Jean-Pierre GuilletUN POSTE DE CHASSE BOURGEOIS À LAMBESC (BOUCHES-DU-RHÔNE)
Résumé Classiquement, un poste de chasse se résume à une construction de facture sommaire quand ce n’est pas à un simple emplacement stratégique sur un passage de gibier. Près de Lambesc, en Provence, un propriétaire bourgeois de la fin du XIXe siècle avait décidé – peut-être en concertation avec quelques compères – de construire en dur un petit bâtiment confortable sur un site de chasse d’oiseaux migrateurs. Menacé de ruine mais encore debout et méritant restauration, ce poste peu banal révèle à l’examen nombre de détails pittoresques incluant même un volet artistique. Abstract Typically, a hunting post amounts to little more than a crudely-built edifice or, failing that, a simple spot strategically located on the flight path of birds. Near Lambesc, in the Bouches-du-Rhône département, a late 19th-century bourgeois owner arranged, possibly with a few fellow hunters, to have a small, comfortable hunting lodge built on such a site. A survey of the edifice – which is still standing but faces collapse unless restored – has revealed a number of picturesque features, some of them of an artistic nature.
Introduction J’ai entrepris la description de ce poste de chasse pour diverses raisons. D’abord parce qu’il me plaît bien et que j’aimerais le voir restaurer ; ensuite parce qu’il se démarque franchement de tous les autres que j’ai pu rencontrer lors de randonnées dans la garrigue provençale. Ceux-là vont de la simple hutte de branchages à l’assemblage surréaliste de métal et de plastique qui fait penser à l’appartement témoin d’un futur bidonville. Lui a été élaboré de façon sophistiquée et m’évoque – toutes proportions gardées – un ancien commentaire journalistique de Vingt mille lieues sous les mers [1] : l’aventure dans un confort bourgeois. Description Il est sis non loin de Lambesc, dans une propriété appelée Le Moulin Blanc. En y accédant, on trouve d’abord l’ancien moulin (à eau), aujourd’hui complètement désaffecté, transformé en habitation et dont l’étage supérieur avait été détruit par le séisme de 1909 [2]. Le poste de chasse est situé au sud, au flanc de la colline adjacente, à une cinquantaine de mètres de la maison, ce qui exclut, en regard de la législation actuelle, qu’il soit utilisé dans sa fonction d’origine… Il a été édifié directement sur le rocher, très affleurant, probablement aménagé en plateforme et donc n’a pas eu à redouter de tassement de terrain.
Sans être en ruine, il commence à se dégrader sérieusement. Sur la figure 1, on voit que la toiture fléchit. Elle a été étayée de l’intérieur mais le poids de la couverture – détaillée plus bas – rendrait une restauration rapidement nécessaire. Les crépis s’altèrent et l’eau de pluie coule sur les parois intérieures (voir aussi plus bas). Le ciment du sol se disloque et les murs se fissurent dans la partie ouest (percée de fenêtres de tir). Je doute qu’on puisse affirmer la responsabilité du séisme historique dans ce dernier problème.
En figure 2, on trouve le plan de la construction. Le quadrillage de lignes pointillées est au pas de 25 cm. On constate donc que la surface « logeable » est de l’ordre de 5,5 m2, suffisante pour deux ou trois chasseurs. L’entrée est orientée à l’est et aménagée dans un mur plan épais composé d’un cimentage de pierres calcaires, de tessons de tuiles, etc. En dehors de celui-ci, les autres murs sont réalisés en briques creuses. La zone principale de tir se situe à l’opposé, à l’ouest, là où le mur est en demi-lune convexe. Intérieurement, le long des murs latéraux et de la demi-lune, court une sorte de retraite D étroite (24 cm) et haute de 95 cm bien commode pour poser des objets variés allant des accessoires de tir au verre de vin des coteaux d’Aix.
A l’exception d’une ouverture, proche de la porte et côté nord, c’est sur cette paroi courbe qu’ont été aménagées (Fig. 3) les principales ouvertures de tir. En hauteur, les cinq petites fenêtres vitrées (surface de 2 à 4 dm2) codées en aplat vert sur le plan; en dessous, vue de l’extérieur, une longue ouverture horizontale de B à C – 225 cm de long sur 9 de haut - segmentée à l’intérieur en quatre volets de bois plein soit refermés dans des cadres également en bois, soit ouverts vers le bas pour la commodité de la visée. On notera aussi, réservées dans l’entablement ouest, deux niches d’environ 25 cm de large, 22 de haut et 28 de profondeur fort probablement destinées en priorité aux accessoires de tir. On peut se questionner sur les raisons de cette façon de privilégier ce côté du paysage. La première réponse qui vient aux lèvres argue d’une prédominance du gibier dans cette direction. Mais quel gibier ? À une dizaine de mètres, le terrain s’abaisse vers un pré en un talus d’environ un mètre cinquante de haut, qui pourrait masquer efficacement les cibles terrestres, lièvres, lapins, voire sangliers et chevreuils. Des oiseaux alors ? La propriété arbore encore des chênes et des micocouliers de grande taille et on sait qu’ils étaient auparavant plus nombreux. Les seconds offrent en automne des fruits appréciables et appréciés ; les deux accueillaient du lierre que les grives dégustent volontiers. Faut-il adjoindre des étourneaux ?
