RECENSION 18 / REVIEW 18

À NIEIGLES [ARDÈCHE], LES OUVRAGES EN PIERRE SÈCHE ET L'ÉVOLUTION DU PAYSAGE

 

Michel Rouvière, À Nieigles, les ouvrages en pierre sèche et l'évolution du paysage, dans Revue du Vivarais, t. CXII, No 2, fasc. 774, avril-juin 2008, pp. 135-148. (Compte rendu : Christian Lassure).

Dans cet article, Michel Rouvière, spécialiste des terrasses de culture en Ardèche, se penche sur les traces des anciens aménagements agricoles autour du village de Nieigles (ou Niègles) sur la commune de Pont-de-Labeaume.

Il note la rapidité avec laquelle la végétation envahit les versants anciennement cultivés : la confrontation entre les vues procurées par les cartes postales du début du XXe siècle ou de 1930 et des photos prises aujourd'hui, est éloquente à cet égard.

Les cadastres de 1839 et de 1936 sont appelés à la rescousse eux aussi : leur superposition fait ressortir les murs de soutènement et les murs de chemin construits entre ces deux dates. Malheureusement, la reproduction en noir et blanc, trop réduite, en rend l'examen difficile.

À côté de l'infrastructure lithique, l'enquête de terrain livre divers ouvrages hydrauliques :
- anciennes galeries s'enfonçant horizontalement dans le versant pour capter l'eau,
- galeries moins profondes, voûtées en plein cintre, près des habitations et des jardins,
- « restanques » aussi, c'est-à-dire murs barrant transversalement le talweg pour freiner l'érosion et former des terrasses. Un exemple très ingénieux est muni d'un drain voûté en pierre sèche pour récupérer les eaux d'infiltration et les canaliser vers l'aval.

L'auteur remet en question l'interprétation qui est faite traditionnellement de la mention fascia vinea, rencontrée dans un document du Xe siècle, comme synonyme de terrasse de vigne. De même, il souligne l'imprécision de la mention  faysses rencontrée dans le cartulaire du XIIe siècle de l'abbaye de Chambons. Fascia et  faysses désignent des bandes de terre, des parcelles en lanière, et non pas obligatoirement des terrasses à mur de soutènement. Pour mieux convaincre, l'auteur rappelle la discussion ayant suivi la communication de Pierre Bonnassié sur « le vignoble catalan aux alentours de l'an mil » lors du 11e Congrès des médiévistes en 1971 : « Vous avez évidemment la preuve d'une vigne sur versant, mais est-ce que vous avez la preuve d'une vigne en terrasse ? Car vous avez bien des versants italiens qui n'ont jamais eu de terrasses et qui ont été cependant plantés en vignes ».

Michel Rouvière ajoute que les mentions de vignes sur les Estimes du XVe siècle et sur les compoix-terriers ultérieurs ne permettent pas non plus de conclure à l'existence de vignes en terrasses.

De fait, il n'y a pas lien automatique entre création de vignoble et construction de terrasses. Il en veut pour preuve le fait qu'à Vinezac, dans le sud de l'Ardèche, les parcelles signalées en vigne sur le cadastre de 1830, ne sont pas toutes aménagées en terrasses.

L'auteur rejette également l'affirmation selon laquelle l'épierrement serait à l'origine du matériau nécessaire à la construction des aménagements agricoles en pierre sèche. Il met en avant, comme source du matériau, la pratique du dérochement – l'action de rompre et extraire la roche à l'aide des méthodes et outils des carriers – lors de la création de nouvelles parcelles.

Il rappelle le rôle du mouvement de défrichement, commencé à la fin du XVIIIe siècle, dans la naissance des aménagements agricoles en pierre sèche : à Nieigles, ce mouvement a continué jusqu'après le Second Empire, parallèlement à l'augmentation de la population. Les travaux de conquête des terres marginales se sont même poursuivis jusque vers 1930 en certains endroits du sud de l'Ardèche.

Quelque 80 ans plus tard, ces « paysages de pierre - paysages de vie » ainsi que les appelle l'auteur, nous frappent par leur faible durée de vie et leur abandon rapide, comme une ultime et éphémère tentative de nourrir tous les enfants du pays.


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© CERAV
Le 7 août 2008 / August 7th, 2008

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
compte rendu de Michel Rouvière, À Nieigles, les ouvrages en pierre sèche et l'évolution du paysage, dans Revue du Vivarais, t. CXII, No 2, fasc. 774, avril-juin 2008, pp. 135-148
http://www.pierreseche.com/recension_18.htm
7 août 2008

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