construites respectivement en 1931 et en 1946 au Salès-Bas sur la commune de Lavercantière, constituent un exemple de recours à des piquets fourchus en châtaignier pour le contreventement longitudinal de charpentes posées au sol. Dans la loge la moins récente, au système porteur consistant en deux couples d’arbalétriers inclinés vers l’avant de la bâtisse, le couple avant est étayé axialement par un « paufourche » en châtaignier qui enserre, dans sa fourche, un coin en bois cloué sur l’entrecroisement des arbalétriers (ill. no 3).
Dans la loge la plus récente, comportant quatre couples d’arbalétriers au sol inclinés vers l’avant de la bâtisse, le deuxième couple à partir de l’avant a chacun de ses arbalétriers étayé par un petit « paufourche » en châtaignier (ill. no 4) ; la fourche enserre non pas l’arbalétrier (dont la section est trop importante) mais un coin en bois cloué sur celui-ci (ill. nos 5 et 6).
3 - BARRIÈRES D’ENTRÉES DE CHAMPS Au nord de Calès, nous avons observé, barrant l’entrée d’un champ, une barrière rudimentaire formée de deux piquets fourchus, l’un en chêne, l’autre en châtaignier, fichés en terre à 3 m l’un de l’autre et portant une perche horizontale en châtaigner. Pour que cette dernière soit bien horizontale malgré la déclivité du terrain, le piquet de droite a plus de hauteur que le piquet de gauche : la perche se trouve à 85 cm du sol à droite contre 50 cm à gauche. Pour permettre ou pour interdire l’accès, il suffit d’enlever ou de replacer la perche dans les fourches des piquets (ill. nos 7, 8 et 9).
Un autre exemple de ce type de barrière a été vu au nord de Saint-Denis-lès-Martel (non représenté). Au plan de la classification des constructions à « pauxfourches », ce type de barrière ressortit de la construction rectilinéaire à simple file axiale de deux « pauxfourches » ou portique. 4 - SUPPORT D’ACCROCHAGE D’UNE POULIE Entre Béduer et Faycelles, nous avons observé, dans un champ, une margelle de puits dotée d’un bâti vertical en bois portant une poulie et dans la fabrication duquel entrent deux « pauxfourche ». La pièce horizontale où est accrochée la poulie est en effet portée par deux petits troncs de chênes fourchus fichés dans le sol contre la paroi extérieure de la margelle (ill. no 10).
Au point de vue constructif, ce support relève de la construction rectilinéaire à simple file axiale de deux « pauxfourches » ou portique. Ce type de bâti rudimentaire servant à accrocher une poulie ne semble pas être confiné au Lot. Il constitue une solution économique à l’installation d’un tel dispositif de levage au-dessus d’un puits. C’est ce que porte à croire en tout cas une représentation déjà ancienne (1925) d’un puits camarguais due au dessinateur Etienne Laget : un portique à « pauxfourches » y porte la poulie. Toutefois, à la différence de notre exemple lotois, le puits camarguais a les montants de son portique fichés sur le dessus de la margelle (ill. no 11).
5 - PIQUETS ET ARMATURES DE TREILLES Les perches en châtaignier constituent le matériau par excellence des supports de treilles. Nous avons noté deux exemples de ce type d’utilisation, l’un à la frontière du Lot-et-Garonne, à Boussac, l’autre dans la Bouriane, à Lavercantière. À Boussac, dans une ferme en bordure de la D. 675, un alignement de fines perches fourchues porte les pampres de treilles plantées à l’abri d’un mur de la maison. Dans ce dispositif, qui est le plus simple dans la classification des structures à « pauxfourches », les rameaux s’étendent uniquement dans le plan vertical, à la façon d’un espalier (ill. no 12).
