Christian Lassure LA ROULOTTE DE BERGER
Résumé Au début du XXe siècle, dans diverses régions de France, le berger dormait, une partie de l'année, dans une cabane-roulotte en bois, posée à côté du parc de claies mobiles servant à rassembler pendant la nuit son troupeau. Chaque jour, l'emplacement du parc changeait. Les derniers moments de cette pratique séculaire, attestée dès la fin du Moyen Âge par des enluminures, ont été enregistrés par les photographes des cartes postales de l'âge d'or. Jointes à quelques photos privées, ces cartes postales nous procurent un étonnant panorama de ces roulottes de berger. Abstract In the early 20th century, a common sight in various regions of France in summer and autumn was the wooden caravan in which a shepherd would sleep at night next to a movable pen used for gathering his flock. Every day, the sheep fold was moved to another area. The last moments of what was a century-old practice – already extant in the late Middle Ages as evidenced by illuminated manuscripts – were recorded by the photographers of the Golden Age of postcards. These, together with a few private photos, afford us a stunning panorama of the wheeled shepherd's hut.
Au début du XXe siècle, dans divers départements ou régions de France (Beauce, Perche, Eure, Oise, Cantal, Puy-de-Dôme, Lozère, etc.), le berger dormait, une partie de l'année, dans une cabane-roulotte en bois plus ou moins grande, posée à côté du parc de claies mobiles servant à rassembler pendant la nuit les moutons dont la garde lui avait été confiée par un ou plusieurs propriétaires. Les chiens dormaient sous la roulotte. Chaque jour, l'emplacement du parc changeait de façon à ce que les déjections ovines fertilisent la totalité de la parcelle occupée. Les derniers moments de cette pratique séculaire, attestée dès la fin du Moyen Âge par des enluminures (1), ont été enregistrés par les photographes des cartes postales de l'âge d'or. La réunion de ces cartes postales, jointes à quelques rare photos privées, nous procure un panorama de ces cabanes sur roues dans une partie de la France rurale dans la première décennie du XXe siècle et même après, certaines vues étant encore éditées et diffusées dans les années 1930 et 1950.
Quelques auteurs français de la fin du XIXe siècle évoquent ces cabanes mobiles. Ainsi, une nouvelle de Guy de Maupassant, Le Saut du berger (1882), met en scène une roulotte occupée par deux amants pour leurs ébats. Le prêtre de la paroisse, haïssant les plaisirs charnels, enferme le couple dans la carriole et pousse celle-ci dans une pente où elle se fracasse à l'arrivée. Pour le meurtre des deux occupants, l'assassin est condamné aux travaux forcés. De même, Émile Zola, dans La Terre (1887), évoque ce dispositif : « Le berger, pour avoir un peu d'ombre, s'était assis contre la cabane à deux roues, qu'il poussait à chaque déplacement du parc, une étroite niche qui lui servait de lit, d'armoire et de garde-manger ». Ces roulottes étaient montées sur un essieu fixe à roues en bois ou en fer. Certaines avaient une troisième roue à l'avant. D'autres, pourvues d'un timon axial, voire parfois de deux timons parallèles, étaient tirées par une paire de bœufs, un cheval, un âne, ou par le berger lui-même, voire les chiens, pour les plus légères, lorsque le parc était déplacé.
L'habitacle était presque toujours en forme de maisonnette à deux gouttereaux et deux pignons et à toit à double pente, mais une maisonnette dans laquelle il était impossible de se tenir debout (contrairement à la roulotte d'habitation des forains et des romanichels). Document No 1 Au début du XXe siècle, dans la plaine de la Beauce, au sud-ouest de Paris (2), la cabane sur roues du berger va de pair avec le parc à moutons. La présente carte postale en est une illustration éloquente : on aperçoit, au premier plan, le troupeau, confiné dans son enceinte par des claies mobiles en bois ; au plan intermédiaire, sur la gauche, la roulotte, le berger et ses chiens ; à l'arrière-plan, un champ retourné où des ouvriers agricoles semblent occupés à étendre de la chaux. Il faut savoir qu'à la demande des agriculteurs, le berger installait son troupeau sur leurs terres pour les fumer. Le parc était déplacé de façon à ce que tout le champ soit fumé.
