Recension Henri Raulin, L'habitat de nos ancêtres ruraux, dans Gé-Magazine, No 25, février 1985, pp. 94-96 Parution initale dans L'Architecture vernaculaire, t. IX, 1985, pp. 2-4 Henri Raulin, maître de recherche au C.N.R.S., coordinateur des recherches scientifiques du Corpus de 1'Architecture Rurale Française, ne rechigne pas – ce qui est louable – à faire œuvre de vulgarisation, rédigeant à 1'intention des lecteurs de Gé-magazine un texte sur « l'habitat de nos ancêtres ruraux ». En fait d’« ancêtres ruraux », le lecteur est averti d'emblée qu'il s'agit des générations comprises entre le « milieu du XVIIIe siècle, début de la révolution agraire », et le « milieu du XIXe, marquant le sommet du peuplement rural ». En fait d'« habitat » , il s'agit des « maisons paysannes » « construites dans la première moitié du XIXe siècle », les maisons rurales conservées antérieures à cette époque relevant de « catégories sociales privilégiées ». Cette restriction n'empêche pas M. Raulin de suggérer, voire d'affirmer, tout au long de son article, des influences « raciques » ou «ethniques » remontant à plusieurs dizaines de siècles, voire à plusieurs millénaires : - « Il apparaît, dès avant l'époque médiévale, une différenciation entre le sud et [le] nord de la France, dont les causes sont d'ordre historique et liées à des influences extérieures : colonisation romaine prédominante au sud; peuplement germano-scandinave au nord, sans négliger la tradition plus ancienne et plus générale d'origine celtique. Si l'on ne retrouvait, dans les constructions paysannes de France, des traces de ces anciennes spécialisations, plus particulièrement dans les petits bâtiments annexes (…), on pourrait se dispenser d'en parler : la continuité, au moins partielle, est telle depuis le néolithique, qu'on doit au contraire la mettre en évidence » (p. 20). - « De la même manière qu'on attribue la diffusion de la construction en bois aux Gaulois, aux Francs et aux Wisigoths qui ont essaimé sur le chemin de l'Espagne, la construction en pierre aurait été introduite et vulgarisée par les envahisseurs romains prenant, dans les régions méditerranéennes et sud-alpines, le relais des Ligures » (p. 21). - « Les maisons dauphinoises, comme les maisons de maître de la Bourgogne, du Périgord et du Béarn, n'ont d'autre référence stylistique que celle du XVIIe siècle parisien (…) Mais ces influences ne sont pas à sens unique, et la toiture qui semble démesurée n'est-elle pas une influence des immenses toits de chaume à quatre versants, qui, depuis 1'époque néolithique, sont considérés comme résistant le mieux au vent ? » (p. 25). De telles affirmations – qui manifestement renvoient aux théories émises dans les années 1920-1940 par Albert Dauzat (1) et depuis longtemps remisées au placard des mythes et légendes de l'architecture rurale – ont de quoi surprendre, en 1985, sous la plume d'un chercheur patenté. Pour qui connaît bien la bibliographie d’Henri Raulin, elles n'étonnent pas outre mesure. Dans son introduction au volume Savoie du Corpus, publié en 1977, ce dernier écrivait déjà : « II semble que les Alpes soient le point de rencontre de deux traditions en matière de construction rurale : l'une venue du sud aurait introduit la construction en pierre; l'autre, venue du nord, la construction en bois. Mais à quel peuple, à quelle phase de la pré- ou de la protohistoire, voire du haut Moyen Age, faut-il attribuer leur mise en place ? » (p. 21). En dehors de ces considérations de type « racique» et qui se heurtent à l'absence de séries de jalons entre les constructions mises au jour par 1'archéologie et les témoins modernes et contemporains d'architecture paysanne, le texte de M. Raulin comporte un certain nombre d'approximations et de contre-vérités. Pour ce qui est des cabanes en pierres sèches, les désignations mentionnées (« bori » en Provence, « capitelle » en Languedoc, « gariotte » en Quercy, « boris de Gordes » ) (p. 23) sont savantes et non point vernaculaires. Si les propriétaires de résidences secondaires à Gordes appellent les cabanes en pierres sèches « boris » ou « bories », les villageois eux-mêmes désignent cet habitat temporaire de manouvriers du XIXe siècle sous le nom de « cabanes ». Les habitants de la région d'Apt et de Forcalquier se servent de l'expression « cabanon pointu » pour désigner le type prédominant de cabane dans leur région. « Bori » (masc.) est une désignation aux connotations péjoratives, donnée par Mistral comme synonyme de « masure » (2). Dans le Quercy, les termes locaux sont « cabane » au nord de la rivière Lot, « casèle » au sud, « gariote » s'appliquant seulement aux guérites incluses dans des murs et des tas d'épierrement (3). Si « capitelle » convient pour les cabanes en pierre sèche de la garrigue nîmoise, d'autres termes sont attestés pour d'autres secteurs du Gard (ainsi « oustalet » pour les causses de Blandas et de Campestre) et pour