Luc Bolevy et Pierre de Laclos LA CABORNE MARQUÉE « BJ » DE SAINT-ROMAIN-AU-MONT-D'OR (RHÔNE)
Résumé La description de cette caborne à la voûte semi-effondrée témoigne de la fragilité mais aussi de la datation délicate de ces ouvrages de pierre sèches, si répandus dans le massif du Mont d'Or au nord-ouest de Lyon. En l’absence de millésime, les marques des tailleurs de pierre, si elles sont des indices précieux, ne peuvent à elle seules garantir une époque de construction exacte, tant les remaniements et les matériaux en remploi sont fréquents sur ces constructions modestes. Abstract The dry stone hut aka "caborne" under scrutiny, with its partially collapsed vault, demonstrates the frailty of a type of building that is widespread in the Mont d'Or area north-west of Lyon, as well as its resistance to dating . Absent an engraved date year, stonecutter's marks prove unable to warrant a precise construction period, especially as alterations and reused materials are not uncommon in such humble constructions.
Le Mont d’Or lyonnais est un petit massif encore relativement naturel situé en limite Nord de Lyon. À dominante calcaire, le massif a donné lieu par le passé à de multiples exploitations de carrières (dont est issue la pierre dite de Couzon), de vignes et de chèvreries jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le massif comporte de très nombreux ouvrages en pierres sèches, édifiés tant par les compagnons carriers et tailleurs de pierres que par les exploitants agricoles. Dans le Mont d’Or, ces cabanes en pierres sèches s‘appellent des « cabornes ». Le vallon d’Arches à Saint-Romain-au-Mont-d’Or est un secteur comportant de nombreuses cabornes. Nous avons choisi de décrire celle-ci [1] en particulier pour plusieurs raisons : - la présence d’une voûte à claveaux, peu fréquente (les cabornes du Mont d’Or sont généralement plus souvent formées d’une voûte en encorbellement), - la marque d’un tailleur de pierre « BJ » ciselée sur la clé de voûte ; cette inscription présente un intérêt d’autant plus grand qu’une marque similaire, au-dessus du portail d’entrée de l’église de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, est datée de 1751, - l’état de dégradation avancé de la construction, son caractère isolé et
probablement peu connu. 1 - SituationCordonnées Lambert 93 datum WGS 84 : 841040, 6527611. La caborne décrite est située dans le Vallon d’Arches à une altitude de 300 mètres sur la commune de Saint-Romain-au-Mont-d’Or (lieu-dit « les Combes » sur la carte IGN au 1/25 000) dans le département du Rhône. Elle est établie sur un versant orienté Est, en dehors des zones d’habitations (la ferme la plus proche est celle du vallon d’Arches à environ 250 m en contrebas). La caborne est positionnée sur un replat et interrompt un mur de terrasse également en pierres sèches. L’édifice est intégré à la pente du versant, probablement recouvert en partie de part et d’autre par le remblai de la terrasse contigüe. La construction est actuellement dans une zone de taillis, sans réel moyen d’accès, à 50 mètres d’un sentier rejoignant la route goudronnée (route du Mont Thou) passant en contrebas. L’examen du cadastre napoléonien de 1828 indique à l'époque
la présence de vignes (« v ») sur la plupart des parcelles du secteur. À proximité
immédiate de la caborne, des cerisiers sont encore présents. Quelques vignes sont
exploitées de nos jours sur une parcelle un peu plus haut.
2 - FonctionLa présence d’une mangeoire en bois témoigne d’un usage récent d’abri à animaux. L’usage initial n’est pas connu, comme pour beaucoup de cabornes du Mont d’Or. Néanmoins, on peut penser qu’il s’agit non pas d’un abri de carrier (aucune carrière à proximité), mais plutôt d’un abri à usage agricole. 3 - MatériauCette construction est en pierres sèches de calcaire local : pierre dorée (calcaire aalénien) et pierre blanche (ciret bajocien). 4 - Aspect extérieurLe plan de la construction est presque carré. Un contrefort
extérieur est présent en façade pour retenir la poussée de celle-ci dans le sens
de la pente. Le tout est envahi par la végétation.
5 - Aspect intérieurLa première moitié de la caborne présente un toit effondré dont les pierres se retrouvent au sol en tas. Ce toit a été remplacé par de la tôle ondulée qui a subi le même sort. Sur cette même partie, on constate que les murs latéraux paraissent avoir été épaissis sans doute pour être confortés. Au fond, la deuxième partie de la construction est mieux conservée, elle présente une voûte à claveaux en berceau simple. Il est difficile de savoir si cette voûte portait originellement sur la totalité de l’emprise actuelle de la construction, où si la partie effondrée n’en constitue qu’un agrandissement dégradé prématurément.
6 - Entrée D’orientation Est, l’entrée est formée d’une ouverture d’élévation rectangulaire dans l’axe de la construction. Le jambage est constitué de pierre dorée taillée avec initiales « LB ». Elle présente un linteau en bois (trois poutres). Les jambages comportent les traces d’une porte (gond et encoche pour le verrou), toutefois celle-ci n'est plus présente. 7 - Détails d'aménagement extérieur La construction présente un fenestron de 16 x 48 cm placé au-dessus du linteau de l'entrée. Ce dernier est protégé de la pluie sur toute sa longueur par des dalles plates en saillie. 8 - Détails d'aménagement intérieur Une niche de dimensions 37 x 30 cm est délimitée par des dalles à 30 cm de hauteur dans le mur latéral gauche.
