Christian Lassure
Résumé En 1984, date de l'enquête, le village de Viens dans le Vaucluse comportait encore, dans ses abords sud et sud-ouest, cinq anciennes granges à grain avec leur aire à dépiquer respective. Ces granges sont – du moins primitivement – des bâtiments rectangulaires allongés, en maçonnerie liée au mortier de chaux, à la toiture à deux pentes couvertes en lauses sur une voûte clavée en berceau, et aux entrées à encadrement en pierres de taille. Intérieurement, un rez-de-chaussée permettait de serrer les gerbes tandis qu'un plancher dallé sous comble permettait de conserver les sacs de grain. Du fait de l'implantation des bâtiments dans un terrain en pente, un des pignons se trouve en partie enterré, ce qui permet un accès au comble depuis le terrain. Ces granges sont liées au passé agricole de Viens, qui fut un centre de production céréalière et de commerce des grains entre haute et basse Provence aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Abstract At the time of our survey in 1984, the village of Viens still harboured, in its south and south-west approaches, five grain barns, each with an attached threshing area. Originally, these barns were elongated rectangular buildings of mortared stonework, with a two-sided roof of stone tiles over a cradle vault, and entrances with surrounds of cut stone. Inside, the ground floor was reserved for stacking sheaves while the upper floor paved with stone slabs was used for storing sacks of grain. On account of the buildings being laid out on sloping ground, one of their end walls is partly buried, thus allowing full access to the upper floor from the ground. The barns are linked to the agricultural past of Viens, a cereal-producing and trading centre between Upper and Lower Provences in the 17th, 18th and 19th centuries.
Introduction En août 1984, nous avons eu l'occasion de mener une enquête sur d'anciennes granges à grains (1) situées aux abords sud et sud-ouest du village de Viens dans le Vaucluse (2). Une rare photo de « foulaison à Viens en 1956 », publiée dans l'ouvrage L'invention rurale de l'ethnologue provençal Pierre Martel (3) , avait attiré notre attention sur la présence, dans cette commune, d'un bâtiment rectangulaire isolé, à façade en pignon et à toiture à deux pentes couvertes en lauses sur voûte en berceau, édifié à côté d'une aire à dépiquer.
En nous rendant sur place, nous pûmes constater qu'il n'était pas le seul de son genre. Nous avons inventorié 5 édifices relevant de ce type, situés pour quatre d'entre eux sur la section I, dite de Saint Paul, du cadastre napoléonien de 1812, et pour le dernier sur la section K, dite des Broquiers, de ce même cadastre. L'enquête orale conduite auprès de divers propriétaires et de M. Pierre Comti, spécialiste de l'histoire du pays, nous a livré quelques indications sur l'origine et l'utilisation de ces granges. Enfin, nous avons fait le relevé en plan et en élévation de ces bâtiments, du moins lorsque c'était possible. Selon ce qui nous fut dit à l'époque, les quartiers hors les murs, au sud et sud-ouest du bourg, étaient ceux où les villageois avaient leurs terres, leur aire à dépiquer et leur grange. Les terres étaient cultivées en blé, seigle et autres céréales. On peut penser que la pièce sous le plafond servait à serrer les gerbes en attente de dépiquage sur l'aire proche tandis que le comble servait à emmagasiner les sacs de grain dépiqué. Des travaux d'historien montrent qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles, périodes où le village atteignit son maximum démographique, le commerce des grains avec la basse Provence était une importante source de revenus pour les Viensois (4). En 1984, ces granges étaient tout ce qui restait de cette activité économique : les terres étaient en friche, les aires à l'abandon, les granges transformées en résidence estivale ou en débarras. (1) Il existe en provençal un terme pour désigner ces petites granges, il s'agit de granjoun (en occitan normalisé granjon, diminutif de granja). (2) Nous sommes redevables, pour l'occasion de procéder à cette enquête, à notre ami André Pierre Fulconis, spécialiste de l'histoire de Saint-Martin-de-Castillon, qui nous avait hébergé à l'époque. Trois journées passées sur place nous ont permis de faire des photos et des relevés, de consulter les feuilles cadastrales à la mairie, d'interroger les propriétaires. Les données recueillies dormaient depuis quelque 25 ans dans nos archives. Nous avons décidé de les mettre à la disposition