Christian Lassure
Résumé Les cartes postales anciennes font surgir du passé un panorama inédit des cabanes en roseaux qui, depuis les Bouches-du-Rhône jusqu'aux Pyrénées-Orientales, servaient encore d'habitations temporaires aux pêcheurs languedociens et roussillonnais dans les premières décennies du XXe siècle. Sur le plan architectural, un type éclipse tous les autres par son côté spectaculaire : la grande cabane bi-absidiale. Déjà bien attestée sur le littoral roussillonnais et audois, elle l'est désormais aussi haut qu'à Valras-Plage dans l'Hérault, ce qui indique que le type n'était pas uniquement catalan. Moins spectaculaire, le type mono-absidial apparaît principalement dans les cartes postales de Marignane dans les Bouches-du-Rhône mais l'on sait qu'il a existé également sur la côte roussillonnaise. Un 3e type, celui de la cabane de plan rectangulaire, est présent en plusieurs exemplaires sur le littoral du Roussillon et en un seul exemplaire sur le littoral de l'Hérault. Abstract Vintage postcards conjure up from the past a unique panorama of the reed-thatched huts that were still used, from the Bouches-du-Rhône down to the Pyrénées-Orientales shores, as temporary dwellings by Languedoc and Roussillon fishermen in the first decades of the 20th century. Architecturally, a spectacular type of hut overshadows all the others: the large bi-apsidal hut. Besides being an already well-documented structure on the Roussillon and Aude coast, it is now also attested as far up the coast as Valras-Plage in the Hérault, which means the type was not just Catalan. A less spectacular type is the mono-apsidal hut which is encountered mostly in postcards of Marignane in the Bouches-du-Rhône. It also used to be found on the Roussillon coast. A third type, a rectangular hut, is present in several parts of the Roussillon coast while only one specimen is found on the Hérault coast.
Introduction Dans la section V (« Cabanes et maisons de pêcheurs en Camargue ») de notre étude intitulée « L'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle d'après des cartes postales et photos anciennes » (1), nous évoquions la présence ancienne de cabanes végétales dans les zones palustres du littoral du Golfe du Lion, depuis les Bouches-du-Rhône jusqu'aux Pyrénées-Orientales. Cette présence a perduré jusque dans la première moitié du XXe siècle, voire au-delà, ainsi que l'attestent les nombreuses publications ethnologiques et articles de journaux qui leur ont été consacrées mais aussi quelques rares cartes postales. Ces dernières concernent les départements des Bouches-du-Rhône, de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. Pour le département du Gard, qui n'a qu'une petite façade maritime (avec Aigues-Mortes), aucune carte n'a fait surface jusqu'ici. Cependant, on sait que des cabanes ont existé autour d'Aigues-Mortes au XIXe siècle : sur une gravure de la Tour de Constance dans Voyages pittoresques et romantiques dans l'Ancienne France (1833-1836), on aperçoit les croupes de deux cabanes disposées côte à côte.
Ces cabanes végétales, généralement groupées en hameaux, avaient attiré l'attention de peintres paysagistes dans le courant de la deuxième moitié du XIXe siècle. Ainsi, Gustave Courbet avait peint, en 1857, un tableau intitulé « Souvenir des Cabanes », où figurent quelques cabanes de pêcheurs situées à l'embouchure du Lez, près de Pérols, non loin de Palavas dans l'Hérault (2).
Avant lui, en 1847, un paysagiste lyonnais nommé Veyrat, avait envoyé à l'exposition de la Société des amis des arts un tableau de cet hameau dit « Les cabanes », toile qui avait suscité ce commentaire dans la presse : « Les Cabanes, cette petite colonie habitée naguère par quelques pêcheurs ignorés, où l'on ne trouvait ça et là que de frêles chaumières protégées par un fossé verdâtre creusé dans le sable, est menacée de perdre bientôt le caractère de son originalité native. Dotées depuis peu d'un bureau de tabac, d'un agent de police et de tous les grands bienfaits de la civilisation, les Cabanes vont devenir un vrai village. Déjà le chaume disparaît pour faire place au moellon qui s'aligne; le pêcheur fume le cigare de Tonneins et joue au billard. Il gagne en bien-être ce qu'il perd en allures pittoresques. Hâtez-vous donc, artistes qui aimez la nature telle que Dieu nous l'a donnée ! Hâtez-vous d'écrire sur vos albums quelques pages de mœurs de cette petite peuplade ! Il y a encore de jolies marines à rapporter de cette excursion peu lointaine. Encore un peu de temps, et vous n'aurez plus qu'une plage maussade à étudier et une mer bleue sans premier plan» (3).
