UNE MAÇONNERIE EN PIERRE SÈCHE RÉSISTE-T-ELLE AUX TREMBLEMENTS DE TERRE ?

Is Dry Stonework Earthquake-Resistant?

Christian Lassure

English version

Sur la résistance des murs en pierre sèche non porteurs aux tremblements de terre, on trouve deux avis complètement opposés, ce qui est pour le moins gênant.

Des murs inébranlables ?

On lit en effet, sur le site Internet de l’association nord-américaine « The Dry Stone Conservancy », l’affirmation suivante : « If correctly designed, they are earthquake resistant » (« s’ils sont conçus comme il faut, ils résistent aux tremblements de terre ») (1).

Cette affirmation d’un optimisme sans faille, est confortée par une autre assertion, qui orne le site de l’association helvétique Swiss Occidental Leonardo (alias S.O.L.), selon laquelle « leur structure adaptable leur permet de supporter l’écoulement d’eau, le gel, et même les tremblements de terre de faible amplitude, comme il y en a parfois en Suisse » (2).

À l’appui de cette profession de foi, un argument de poids, consigné dans un article de Carolyn Murray-Wooley, « The Stone Age, still with us. Dry stone masonry in the United States » (« L’Age de pierre est toujours là. La maçonnerie à pierre sèche aux États-Unis »), publié sur le site de l’association nord-américaine « The Stone Foundation » : la nouvelle selon laquelle un mur tout neuf, construit par des maçons écossais, près de Seattle dans l’État de Washington, avait survécu, intact au tremblement de terre de magnitude 7 qui avait secoué cette zone en mars 2001; la maçonnerie s’était simplement un peu tassée par endroits (3).

Dans la même veine, le récit fait par Richard Tufnell de la remarquable tenue de murs non porteurs édifiés sous sa direction à Budhekedar dans le nord de l’Uttar Pradesh en Inde au début des années 1990 pour protéger des plantations d’arbres : « On peut juger de cette solidité d’après le fait que quelque quatre mois plus tard, un tremblement de terre mesurant 6,9 sur l’échelle de Richter frappa la zone, notre mur se retrouvant quasiment à l’épicentre. Bien que les dégâts causés alentour se soient traduits par la destruction complète de 10000 maisons, pas une pierre ne bougea dans le mur bâti par les stagiaires ». Cette anecdote venait appuyer une remarque préalable, comme quoi « la maçonnerie à pierre sèche (...) a une résistance sismique convenable, que l’on peut améliorer de façon notable par le recours à quelques méthodes simples » (4).

Ou des murs qui ne font pas le poids ?

Il y a de quoi être ébranlé, mais un autre son de cloche sur la prétendue résistance sismique des murs de pierre sèche non porteurs, nous est fourni par un message affiché sur un forum d’ingénierie géotechnique : « Ces murs [les murs-poids] peuvent monter très hauts s’il n’y a pas de tremblements de terre mais, du fait de leur masse, ils sont très vulnérables aux fortes accélérations horizontales » (5).

Si l’on se tourne ensuite vers les murs en pierre sèche porteurs (c’est-à-dire employés dans des bâtiments), la mise en doute de leur résistance sismique est encore plus affirmée.

Ainsi, sur le site des Services de planification et de construction de l’Aga Khan au Pakistan (6), on apprend que « le liaisonnement des murs en pierre avec du mortier au ciment est le meilleur moyen de rendre la maçonnerie en pierre sèche capable de résister aux tremblements de terre ». C’est là une condamnation sans appel.

Et elle n’est pas la seule. Dans la « foire au questions » du site du Réseau anti-sismique de la Californie occidentale, on peut lire que « dans certaines parties du monde, un tel séisme [de magnitude 5 ou 6] est une catastrophe de grande ampleur en raison de l’emploi traditionnel de la pierre sèche dans la construction ou de l’absence de normes de construction ou du défaut d’application des normes existantes » (7).

À la lumière de ces derniers avis, il semble bien qu’il faille éviter de faire des maçonneries en pierre sèche (porteuses ou non porteuses) le nec plus ultra de la résistance aux secousses sismiques. D’ailleurs, le simple bon sens devrait inciter à penser que des éléments non liaisonnés par du mortier ne peuvent que se dissocier plus ou moins sous l’effet de secousses sismiques.

Ce qui dit l'histoire récente... en Provence

La fragilité des maçonneries en pierre sèche est corroborée par les constatations faites en France sur l’état de conservation de certaines cabanes provençales, touchées par plusieurs séismes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.

Ainsi Louis Mille, dans sa plaquette sur les cabanes d’Aix-en-Provence et de Salon-de-Provence dans les Bouches-du-Rhône, attribue au tremblement de terre du 11 juin 1909, d’une magnitude 6 et à l’épicentre situé à l’ancien volcan de Beaulieu près de Rognes, la cause des « ruines ainsi que des dômes tronqués de certaines bories » (8).