9 - Paroi extérieure Seule la façade est visible, les murs latéraux et le fond ne sont pas accessibles de l’extérieur. 10 - Paroi intérieure Le fond est formé de gros blocs à la base, puis de moellons ébauchés sur le reste de l’aplomb. Les assises sont régulières et font preuve d’un agencement soigné. La partie antérieure est formée d’une voûte clavée (hauteur : 2,7 m) en moellons ébauchés dont une clé est un bloc taillé portant les initiales « BJ ». Ces mêmes initiales étant présentes sur l’église de Saint-Romain-Au-Mont-d’Or accompagnées de la date 1751, on peut se demander si la caborne ne daterait pas, elle aussi, du XVIIIe siècle ? Cette hypothèse est toutefois à nuancer par le fait que cette pierre inscrite est vraisemblablement un remploi d’un ancien encadrement d'entrée du fait de la présence d’une gâche ou mortaise et du caractère globalement remanié de la caborne.
11 - État de conservation Cette caborne est très dégradée dans sa partie antérieure. Les tentatives probables de consolidation (contrefort en face avant et murs intérieurs partiellement épaissis) n’ont permis qu'en partie de maintenir la stabilité de l’édifice. La voûte est en voie de détachement et de basculement vers l’avant, comme en témoigne un écart anormal entre les pierres de celle-ci. L’entrée et la façade sont également dégradées. Les matériaux de couverture sont partiellement tombés à l’intérieur. Les mouvements de la structure et la présence des différents confortements peuvent être expliqués comme suit : il semble que la partie avant de la caborne ait subi un léger tassement avec le temps, ce qui a eu pour effet de faire basculer sa façade vers l’avant, et de décomprimer une partie de la voûte à claveaux. La partie avant de la voûte s’est alors effondrée, entraînant potentiellement la déstabilisation des murs latéraux supportant la voûte (absence de compression et de poussée sur ces murs provenant de la voûte, et risque de déformation, voire de ruine des murs du fait de la poussée des terres non contrée). Cette caborne a donc été confortée, sans doute peu après son début d’effondrement. Mais sa réparation n’a pas fait appel aux règles de l’art maîtrisées par les « cabornis » [2] : – des contre-murs latéraux ont été édifiés à l’intérieur sur la partie avant de la caborne, pour s’opposer à la poussée des terres, – le mouvement de bascule vers l’avant de la façade a été contré par un contrefort en pierres sèches placé à l’extérieur, à droite de l’entrée, - une toiture (en tôle ondulée) a été placée sur la partie avant, effondrée. Le propriétaire souhaitait donc à cette époque continuer à utiliser cette caborne comme abri. La tôle ondulée s’est par la suite, elle aussi, effondrée, sans doute sous l’effet de la corrosion et du poids des quelques pierres plates que le propriétaire a, semble t-il, placées pour couvrir cette tôle ondulée. La caborne est à l’abandon depuis ce deuxième effondrement. NOTES [1] La rencontre de cette caborne au milieu des ronces est totalement fortuite puisque les auteurs étaient initialement à la recherche, GPS en main, d’éventuels traces de l’aqueduc romain du Mont d’Or, un ouvrage autrement plus ancien. [2] Ou encore « caborniers », appellation donnée aux utilisateurs des cabornes (agriculteurs, ouvriers saisonniers, forestiers, carriers, etc.). Ils en assuraient probablement également la conception et l’entretien. © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Luc Bolevy et Pierre de Laclos La caborne marquée « BJ » de Saint-Romain-au-Mont-d’Or (Rhône) (The "caborne" with the BJ mark at Saint-Romain-au-Mont-d'Or, Rhône) Hommage à Michel Rouvière (dir. Christian Lassure) L'architecture vernaculaire, tome 38-39 (2014-2015) http://www.pierreseche.com/AV_2014_bolevy.htm 22 mai 2014 Les auteurs : Ingénieur territorial en environnent, Luc Bolevy (luc.bolevy@free.fr) s’intéresse non seulement aux questions de patrimoine naturel mais également à la richesse du patrimoine bâti du Mont d’Or lyonnais. En 2006, il suit sur son temps libre des cours de guide-conférencier des villes et pays d’art et d’histoire (VPAH) organisés par la DRAC Rhône-Alpes et l’ALPARA (www.alpara.org). Depuis 2012, il participe aux chantiers de restauration et de mise en valeur de l’association des lavoirs et du petit patrimoine du Mont d’Or. Ingénieur en travaux publics, Pierre de Laclos crée en 2013 la page Facebook « Mont d'Or » pour faire partager la richesse patrimoniale de ce massif relativement préservé au nord de Lyon. Depuis 2014, il est à l’initiative, avec l'aide de Luc Bolevy, d’un jeu libre et gratuit, le Muratori Code. Ce jeu, qui utilise l'histoire et le patrimoine local, consiste à valider des épreuves en résolvant des énigmes et en se rendant à certains endroits du Mont d'Or.
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