Décrit comme déjà en perdition en 1847, ce hameau semble avoir cédé la place, quelque 26 ans plus tard, en 1863, à l'ébauche de la station balnéaire de Palavas : « Il y a trente ans à peine, à quelques mètres en avant du grau du Lez, isolées comme le vieil édifice de Maguelone, quelques cabanes, que venaient visiter parfois des chasseurs-canotiers descendant la rivière, se distinguaient disséminées sur l'emplacement de Palavas. Aujourd'hui, cette commune, où le syndic de mer exerce par privilège son autorité, compte près de six cents habitants, et, pendant la saison d'été, baigneurs et baigneuses viennent s'y réunir par milliers, dans l'espoir de ranimer des forces languissantes chez de frêles enfants » (4).
On a affirmé l'existence d'une filiation entre ces cabanes des temps modernes et celles des habitats néolithiques (5). Pourtant les jalons manquent entre les habitations d'il y a plusieurs millénaires, révélées par la fouille, et les cabanes légères pour les besoins de la pêche dont la construction est autorisée sur le terrain maritime par l'ordonnance de Colbert en 1691 (6). De plus, les cabanes modernes sont un habitat temporaire (qui vient en complément de la maison au village) alors que les cabanes néolithiques devaient être un habitat permanent. Et les outils des constructeurs à plusieurs milliers d'années de distance ne font pas appel aux mêmes matériaux.
À notre connaissance, le plus ancien « jalon » est une carte ancienne du sud-est de la Camargue de 1534, sur laquelle est figuré, à l'embouchure du Rhône, un groupement de cabanes dont certaines sont allongées et d'autres rondes, sous un toit de sagne pointu (7). La construction de cabanes de sagne est donc établie dès le XVIe siècle, même si l'un des types architecturaux présents à l'époque (la cabane ronde) ne réapparaît plus par la suite.
À notre avis, c'est à l'autorisation administrative donnée par Colbert en 1691 qu'il faut fixer le début de la période faste des cabanes de roseaux en tant qu'habitations temporaires de pêcheurs sur le littoral languedocien et roussillonnais. Si l'on manque de renseignements précis sur l'importance du mouvement de construction au XVIIIe siècle – des cabanes sont mentionnées à Aigues-Mortes sur un plan de 1753, il semble que le temps fort de leur construction commence au tout début du XIXe siècle, sous le 1er Empire : à Palavas (Hérault), il y a 7 ou 8 cabanes en 1808, elles sont au nombre de 12 sur le cadastre en 1811; la même chose se constate pour Bages et Sigean (Aude) (8). Si le XXe siècle a été incontestablement leur âge d'or, le XXe siècle voit l'amorce de leur déclin après la Première Guerre mondiale. Les cabanes de pêcheurs encore en roseaux disparaissent progressivement du littoral des Bouches-du-Rhône et de celui de l'Hérault, puis à partir des années 1950 du littoral de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. Ironie du sort, c'est une décision administrative, prise dans le cadre de l'aménagement touristique de la côte, qui portera un coup fatal aux dernières paillottes roussillonnaises à avoir survécu, parmi les baraques de cartons et de tôles, au Bourdigou, en 1977 (9).
(1) Christian Lassure, L'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle d'après des cartes postales et photos anciennes, site www.pierreseche.com, 8 juillet 2008 - 12 avril 2009, en part. section V, Cabanes et maisons de pêcheurs en Camargue, 15 septembre 2008.
(2) Source de ces informations : Laure Gigou, Bruyas et Courbet, site Internet personnel
(3) Cf. Laure Gigou, op. cit.
(4) Cf. Laure Gigou, op. cit.
(5) Cf. Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, L'habitat en roseau traditionnel - Les barraques de sanills des pêcheurs roussillonnais, Direction régionale des affaires culturelles du Languedoc-Roussillon, consultable à l'adresse
(6) Cf. Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, op. cit. Il faut voir dans cette ordonnance de la fin du règne de Louis XIV l'origine des groupements de paillottes le long du littoral de la Camargue, du Languedoc et du Roussillon.
