COMPTE RENDU 25 / REVIEW 25 RUINES DE VILLAGES BÂTIS À PIERRE SÈCHE ET ABANDONNÉS Parution initiale dans L'Architecture vernaculaire, t. 5, 1981, pp. 86-88 Pierre-Francois Fournier, Recherches sur l’histoire de l’Auvergne, 2/ Ruines de villages bâtis à pierre sèche et abandonnés, dans Bulletin historique et scientifique de L’Auvergne, 1979, t. LXXXIX, pp. 265-311, 4 figs., 2 pl. de photos (compte rendu : Christian Lassure) Pierre-François Fournier est l’un des rares chercheurs qui, en Auvergne, se soient penchés avec sérieux sur les constructions bâties à pierre sèche, qu’il s’agisse des abris à usage temporaire des défricheurs-cultivateurs des XVIIIe et XIXe siècles ou des ruines d’anciens villages et hameaux du bas Moyen Age ou du début des Temps Modernes. Dès 1932, dans une courageuse et remarquable étude (1), il rétablissait la vérité historique relative aux cabanes voûtées par encorbellement des Côtes de Clermont, qu’un certain nombre de plaisantins locaux, selon un scénario désormais classique, s’étaient évertués à faire passer pour celtiques. À partir de la même époque, P.-F. Fournier se mettait également en devoir de publier un certain nombre de rappels et de mises au point concernant la datation basse du deuxième type de vestiges, les prétendues « cases » en pierre sèche de l’Auvergne, à propos desquelles, en 1912, le grand archéologue Joseph Déchelette avait fait une mise au point officielle mettant un terme aux divagations des érudits celtisants du siècle dernier (2). Cette nouvelle étude sur les « Ruines de villages bâtis à pierre sèche et abandonnés », publiée en 1979, constitue l’aboutissement des recherches de l’auteur sur ce sujet (3). Portant sur huit localités, l’étude établit pour chacune d’elles son évolution toponymique et sa période d’occupation, ce à l’aide des « documents de la pratique » (« nommées », « reconnaissances », ventes, terriers, état civil, etc.) auxquels P.-F. Fournier a eu accès dans sa longue carrière d’archiviste. Préalablement à la citation des mentions rencontrées, l’historique des recherches et publications concernant chaque site est brièvement rappelé. Nous résumons ici l’essentiel de ces huit dossiers. 1/ Villard (commune d’Orcines). Dates : XIIIe-XIVe siècles. Groupe d’habitations à pierre sèche entre Villard et le Cheix . Pièces rectangulaires ou carrées, évidées en creusant dans l’amas des pierres d’une « cheire » (ancienne coulée volcanique). Fouilles de 1873 à 1877 par A. Julien et F. Bleynie de Chateauvieux, ayant livré un matériel médiéval ou moderne. Publication en 1926 du Dr. Gaston Charvilhat. Pas de mentions rencontrées (peut-être s’agit-il d’un simple quartier de Villard ?). 2/ Montrognon (communes de Romagnat et de Ceyrat). Dates : vers 1200-1396. Ruines d’un vllage près des vestiges du château de Montrognon. Constructions à sec mais, par endroits, traces de chaux. Etymologie : « Mons rugosus » = mont « rogneux », hargneux. 3/ La Gourbie (commune de Vodable). Dates : 1317-1406. Ruines au sud-ouest de Vodable. Trente-sept pièces, réparties en cinq groupes le long d'un chemin. Murs de certaines pièces assis sur des pierres de grandes dimensions ; tout le reste en pierres brutes, non jointoyées (ép. des murs : de 0,90 m à 1 m). Pièces rectangulaires ou carrées, de 10 m 2 à 50 m 2, et attenant les unes aux autres dans chaque groupe. Quelques pièces communiquent. Une seule fenêtre notée. Des placards réservés dans les parois. Aucune trace de cheminée, ni de conduit de fumée, ni de tuiles. Ruines notées par J.