du public, en espérant que d'autres pourront reprendre et approfondir notre étude. (3) Pierre Martel, L'invention rurale. Patrimoine rural et société de non-gaspillage en Haute Provence, tome premier : L'économie de la nature, Les Alpes de Lumière, No 69/70, 1er et 2e trimestre 1980, 112 p., en particulier photo p. 1. (4) Régis Fabre, Histoire de la baronnie de Viens (Vaucluse); chronique événementielle et seigneuriale d'une communauté de la haute Provence, Draguignan, 1981, 81 p. Grange No 1 Dite « grange seigneuriale » ou « grange du village », cette grange était en 1984 la propriété des Trocmé, au village. Elle n'est ni classée, ni inscrite, elle est simplement dans un site protégé. Sur le cadastre de 1812 (section K des Broquiers), elle est dénommée « bât. et cour » (bâtiment et cour) et porte le numéro 134. Elle confronte une aire (No 133) à gauche et une terre (No 135) à droite (par rapport à son pignon-façade). C'est un bâtiment de plan rectangulaire allongé (long. hors-œuvre : 13 m 50, larg. hors-œuvre : 5 m 87), à façade en pignon et à toiture à deux versants (haut. du pignon : 5 m 52) sur voûte clavée en berceau. Elle est orientée ouest nord-ouest. Le pignon-façade est percé d'une grande baie axiale (larg. : 2 m 70, haut. : 2 m 97), couverte d'un linteau en bois. D'après le propriétaire de l'époque, ce portail a remplacé une porte d'entrée plus petite. L'intérieur est couvert par une voûte clavée en berceau (haut. de flèche : c. 5 m), montée en moellons calcaires liés au mortier de chaux. Le volume intérieur est divisé, vers 2 m 20 de haut, par un plafond de poutres et de solives (des rondins) supportant un sol de cailloux noyés dans du mortier de chaux (les trois premières poutres à l'avant ont été retirées lors du percement du portail dans le pignon-façade). Le plancher ainsi formé est celui d'un comble dont l'accès se fait par une entrée haute réservée dans le gouttereau de gauche vers l'arrière et précédée à l'origine de quelques marches, retirées depuis. Cet accès au comble, sous la rive de la toiture, a eu son linteau en pierre remplacé par une planchette en bois. Les piédroits ont leur arête chanfreinée, caractéristique qui renvoie au XVIIe siècle. Dans leur état actuel, les deux versants de toiture sont couverts de grandes lauses calcaires à recouvrement, scellées sur une chape de ciment recouvrant l'extrados rehaussé d'une voûte en berceau. Il s'agit d'une réfection récente (c. 1982), présentant des malfaçons : le recouvrement des lauses est insuffisant (d'où des gouttières), la saillie des rives est trop faible et la voûte ne peut plus respirer à cause de la chape de ciment (expertise faite par Philippe Alexandre, maçon). À l'intérieur du bâtiment, était conservé un tas de tuiles faîtières présentant deux trous de cheville aux extrémités et le millésime 1642 gravé avant cuisson. Avant leur dépose, elles recouvraient la partie antérieure du faîtage à ce qu'il nous a été dit.
Grange No 2 Au moment de l'enquête, le bâtiment était partagé entre deux propriétaires, M. Roux (partie est nord-est ou aval) et M. Geindre (partie ouest sud-ouest ou amont). Ce dernier avait racheté à la belle-mère de M. Roux son bout de bâtiment pour en faire une habitation estivale. Sur le cadastre de 1812 (section I dite de Saint Paul), la grange est dénommée « bât. et cour » (bâtiment et cour) et porte le No 71 pour la partie Geindre et le No 70 pour la partie Roux. La parcelle No 72 à l'ouest sud-ouest est une aire ainsi que la parcelle No 69 au nord nord-ouest. La grange est orientée ouest sud-ouest / est nord-est. Elle s'inscrit dans un terrain en pente : le pignon côté Roux a toute sa hauteur (5 m 58) tandis que le pignon côté Geindre est à moitié enterré (haut. hors sol : 3 m 06). C'est un bâtiment de plan rectangulaire allongé, à façade en pignon (long. hors-œuvre : 14 m / 14 m 50, larg. hors-œuvre : 5 m 78) et à toiture à deux versants (haut. des gouttereaux par rapport au sol intérieur : 3 m 50) sur une voûte clavée en berceau (haut. de flèche : 4 m 58 par rapport au sol intérieur actuel). Les gouttereaux ont une épaisseur de 1 m pour pouvoir encaisser le poids de la voûte clavée. Les pignons, n'étant pas porteurs, ont seulement dans les 60 cm d'épaisseur. Le pignon amont (long. : 5 m 78, ép. paroi : 50 cm) donne sur une ancienne aire par une baie XIXe siècle (larg. : 73 cm, haut. : 1 m 93) qui a remplacé l'ancienne ouverture par laquelle on faisait passer le blé. Le gouttereau nord nord-est (long. : 14 m, ép. paroi : 1 m) est aveugle. Le