RECENSION 2 / REVIEW 2 LES FAISEURS DE CHAMPS DU COIRON Parution initiale dans L'Architecture vernaculaire, tome 20, 1996
Jacques Avias, Les « faiseurs de champs » du Coiron (aux XVIIIe et XIXe siècles), dans Revue de la Société des enfants et amis de Villeneuve-de-Berg, No 52, n. s., 1996, pp. 37-41 (compte rendu : Christian Lassure). Nous remercions M. Michel Rouvière de nous avoir signalé cet excellent article où M. Jacques Avias, président de l'Université libre du Vivarais, remet les pendules à l'heure à propos d'une profession qui a connu son heure de gloire sous le Second Empire et dont il a connu un des derniers représentants, les « faiseurs de champs ». C'est un simple résumé de ce texte que nous livrons ici au lecteur. Les faits relatés parlent d'eux-mêmes. Si la presque totalité des terres cultivables du massif du Coiron en Ardèche a subi de la part de l'homme des remaniements plus ou moins importants, contrairement à une idée répandue ce n'est pas du Moyen Âge que datent nombre de ces « champs », mais de la période 1850-1880, apogée d'un mouvement commencé avec les défrichements monastiques autour de l'an mil. Au XIXe siècle, l'extension des terres cultivables a été due essentiellement à deux facteurs : - le surcroît démographique, qui a obligé les populations à étendre au maximum le domaine des terres cultivables pour augmenter la quantité des céréales panifiables et supprimer les famines, - l'augmentation des débouchés de la production agricole à partir de 1850, permise par le développement du chemin de fer et du réseau routier et par les accords commerciaux avec l'Angleterre en 1860. Cette dernière évolution se traduit par une prospérité économique pour les paysans, qui voient les prix de leur production augmenter considérablement; ainsi, de 1848 à 1875, le cours du froment passe de 15 F l'hectolitre à 30 F, le prix du beurre augmente de 90%, etc. La production agricole passe de 8 milliards de francs en 1850 à 14,5 milliards de francs en 1880. Les salaires et les revenus agricoles augmentent également : l'ouvrier agricole dans l'Aisne gagne 2,25 F en 1870 contre 1,25 F en 1850, les vignerons voient en 20 ans leurs revenus croître de 120%. Le nombre des propriétaires agricoles passe de 10 millions en 1826 à 14 millions en 1884, et le prix des terres ne fait qu'augmenter. C'est l'âge d'or de la paysannerie française, ainsi que l'évoque Jacques Marseille dans un livre paru en 1987 (1). Pris d'une véritable fièvre devant les bénéfices réalisables, la population paysanne (qui représente alors les trois quarts de la population française) s'est mise à produire de plus en plus, en particulier en augmentant les surfaces cultivables aux dépens des landes et des bois. On a estimé qu'en 20 ans, de 1850 à 1870, dans l'ensemble de la France, la surface cultivée s'était accrue de 1 500 000 hectares ! D'où, au Coiron, comme dans le reste de la France, la création de nombreux champs nouveaux non seulement par les paysans eux-mêmes (en hiver) mais aussi par des « faiseurs de champs » engagés par des propriétaires. L'auteur cite deux exemples, concernant des propriétés dont il a hérité. Le premier a trait à sa propriété de La Soulière, à La Prade, commune de Freyssenet-en-Coiron, où la tradition orale familiale conserve le souvenir d'un aïeul (à une période peut-être antérieure à 1850) qui avait fait appel, pour augmenter la surface arable disponible, à des « faiseurs de champs », groupes de deux ou trois hommes, équipés de barres à mine, de pioches, de pelles et de brouettes, qui proposaient leurs services pour transformer une lande ou un bois en champ. Les conditions étaient les suivantes : pendant deux ans, les hommes étaient logés (au grenier à foin) et nourris, et très faiblement rénumérés, mais, à la fin du contrat, ils avaient droit à la valeur totale de la première récolte de céréales produites sur le nouveau champ. Le deuxième exemple concerne une « faiseur de champs » que l'auteur a connu à l'âge de 12 ans, le père Teston, qui vivait sur une propriété située sur le flanc nord du massif du Coiron dominant Privas. Cet ancien, âgé de 80 ans, lui raconta, qu'après la défaite de 1870 et sa démobilisation, il avait accepté, avec deux ou trois collègues, de « faire les champs » d'une nouvelle ferme, dite du « Travers de Boulaigue », créée par un certain monsieur Varenne, de Privas, au sud-ouest du hameau de La Prade. D'après les dires du père Teston, la création d'un champ se faisait en trois phases. 