UN ABSURDE CRITÈRE DE SÉLECTION EN MATIÈRE DE CONSERVATION :

LA « REPRÉSENTATIVITÉ » DES TÉMOINS

 

An outlandish criterion in singling out buildings to be conserved:

"representativeness"

 

Christian Lassure

 

Éditorial du tome XIV, 1990, de la revue L'Architecture vernaculaire

C'est une évidence reconnue que toute époque économiquement faste se traduit immanquablement par une grande activité constructrice ou rénovatrice. De nouveaux bâtirnents surgissent en nombre, des pans entiers du parc immobilier existant sont reconstruits. Il y a construction ou reconstruction en masse, généralement à partir de modèles correspondant aux nouveaux modes de vie qui s'affirment et aux nouvelles techniques constructives disponibles. Les bâtiments de type ancien atteignent ainsi le terme d'une « durée de vie » qui, si elle n'est pas planifiée au depart, n'en est pas moins délimitée par l'évolution économique et technique. Les survivants des types anciens seront devenus obsolètes, dépassés, et de toute manière seront en sursis. Ils auront perdu toute « représentativité » au profit des exemplaires des types nouveaux.

On comprend dès lors, qu'une notion telle que la « représentativité » ne saurait servir de critère à une politique de conservation véritablement scientifique. Ne s'intéresser qu'à des spécimens des types architecturaux dominants en 1990, cela revient à se préoccuper uniquement des bâtiments ayant surgi lors des grandes périodes constructives du XIXe siècle et, par voie de conséquence, à exclure de toute politique conservatoire les survivants des types architecturaux antérieurs.

Pour prendre une comparaison parlante, supposons que la France décide en 1990 de se doter d'un musée national de l'automobile. Si les responsables de ce futur musée décidaient de prendre comme critère de sélection la « représentativité » d'un modèle au sein du parc automobile existant, seuls des spécimens des modèles les plus répandus dans les années 85-90 (compte tenu de la durée moyenne de vie d'un modèle) trouveraient le chemin des salles d'exposition. Une 2 CV Citroën des années 60-70 ? Pas représentative du parc automobile actuel, donc à exclure. Une 4 CV Renault des années 50-60 ? La question ne se pose même pas. Et ainsi de suite. Se trouveraient exclus par conséquent de toute mesure conservatoire, de rares survivants de types autrefois très répandus, voire majoritaires ! Avec cette interpolation à l'automobile, l'absurdité de prendre la « représentativité » comme critère de sélection, saute aux yeux.

Enfin, la constatation qu'un type naît, se développe et meurt, qu'il a une « durée de vie » en tant que type, implique qu'il est illusoire de croire que la restauration de témoins va résoudre le problème de la survie d'un type. La restauration d'une maison paysanne ou villageoise pour servir de résidence secondaire est déjà en soi une reconstruction et une transformation en un type nouveau. De plus, le temps et les générations passant, même l'ex-maison rurale devenue résidence secondaire connaîtra un terme à son existence, soit qu'elle soit ruinée ou démolie, soit qu'elle soit reconstruite une nouvelle fois. En dehors du musée de maisons à l'européenne, on voit donc mal comment conserver scientifiquement et durablement des spécimens.


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© CERAV

À citer comme suit / To be referenced as :

Christian Lassure
Un absurde critère de sélection en matière de conservation :la « représentativité des témoins» (An outlandish criterion in singling out buildings to be conserved: "representativeness")
http://www.pierreseche.com/representativite.htm
25 septembre 2002
(tiré de l'éditorial du tome XIV, 1990, de la revue L'Architecture vernaculaire)
 

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