-B. Biélawski en 1887 (« los chazau de la Gourbi »). Fouilles de Passion, en 1909, portant sur deux pièces contiguës, l’une dallée de grandes pierres plates, l’autre au sol de terre battue. Levé des ruines entre 1933 et 1939 par l’auteur (plan de situation et plan des ruines annexés à l’article, ainsi que quatre photos des fouilles) : pièces d’habitation, étables, granges, cours, formant entre six et huit foyers. Etymologie : la Gobria, la Grobia, la Gorbrière, d’un radical « gorb » ou « gorba », panier, corbeille, hotte ou tas, meule de gerbes. 4/ Montcelet (commune de Vichel). Date : 1425. Village ruiné, établi au pied du château de Montcelet. Plusieurs dizaines de pièces en pierre sèche, de 4 à 6 m de côté, s’élevant de 1 à 2 m du sol. Etymologie : Montcelles en 1425 ; Montcellet est le produit d’une double suffixation : -ellum + -ittum. 5/ Ville Vieille (commune de Saint-Pierre-le-Chastel). Dates : 1284-1560. Le groupe d’habitations à pierre sèche le plus connu d’Auvergne. Sur l’extrémité de la coulée du Puy de Come. Murs épais, en pierres brutes et sans liant, déterminant des surfaces carrées ou rectangulaires, groupées les unes à côté des autres. Fouilles de A. Julien et de F. Bleynie de Chateauvieux en 1878, ayant livré des poteries médiévales ou modernes, des deniers des évêques de Clermont-Ferrand et du Puy. Village étudié par Pierre Charbonnier en 1965 (4). Nom propre donné par les érudits du siècle dernier : « Les Chazaloux », employé également comme nom commun servant de terme générique (« les chazaloux d’Auvergne »). Etymologie : de « chazal », « chezal », bâtiment en ruines. Des terriers de 1427 et de 1558 parlent d’« hôtels », de « maisons », de « chezaux », « etables », « pourcial », « feniereyrial », « granges », etc. 6/ Chignore (commune de Vollore-Ville). Dates : XIIIe siècle-1600. Restes de murs à pierre sèche sur le sommet du Puy de Chignore. Fouilles du Dr. Félix Planat, publiées en 1874. Trouvailles : poteries médiévales ou modernes, denier ou obole des évêques de Clermont (XIIe-XIVe siècles). S’agit-il d’habitations au pied d’une motte, d’un ancien château ? 7/ Belveser (commune de Ternant). Dates : 1315-1759. Sept bâtiments rectangulaires et une petite loge répartis autour d’une cour. Murs en pierres de très gros calibre. Nom dans le pays : château de Belvezer. Il s’agit d’un ancien domaine et de sa métairie. Fig. : extrait du plan cadastral du XIXe. 8/ Huminières (commune de Marengheol-Lembron). Dates : 1330-1774. Ruines de quelques bâtiments, réparties en deux groupes. Dans un bâtiment, des murs de 1,30 m d’épaisseur délimitant une surface de 7,80 m sur 5,10 m. Dans un autre, traces de support d’un plancher. Des traces de jointoiement en terre, voire à la chaux. Tessons médiévaux ou modernes. Etymologie : dérivé d’« ulmus », orme (le « h » est une lettre ornementale). Dans ses conclusions, P.-F. Fournier note, pour au moins deux des localités, l’« attraction exercée par un château-fort sur les populations du Moyen Age ». Il pose également la question du rapport entre l’« établissement » de cinq localités « à la périphérie des territoires paroissiaux » et « une extension des terroirs cultivés ». En annexe, l’auteur précise le sens exact du terme « chazal », « chezal », à l’aide de mentions d’archives (« villaige … en ruynes et chazaulx », « chezal que soulloit estre grange », « un chezal de maison » etc.). Manifestement, un « chazal » est un bâtiment ruiné dont il ne reste plus que les quatre murs, plus ou moins hauts. Le terme est encore en usage dans la langue vernaculaire contemporaine. C’est également un toponyme dans le Puy-de-Dôme et le Cantal, ainsi qu’un anthroponyme (étymologie : de l’adjectif latin « casalis » pris substantivement, par le biais du roman « casal », maison). L’importante contribution de M. P.