Document No 2 La cabane mobile occupant le premier plan de cette carte postale est la même que celle aperçue dans la carte précédente (le lieu aussi est le même, d'après les petits tas de chaux qui parsèment le champ à l'arrière-plan). L'habitacle, en forme de maisonnette à deux gouttereaux et deux pignons, est réalisé en planches posées verticalement, sans couvre-joint. Il est coiffé d'une bâtière de planches recouverte apparemment de zinc ou de toile imperméabilisée. À droite, l'habitacle repose sur un essieu muni de deux roues en bois cerclées de fer ; à gauche, il est précédé d'une grande roue en bois cerclée de fer elle aussi. La porte d'entrée s'ouvre dans le gouttereau, là où la roue ne gêne pas. C'est un solide vantail équipé d'une serrure et qui se rabat contre la grande roue. On aperçoit une tablette et un orifice de ventilation dans le triangle du pignon de gauche et une deuxième tablette en bas du pignon de droite. Assis dans l'embrasure de l'entrée, entre ses deux chiens, le berger, le bonnet de nuit vissé sur la tête et la pipe au bec, fixe le photographe.
Document No 3 Toujours la même cabane mobile et le même berger beauceron. La cabane n'a pas bougé d'un pouce mais le berger est allongé sur son matelas à l'intérieur de l'habitacle. Il a laissé ses sabots bien rangés devant la porte. On aperçoit la planchette rétractable sur laquelle il était assis dans la carte précédente. Ses deux chiens sont allongés sous la carriole. Il ne reste plus à l'occupant qu'à attendre que la nuit tombe (du moins c'est ce que la mise en scène vise à nous faire croire).
Document 4 Cette roulotte ressemble à s'y méprendre à la précédente sauf que l'entrée se trouve de l'autre côté (mais cela pourrait résulter de l'inversion du négatif du cliché), que la paroi extérieure comporte des couvre-joint à la jonction des planches disposées verticalement et que la tablette courant à la base du pignon de gauche est plus proéminente et qu'elle est dotée de deux anneaux (pour la traction ?).
Le mur de clôture et l'entrée d'une propriété à l'arrière-plan à gauche suggèrent que l'on est près d'une habitation et non plus dans les chaumes. Le chien devant l'entrée est de la race dite berger de Beauce. Document No 5 Toujours en Beauce, une nouvelle cabane-roulotte de même type que les précédentes. Elle consiste en un habitacle rectangulaire en planches verticales à couvre-joint sous une bâtière couverte de feuilles de zinc ou de toile imperméabilisée. Les deux roues sous l'habitacle sont en métal, la troisième roue est en bois cerclé de fer. À droite, on a une sorte de tablette.
Le berger, qui est en bonnet de nuit, pose, assis sur son matelas, dans l'embrasure de l'entrée. Celle-ci se ferme par un vantail doté d'une serrure et qui se rabat contre la troisième roue. On devine qu'il y a tout juste la place pour s'allonger. Document No 6 La même cabane-roulotte que dans la carte postale précédente mais le berger est cette fois assis dans l'embrasure de l'entrée, à côté d'un jeune garçon en béret, qui est assis sur la roue en métal. Le berger tient une gamelle entre ses genoux : petit déjeuner, repas du soir qu'on vient de lui apporter ?
Document No 7 On est ici toujours en Beauce et avec une nouvelle cabane-roulotte de berger et un nouveau parc. La meule de paille cylindro-conique qui trône au centre de l'image rappelle que l'on est dans une grande plaine céréalière, dans les chaumes après la moisson.