(7) Source de cette information : http://www.patrimoine.ville-arles.fr/arles.
(8) Cf. Christian Lhuisset, L'architecture rurale en Languedoc, en Roussillon, Les Provinciades, 1980, en part. p. 86.
(9) Cf. Maryse Lapergue, Au Bourdigou, sur la côte du Roussillon, la dernière paillotte vient de mourir, Libération, 9 mai 1983. « En 1976, les Bourdigeros étaient bien ennuyés : après plus de dix ans de pourparlers, les aménageurs de la côte les avaient convaincus de partir. Ils occupaient le domaine public ». Inventaire des cartes postales Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône)
Dans cette carte postale de la première décennie du XXe siècle, on retrouve l'anse de Saint-Gervais à Fos-sur-Mer, déjà évoquée dans notre étude sur l'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle. Le photographe a posé son appareil devant une structure plutôt fruste, tenant à la fois de l'auvent et de la cabane végétale. Edifiée dans la continuation du pignon d'une cabane en bois couverte en tôle ondulée, cette structure au toit à double pente, est fermée et couverte de claies de roseaux, à l'exception de la moitié gauche de son pignon, occupée par une porte à claires-voies articulée apparemment sur le poteau de faîte. La faible pente des versants de toiture augure mal de l'étanchéité de l'installation. Le couple abrité par ce modeste logis semble avoir été surpris dans ses occupations par le photographe : on a comme l'impression que madame compte sur une prochaine prise de monsieur, en tenue de pêcheur à la ligne, pour préparer le repas...
Marignane (Bouches-du-Rhône)
Cette carte postale est la version colorisée d'une carte déjà publiée dans notre étude sur l'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle. Il s'agit du lieu-dit La Pointe du Vallat à Marignane dans les Bouches-du-Rhône. Nous ne nous y attarderons pas outre mesure sinon pour regarder de plus près un agrandissement de la cabane sous les arbres à droite. Il s'agit d'une grande cabane dont le pignon a pour particularité d'être protégé sur un côté par une avancée semi-circulaire du versant de toiture, dispositif jusqu'ici inédit.
On retrouve ici une autre carte postale des « bords de l'étang » à Marignane, déjà publiée dans notre étude sur l'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle, sauf que cette fois-ci une inscription manuscrite en provençal, barrant le haut de la carte, vient fournir des renseignements de choix sur la fonction de l'édifice de premier plan et le nom de son propriétaire : en cas que achos pas lou quart aouras toujours la jasso de Bittarrentis (au cas où tu n'aurais pas le quart, tu auras toujours la jasse de Bittarentis). Pour qu'il n'y ait pas de confusion, l'auteur du commentaire a écrit Bittarentis en travers de la jasse en question. Le dos de la carte n'apporte pas toutefois de renseignements supplémentaires sur cette énigmatique mention.
Cette nouvelle carte postale de la Pointe du Ruisseau à Marignane (ou Pointe du Vallat comme indiqué sur une des cartes précédentes) laisse voir une petite cabane végétale dont les deux versants de toiture descendent jusqu'au sol, le versant de gauche s'avançant légèrement par rapport au pignon en guise de protection contre le vent. L'entrée se découpe dans la moitié gauche du pignon (poteau axial porteur oblige).
On devine une deuxième cabane plus à gauche, sous un bosquet d'arbres et, pour finir, le haut d'une grande cabane apparemment affaissée. La mauvaise qualité de la reproduction ne permet pas d'en dire plus.
La scène se passe encore et toujours à Marignane, au lieu-dit la Pointe du Ruisseau, au début du XXe siècle. On reste songeur quant à ce qui a pu inspirer le photographe à prendre cette vue d'un cabanon en dur, partiellement caché par des arbres rachitiques et une hétéroclite barrière en bois dont la hauteur est accentuée par le choix de la contre-plongée. De plus, la photo est penchée. Quoi qu'il en soit, cette carte nous offre le spectacle, sur la gauche du cabanon en dur, d'une petite cabane végétale dont la toiture, très basse, s'avance légèrement par rapport au nu du pignon. L'entrée se dessine dans la moitié gauche du pignon.
L'étang de Bolmon est une lagune méditerranéenne située dans la partie sud de l'étang de Berre (à l'ouest de Marignane). Le photographe a mis les deux barques au centre de son cadrage, ce faisant il a saisi la partie avant d'une grande cabane aux gouttereaux en dur et à la toiture en bâtière couverte de roseaux des marais.