1/ Après la délimitation de l'espace de bois ou de lande à transformer en champ, la première étape consistait à couper les arbres, à arracher les souches et à brûler les branchages et les buissons. On décidait également, en fonction de la pente, de créer ou non des terrasses, dont on matérialisait le tracé sur le terrain. 2/ Commençait alors le plus gros du travail, à savoir la réduction des affleurements rocheux éventuels et l'épierrage du terrain, rendus indispensables par la géomorphologie du Massif du Coiron où l'on trouve des pierres non seulement sur les coulées de basalte mais aussi sur les cinérites et scories sous-jacentes, où elles sont arrivées par gravité ou à la suite des processus de gélifraction et de solifluxion périglaciaires quaternaires. Les blocs et pierres enlevés étaient alors déposés soit aux limites du futur champ (en tas plus ou moins allongés), soit à l'intérieur du champ (dans de grands pierriers), ou bien servaient à édifier les murs de pierre sèche périphériques ou les murs de soutènement des terrasses. En périphérie, les murs étaient souvent doubles, l'espace entre mur externe et mur interne servant à recueillir la pierraille non susceptible d'être employée à l'édification des murs. Dans ces murs étaient réservés des abris hémi-circulaires, parfois couverts de genêts, où l'on pouvait faire du feu (2). C'est lors de cette phase que les faiseurs de champs, quand ils découvraient un filet d'eau, le canalisaient dans un drain couvert de pierres plates qu'ils faisaient le plus souvent aboutir au pied d'un des murs les plus en aval, ce qui donnait une « source » en réalité artificielle. 3/ La troisième phase consistait à répartir sur les surfaces ainsi préparées une couche de terre arable de 40 à 50 cm d'épaisseur au moins, susceptible d'être labourée. Cette opération entraînait, sur les lieux mêmes, des transferts importants de terre et, au besoin, des apports de terre provenant d'ailleurs. Enfin, un hersage généralisé suivi d'un nouvel épierrage clôturaient le travail. Il ne restait plus qu'à procéder au premier semis céréalier (froment ou seigle généralement). Le résultat de ces pratiques a été de transformer un espace naturel non fragmenté de bois ou de lande en une mosaïque de parcelles séparées les unes des autres par des édifications de pierre sèche. La fin de la deuxième guerre mondiale a vu l'abandon progressif de cette mosaïque de terrains et l'écroulement des murs de pierre sèche. Le temps des « faiseurs de champs » n'est plus qu'un souvenir. NOTES (1) Jacques Marseille, Les paysans. 1850-1880, un certain âge d'or, Éd. Atlas, 1987, 143 p. (2) M. Avias parle d' « abris de bergers » à leur sujet, ce qui est en contradiction avec la destination du futur champ : comment nos défricheurs, amenés à travailler de longs mois sur place, ne se seraient-ils pas bâti des guérites pour s'abriter ? En revanche, l'auteur a raison de souligner que les bergers pratiquaient l'épierrage dans les landes seulement pâturées, de façon à accroître la surface enherbée, ce qui explique que l'on rencontre pierriers et murs en pierre sèche dans des landes qui n'ont jamais été cultivées. Article résumé par Christian Lassure Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure Parution initiale dans L'Architecture vernaculaire, tome 20, 1996
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