-F. Fournier à la connaissance des villages médiévaux et post-médiévaux abandonnés d’Auvergne, nous suggère plusieurs remarques. Tout d’abord, apparaît l’urgente nécessité d’une fouille exhaustive d’une de ces localités, le recours aux archives ayant montré ses évidentes limites pour ce qui est de la description matérielle des témoins architecturaux. Bien plus, depuis les fouilles, forcément incomplètes et sommaires, du siècle dernier, les bâtiments ont continué à se détériorer, à s’enfouir sous leurs ruines propres et sous la végétation, ce qui amenuise considérablement les possibilités de trouver des traces des parties en étage et des communications et, partant, d’interpréter correctement les plans au sol, les fonctions et la distribution. Ensuite, des sondages effectués sur plusieurs des villages devraient permettre de connaître de façon précise les techniques de maçonnerie employées à la construction des murs (présence de boutisses, de chaînages, de fruits : types d’appareillages, etc.) et si elles ont connu une évolution. Ces fouilles et investigations devraient bénéficier de toute la publicité souhaitable non seulement en Auvergne même mais encore et surtout au niveau national. Le mythe des « cases (sic) en pierres sèches d’Auvergne », amalgamant allègrement abris de cultivateurs subactuels et ruines de villages médiévaux et post-médiévaux, est encore vivace, malgré toutes les mises au point scientifiques qui se sont succédées depuis Joseph Déchelette. A preuve la toute récente Histoire de la France Rurale … (5). NOTES (1) Pierre-Francois Fournier, Les ouvrages de pierre sèche des cultivateurs d’Auvergne et la prétendue découverte d’une ville, dans L’Auvergne Littéraire et Artistique, no 68, 1933, pp. 5-34 et figs. I à XXXIX ; L’archéologie en Auvergne, depuis la protohistoire, recherches et problèmes, dans 68e Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, 1949, Clermont-Ferrand, pp.117-126, en part. pp. 124-125 (brève mise au point concernant les dates des prétendues « cases en pierres sèches » et des abris de laboureurs ; Nouvelles recherches sur les origines de Clermont-Ferrand (ouvrage collectif, en collaboration avec Emile Desforges, Gabriel Fournier, Jean-Jacques Hatt, Franck Imberdis), Institut d’études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, en part. pp. 403-406 (très bref rappel de l'affaire des Côtes de Clermont lancée par Busset, reprise par Eychart et ses acolytes). (2) Joseph Dechelette, les « cases » en pierres sèches de l’Auvergne, dans Bulletin Archéologique du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1912, pp. 3-19. (3) P.-F. Fournier, Notes bibliographiques pour servir à l’histoire de l’Auvergne, 5e série, 1934, dans Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, t. LV, 1935, pp. 76-78 , en part. note 73 ; L’érection de Villeneuve-Lembron en paroisse, dans Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, t. LVI, 1936, p. 185, en part. note 14 ; L’archéologie en Auvergne…, op. cit. en note 1 ; (sur une autre région que l’Auvergne) Le Massounayre, un hameau abandonné du Causse noir, dans Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1953-1954, pp. 189-199. (4) Pierre Charbonnier, Les villages disparus de la région des Dômes, dans Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1968, pp. 357-376. (5) Cf. comptes rendus dans L’architecture vernaculaire rurale, revue du C.E.R.A.R, suppl. no 2, 1980, pp. 112-114, et t. IV, 1980, pp. 150-151. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV À citer comme suit / To be referenced as : Christian Lassure Ruines de villages bâtis à pierre sèche et abandonnés
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