Une souche de cheminée perce la toiture au tiers de la longueur du faîtage, signe de l'utilisation de l'édifice comme habitation. Derrière le rideau de tamaris, on entrevoit les deux rampants de toiture en saillie par rapport au pignon, un gouttereau blanchi à la chaux où s'ouvre une fenêtre. Le bâtiment n'est pas sans évoquer les cabanes de gardian rencontrés un peu plus à l'est, en Camargue, à la même époque, mais il est difficile d'en dire davantage, la partie arrière de l'édifice n'étant pas visible.
Dans cette autre vue de l'étang de Bolmon, on aperçoit, au centre de la carte, non pas une cabane mais une loge de roseaux en forme de bâtière, qui semble portée par des potelets très bas. Elle est disposée perpendiculairement au bras d'eau et son pignon et ses côtés sont ouverts : s'agit-il d'un hangar à embarcation ?
Toujours à l'étang de Bolmon, une loge de roseaux qui semble posée au sol pour autant qu'on puisse en juger d'après le pan visible. Ce pan de toiture est en mauvais état : les cannes horizontales qui maintiennent les roseaux en place s'en détachent.
Camargue (Bouches-du-Rhône)
Nous n'avons pas trouvé, pour la Camargue, provençale ou gardoise, de cartes postales de cabane de pêcheurs entièrement en roseaux. La cabane de gardian y est omniprésente. Celle reproduite ci-dessus, est presque entièrement végétale, à l'exception de la souche de cheminée, qui semble être en tôle, et du faîtage, qui est protégé par une rangée de tuiles creuses. L'édifice est présenté comme « Cabane de Gardien » (et non de « Gardian », terme provençal aujourd'hui de rigueur) alors que l'on ne distingue que deux chasseurs, dont l'un tient à la main le canon de son fusil posé par terre.
L'édifice est de plan et de forme classiques : - un pignon droit, servant de façade, avec une entrée légèrement décalée sur la gauche pour donner suffisamment de place à la cheminée plaquée contre la paroi intérieure;
Sous la pointe du pignon, on aperçoit le bout de la panne faîtière tandis que sous le rampant du versant de gauche, saille le bout de la poutre sablière coiffant les piquets verticaux du mur latéral.
Un banc rudimentaire, assemblé de quelques planches, se dresse à gauche de l'entrée. À droite de celle-ci et à l'angle du pignon, quelques bouts de bois plantés en terre ainsi que des roseaux forment une sorte de petit réduit (niche ?).
À défaut d'une carte postale de cabane de pêcheur, il existe cette photo prise par l'ethnologue camarguais Carle Naudot : elle montre un édifice déjà évolué puisque le pignon-façade, les murs latéraux et l'abside sont maçonnés. Sur le plan architectural, cette cabane de pêcheur est conforme au canon de la cabane de gardian classique. L'entrée s'ouvre dans la moitié gauche de la façade, un fenestron perce le mur gouttereau de droite, une chape d'enduit au mortier de chaux recouvre le tiers supérieur de la toiture de sagne (plage renforcée par une deuxième couche au niveau du faîtage). On ne distingue pas de souche de cheminée toutefois (mais l'image est mauvaise) et la saillie du chevron axial de croupe est coiffée d'une corne et non d'une croix. L'entrée est fermée par une porte en bois pleine, insérée dans une feuillure.
Agde (Hérault)
Dans cette carte postale des années 1900 (le cachet porte la date du 30-5-05) intitulée « Devant la Douane », le bâtiment en dur ainsi désigné n'apparaît qu'en deuxième arrière-plan, derrière des cabanes – faut-il dire cahutes ? – en roseaux, de facture plutôt rudimentaire. La moitié gauche de l'image est occupée par une cabane assez grossière, dotée d'une entrée en gouttereau et surmontée d'une bâtière peu pentue. On dénombre trois niveaux de cannes horizontales de fixation sur le versant de toiture visible et trois autres niveaux sur le gouttereau. Un banc semble dressé contre celui-ci. Derrière la clôture qui se déroule dans la moitié droite de l'image, on discerne deux autres cahutes, celle de gauche toute petite, celle de droite plus allongée. Comme nous sommes au lieu-dit Grau d'Agde, sur la commune d'Agde dans l'Hérault, il se pourrait bien qu'il s'agisse de cabanes de pêcheurs. Valras-Plage (Hérault)
Dans cette vue prise au début du XXe siècle à Valras-la-Plage (aujourd'hui Valras-Plage) dans l'Hérault, ce qui retient l'attention c'est le pignon d'une grande cabane en roseau, en partie dissimulé par un auvent aux parois en canisses et à la toiture de roseaux en forme de bâtière surbaissée. L'ensemble ne laisse pas l'impression d'un grande habileté constructive ni d'un entretien régulier.