On sait également que les grandes cabanes qui forment aujourd’hui le pseudo « village des bories » à Gordes en Vaucluse, avaient été dégradées par ce même tremblement de 1909 mais aussi par celui, antérieur, de 1886 qui avait détruit une partie du village proprement dit, y hâtant le déclin des activités de cordonnerie (9).

Un dernier exemple de la fragilité des structures en pierre sèche nous est donné par les dégâts infligés à une vingtaine de murs de soutènement de terrasses agricoles situées au quartier de Guglione à Menton dans les Alpes-Maritimes lors du séisme ligure du 23 février 1887. Mais, curieusement, c’est non pas le séisme lui-même qui est en cause mais ses effets indirects : de gros blocs de pierre se détachant du haut d’une colline, détruisirent sur leur passage les murs d’une propriété, y arrachant oliviers et citronniers (10).

En conclusion, l’impression qui se dégage des divers éléments d’informations glanés ici et là, c’est que les maçonneries en pierre sèche, qu’elles soient porteuses ou non porteuses, n’ont pas vertu, du fait qu’elles seraient sans mortier, à mieux résister aux secousses sismiques que les maçonneries avec mortier.

Des recettes anti-sismiques

Apparemment, d’autres caractéristiques entrent en ligne de compte pour expliquer le degré variable de résistance des murs en pierre sèche aux séismes. 

Il est évident qu’un mur bâti selon les règles de l’art (avec des boutisses parpaignes en nombre suffisant pour lier les deux parements, des calages méticuleux à l’arrière des pierres, des joint systématiquement croisés) résistera mieux aux secousses qu’un mur construit à la va vite et mal liaisonné (sans boutisses, avec des coups de sabre, des vides à l’intérieur). 

© Patrick Murphy Corella (Field report for the December 2004 earthquakes in Nador, Morocco.)

Ferme au nord-ouest de la ville de Douria au Maroc : 

Éboulements le long d'un mur en pierres sèches après un tremblement de terre de magnitude 4.3. La piètre qualité des pierres (pierres des champs) et de la technique d'exécution (trous à la base, pas de couronnement) sont à incriminer.

Source : Patrick Murphy Corella, Field report for the December 2004 earthquakes in Nador, Morocco -  www.emsc-csem.org/Doc/ Nador_041202.pdf

Il tombe également sous le sens qu’un mur de gros blocs se désintégrera moins vite qu’un mur de petites pierres, ou encore qu’un mur en pierres plates se désagrègera moins vite qu’un mur en pierres arrondies où les forces de friction entre les pierres sont réduites (11).

Seules des observations menées systématiquement à la fois sur les dégâts infligés aux murs et sur la qualité d'exécution de ces mêmes murs, peuvent nous en dire plus.

NOTES

(1) Adresse : www.drystone.org/history/

(2) Adresse : www.s-o-l.ch/inherit/french/

(3) Adresse : www.stonefoundation.org/stonexus/01_issue/28-stone-age.pdf. Citation : « Scottish masons recently completed a dry stone wall near Seattle, Washington. Local observers kept asking what kept the wall together. They could not understand strength without cement. These questions were resoundingly answered in March of this year with the devastating 7.0 Seattle earthquake when the wall survived totally intact, merely settled more firmly into place (Aitken and Rippingale) ». Ces deux noms renvoient à l’article suivant : Aitken, Nick, and Neil Rippingale, Shaken, But OK, dans The Waller and Dyker [Periodical of the Dry Stone Walling Association of Great Britain], Spring 2001, p.3.

(4) Richard Tufnell, Three Case histories of dry stone walling as transferable technology, dans La pedra en sec. Obra, paisatge i patrimoni, IV Congrés internacional de construcció de pedra en sec, Mallorca, del 28 al 30 de setembre de 1994, Consell insular de Mallorca, Mallorca, 1997, pp. 193-206, en part. p. 196. Citation : « Just how strong may be judged from the fact that some four months later, an earthquake measuring 6.9+ on the Richter scale struck the area, with the wall almost exactly at the epicentre. Surrounding damage included 10,000 houses completely destroyed, yet not a stone moved out of place on the trainee wall » et « Dry stone walling (...) has reasonable seismic resistance, which can be improved markedly with the incorporation of a few simple methods ».

(5) Adresse : groups.yahoo.com/group/geoengineer/message/556?viscount=100. Citation : « Such walls [gravity walls] can go quite high if there are no earthquakes but their mass means that they are very vulnerable to high horizontal acceleration ».

(6) Adresse : www.icimod.org/focus/risks_hazards/wiremesh1.htm. Citation : « binding of stone walls with cement mortar is the best measurement for making dry stone masonry earthquake resistant ».

(7) Adresse : www.scsn.org/faq.html. Citation : « Earthquakes in the M5 to M6 range typically don’t cause much damage here, but in some areas of the world such a quake is a major disaster due to traditional dry stone construction or lack of building codes or enforcement of existing building codes ».