Autres caractéristique du local : en A, juste à gauche de l’entrée, le coin est flanqué d’une structure cimentée de section triangulaire qui s’est révélée à l’examen être un âtre (Figure 4). Il pouvait aussi bien servir à réchauffer le poste en saison froide qu’à cuire ou à réchauffer de petits plats. La fumée suivait une hotte aujourd’hui disparue puis s’échappait sous le coin de la toiture.
L’impression de réalisation soignée continue à s’affirmer quand on examine la porte. Elle est demeurée dans le local bien qu’elle soit dégondée et sujette à divers dégâts. On en voit la face intérieure en figure 5. Soigneusement assemblée avec deux nappes de planches orthogonales fortement cloutées, pourvue d’une serrure, elle renforce encore la conviction d’une construction voulue solide et efficace.
Viennent ensuite deux images de la charpente. La première, en figure 6, est un panoramique obtenu à partir de deux photos prises au niveau du sol. L’emploi d’un grand angle de 24 mm déforme les extrémités de l’image. La même focale est employée pour la figure 7 avec une vue oblique et latérale qui détaille mieux la structure en trois dimensions.
À première vue, elle paraît assez simple, avec une panne faîtière de petite section sur laquelle vienne s’appuyer dix paires de chevrons assez rapprochées. Quand on remarque les trous de vrillettes et autres xylophages dont ils sont criblés, on commence à comprendre le fléchissement général. Les trois dernières paires se réduisent en longueur pour s’adapter à la demi-lune. À leur autre extrémité, ils reposent sur des pièces de bois horizontales incluses dans le haut du mur. Il n’y avait initialement pas d’autres pannes mais le fléchissement de la charpente a conduit de récents utilisateurs à improviser d’abondants soutiens aux chevrons comme à la panne faîtière avec des chevrons rapportés étayés au sol. On ne relève qu’un seul ensemble entrait + poinçon au niveau de la huitième paire de chevrons. Ce choix est curieux puisqu’il n’apporte pas de renfort là où la panne faîtière subirait sa plus forte déformation, à savoir à peu près en son milieu.
Ce n’est pas la moindre des bizarreries de cette charpente. Les chevrons sont de section triangulaire, équilatérale avec des côtés de 8,5 cm, ce qui n’a rien de rarissime. Mais au lieu d’offrir, comme c’est le plus souvent le cas, une base vers le bas, sur laquelle auraient été clouées des planches transversales, ils sont installés base vers le haut. Sur ces bases planes ont alors été déposés des carreaux de terre cuite brute, de dimensions 24 × 16 cm2 avec une épaisseur de 1,5 cm. Ils sont jointifs sans collage ni cimentage. Ils offrent donc sur leur dessus une surface plane sur laquelle les tuiles canal sont disposées de façon classique. La figure 8 affiche en A la section d’un montage traditionnel et en B celle de la toiture du poste. Dans le cas A, le clouage assure d’abord une amélioration de la rigidité longitudinale de l’ensemble, ce que ne fait pas le montage de notre poste. En A également, les chevrons maintiennent latéralement les tuiles d’écoulement, ce qui n’est pas le cas pour notre poste. On n’oubliera pas que celui-ci devait pouvoir servir par mauvais temps, entre autres quand soufflait le mistral, surtout hivernal, vent qui se faufile partout où on lui en laisse la possibilité. Dans le cas d’un doublage de planches bien fait, la toiture pouvait être d’une honnête étanchéité et bien réduire le souffle que laissaient passer les tuiles. Avec les interstices entre les carreaux, il devait y avoir pléthore de fuites. Enfin on notera que la solution B conduit à accroître considérablement la charge supportée par la charpente. En supposant pour la terre cuite une masse volumique minimale de 1800 kg/m3, on atteint une masse de l’ordre du kg par carreau, soit encore de plus de 25 kg par mètre carré. C’est un gros supplément… Quand on se rappelle que les murs porteurs sont en briques creuses, on s’émerveille en constatant qu’il n’y a pas eu flambage pendant la durée de vie évaluée plus bas. Dernière précision relative à la toiture : le dessous des
carreaux est à 220 cm du sol au niveau des murs et à 260 cm à l’aplomb de la
poutre faîtière. Il y avait suffisamment de marge pour manipuler les fusils en
ne risquant pas trop d’accrocher la charpente…
On pourrait penser en avoir fini avec la description de l’édifice. Ce serait compter sans un aspect qu’on peut qualifier de culturel. Les parois intérieures avaient été soigneusement plâtrées. Un utilisateur sur lequel on peut surtout émettre de prudentes hypothèses, en attendant mieux, les a décorées de dessins et de textes. Il a opéré au crayon, probablement assez gras eu égard à la largeur des traits et à la faible pénétration dans le plâtre. Les figures 9 et 10 montrent deux portraits de profil tracés par un dessinateur visiblement expérimenté. À en juger d’après les arêtes des nez, il s’agit de deux personnes différentes. Le premier est un civil et fournit une intéressante date : dans le bas du dessin, on lit « 23 Novembre 1891 », ce qui donne à la construction un âge d’au moins 121 ans. Coiffé d’une casquette et portant une veste sans grands détails significatifs, ce personnage à moustache en crocs et collier de barbe pourrait être un des chasseurs qui ont utilisé le poste. Le dessin circulaire d’encadrement, vu en légère perspective, se révèle en fait représenter un tambourin « suspendu » par un ruban! A droite et en bas, on voit aussi les initiales « R.E. » sans pouvoir trancher si ce sont celles du modèle ou du dessinateur. Enfin, à droite et vers le haut mais à l’extérieur du cadre, un insecte aux ailes déployées pourrait être une abeille.