Cette carte postale de la première décennie du XXe siècle (l'exemplaire figuré a circulé en 1905) conserve pour la postérité l'extraordinaire spectacle d'un hameau de grandes cabanes de roseaux qui se dressait à Valras-la-Plage (aujourd'hui Valras-Plage), vraisemblablement en bordure de l'Orb. Il s'agissait de cabanes de pêcheurs et l'on peut penser que les femmes et les enfants venus poser au bord de l'eau sont les épouses et la progéniture.
S'arrondissant en abside et croupe à chaque bout et portés par deux poteaux de fond soutenant une panne faîtière, ces grands vaisseaux de roseaux suivent tous la même orientation. Une haie de canisses sépare leur emplacement de la parcelle où se dresse une maisonnette en dur. La troisième cabane à partir de la droite montre une souche de cheminée en dur qui jaillit du versant de toiture à mi-hauteur. L'ensemble n'est pas sans évoquer les quartiers de cabanes de pêcheurs qui existaient, plus au sud, dans les départements de l'Aude et des Pyrénées-Orientales.
Dans les années 1950, soit un demi-siècle après les deux cartes précédentes, il existait encore, à Valras-Plage, au lieu-dit La Canotte (10), une cabane de pêcheurs en roseaux, si l'on en croit cette carte postale aux bords dentelés caractéristiques de cette décennie.
Cependant, il faut bien constater que cet édifice tardif n'a plus grand chose à voir avec les grandes nefs bi-absidiales groupées en hameau. Il est de petite taille, il a ses pignons rectilignes, une toiture moins pentue, une couverture formée de rangées successives de roseaux disposées à large recouvrement (à la manière des chaumières camarguaises), d'où sont absentes les grandes cannes horizontales maintenant le roseau en place. Le pignon arrière, lambrissé de rangées de roseaux, est percé d'une petite baie axiale. Le pignon avant, non visible, est manifestement le pignon-façade, précédé qu'il est d'un long auvent couvert de roseaux. Le gouttereau visible est percé d'un fenestron central.
L'auvent, formé d'une bâtière surbaissée reposant sur des poteaux, est partiellement ouvert sur les côtés. Au faîtage, les roseaux du versant opposé dépassent au-dessus du versant visible alors qu'au faîte de la cabane ils sont coupés.
(10) Du mot occitan canòta désignant une étendue de roseaux des étangs, une terre roselière.
Carnon (Hérault)
Dans cette carte postale des années 1930 montrant le pont enjambant le Canal du Midi à Carnon-Ville dans l'Hérault (aujourd'hui Carnon-Plage, sur la commune de Mauguio), l'œil exercé découvre, près de l'angle supérieur gauche, la toiture très caractéristique d'une cabane de sagne à deux absides dont la forme n'est pas sans évoquer celle des cabanes de Valras-la-Plage supra.
À cet endroit, il y avait encore, dans les années 1960, des cabanes de pêcheurs, les plus anciennes en roseau, les plus récentes en bois. Elles ont disparu depuis avec l'urbanisation de Carnon(11).
(11) Communication du vendeur de la carte postale, lequel a connu ces constructions dans sa jeunesse.
Sérignan (Hérault)
Nous ignorons ce qui est derrière l'appellation « Le Village nègre » mais nous savons ce qui est intéressant dans cette carte postale des années 1900 : la cabane en roseaux plantée derrière une grande bâtisse en dur. Avec sa forme élancée, ses deux poteaux de fond dépassant à l'apex, cette cabane fait penser aux grandes nefs bi-absidiales de Valras-Plage. Elle s'en éloigne cependant par l'absence d'abside à ses extrémités : celles-ci sont rectilignes, le plan est donc rectangulaire. Comme l'on ne voit pas de baie dans le pignon visible, on n'a guère de mal à imaginer que l'entrée se trouve dans l'autre pignon ou dans le gouttereau non visible.