les départements avoisinants comme l'Hérault, l'Ardèche, la Lozère. Dans le seul département de l'Hérault, André Cablat relève « caravelle », « chambrette » « caselle », « nichette », à côté de « cabane », terme le plus répandu (4). Quant aux « loges » de Bretagne, loin d'être « le type même de l'abri rural, ancêtre de la maison paysanne » (p. 25), elles constituent un phénomène tout à fait sub-actuel, ainsi que l'ont montré Jean-Christian Bans et Patricia Gaillard-Bans dans une étude fort bien documentée parue en 1983 (5). Ces « loges » d'habitation (à ne pas confondre avec les loges de sabotiers) « ne sont pas », pour reprendre ces auteurs, « des survivances 'celtiques', ni même un phénomène 'marginal' mais correspondent à un « processus au contraire unanimement présenté par les rapporteurs du siècle dernier comme dynamique », à savoir la formation au XIXe siècle – dans un contexte étudiable et datable – d'un sous-prolétariat rural et la colonisation de landes par celui-ci. Ces « loges », ainsi que le démontrent ces auteurs à travers l'étude de leurs techniques de construction, apparaissent « non pas comme les ultimes conservatoires de formes archaïques jadis plus répandues à l'échelle locale, mais, au contraire, comme un terrain privilégié de novations technologiques et ce, dans la mesure où leurs constructeurs, ne disposant pas de matériaux à capacité porteuse suffisante, se sont trouvés confrontés au problème – fondamental – de la relation structurelle murs/toiture ». Faut-il penser que la documentation de M. Raulin a besoin d'être réactualisée ? Au vu de son texte – mais aussi de l'illustration d'accompagnement – la réponse ne peut être que oui. L' « essai de reconstitution de l'habitat (sic) de Verberie (Oise) » qui se trouve à la page 20, dessin datant de 1976, montre que l'auteur ignore deux restitutions ultérieures proposées, l'une par l'archéologue Olivier Büchsenschütz en 1983 (6), l'autre par le professeur est-allemand Karl Baumgarten, spécialiste des maisons-halle, en 1984 (7). La photo d'une « cabane en pierre sèche (Borie de Gordes, Vaucluse) » à la page 22, recèle en réalité un ensemble de cabanes agglomérées, comportant une habitation, une grange/magnanerie, une resserre, une cuve/fouloir, une chevrière et une soue, et se trouvant au quartier des « Cabanes » sur la commune de Gordes. Enfin, page 23, la photo d'une « cabane en pierre sèche (Gariote du Quercy, Lot-et-Garonne) » (sic) représente en fait une ancienne « galinière » ou poulailler des vignes, située plus exactement dans le Lot, sur la commune de Crayssac, au nord-est de Mas de Bras ... Cet à peu-près des légendes d'illustration chez Henri Raulin ne nous surprendra guère. Déjà, en 1980, dans un texte de vulgarisation, intitulé « Aspects du patrimoine régional : l'habitat rural » (8) et distribué au Salon des Arts Ménagers, une carte de France de la construction « sans pierre » faisait encore figurer les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise… NOTES (1) Albert Dauzat, Les anciens types d''habitations rurales en France. Leur répartition, leur formation historique, dans La Nature, No 2599, 26 juin 1924, pp. 53-60; Anciens types d'habitations rurales en France et dans les régions voisines, dans La Nature, No 2884, ler juillet 1932, pp. 1-5; Le village et le paysan de France, NRF-Gallimard, Paris, 1941, 2e édition, chap. III, Les facteurs historiques et la tradition ..., pp. 41-60. (2) Cf. Christian Lassure, La terminologie provençale des édifices en pierre sèche : mythes savants et réalités populaires, dans L'Architecture rurale, t. III, 1979, pp. 33-45. (3) Cf. Christian Lassure, Terminologie des constructions en pierre sèche du Lot, dans L'architecture rurale en pierre sèche, t. I, 1977, pp. 36-39, et aussi dans Quercy-Recherche, No 19, août-septembre 1977, pp. 22-25. (4) André Cablat, L'architecture rurale en pierre sèche de l’Hérault : cabanes de bergers, d'agriculteurs et de charbonniers, dans L'Architecture rurale en pierre sèche, t. II, 1978, pp. 41-68, en part. p. 47. (5) Jean-Christian Bans et Patricia Gaillard-Bans, Les loges d'habitation de Bretagne. Éléments pour servir à la compréhension du phénomène, dans Bulletin de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, t. CXI, 1982, [Les Presses Bretonnes, Saint-Brieuc, 1983], pp. 74-106. (6) Olvier Büchsenschütz, L'habitat celtique, dans La recherche, No 150, décembre 1983, pp. 8-17, en part. p. 14. (7) Cf. Christian Lassure, Oise : une maison à nef et bas-côtés de 1'Âge du Fer à La Verberie, dans L'Architecture vernaculaire, t. VII, 1983, pp. 77-78. (8) Aspects du patrimoine régional : 1'habitat rural, C.N.R.S., Paris, 1980, 4 p., en part. photo p. 2. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure Parution initale dans L'Architecture vernaculaire, t. IX, 1985, pp. 2-4 page d'accueil sommaire d'architecture vernaculaire
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