gouttereau sud sud-ouest (long. : 14 m 50, ép. paroi : 1 m) comporte, vers l'angle avec le pignon aval, une grande entrée en rez-de-chaussée (larg. : 1 m 33, haut. : 2 m 25) dont le couvrement est un arc en plein ceintre de pierres taillées et appareillées, extradossées, avec chanfrein. Immédiatement à droite, une fenêtre moderne a été percée. À 8 m de l'angle avec le pignon aval, s'ouvre une entrée très étroite (larg. : 54 cm, haut. : 1 m 65), couverte d'un linteau en bois. Elle donne dans la partie Geindre et son ébrasure de droite marque la séparation d'avec la partie Roux (cloison en parpaings). Le pignon aval, qui ne comportait à l'origine qu'une petite entrée, a été refait par M. Roux. Il présente, en bas, un large portail XXe siècle (larg. : 2 m 74, haut. : 2 m 58), couvert d'un rail en fer et de béton, et en haut, une fenière XXe siècle, également couverte d'un rail en fer. La couverture du bâtiment était en lauses à l'origine. Côté Geindre, elle a été refaite à l'identique, les lauses étant toutefois scellées au mortier (et avec un recouvrement suffisant). Côté Roux, la bâtière a été remplacée par une chape de mortier au profil en chapeau de gendarme, sur laquelle ont été scellées des lauses simplement jointives et noyées dans du ciment. Intérieurement, le bâtiment est voûté par un berceau en pierres liées avec de la terre blanche et de la chaux. Il est divisé transversalement en deux parties par une cloison oblique en parpaings. Le plancher d'origine (poutres et solives supportant un sol de dalles) a disparu, à l'exception des poutres côté Geindre. Le sol d'origine était en terre battue, il a été remplacé, côté Geindre, par un pavage. Comme aménagements intérieurs, on note, chez M. Geindre, une banquette courant le long du pignon, restes d'une mangeoire-râtelier; chez M. Roux, dans le gouttereau à gauche en entrant, une armoire murale aux parois enduites.
Grange No 3 En 1984, cette grange était la propriété des Lemaître, lesquels l'avait rachétée aux Bec. Elle se trouve dans une propriété dite « Les lauses ». Sur le cadastre de 1812 (section I dite de Saint Paul), elle est dénommée « bât. » (bâtiment) et porte le No 44. Elle est figurée sous la forme d'un petit carré et non d'un rectangle allongé. Elle confronte au nord nord-ouest une aire (No 45). Elle est implantée dans un terrain en pente, ce qui fait que son gouttereau de gauche (par rapport au pignon-façade) et son pignon arrière sont légèrement enfouis. C'est un bâtiment de plan rectangulaire allongé (long. hors-œuvre : 11 m 75, larg. hors-œuvre : 5 m 88), à toiture à deux versants (haut. du pignon-façade : 6 m 20, haut. des gouttereaux : 4 m 10) sur voûte clavée en berceau (haut. de flèche : 4 m 45). L'épaisseur des gouttereaux est de 1 m 05, celle des pignons est de l'ordre de 70 cm seulement : c'est que les premiers doivent encaisser les poussées de la voûte clavée alors que les derniers ont surtout un rôle d'écran. Au moment du relevé, le bâtiment était en voie de transformation en résidence secondaire, du moins sa partie avant bien conservée, sa partie arrière étant réduite à des pans de murs. Un nouveau refend avait été monté à 6 m 75 de la paroi extérieure du pignon-façade. La transformation de la partie arrière en ruine doit être ancienne puisque cette partie n'est pas figurée sur le cadastre de 1812. L'entrée du rez-de-chaussée (larg. : 94 cm, haut. : 1 m 96) s'ouvre à l'angle du pignon-façade et du gouttereau de gauche. Elle a vraisemblablement été remaniée car son linteau est une pierre provenant du tableau d'une baie (ancienne feuillure visible). Le millésime 1715 est gravé sur son parement. À 2 m 10 de hauteur s'ouvre une fenière (larg. : 1 m, haut. : 1 m 28) dont le montant de gauche est dans l'axe vertical médian du pignon. Son encadrement n'est pas d'origine non plus. Elle a été élargie vraisemblablement au XIXe siècle (emploi du système métrique pour la largeur) : une platebande formée d'une clé et de deux contre-clés allongées a remplacé un linteau qui a été remployé comme seuil de la fenière. L'accès à la fenière se faisait par un escalier en pierre plaqué contre le pignon-façade et parallèle à celui-ci. Large de 2 m, haut de 1m à sa plus haute marche, cet escalier s'avançait à l'origine jusque sous le montant de gauche de la fenière. Si le gouttereau de gauche est aveugle, celui de droite ne l'est pas : à 3 m 45 du pignon-façade et à 2 m 23 de haut, il présente un regard très étroit. Ce gouttereau présentait une entrée dans sa partie ruinée à en juger