Cette deuxième carte postale de « Sérignan la Plage » dans la première décennie du XXe siècle, nous fait découvrir, à l'instar de la première, une cabane végétale, mais celle-ci est de petite taille et de construction fruste. Elle est de plan vraisemblablement rectangulaire, avec un pignon-façade et un pignon-arrière (il n'y a pas d'arrondi correspondant à une abside). L'entrée, ménagée dans la partie gauche, est cachée derrière une porte en bois de récupération. Un détail surprend : la pointe du pignon-façade se prolonge par un tortillon de roseaux formant comme un épi de faîtage. Sigean (Aude)
Cette cabane bi-absidiale de Sigean dans l'Aude, fait penser irrésistiblement aux paillottes des bords de l'Orb à Valras-Plage mais elle n'est pas de la même époque : les années 1950 ici (bords dentelés), les années 1900 là-bas.
La paillotte a son entrée en gouttereau. Il fait noir à l'intérieur, faute d'autres ouvertures. Une paillotte plus petite et plus basse, de plan rectangulaire, est accolée contre l'abside de droite. Cet édicule, couvert d'une bâtière surbaissée, n'est pas étanche comme l'indique la présence d'une sorte de bâche lestée de cailloux. L'entrée est dans le gouttereau visible, elle est fermée par une porte en bois bancale.
Une autre cabane bi-absidiale, de même nature que la première, est visible dans la partie gauche de l'image. Il semblerait que les occupants des paillottes bénéficient de l'électricité (poteau électrique).
Saint-Cyprien Plage (Pyrénées-Orientales)
L'étang visible sur cette carte postale colorisée des années 1960-1970 n'est pas précisé. On note en tout cas une forte ressemblance avec la cabane précédente de Sigean dans l'Aude mais aussi avec celles du Barcarès dans les Pyrénées-Orientales infra. D'autres éditions de la carte sont toutefois plus précises : le lieu serait Saint-Cyprien Plage dans les Pyrénées-Orientales. L'étang est donc vraisemblablement l'étang de Canet et de Nazaire (la légende sur une autre édition donne : « SAINT-CYPRIEN-PLAGE (P.O.) / 610 - Les étangs, cabanes de pêcheurs »).
On remarque que la paillotte exhibe quelques signes de modernité : elle est dotée d'une porte en bois peinte en blanc, fermée hermétiquement; son faîtage est rectiligne et non concave (affaissé) au contraire de la cabane précédente; et un tuyau en tôle sort du faîtage, signe de la présence d'un poêle.
En avant de l'entrée et de part et d'autre de celle-ci, se dressent deux murs végétaux formés de potelets verticaux et d'entretoises horizontales avec un remplissage de roseaux. S'agit-il de coupe-vent ?
Cette cabane, et celle dont on aperçoit un pan sur la droite, étaient manifestement encore en activité à l'époque.
Si l'on retire la colorisation ajoutée à la carte, on retrouve le cliché noir et blanc originel.
Saint-Cyprien-Plage est le lieu indiqué pour cette cabane bi-absidiale qui ne semble pas de toute première fraîcheur. On note que les lignes de cannes horizontales qui enserrent la paillotte sur toute sa hauteur sont peu nombreuses (cinq en tout). La carte postale datant des années 1950-1960 (bords dentelés), on peut en déduire sans risque que la bâtisse est antérieure au milieu du XXe siècle. La suppression des couleurs rajoutées restitue le chiché noir et blanc originel.
Le Barcarès (Pyrénées-Orientales)
Avec cette carte postale des années 1900, on passe au Barcarès, localité située sur la côte au sud de l'étang de Salses-Leucate. Le photographe a jeté son dévolu sur trois cabanes de roseaux bi-absidiales, disposées à intervalles plus ou moins réguliers et parallèles entre elles. La désignation de ces édifices est catalane, il s'agit de barraques (sing. barraca) de senills (« baraques de roseaux ») (12).
On constate que celle du milieu a sa toiture plus pentue que celle des deux autres et que le nombre de cannes horizontales la ceinturant est plus grand : de la base au faîtage, il n'y a pas moins de 9 ceintures de cannes maintenant les roseaux en place. La cabane au premier plan à gauche, moins élevée, ne compte que quatre niveaux de cannes horizontales.
