Louis Cagin
RESTAURATION DE LA CABANE DE BERGER DE L'HIVERNET À EMBRUN (HAUTES-ALPES) (2016-2018)
Résumé Louis Cagin décrit la restauration de la cabane d’estive en pierre sèche de l’Hivernet à Embrun dans le département des Hautes-Alpes. D’après la mémoire locale, cette cabane a été utilisée par les bergers jusqu’au milieu du XXe siècle avant d’être remplacée par une nouvelle cabane d’estive plus adaptée aux conditions de confort contemporain. Abstract In this article, Louis Cagin relates the restoration of a dry-stone summer hut at L'Hivernet in Embrun in the Hautes-Alpes département. According to local memory, the hut was used by shepherds until the middle of the 20th century before being replaced by a new summer hut more suited to contemporary comfort conditions. The restoration was carried out in two technical stages. The first one dealt witht the “archaeological” analysis of the building and focussed on its correct understanding and the study of its technical components. The second one used these elements to contextualize and restore the hut exactly as it was. The article dwelled on these two stages and described point by point their articulation during the actual restoration. The nearby surroundings were also visited, revealing other ruined huts, as well as many graffiti silently echoing the noisy activity of the many shepherds then inhabiting these mountain pastures.
Introduction La restauration de la cabane de berger en pierre sèche de L’Hivernet sur les alpages d’Embrun dans les Hautes-Alpes s’est déroulée de 2016 à 2018 à l’initiative du Parc national des Écrins avec les associations Le Gabion et Une pierre sur l’autre. Elle a nécessité trois interventions sur site, les 24 et 25 août 2016, du 22 au 25 mai 2017, puis les 30 juin et 1er juillet 2018. 1. Localisation sur Géoportail 1.1 Hier
Sur la carte de Cassini en 1740 (référencée Briançon N°151 sur Géoportail), L’Hivernet est indiqué mais il n’y est pas fait mention de bâti. Une cabane est indiquée plus haut à la Rabière, près du ruisseau des Rabions (nommé torrent de la Rabière sur la carte IGN actuelle). Sur la carte d’État-Major de 1866 (section de Gap), le versant est nommé l’Uvernet et il n’est fait mention d’aucune cabane. Des vues aériennes de 1952 sont visibles sur le site de Géoportail, je n’ai pu les interpréter. Il serait également intéressant de consulter le fonds de l’aérophotothèque à Aix-en-Provence : http://ccj.cnrs.fr/spip.php?rubrique74 De mémoire orale, ce cabanon aurait servi d’abri jusqu’à la construction du nouveau en 1950 environ [1]. 1.2 Aujourd’hui
Sur la vue aérienne http://geoportail.fr/url/7FBFsa on peut voir, non loin de la cabane, trois rectangles qui semblent indiquer des fondations d’enclos ou de cabanes. La carte IGN actuelle indique cette cabane : http://geoportail.fr/url/7FB7cJ, ainsi que la nouvelle. Lien vers la carte géologique : http://geoportail.fr/url/7FB7cH Les recherches cadastrales restent à faire. Victor Zug a modélisé la cabane en 3D : http://sketchfab.com/models/3ca4cbc6c4f7497eaaac81022948b3d1 1.3 La pierre Il s’agit de pierres d’origine micro-locale, grès jaune, calcaire marneux, lauzes, toutes viennent des bancs de la falaise qui surplombe la cabane (fig. 3).
2. État des lieux et questionnements 2.1 La voûte La cabane de berger de L’Hivernet est composée d’une voûte en plein cintre en pierre sèche partiellement enterrée. Le demi-cylindre qu’elle dessine est orienté nord-sud et définit l’espace habitable de la cabane. La partie nord est partiellement enterrée, la partie sud largement ouverte aux rayons du soleil. La voûte en elle-même ne présente pas de signe de ruine ni d’affaissement. Elle est très saine même s’il est possible qu’elle présente une légère déformation aux coins nord-ouest et sud-est de l’intrados (fig. 6). Celui-ci ne présente aucun signe de crépi ou de liant, non plus que de terre, les pierres sont brutes, il est totalement en pierre sèche. Au niveau de l’extrados, les pierres ont été laissées en saillie (fig.1 et 5), leurs joints sur la moitié sud sont exempts de terre et de granulat à notre arrivée ; la moitié nord, quant à elle, est entièrement recouverte de terre engazonnée.
La voûte est entièrement autoporteuse et désolidarisée des murs qui l’encadrent et qui ferment la cabane : au fond (fig. 6) et en façade (fig. 5) mais également sur les deux autres côtés. Il est ainsi certain que la voûte a été construite indépendamment et avant les autres éléments.