d'après la boutisse d'encadrement encore visible à 2 m 90 de l'angle du pignon arrière. À l'intérieur, les parois sont verticales jusqu'à 2 m 20 de hauteur puis s'incurvent pour donner naissance à la voûte. Elles sont en assises de moellons ébauchés tandis que la voûte est en rangée de plaquettes noyées dans un épais mortier de chaux. Il reste dans la partie restaurée, vers 2 m 20 de haut, une des poutres du plancher primitif. Dans la partie ruinée, des trous de boulin témoignent de l'ancienne présence de ces poutres. La grange a servi, en dernier ressort, de bergerie et d'étable ainsi que l'attestent une crèche-mangeoire plaquée contre la paroi intérieure du pignon-façade et des anneaux d'attente.
Grange No 4 Cette grange appartenait aux Monier à l'époque de l'enquête. Elle ne servait plus mais était intacte. Sur le cadastre de 1812, elle est dénommée « bât. rural » (bâtiment rural) et porte le No 167. Elle confronte, au nord nord-ouest, une aire à fouler (No 168). Cette grange est celle de la photo d'une « foulaison à Viens en 1956 » prise par Pierre Martel et publiée dans son livre L'invention rurale en 1980 (5). Faute de pouvoir pénétrer dans le bâtiment, nous avons dû limiter notre relevé à l'extérieur de celui-ci. Il s'agit d'un édifice rectangulaire allongé (long. hors-œuvre : 12 m 43, larg. hors-œuvre : 5 m 80), à toiture de lauses en bâtière sur une voûte clavée en berceau. Il est implanté dans un terrain en pente, d'où l'enfouissement partiel d'un de ses pignons. Le gouttereau de gauche (par rapport au pignon amont) a été repris en contrefort sur presque toute sa longueur si bien que les pignons sont légèrement dissymétriques. En raison du sens de la pente, la hauteur de l'angle de droite du pignon amont est de 2 m 40 tandis que l'angle de gauche fait 2 m 90. Ce dernier angle, qui a été repris en contrefort, a un fruit plus marqué. La pointe du pignon est à 4 m 20 de haut. Dans la moitié droite du pignon amont, s'ouvre une fenière (haut. : 1 m 68, larg. : 1 m 01) dont le montant de gauche est, à peu de choses près, dans l'axe vertical médian. Son encadrement, en pierres taillées, est très marqué stylistiquement. Son linteau a un extrados en chapeau de gendarme et repose sur deux coussinets moulurés. De grosses dalles superposées forment, sous la fenière, une sorte de perron. Les versants de toiture ont conservé leurs lauses primitives, non scellées par du mortier. Le gouttereau de droite, plus enfoncé dans le terrain que son pendant de gauche, comporte, à 6 m 53 de l'angle du pignon amont, une entrée sous rive (larg. : 1 m 07, haut. : 1 m 64), couverte par un linteau en bois (date : XIXe siècle). Précédée de quelques marches, elle donne dans le comble. Le gouttereau de gauche, qui a toute son élévation, est percé de deux entrées
donnant dans le rez-de-chaussée de la grange : (5) Elle se trouvait déjà dans l'ouvrage suivant : Le pays de Forcalquier, 2e édition, Les Alpes de Lumière, No 49, hiver 1970-71, p. 41
Grange No 5 Cette grange appartenait aux Fantin au moment de l'enquête. Une deuxième grange lui est accolée en appentis contre un des gouttereaux (6). Bâtie parallèlement à la pente du terrain, la grange primitive a son pignon amont en partie enterré et son pignon aval qui a toute son élévation. Son gouttereau de gauche (par rapport au pignon amont) borde un chemin. Sur le cadastre de 1812 (section I dite de Saint Paul), l'ensemble porte le No 53. Il est qualifié de « bât. rural » (bâtiment rural) et confronte au sud-ouest et au sud sud-ouest deux aires contiguës. La grange primitive est un bâtiment rectangulaire allongé (long. hors-œuvre : 11 m 78, larg. hors-œuvre : 4 m 91), à rez-de-chaussée et comble, sous toiture à une seule eau, en tuiles canal. Le pignon amont comporte, dans sa moitié droite, un accès au comble : il s'agit d'une baie à encadrement en pierres de taille se terminant par un arc clavé extradossé en forme d'ogive (haut. : 1 m 81, larg. : 1 m 12). A sa gauche, s'ouvre un soupirail, qui a lui aussi un encadrement en pierres de taille. L'observation attentive de l'ancien chaînage d'angle à droite de l'entrée en arc d'ogive, permet de se rendre compte que l'édifice devait être, comme ses congénères, coiffé d'un toit à deux pentes, avant l'adjonction de l'appentis contre le gouttereau de droite. Les maçons ont diminué la hauteur du gouttereau de gauche en même temps qu'ils augmentaient celle du gouttereau de droite, de façon à obtenir une toiture à une seule pente, en sens contraire de la pente du nouvel appentis (7). Le gouttereau de gauche est totalement aveugle. Il présente toutefois, dans le parement de sa partie inférieure, deux arcs clavés en plein cintre de même hauteur : ils indiquent l'emplacement de deux voûtes d'arêtes au niveau du rez-de-chaussée, caractéristique architecturale qui nous a été confirmée par M. Geindre, propriétaire d'une autre grange (8). Le pignon aval est visible sur toute la hauteur de son élévation mais, au niveau du premier étage, les chaînes d'angle en pierres de taille se transforment en pilastres séparés par un remplissage de petits moellons. Il faut imaginer la présence de deux rampants à l'origine. On note la présence d'un corbeau en bas du pilastre de droite. L'entrée du rez-de-chaussée est cachée par une grande porte en bois coulissante : elle semble faire toute la hauteur de ce niveau et avoir un linteau en bois. Dans le comble, l'entrée s'appuie contre le pilastre de gauche. Les deux baies sont de facture récente. Le bâtiment ajouté en appentis a sa largeur qui se réduit de plus de moitié entre le pignon amont et le pignon aval. (6) L'entrée de cet appentis a un encadrement de pierres de taille au couvrement en arc segmentaire caractéristique du XVIIIe siècle. (7) Entre le niveau du seuil de l'entrée et le haut du chaînage de droite, il y a 3 m 52. (8) Une voûte d'arêtes est le résultat du croisement de deux voûtes en berceau.
Conclusion Viens possédait autrefois des granges-greniers d'un type architectural, morphologique et fonctionnel singulier, sans équivalent, à notre connaissance, dans d'autres communes de haute Provence (ce qui ne veut pas dire qu'il n'en y ait pas eu, elles peuvent avoir totalement disparu ou ne plus être reconnaissables dans leur aspect actuel). La comparaison des dimensions hors-œuvre du plan des différents témoins étudiés est éloquente :
On croirait avoir affaire à des bâtiments normalisés. Les quatre premiers pourraient avoir été bâtis par le même artisan, tant leurs dimensions sont proches les unes des autres. Si la dernière grange s'éloigne des dimensions des autres, c'est peut-être en raison de son type de voûtement (deux voûtes d'arêtes au lieu d'une voûte en berceau). En l'absence de prix-faits de construction, la datation absolue des édifices est impossible. Les éléments stylistiques présents sont à manier avec précaution en raison de la possibilité d'encadrements remployés (grange No 3, grange No 4) pris sur des édifices nobles démantelés après la Révolution française. D'autre part, si l'on accepte que les entrées de style roman ou gothique sont d'origine, elles ne sont pas forcément de ces périodes, ces styles ayant perduré plus longtemps dans la petite architecture que dans la grande et dans le monde rural qu'en milieu urbain. De même, les millésimes découverts (1642 sur d'anciennes tuiles faîtières à la grange No 1, 1725 sur le linteau de l'entrée à la grange No 3) ne sont guère exploitables du fait de la possibilité d'un remploi. Le fait que les cinq granges soient portées sur le cadastre de 1812 nous donne une indication relative : elles sont toutes antérieures au XIXe siècle. On peut penser également qu'elles ne sont pas antérieures au XVIe siècle, période à laquelle on commence à construire des dépendances agricoles isolées hors les murs. En se basant sur les recherches de Régis Fabre, on peut affirmer que ces granges-greniers sont étroitement liées à la production locale de céréales lors de ces derniers siècles, céréales destinées à la consommation personnelle mais aussi à la vente en basse Provence. Nous nous hasarderons à envisager une large plage historique allant du XVIIe siècle au dernier tiers du XIXe, plage correspondant à une démographie faste pour le village (9). Une chose est sûre en tout cas : il ne s'agit pas de « maisons romanes » extra muros, à moins de confondre grange à grain et maison (10). Il nous a été rapporté que grange et aire pouvaient être partagées entre deux familles par un accord verbal ou par un acte sous seing privé : la grange était divisée transversalement (la seule possibilité en raison de l'étroitesse des édifices) tandis que l'aire l'était diagonalement. Une personne âgée du village nous a affirmé que le comble des granges servait à mettre le fourrage, la luzerne, tandis que le rez-de-chaussée servait à mettre les bêtes (chèvres, moutons, quelques chevaux), mais il s'agit, à notre avis, d'une réutilisation terminale, intervenue après l'effondrement démographique (11) du village et l'abandon progressif de la culture des céréales.
