RECENSION 4 / REVIEW 4 LA MURAILLE DE LA PESTE Parution initiale dans L'Architecture vernaculaire, tome 17, 1993
Danièle Larcena et al., La Muraille de la Peste, Les Alpes de Lumière, No 114, septembre 1993, 84 p. (coédition Les Alpes de Lumière et Pierre Sèche en Vaucluse; adresses respectives : 1/ Salagon - 04300 Mane; 2/ La Cornette - 84800 Plan de Saumane) (compte rendu : Christian Lassure). De 1986 à 1992, l'association Pierre Sèche en Vaucluse a mené a bien l'étude et le relevé du fameux Mur de la Peste dont il est invariablement fait état dans toute monographie qui se respecte sur les constructions en pierre sèche en Vaucluse. Une partie du mur, accessible aux promeneurs, a même été restaurée à des fins didactique et touristique.
Un livre, coédité par cette association et le célèbre mouvement culturel provençal Les Alpes de Lumière, fait le point des recherches et des découvertes relatives au mur. Comme il se doit, l'ouvrage commence par un très riche historique de la Peste de 1721 et de ses conséquences, rappel qui permet de comprendre les conditions qui ont vu l'édification et l'utilisation de la Muraille. La décision de construire le Mur de la Peste (ou « muraille de la ligne » comme on l'appelait alors) fut prise en 1721 par l'État d'Avignon et le Comtat Venaissin, tous deux terres pontificales, à la demande de la France pour arrêter la propagation de la peste venant de Provence. Il s'agissait de compléter la « ligne » sanitaire mise en place le long de la rive droite de la Durance, par un deuxième cordon à l'Est, entre la Durance et le Ventoux, cordon dont une portion serait en dur. Le tracé du mur fut confié à l'architecte carpentrassien Antoine d'Allemand. Le mur devait traverser le plateau de Vaucluse depuis le col de Lagas, près de Monieux, jusqu'à la combe entre Lagnes et Cabrières. Il était prévu d'une hauteur de six pieds (1,95 m) et d'une largeur de deux pieds (0,65 m). De Cabrières jusqu'à la « ligne de la Durance », au lieu dit Saint-Ferréol en aval de Mérindol, on devait construire un fossé de six pieds de largeur et autant de profondeur, longeant un parapet de terre. Une série de barrières permettant le contrôle des voies principales devait compléter ce dispositif. Au début de la construction de la « muraille de la ligne » en mars 1721, chaque communauté est tenue de fournir un certain nombre d'ouvriers qui doivent apporter leurs outils (marteau, cordeau, pelle, pic). Les maçons, ou « faiseurs de murailles », sont logés dans les villages en amont de la « ligne ». Devant la lenteur d'avancement des travaux et le faible zèle des communautés à fournir des travailleurs, les autorités modifient l'organisation du chantier en mai : chaque village, en fonction de son importance, est chargé de l'édification d'une portion de l'ouvrage; les ouvriers sont payés à la canne de muraille faite et non plus par jour fait. Fin juillet, un millier de soldats comtadins surveillent la totalité de la muraille et du fossé enfin achevés. Le Dauphiné et le Languedoc lèvent leurs barrières et le commerce peut reprendre entre le Comtat et le royaume de France, excepté avec la Provence. Mais, fin août, la peste se déclarant à Avignon, les troupes royales remplacent les troupes pontificales pour contrôler le passage du Comtat à la Provence et assurer la protection du pays d'Apt récemment débarrassé du fléau. Ironie du sort, la muraille construite laborieusement par le Comtat pour se protéger de la Provence, sert à cette dernière pour se garder du Comtat. Grâce à Pierre sèche en Vaucluse, le tracé, la morphologie et la structure de la Muraille de la Peste sur les 25 km le long desquels elle chemine à travers les Monts de Vaucluse, sont désormais mieux connus.
Les matériaux de construction sont des blocs de calcaire urgonien, extraits sur place, massifs, mal formés, ne permettant qu'un assemblage irrégulier, parfois bancal, agravé par la médiocrité du travail des tâcherons requis de force et œuvrant dans la hâte et l'urgence. Résultat de cette construction bâclée : le mur ne conserve nulle part sa hauteur d'origine et, en certains endroits, il a même entièrement disparu du fait des cultures ou des reboisements. Pour la commodité du relevé, le mur a été découpé en autant de sections qu'il comporte de changements d'orientation. Pour chaque section, les constructions annexes (destinées à la vie quotidienne des gardes du mur) ont été relevées. Il s'agit de guérites et d'enclos. Au nombre de 40, les guérites sont des édifices en forme de fer à cheval, non voûtés, disposés à 2,5 m du mur, leur ouverture étant tournée vers celui-ci. Leur couvrement : sans doute poutres et branchages ou tuiles. Au nombre de 50, les corps de garde sont des cabanes rectangulaires, non voûtées, qui devaient abriter de petites unités de soldats, probablement de 5 à 6 hommes. Une dizaine de cabanes, formées de deux bâtiments jumelés, abritaient vraisemblablement, outre les hommes, le matériel et les provisions. L'alternance relativement régulière des guérites et des corps de garde correspond à une organisation en petites unités de soldats affectées à la surveillance d'une section.
Au nombre d'une vingtaine, les enclos se rencontrent sur le plateau uniquement. Ils sont accolés le plus souvent au mur, avec parfois une petite cabane-abri dans un angle. Dimensions : longueur moyenne 10 m, largeur moyenne : 6,5 m, épaisseur : 0,80 m. Destination : entrepôts de vivres et de fourrage pour les chevaux et mulets qui acheminaient le ravitaillement et l'eau. On note enfin des cabanes de forme irrégulière et à destination inconnue, souvent adossées au mur et peut-être postérieures à sa construction (cabanes de chasseur, abris ?).
Les constructions, de par leur implantation, se répartissent en trois ensembles : - de Bourbourin à Lauzas, guérites et corps de garde en ordre serré; - de Lauzas au col de la Ligne, guérites et corps de garde moins nombreux, auxquels s'ajoutent des enclos; - du Col de la Ligne au Pas du Viguier, guérites et corps de garde en bonne densité. L'explication de ces différences est à rechercher, pour le 1er ensemble, d'une part dans la présence de points de passage fréquentés et, partant, dans la nécessité d'un nombre accru de soldats pour le contrôle, d'autre part dans la proximité des villages qui permettait des ravitaillements fréquents et, par conséquent, de se passer d'entrepôts. Sur le plateau isolé et moins passant, le contrôle était plus simple mais les acheminements étaient plus coûteux, d'où la présence de grands enclos pour garder des bêtes de charge en permanence. La majorité des bâtiments, et en particulier des guérites, se trouvent du côté provençal. Explication : les Comtadins, en retard dans l'édification du mur, n'auraient construit que quelques corps de garde et enclos en juillet 1721, avant d'être relevés en août par les soldats français, lesquels se construisirent des abris, mais du côté provençal. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure Parution initiale dans L'Architecture vernaculaire, tome 17, 1993
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