L'habitacle a ses parois réalisées en lames de bois disposées verticalement. Des couvre-joint sont fixés sur la bâtière de planches, sous les feuilles de zinc ou la toile imperméabilisée. Le vantail de la porte est maintenu rabattu contre la troisième roue par le bâton du berger. L'occupant, en chemise et bonnet de nuit, est allongé sur son matelas dans l'habitacle et regarde le photographe. La planchette amovible servant de siège, est sortie. Document No 8 Une autre cabane mobile de berger et son parc à moutons attenant. Posant pour le photographe, le berger a mis genou en terre et caresse son chien. Il porte une sorte de manteau et une casquette.
Documents Nos 9a et 9b et 10a et 10b Les deux cartes postales colorisées suivantes montrent encore une autre cabane-roulotte du même type que les précédentes. Dans la première carte (dont nous reproduisons deux éditions, Nos 9a et 9b), le berger, assis devant l'entrée de sa cabane, est accompagné d'un aide. Le vantail en bois est rabattu et bloqué à l'aide d'un gros bâton. On retrouve ce bâton dans la deuxième carte (No 10), où il est simplement posé à côté de la porte refermée. La colorisation des cartes 9a et 9b est fantaisiste : la bâtière de la cabane passe du jaune dans la première au bleu clair dans la seconde. Quant au chaume, le vert le fait ressembler à du gazon de parcours de golf. Document No 9a
Document No 9b
Document No 10a
Document No 10b L'absence de colorisation permet de se rendre compte que les parois de l'habitacle sont en planches posées verticalement.
Document No 11 Avec cette carte postale, on quitte la Beauce pour le Perche, une région scindée entre les départements de l’Orne, d'Eure-et-Loir, de la Sarthe et une faible partie du nord du Loir-et-Cher. La cabane de berger est du même type que celles vues en Beauce. On note cependant quelques différences : les parois de l'habitacle sont en planches disposées horizontalement et une sorte de coffre est fixé à la base du pignon de droite.
Document No 12 Cette carte postale des années 1900 atteste l'existence de cabanes sur roues dans l'Eure, département où se trouve la Côte des Deux-Amants, colline située au confluent de la Seine et de l'Andelle, son affluent en rive droite. Dans la plaine en contrebas de la Côte, on aperçoit une roulotte garée en bordure d'un champ en chaume en train d'être labouré. On ne voit pas de moutons mais il y a au moins deux vaches qui broutent le long d'un talus.
À l'agrandissement, on découvre un véhicule formé d'une caisse en bois, en planches horizontales, coiffée d'une bâtière débordant légèrement en gouttereau mais s'avançant fortement en pignon, le tout monté sur un essieu fixe à deux roues en bois à moyeu et tiré par deux timons parallèles. On distingue une béquille droite à chaque bout de l'habitacle et sous celui-ci à façon à que la roulotte reste à l'horizontale. À l'arrière, sous l'avancée de la toiture raidie par une entretoise, on aperçoit deux bidons à lait.
Document No 13 Le recto de cette carte postale indique d'emblée le département où la scène a été photographiée : le Cantal, soit à quelques centaines de kilomètres de la Beauce et du Perche et dans un relief qui évoque non plus la plaine mais la montagne. C'est bien une cabane roulante de berger que l'on aperçoit à l'extérieur d'un parc et contre laquelle se tient un pâtre vêtu d'une houppelande. Aucun mouton à l'horizon, il n'y a que des bovins et un cheval, monté peut-être par l'employeur du berger. On remarque que la cabane possède un timon axial à l'avant, ce qui implique qu'elle doit être tirée par des bêtes étant donné la pente du terrain. L'habitacle est réalisé en planches disposées horizontalement. La bâtière, plus pointue que celle des cabanes beauceronnes, est en planches à couvre-joint.
Document No 14 Le navari, ou plus exactement navarit, est « en Saintonge [un] petit abri, [une] petite baraque en bois que l'on établit dans les terres ou dans les marais pour mettre les bergers à l'abri », nous dit Marcel Lachiver dans son Dictionnaire du monde rural (1997). En fait, le terme est également attesté plus au nord, en Vendée, si l'on en croit cette carte postale de l'âge d'or. Le navari vendéen de cette carte a quelque chose en plus de la définition de Lachiver : des roues. Son aspect est tout à fait classique : une caisse rectangulaire aux parois en planches disposées verticalement et au toit en bâtière recouvert de zinc ou de toile imperméabilisée, montée sur deux roues en fer, avec une entrée latérale fermée par une porte se rabattant du côté de la roue. Il semble y avoir un timon à l'avant mais la vue est coupée.