(12) Cf. Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, op. cit.
Toujours le Barcarès, mais vers 1925. La scène est intéressante à plusieurs titres :
D'après le cadrage, on pourrait croire que la cabane est isolée, il n'en est rien comme le montre la carte postale qui suit.
La cabane de la carte précédente est ici replacée dans son cadre, celui d'un groupement de cabanes de pêcheurs dont elle est séparée par un chemin de sable qui zigzague. On retrouve les deux personnages masculins, augmentés d'une personne de l'autre sexe (couple et enfant ?). Selon l'ethnologue Robert Bataille, il s'agit du «quartier du Maroc » au nord du village de Barcarès (13).
Les autres cabanes semblent être principalement du type bi-absidial.
(13) Ce quartier de « barraques » (en catalan) devait être incendié par l'occupant allemand en 1942. Cf. Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, op. cit.
Port Barcarès (Pyrénées-Orientales)
Étant donné la date tardive de cette carte postale en couleur (années 2000), il est vraisemblable que la cabane qui y figure est une reconstitution muséographique.
Le bâtiment est tout à fait classique (carène renversée) mais il est cerclé non pas de cannes mais de cordes (9 niveaux, de la base au sommet). L'entrée s'ouvre à la moité du gouttereau. Deux forts potelets faisant toute la hauteur du corps de base, encadrent une porte en bois. Pour que les visiteurs sachent bien qu'il s'agit d'une reconstitution de cabanes de pêcheurs, on a mis sur cales une vieille bar que qui attend apparemment qu'on lui retrouve un mât et une voile.
Canet-Plage (Pyrénées-Orientales)
La scène se déroule au Canet-Plage, avant l'irruption du tourisme de masse. Le photographe a fixé pour la postérité une pratique disparue, celle de la pêche à la traîne sur le littoral catalan (14). Les pêcheurs se sont figés, le temps pour notre visiteur de mettre dans la boîte le spectacle de leur longue cohorte. Mais ce qui retient surtout l'attention dans le cadre de la présente étude, c'est la baraque en forme de carène renversée dont la silhouette se dessine à l'arrière-plan, à l'orée du sable.
(14) Cette forme de pêche, où la sortie du filet se faisait au soleil levant, se pratiquait, d'après les cartes postales qui en donnent des vues, non seulement sur la côte des Pyrénées-Orientales (Argelès-sur-Mer, Le Canet-Plage, Saint-Cyprien,) mais aussi sur celles de l'Aude (La Franqui, Port-La Nouvelle, Sérignan) et de l'Hérault (Farinette-Plage, La Redoute-Plage, Le Grau d'Agde, Valras-Plage).
Curieuse juxtaposition, dans cette carte des années 1980, que ces baraques de roseaux en piteux état et ces vues d'une station balnéaire moderne. L'ancien monde des baraquiers (les habitants des baraques) a tiré sa révérence.
La grande cabane de plan rectangulaire sur la gauche a encore de beaux restes. Sa longueur est impressionnante et l'on imagine la présence d'au moins quatre poteaux montant de fond pour soutenir les pannes faîtières entre les deux pignons rectilignes. Saint-Hippolyte (Pyrénées-Orientales)
Ce que ne dit pas la légende de cette carte postale des années 1950 (bords dentelés), c'est que l'habitation de pêcheurs représentée se trouvait en bordure de l'étang de Salses-Leucate, au lieu-dit Font del Port sur la commune de Saint-Hippolyte dans les Pyrénées-Orientales (15).
Au premier plan, est creusé une sorte de bief – agulla en catalan (16) – où sont amarrées les embarcations du pêcheur. La barraca, qui est du type rectangulaire, frappe par sa faible longueur. L'entrée, au lieu d'être à la moitié du gouttereau comme c'est le cas habituellement, est à un bout de celui-ci.
(15) Indication trouvée dans Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, op. cit.