Le portrait du marin apporte – pour l’instant - moins d’information à part la très forte vraisemblance pour qu’il soit de la même main. N’étant pas spécialiste en uniformes de la marine, je ne saurais dater le sien. Il en va de même d’une ébauche de portrait – également de profil et tourné vers la gauche – mais qui n’a été qu’esquissé.
D’autres dessins pourraient, après enquête, amener des compléments d’information. C’est le cas de celui de la figure 11 représentant deux sortes de sabres ou poignards, peut-être de facture orientale, entrecroisés devant un « manche » vertical arborant un panache de crins ou autres fibres. Souvenirs de voyages du marin ? Autour d’une des petites fenêtres du mur nord sont très sommairement esquissées des feuilles d’acanthe.
Il y a aussi des inscriptions. La plus longue est un poème dont la photo figure en 12. Les ruissellements dus aux fuites du toit ont altéré certains mots. Je donne ci-dessous une prudente transcription de ces vers de mirliton qui laissent transparaître quelques nuances du racisme ordinaire de l’époque :
Bel olivier de mon pays Le Web ne révèle aucune trace de publication de ce texte, qui a donc de fortes chances d’avoir été improvisé sur place. Je n’ai pas réussi à trancher si l’inscription du bas est une signature ou une date. Conclusion Il manque à ce rapport toute une recherche généalogique qui permettrait peut-être d’affiner la chronologie de la construction et de l’utilisation du poste. Je compte rendre visite au musée des Amis du Vieux Lambesc ainsi qu’à la mairie de la ville. Interroger les propriétaires actuels (et descendants des anciens) a, pour l’instant, apporté plus de points d’interrogation que de réponses. Entre autres, s’est esquissée l’évocation d’une ancêtre qui aurait compté parmi ses connaissances « un prince russe », lequel aurait séjourné là. Faut-il faire un parallèle avec le dessin des armes orientales? Je ferai de mon mieux pour éclaircir ce petit mystère que n’eut pas désavoué Eugène Sue [3]. NOTES [1] Vingt mille lieues sous les mers, roman d'anticipation de l'écrivain français Jules Verne, paru en 1869. [2] Le 11 juin 1909, une forte secousse tellurique détruisit un grand nombre d'habitations entraînant la mort de 46 personnes à Lambesc et dans les localités voisines. [3] Écrivain français (1804-1857), connu principalement pour deux de ses romans-feuilletons à caractère social : Les Mystères de Paris et Le Juif errant. Pour imprimer,
passer en mode paysage © Jean-Pierre Guillet - CERAV Référence à citer / To be referenced as : Jean-Pierre Guillet Un poste de chasse bourgeois à Lambesc (Bouches-du-Rhône) (A bourgeois hunting post at Lambesc, Bouches-du-Rhône) L'architecture vernaculaire, tome 36-37 (2012-2013) http://www.pierreseche.com/AV_2012_guillet.htm 8 juin 2012 L’auteur : Ingénieur ESE et physicien de radiothérapie, Jean-Pierre Guillet a meublé sa retraite en enquêtant sur les sujets qui excitaient sa curiosité. Après la révélation d’une station de hêtres tortillards sur un volcan de son Auvergne natale, il s’est intéressé au petit patrimoine rural – surtout à un réseau d’irrigations anciennes – autour de son village adoptif de Nonza, dans le Cap Corse. On peut ajouter quelques enquêtes botaniques, de la photographie de façon addictive et de l’écriture de SF. jeanpierreguillet[at]free.fr sommaire tome 36-37 (2012-2013) sommaire site architecture vernaculaire |