Le petit quatrain en patois vendéen (traduction littérale : « Quand je suis dans mon navari enjolive quelque peu la réalité : la caisse en bois n'offre qu'une très faible isolation thermique et, s'il pleut à verse ou qu'il grêle, le tambourinage sur le toit est insupportable (3). À l'aire d'extension du navarit on peut ajouter les départements de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vienne, puisque le Glossaire du Poitou, de la Saintonge et de l'Aunis de Léopold Favre (1867) compte parmi ses articles le lavarit (variante orthographique de navarit), avec comme définition : « Cabane montée sur deux roues, qui sert d'habitation au berger chargé de garder les moutons dans les champs, pendant la nuit ». Document No 15 On a affaire ici à une photo privée de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe, légendée « Cabane de berger » mais sans indication de lieu (la colline dans le lointain exclut la Beauce en tout cas).
L'intérêt du document vient de ce qu'il exhibe une cabane-roulotte sous un angle peu commun : celui d'un de ses pignons. Ce pignon est en planches horizontales, sans couvre-joint ; la toiture, également en planches, repose sur des pannes (deux sablières et une faîtière) dont le bout saille sous les rampants de la bâtière. Le berger n'est pas loin, à quelques mètres à peine derrière la roulotte, sur la gauche, mais l'effet de perspective le fait paraître tout petit. Document No 16 Ce dessin, qui figure sur une carte postale du début du XXe siècle, semble avoir été destiné à être colorié au crayon de couleur à en juger d'après un autre exemplaire qui, justement, a connu ce sort. Il montre une guérite en bois sur roues (et non une cabane en bois). Aucune indication de lieu n’est portée sur le document. On imagine mal notre berger en houppelande y dormant allongé. Il garde d'ailleurs ses ouailles, à bâton planté, sous le croissant de lune et l'étoile du berger. Autres traits remarquables : les planches de la bâtière disposées à clin, les roues pleines sous le pignon (les deux autres ne sont pas visibles) et le regard au carré découpé dans le triangle du pignon.
Document No 17 Sur cette carte colorisée d'une cabane mobile beauceronne, on découvre un type de matériau de couverture plus rustique que le zinc ou la toile imperméabilisée : la paille. Pour maintenir celle-ci en place, un cadre en bois l'enserre. Ce toit de paille n'est peut-être pas très étanche : un bout de toile est jeté par-dessus le faîte (à moins qu'il ne s'agisse de linge en train de sécher). Autre détail à noter : derrière le parc, se trouve une citerne à eau mobile.
Document No 18 À en juger d'après cette carte postale à bordure blanche et de teinte sépia des années 1930, la cabane de berger à toit de chaume se rencontrait aussi dans le Puy-de-Dôme.
Notre spécimen auvergnat est constitué d'un habitacle en planches disposées horizontalement, sans couvre-joint, sous une bâtière de paille maintenue en place au moyen d'une corde serrée qui en fait le tour. Des javelles de paille sont disposées contre le pignon avant de la cabane. L'habitacle est posé sur un essieu auquel sont fixées deux roues en bois à moyeu. Le timon axial à l'avant permet de tracter la cabane. Son extrémité repose sur une béquille, dispositif sans lequel l'habitacle ne pourrait rester horizontal au repos. Le côté visible de l'habitacle comporte une découpe en forme de carreau pour l'aération ou pour la surveillance. Le parc qui accompagne ordinairement la roulotte est plus haut sur le versant. Le photographe a retouché à l'encre blanche les angles de la cabane et un des rampants de la toiture mais aussi les barrières de l'enclos Document No 19 Cette carte postale en noir et blanc du début du XXe siècle met au centre de la scène pastorale le berger entre sa cabane-roulotte et ses moutons. Le lieu n'est pas précisé mais il s'agirait de la Loire-Atlantique. Les bêtes sont fort occupées à ratiboiser les chaumes d'un champ sous la surveillance de leur berger. Vêtu d'un manteau de fourrure (de chèvre ?) et portant une besace en bandoulière, celui-ci s'appuie sur sa houlette (4) fichée en terre. À l'autre bout du champ, on aperçoit les barrières en bois du parc.