(16) Petit port artificiel permettant de laisser les embarcations à flot, amarrées à l'estacade de l'abri. Définition trouvée dans Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, op. cit. Conclusion À travers les cartes postales anciennes ou plus récentes que nous avons pu réunir, il se dégage un panorama inédit des habitations temporaires en roseaux qui servaient autrefois aux pêcheurs languedociens et roussillonnais et dont les exemplaires s'égrenaient des Bouches-du-Rhône aux Pyrénées-Orientales. Les localités concernées sont Fos-sur-Mer, Marignane (pour les Bouches-du-Rhône), Le Grau d'Agde, Valras-Plage, Carnon, Sérignan-Plage (pour l'Hérault), Sigean (pour l'Aude), Saint-Cyprien Plage, Le Barcarès, Port Barcarès, Le Canet-Plage et Saint-Hippolyte (pour les Pyrénées-Orientales) (17). Ces cabanes peuvent être isolées ou groupées, coexister avec des cabanons en bois ou en maçonnerie. On peut imaginer que dans certains cas elles ont pu être remplacées par ces derniers, progrès oblige.
Sur le plan architectural, un type éclipse tous les autres par son côté spectaculaire : la grande cabane bi-absidiale, en forme de carène renversée. On la savait bien attestée sur le littoral roussillonnais et audois, elle l'est désormais aussi haut qu'à Valras-Plage dans l'Hérault, ce qui indique que le type n'était pas uniquement catalan.
Dans son livre « L'architecture rurale en Languedoc, en Roussillon », paru en 1980, Christian Lhuisset décrivait ainsi ce type, qu'il désigne sous l'appellation de « cabane des étangs » (par rapport au type rectangulaire, où il voit « la cabane du rivage marin ») :
Moins spectaculaire, le type mono-absidial (pignon rectiligne à une extrémité, abside et croupe à l'autre) apparaît principalement dans les cartes postales de Marignane dans les Bouches-du-Rhône mais l'on sait qu'il a existé également sur la côte roussillonnaise (20). Nous ne nous attarderons pas sur la morphologie et l'architecture de ce type, déjà amplement décrites dans la partie intitulée « Cabanes de pêcheurs à l'est de la Camargue » de la section V de notre étude « L'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle d'après des cartes postales et photos anciennes » (cf. note 1).
Il reste à aborder le 3e type, celui de la cabane de plan rectangulaire (bâtière portée par deux pignons et deux gouttereaux). D'après notre corpus de cartes postales, elle est présente en plusieurs exemplaires sur le littoral du Roussillon et en un seul exemplaire sur le littoral de l'Hérault. D'autres cabanes ayant un pignon rectiligne restent inclassables car le pignon opposé est malheureusement caché à la vue. Christian Lhuisset (cf. supra) décrit ainsi le type :
(17) Cette liste est susceptible d'évoluer au gré des découvertes de nouvelles cartes postales.
(18) Ces piquets, hauts de 1 m 70 à 1 m 80, ont leur partie enterrée qui est goudronnée. Deux piquets plus gros délimitent l'emplacement et l'embrasure de la porte d'entrée. Cf. Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, op. cit.
(19) Ces piquets sont reliés à leur sommet par une ceinture de pannes sablières faite de perches horizontales. Cf. Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, op. cit.
(20) Cf. Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, op. cit. BIBLIOGRAPHIE Nous ne citerons ici que les livres, articles et sites Internet que nous avons consultés pour la présente. Pour les autres titres, nous renvoyons le lecteur à la liste compilée par Christian Jacquelin et Agnès Rotschi.
Christian Lassure, L'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle d'après des cartes postales et photos anciennes, site www.pierreseche.com, 8 juillet 2008 - 12 avril 2009, en part. section V, Cabanes et maisons de pêcheurs en Camargue, 15 septembre 2008.
Marie-Sylvie Grandjouan, Le patrimoine rural en Languedoc-Roussillon ; acquis et perspectives de travail, dans In Situ, No 5, décembre 2004.
Laure Gigou, Bruyas et Courbet, site Internet personnel
Christian Jacquelin et Agnès Rotschi, L'habitat en roseau traditionnel - Les barraques de sanills des pêcheurs roussillonnais, Direction régionale des affaires culturelles du Languedoc-Roussillon
Christian Lhuisset, L'architecture rurale en Languedoc, en Roussillon, Les Provinciades, 1980, pp. 86-91. Maryse Lapergue, Au Bourdigou, sur la côte du Roussillon, la dernière paillotte vient de mourir, dans Libération, 9 mai 1983.
Josyane Savigneau, Les derniers des Bordigueros, dans Le Monde, Mercredi 31 août 1977. Guy Oliver, L'habitat en roseaux sur la côte du Roussillon, dans Reflets du Roussillon, No 65, 1969, pp. 28-32. © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure L’auteur :
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