Les bâtiments ayant survécu nous sont parvenus non sans avoir
subi diverses altérations lors de leur utilisation comme grange : Ces altérations se poursuivaient en 1984 avec la conversion (déjà effectuée ou en cours) de deux granges en habitations (granges No 2, No 3), entraînant la pose d'un refend en parpaings (grange No 3), l'isolation de l'extrados de la voûte par une chape de ciment (granges No 1, No 2), le scellement des lauses de la toiture par du mortier (granges No 1, No 2), l'érection d'un barbecue à l'extérieur d'un pignon (grange No 2), etc. Loin de constituer une « restauration » au sens premier du terme, la conversion de ce type de bâtiment utilitaire en habitation estivale est, de notre point de vue, une ultime vicissitude. Il ne peut y avoir de « restauration » que muséologique : le bâtiment, considéré comme un moyen de production ayant fait son temps, est remis et conservé dans son état et sa fonction d'origine (grange-grenier) et dans son environnement immédiat (aire à dépiquer et terre cultivée) tandis qu'une scène de dépiquage est recréée chaque année pour rappeler le passé agricole du village. On peut rêver... . (9) En 1698 : 1338 habitants - 1716 : 1340 - 1765 : 1056 - 1806 : 1136 - 1835 : 1212 - 1857 : 1186 (source : Régis Fabre, op. cit., p. 69 (Viens. Evolution du nombre d'habitants de 1698 à 1975). (10) Régis Fabre, à la page 16 de son étude, rapporte que « d'après Jean Barruol, 12 maisons romanes étaient encore intactes en 1914 hors les murs du village ». (11) En 1859 : 1167 habitants - en 1885 : 781 - en 1911 : 655 - en 1936 : 395 - en 1946 : 286 ! (source : Régis Fabre, op. cit., p. 69 (Viens. Evolution du nombre d'habitants de 1698 à 1975). BIBLIOGRAPHIE Pierre Martel, L'invention rurale. Patrimoine rural et société de non-gaspillage en Haute Provence, tome premier : L'économie de la nature, Les Alpes de Lumière No 69/70, 1er et 2e trimestre 1980, 112 p., en part. photo p. 1. Régis Fabre, Histoire de la baronnie de Viens (Vaucluse); chronique événementielle et seigneuriale d'une communauté de la haute Provence, Draguignan, 1981, 81 p. Christian Bromberger, Note sur la terminologie des réserves à céréales, in Marceau Gast et François Sigaut (sous la direction de), Les techniques de conservation des grains à long terme. Leur rôle dans la dynamique des systèmes de cultures et des sociétés, vol. 1, Éditions du CNRS, 1979, pp. 5-14 René Grosso, Paysans de Provence. Bouches-du-Rhône, Alpes-de-Haute-Provence, Var, Vaucluse, coll. « Paysans de France », Horvath, 1993, 157 p. Pour imprimer, passer
en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure Les granges de Viens (Vaucluse) : étude architecturale et morphologique (The granaries of Viens, Vaucluse. An architectural and morphological study) L'architecture vernaculaire, tome 34-35 (2010-2011) http://www.pierreseche.com/AV_2010_lassure.htm 13 mars 2010 (March 13th, 2010) L’auteur : Agrégé de l'université, professeur honoraire, Christian Lassure est archéologue et ethnologue.
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