Au Salès-Bas, sur la commune de Lavercantière, une armature de treille, construite en appentis contre le gouttereau d'une maison, utilise comme montants des piquets fourchus en châtaignier. Une file basse de trois montants fourchus porte la sablière de la toiture, tandis que la faîtière est accrochée en lambourde sous la rive du gouttereau. Les « pauxfourches » de la file basse sont de hauteur décroissante pour compenser la déclivité du terrain d'implantation (de gauche à droite du relevé, hauteurs respectives : 2,30 m - 1,90 m - 1,80 m). Le « paufourche » à la moitié de la file est contreventé longitudinalement par un étai fourchu. Les chevrons, au nombre de sept, sont des perches de châtaignier assujetties à la panne haute et à la panne basse à l'aide de fil de fer. De longues perches sont posées perpendiculairement aux chevrons à la manière de lattes (ill. nos 13 et 14).
Au plan de la classification, ce bâti est assimilable à une construction rectilinéaire à une file haute et à une file basse de « pauxfourches » (où l'on aurait fait l'économie des supports de la file haute en accrochant la faîtière contre un mur). En dehors du Lot, nous avons observé des dispositifs identiques dans la vallée de l'Ardèche en amont d'Aubenas : le bois de châtaignier ne manque pas, qui fournit les supports de centaines de treilles. Les perches en châtaignier, nous a-t-on dit, ne sont pas attaquées par les insectes et la seule précaution à prendre est de passer au feu le bout qui doit être fiché en terre. 6 - ARMATURE D'UN POSTE D'AFFÛT Nous avons photographié, non loin du domaine de Cuzals à Sauliac-sur-Célé, un affût pour la chasse aux grives dont l'armature est constituée de piquets fourchus en chêne. Adossée à un mur de pierre sèche, cette petite construction rectangulaire utilise deux sommiers parallèles reposant chacun sur l'arase du mur à un bout et dans l'enfourchement d'un piquet à l'autre bout. Des perches jetées d'un sommier à l'autre forment une toiture plate. Des branches de genévriers recouvrent celle-ci et tapissent deux côtés, le troisième côté restant libre pour l'accès (ill. no 15). À quelques mètres de la bâtisse, du côté opposé à l'accès, une petite mare servant d'abreuvoir aux grives constitue la cible des chasseurs.
Au plan de la classification, ce poste d'affût est assimilable à une construction rectilinéaire à deux files d'égale hauteur portant plate-forme. 7 - POTEAUX D'UNE GRANGE-REMISE En 1982, Jean-Luc Obereiner signalait l'existence, à Labathude, d'une grange-remise à nef et bas-côtés, bricolée il y a moins d'un demi-siècle par son propriétaire et utilisant comme montants des poteaux fourchus. Ce bâtiment, couvert en tôle ondulée, constitue un rare exemple de combinaison, pour la seule nef, de deux types de structure à « pauxfourches »: - d'une part, deux rangées parallèles de « pauxfourches » de même hauteur portant cadre (c'est-à-dire deux sommiers et, au niveau de chaque couple de supports, une poutre transversale) (haut. des « pauxfourches » : env. 2,00 m - section : env. 15 cm); - d'autre part, prenant appui sur le cadre, une file axiale de poinçons fourchus portant faîtière (haut. hors tout de cette dernière : env. 3,00 m); la base des poinçons est moisée sur les poutres transversales; le contreventement de long est assuré par des planchettes clouées fermant les angles poinçon/faîtière; le contreventement latéral est assuré par deux planchettes clouées disposées en chevron de part et d’autre du poinçon. Les bas-côtés, quant à eux, sont délimités par des pieux non fourchus (haut. : 1,00 m), sur lesquels prennent appui les chevrons des versants (ill. nos 16 et 17).
Cette grange-remise ne relève pas d'une tradition bien établie: elle constitue un exemplaire unique, isolé, qui ne doit sont existence qu'au fait que son propriétaire-constructeur est charpentier. 8 - PIVOT D’UN BALANCIER Un puits à balancier situé à Candes, sur la commune de Comiac (Ségala) et décrit par Jean-luc Obeirener en 1983, nous fournit un exemple de tronc fourchu employé comme pivot de système à bascule. Nous empruntons à notre confrère sa description. Le pivot est un chêne équarri (section : 25 x 35 cm) dont la base est encastrée dans un muret (larg. : 0,70 m, haut. : env. 1,30 m) et dont la fourchette terminale est traversée par un axe en fer (diam. : 30 mm) à 3,75 m du sol. Sur cet axe s’articule le balancier, constitué d’un petit chêne qui a été arraché avec sa souche, laquelle, lestée de lauses et d’un fragment de meule, sert de contrepoids. Selon le propriétaire des lieux, M. Fernand Lacam, le pivot a été changé en 1929 et le balancier vers 1948 (ill. no 18).