(8) Louis Mille, Les bories des terroirs d’Aix et Salon-de-Provence, l’auteur, 1993, 27 p., en part. p. 21.

(9) Cf. Pierre Viala, Histoire d’une restauration : le « village des bories » de Gordes (Vaucluse), dans L’architecture rurale en pierre sèche, tome 1, 1977, pp. 151-153. Citation : « Deux tremblements de terre ont ébranlé le site, en 1880 [lire 1886] et en 1909. Sans doute faut-il leur imputer des linteaux cassés, des lézardes et quelques tassements ». Cf. aussi, à l’adresse www.beyond.fr/villages/gordes.html, l’information suivantre : « Gordes was a center of wool and leather industries in the 17th and 18th centuries, including weaving, carding and tanning. In 1886, part of the village was destroyed by an earthquake, which tended to hasten the already declining local industries ».

(10) Adresse : www.azurseisme.com/SeismeLigure.htm.

(11) « Large stones and through stones are essential to providing stability to a dry stone masonry » (Grosses pierres et pierres traversantes sont indispensables pour apporter stabilité à une maçonnerie en pierre sèche), peut-on lire dans un rapport publié sur le site de l’association Engineering for the World (India ’05: Technical report. A glimpse into some of India’s traditional structures - adresse : www.engineering4theworld.org/UrbanHazard/INDIA TECH REPORT’05.pdf).

Lettre du murailleur écossais Nick Aitken

à propos du mur en pierre sèche resté intact lors du tremblement de terre de Seattle en 2001

Date : mardi 16 décembre 2008
De : stonedyker[at]talk21.com
À : christian.lassure[at]pierreseche.com
Objet : murs en pierre sèche et tremblements de terre

J'ai trouvé intéressante la page sur la résistance des murs en pierre sèche aux tremblements de terre et je voudrais, étant l'un des deux murailleurs cités dans l'article, apporter un témoignnage supplémentaire.

Neil Rippingale et moi sommes les deux murailleurs écossais qui avons vu la secousse se propager comme une ondulation dans le paysage alors que nous étions à l'œuvre sur un mur de 66 m de long à la périphérie de Seattle en mars 2001.

La secousse passée, la maçonnerie apparemment n'avait pas bougé d'un pouce bien que les arbres aient fortement tangué et que l'eau d'une mare voisine ait débordé. Je me souviens que la secousse tellurique s'était transmise telle une ondulation dans le sens de la longueur du mur, ce qui a pu réduire dans une certaine mesure les efforts subis par la maçonnerie. Si l'onde avait pris le mur dans le sens transversal, il y aurait pu y avoir plus de dégâts. Ce n'est qu'après cet événement que nous avons découvert que nous travaillions au-dessus d'une conduite de gas enterrée et en-dessous d'une ligne à haute tension !

À proximité, il y avait des murs de pierres maçonnées au mortier et des murs de soutènemnt bâtis de gros blocs. Ces murs furent abîmés, les gros blocs se déplacant et les murs maçonnés au mortier se fissurant. Les gros blocs d'un mur, s'ils bougent, tendent à se déplacer, surtout dans un mur mal liaisonné et, comme il est dit dans l'article, s'ils sont sur une pente, il y a de fortes chances pour qu'ils la dévalent et causent pas mal de destruction.

J'ai lu, mais sans avoir pu en retrouver la référence pour l'instant, qu'un mur au mortier est à peine10% plus résistant qu'un mur bâti à sec bien liaisonné. Cela concernait une zone asismique. Il serait intéressant de confronter un mur au mortier et un mur bâti à sec, si l'on pouvait mettre sur pied une telle expérience, mais je suis convaincu que le mur au mortier serait plus résistant, surtout si la secousse devait durer quelque temps. À cet égard, il serait également intéressant de vérifier si les mortiers de chaux sont plus solides que les mortiers durs au ciment modernes.

J'ai travaillé, et parlé à des maçons à pierre sèche, dans des régions où le sol gonfle sous l'effet du gel. Ce soulèvement par le gel est-il assimilable à une secousse tellurique ? Il est plus lent et irrésistible mais a bien pour effect de fendre le mortier alors qu'un mur bâti à sec s'infléchit.

L'ennui avec les grosses pierres dans un mur au mortier, c'est que la flexibilité du mur s'en trouve amoindrie et que lorsque les pierres essaient de revenir à leur position primitive, cela leur est plus difficile.

Cordialement,

Nick Aitken
127 High Street
Kingussie
PH21 1JD
Scotland
UK

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© CERAV
Le 18 mars 2006 - Complété le 26 décembre 2008

Référence à citer :

Christian Lassure
Une maçonnerie en pierre sèche résiste-t-elle aux tremblements de terre ? (Is Dry Stonework Earthquake-Resistant?)
http://www.pierreseche.com/ pierre_seche_et_tremblement.htm
18 mars 2006

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