La cabane mobile comporte un habitacle en assemblage de planches horizontales, sans couvre-joint. Elle est munie d'un essieu fixe et de deux roues en bois ainsi que de deux timons parallèles. Une béquille oblique empêche le basculement vers l'avant ou l'arrière. L'habitacle est coiffé par une bâtière de planches couverte d'un revêtement de paille maintenu par des gaules. Sous l'avancée des rampants, le pignon visible s'orne d'une étagère sur laquelle sont posés une écuelle et un maillet. Document No 20 On passe ici, comme l'indique la légende, à l'un des hauts plateaux d'Auvergne (il s'agit du plateau de Laqueuille dans le Puy-de-Dôme, à 1000 m d'altitude). Le photographe a planté son appareil au milieu d'un parc à moutons, ce qui nous vaut la vue de la cabane-roulotte du berger stationnant sur un des côtés du parc. Si les roues ne sont pas visibles, en revanche la couverture de chaume l'est. Elle vient même recouvrir les pignons. Elle est maintenue en place par un cadre en bois.
Document No 21 Dans cette carte postale des années 1950, le plan d'eau visible à l'arrière-plan est l'étang de la Cassière sur la commune d'Aydat dans le Puy-de-Dôme. La cabane du premier plan est du même type que celle entraperçue dans la carte précédente : elle possède en effet le même toit de chaume à quatre versants, deux longs et deux courts, enserrés dans un cadre en bois. Bien que le véhicule soit en contrejour, on distingue ses deux roues en bois et un bout d'essieu, un timon axial et une béquille latérale à l'avant.
Si le cliché lui-même n'est pas antérieur à la carte postale, cela indique une utilisation tardive de ce type d'abri pastoral nocturne dans la région. On peut penser que le toit de paille est là non seulement pour protéger la cabane de la pluie mis aussi pour lui donner une meilleure isolation thermique. L'existence, en Auvergne, de cabanes mobiles pour l'accompagnement et la surveillance du troupeau, est signalée pour la région des Monts-Dore par le géographe Georges Bertrand dans son livre La Vie pastorale dans les Monts-Dore (Lyon, 1932). Le bâtier, écrit-il, avait pour guérite de nuit un lit clos, couvert de chaume, en bois ou en zinc et monté sur deux roues, un timon permettant d'y atteler des vaches pour le déplacement. Ce rare document est une photographie albuminée de la fin du XIXe siècle (c. 1880 ?). Dans un lieu qui est donné comme étant le Puy-de-Dôme, on voit un extraordinaire abri mobile de berger dont l'habitacle est non pas une caisse en bois mais une énorme ruche de paille cylindrique dont la partie supérieure, de forme arrondie, est hérissée de côtes rayonnant depuis une sorte de chignon terminal. On peut supposer que la cloche de paille repose sur une armature empêchant son affaissement. Le véhicule est une charrette à essieu fixe et deux roues et à timon axial.