Au plan constructif, le présent système est assimilable à une structure à « paufourche » unique portant faîtière oblique. D’autres puits à balancier ont été observés dans le Ségala par notre collègue. On en trouve également de l’autre côté de la frontière entre le Lot et le Cantal, dans la Xaintrie (3). Comme le montrent les huit exemples décrits ci-dessus, la construction « à pauxfourches » est une technique attestée en plein XXe siècle dans le département du Lot. Elle est cantonnée, toutefois, à des structures mineures du bâti rural, lesquelles n’ont aucune prétention de longévité et ne nécessitent qu’un investissement minime (quand il n’est pas nul). Parmi ces constructions, une absence de taille crève les yeux : nous n’avons repéré aucune loge à file xiale de « pauxfourches » portant faîtière. Peut-être des prospections ultérieures viendront-elles combler cette lacune ? Quoi qu’il en soit, la photo d’une loge à couverture végétale prise vers 1905 au Breil-Haut, sur la commune de Peyrilles, et publiée en 1983 dans Quercy-Recherche (3), n’est aucunement celle d’une construction à poteaux fourchus centraux, contrairement à ce qui a été affirmé : le cliché est assez net pour qu’on y distingue, à travers les vides de la couverture du pignon avant, le premier couple d’arbalétriers portant dans leur entrecroisement la faîtière, ainsi que le premier couple de chevrons posant en haut sur cette dernière. Le poteau placé dans l’axe longitudinal de la loge n’est rien d’autre qu’une pièce servant à former le pignon avant et à recevoir les lattes où sont accrochées les javelles de bruyère (ill. no 19).
En fait, les rares loges à couverture végétale encore conservées dans le Lot semblent être toutes des constructions à couples d’arbalétriers entrecroisés portant faîtière, à l’instar des deux loges de Lavercantière mentionnées plus haut. Pour ce qui est du rattachement des « pauxfourches » lotoises subactuelles à une éventuelle tradition, nous éviterons de nous prononcer catégoriquement, faute de preuves archéologiques et archivistiques antérieurement à la fin du XIXe siècle. Il n’est cependant pas interdit de penser que la technique du support fourchu fait depuis longtemps partie de l’héritage technologique des paysans quercynois et que ceux-ci n’ont pas attendu l’aube du XXe siècle pour y recourir. NOTES (1) Christian Lassure, Une technique de construction archaïque : la construction à poteaux fourchus ou « pauxfourches », in Le bois dans la Gaule romaine et les provinces voisines, Actes du colloque de Paris des 20 et 21 avril 1985, Caesarodunum, Bulletin du Centre de Recherches A. Piganiol, t. XXI, 1985, pp. 248-273. (2) Jean-Luc Obereiner, Contribution à la connaissance des couvertures végétales en haut Quercy, 3e partie : les granges et leurs charpentes, in Quercy-Recherche, no 44, janvier-février 1982, pp. 37-81, en part. pp. 68-69 ; idem, Un puits à balancier dans le Ségala, in Quercy-Recherche, numéro double 49-50, novembre-décembre 1982 et janvier-février 1983, pp. 24-29. (3) Cf. Luc Breuillé et al., Maisons paysannes et vie traditionnelle en Auvergne, Ed. CREER, Nonette, 1980, en part. p. 552. (4) Cf. Jean-Luc Obereiner, Contribution à la connaissance des couvertures végétales en haut Quercy, 7e partie, Compléments documentaires, in Quercy-Recherche, numéro double 49-50, novembre-décembre 1982 et janvier-février 1983, pp. 79-97.
Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV À référencer comme suit / To be referenced as :
Christian Lassure sommaire architecture vernaculaire
|