Le berger s'est soumis de bonne grâce aux indications de pose du photographe : allongé sous sa cloche de paille, il passe sa tête, appuyée sur son coude, dans l'embrasure découpée dans la paroi de paille. Sa houppelande est accrochée à l'extérieur de la cloche tandis que sa houlette est posée dans l'herbe. Ses sabots sont rangés bien proprement sous l'entrée. Au loin, dans un champ voisin, on aperçoit une autre cabane en paille sur roues et quelques barrières en bois. Faut-il penser qu'on a là un type d'abri mobile antérieur à la roulotte entièrement en bois ? Ou bien s'agit-il d'une invention locale ? Le fait est que l'agronome anglais Arthur Young, dans Voyages en France en 1787, 1788 et 1789 (traduction Henri Sée, Armand Colin, 1931, pp. 762-763), rapporte avoir observé, plus au sud, dans le Quercy, vers Cahors, des parcs à moutons, notant que « la maison du berger ressemble un peu à une ruche sur deux manches pour la faire mouvoir comme une chaise à porteurs » et qu'elle est accompagnée d'« une petite hutte pour le chien ». Si l'on peut penser que la description est bien celle d'une ruche de paille, on doit constater cependant qu'il n'est pas question de charrette à deux roues et timon comme dans le Puy-de-Dôme. Document No 23 Malgré l'absence de roues, on reconnaît ici la classique cabane de berger avec son toit à deux pentes et son entrée en gouttereau. Grâce aux bras fixés de chaque côté des pignons, elle se transporte à la façon d'un brancard. Posé à terre, l'habitacle y repose sur quatre solides pieds ou béquilles d'angle. N'étant plus gênée par la présence d'une roue, l'entrée peut occuper le centre du gouttereau et surtout être plus large et se fermer à l'aide de deux vantaux.
Pour les besoins de la photo,
l'occupant pose mi-assis mi-allongé sur sa paillasse, comme à son lever.
Le chien à droite de l'huis est de la race dite berger de Beauce.
Document No 24 Décrite comme étant une cabane du berger et se trouvant à Loubaresse dans le Cantal, cette structure à armature de bois et à parois et toit de paille est posée dans un enclos où broutent quelques moutons. Elle repose sur le sol par des béquilles ou pieds et l'on distingue sous elle comme un socle formé de poutres équarries. En l'absence de roues, il faut parler ici de cabane portable ou transportable. Le toit de l'habitacle semble être à un versant.
Documents Nos 25 et 26 La cabane mobile du berger n'étant utilisée qu'à la belle saison, on peut penser que le reste du temps elle stationnait dans la cour de la ferme. C'est ce que semble indiquer une carte postale représentant l'intérieur d'une ferme située à Villeneuve-le-Roi dans l'Oise : on y aperçoit, garée devant la grange-fenil, une roulotte reconnaissable à ses deux grandes roues et à son vantail latéral coulissant.
On trouve une autre roulotte de berger stationnant dans une cour de ferme, dans une carte postale de Saint-Aubin-sur-Mer dans le Calvados, mais cette fois le troupeau, une trentaine de bêtes, et son berger, ne sont pas loin. On remarque que le timon de la roulotte est posé sur un paufourche et que l'essieu à deux roues est curieusement plus long que nécessaire, si bien qu'il y a un dégagement d'une cinquantaine de cm entre une des roues et le côté correspondant de la caisse en bois; enfin, la toiture semble être en pavillon.
Document No 27 Cette carte postale composite en couleur nous fait faire un saut de quelque 90 ans, jusqu'en l'année 1994, avec sa cabane-roulotte de berger d'un modèle plus élaboré que les spécimens visibles dans les cartes de l'âge d'or. Cette roulotte n'est pas sans attirer l'attention avec ses deux roues en bois logées sous l'habitacle, son entrée occupant toute la moitié gauche et toute la hauteur du pignon, ses confortables dimensions en largeur et en hauteur qui font qu'un homme peut se tenir debout à l'intérieur, ce que confirme la taille du berger assis dans l'embrasure de la porte.
Le gouttereau est revêtu de planches disposées dans le sens de la longueur ; il est percé d'un fenestron au carré. Le toit étant à deux versants, la porte en bois (faite de trois grandes planches verticales et de deux traverses horizontales) a sa partie supérieure coupée en suivant la pente du rampant. Dans l'image en haut à droite, on aperçoit, à l'arrière-plan, notre roulotte garée en bordure du champ. Si les deux photos du haut sont prises au même endroit, en revanche celle de l'angle inférieur droit concerne une autre région (le berger est différent et le paysage méridional). Faut-il voir, dans cette rare réapparition de la roulotte de berger dans une carte postale moderne, les prémices de l'intérêt actuel pour ce type d'abri champêtre ? Conclusion Il serait vain de croire que la présente réunion de cartes postales couvre toutes les régions où des roulottes de berger ont pu exister. Elle est tributaire des préférences des photographes ou des commandes qu'ils ont reçues de la part des éditeurs. Elle ne laisse donc voir qu'une petite partie des types ayant existé au tournant du XXe siècle. On peut penser que la vaste bibliographie des écrits sur l'ancien
monde rural que nous a léguée le XXe siècle, contient des informations
à leur sujet. Encore faut-il avoir le temps et les moyens de dépouiller ces
sources.
L'Internet, heureusement, vient à notre secours : les moteurs de recherche dénichent quelques photos de roulottes de berger que des passionnés ont sauvées de la ruine, ou que des musées ruraux conservent ou exposent, ou encore que des randonneurs ont photographiées alors qu'elles étaient abandonnées dans un champ ou dans un hangar. Parfois, la photo est accompagnée d'un texte qui nous renseigne sur le contexte géographique et historique de la cabane itinérante et sur son emploi. On peut faire appel à ces sources pour essayer de compléter le panorama ci-dessus. Ainsi, des roulottes de berger sont signalées à Lignereuil dans le Pas-de-Calais, à Cayeux-sur-Mer et à Poulainville dans la Somme, à Gouvieux dans l'Oise, à Davron dans les Yvelines, à Faverolles-et-Coëmy dans la Marne, à Bitche et à Spicheren en Moselle, à Banogne dans les Ardennes, à Saint-Sandoux et à Saint-Anthème dans le Puy-de-Dôme, à Saint-Flour dans le Cantal, à Saugues et à Monistrol-d'Allier en Haute-Loire, à Saint-Amans en Lozère (Loire). Cette liste ne peut que s'allonger. Il nous semble qu'il y a là ample matière à étudier : bâti, locomotion, aménagement intérieur, évolution technique (certaines roulottes de berger tardives se rapprochent de celles des gens du voyage), dernière période d'utilisation (la Seconde guerre mondiale, les années 1950 dans certaines régions). La connaissance du logement saisonnier des travailleurs en bas de l'échelle sociale dans l'ancienne société rurale vaut bien quelques efforts (5). NOTES (1) Il s'agit d'enluminures de la
deuxième moitié du XVe siècle : (2) Située au sud-ouest de Paris, la
Beauce s'étend sur les départements de l'Eure-et-Loir et du Loir-et-Cher et
déborde sur le Loiret, l'Essonne et les Yvelines.
(3) Cet inconvénient de la couverture de zinc est
signalé par le rédacteur de la fiche « La cabane du berger » (tsabona di pastre)
sur le site de l'association Cézallier − Vallée de Sianne (Cantal) : « Cette
roulotte fut d’abord recouverte en chaume. Par la suite beaucoup seront recouvertes en
zinc. Dans cet espace clos l’isolation thermique était inexistante et en cas de grêle
le martelage de la tôle était insoutenable ».
(4) Sorte de grande canne terminée à un bout
par un crochet qui servait à attraper les moutons par le jarret, et à l'autre bout par
un support plat qui servait à lancer très loin un bout de terre sur les moutons
qui s'éloignaient trop du troupeau.
(5) Apparemment, le berger n'était pas le seul à dormir
dans une roulotte : un glossaire du parler dolois dans l'arrondissement de
Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), publié en 1910, nous apprend que les domestiques
préposés à la garde des chevaux dans les pâturages dorment dans une « loge » ou
« maisonnette de planches sur roues ». © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure La roulotte de berger d'après des cartes postales et photographies anciennes (The shepherd's caravan as shown in old postcards and photographs) L'Architecture vernaculaire, tome 38-39 (2014-2015) http://www.pierreseche.com/AV_2014_lassure.htm 30 janvier 2014 L’auteur : agrégé de l'université, professeur honoraire, Christian Lassure est archéologue et ethnologue.
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