Cette voûte est ainsi la structure première du bâtiment. Il est donc possible d’imaginer que sa destination initiale était non pas une cabane de berger mais par exemple une bergerie couverte près d’une cabane aujourd’hui disparue. L’appareillage des pierres de la voûte laisse apparaître un sabre irrégulier dans la structure maçonnée. Il correspond à une reprise, soit pour agrandissement ou à la suite d'un état de ruine partielle de celle-ci (fig. 7 à 9) d’après le raccord, la partie du fond serait alors antérieure. Nous nous sommes posé la question de l’utilisation de terre sur la voûte comme isolant entre celle-ci et les lauzes composant la toiture, rien ne nous a permis de répondre et cette question reste ouverte [2].
2.2 Les murs extérieurs Les quatre murs extérieurs sont d’appareillage et de nature très différents. Le mur nord (fig.6) est un soutènement en pierre sèche classique, il est accolé à la pente et retient le sol. Il fait ventre et menace de s’effondrer. Il s’inscrit sous la voûte, mais sans se croiser avec elle, il a de fait été érigé après la construction de celle-ci.
Les deux murs latéraux sont en mauvais état mais toujours en place à notre arrivée (fig. 1). Ils sont également en pierre sèche. Peu hauts, ils jouent le rôle de contreforts en encadrant la voûte à l’endroit où elle pousse latéralement. Ils ont également l’utilité de préparer la pose des lauzes de toiture et d’éloigner de l’intérieur de la cabane le ruissellement des eaux de pluie. Lors de leur réfection, aucun indice de croisement structurel avec la voûte n’a été trouvé. Les deux murs ont été restaurés lors de la première intervention (fig.13).
La façade est un mur à double parement installé au sud de la voûte (fig. 1, 4, 5 et 13). Il est jointif avec celle-ci mais la voûte s’arrête net à son endroit et son appareillage ne croise nulle part avec elle (fig.1 et 5). Une ouverture centrale permet d’accéder à l’intérieur de la cabane. Aucun indice retrouvé ne permet de dire si une porte était installée et quel système était employé pour ce faire. Cette ouverture est encadrée par deux chaînages d’angle, lesquels ont été renforcés et recalés lors de notre intervention, et par un linteau monolithe (millésimé 1617 ?) sur lequel nous ne sommes pas intervenus. À noter, à l’entrée, une pierre plantée assez profondément, que nous avons laissée en place. Les traces d’un fenestron étaient encore décelables à notre arrivée, il a été restauré selon les dimensions encore observables en façade grâce à son linteau gravé (fig.15 et 53). De mémoire orale, ce fenestron a servi à faire passer le tuyau du poêle. Nous y avons inséré un « cercle de poêle » retrouvé lors de notre action.
L’angle sud-ouest était très endommagé à la suite d'un affaissement et d'un basculement avec pendage avec contrefruit de la pierre d’angle en fondation. Tout l’angle sud-ouest avait été emporté et était ruiné au-dessus de 60 cm, ce qui impliquait la partie sud du mur latéral, le pignon ouest du mur de façade, intérieur et extérieur. Il a été restauré entièrement lors de la première intervention à l’exception du jambage de l’ouverture qui est resté en place et à juste été recalé (fig.14). À l’angle sud-est, le pignon a été rehaussé pour permettre la symétrie en façade et respecter la hauteur induite par les pierres d’angle, action qui a créé un décrochement entre le mur et la couverture de lauzes (fig.17). La façade a ainsi repris un aspect équilibré, le linteau d’origine a été surmonté d’un petit linteau posant sur des billettes afin d'alléger la charge du premier. Ce deuxième linteau a été choisi sur un tas de pierres disposé devant la cabane, certainement originaires d’une intervention antérieure sur l’ouvrage, il est millésimé d’un graffiti, S.L.1938 (fig. 16).
2.3 L’intérieur Le sol est recouvert d’une épaisse couche de terre très humifère (fig. 6). Un sondage a permis de découvrir qu’une ancienne installation de dalles était encore en place un peu plus profondément. L’extérieur de la cabane a lui aussi été dallé de façon à aménager une terrasse devant l'entrée. Plusieurs niches sont réservées dans la voûte, elles semblent avoir été construites simultanément, certaines ont été bouchées en raison de la fragilité de leur linteau. Nous en avons bouché une pour cette même raison. Deux niches sont encore opérationnelles après notre passage (fig. 18). Plusieurs bouts de bois plantés dans les joints de la voûte indiquent d’anciennes fixations ou patères. La présence de manques dans l’appareillage des pierres de la voûte à une certaine hauteur de chaque côté pourrait indiquer la mise en place de bois traversants pour aménager des accroches ou autres. À noter une pierre percée en sommet de voûte.
Si la couverture semble avoir été composée de lauzes placées directement sur l'extrados de la voûte, aucune trace d’appareillage ou d’installation de pierres n’a été retrouvée en interface voûte/couverture à notre arrivée. La possibilité de pose sur de la terre reste une hypothèse peu crédible sauf sur la partie nord-est de la toiture, où la présence de terre semble due à l’inscription du bâti dans la pente de la montagne. Les lauzes placées en couverture y étaient encore lisibles (fig. 17 et 9). Le doute est néanmoins permis quand on observe l’état de « propreté » de la voûte dans la partie sud, où seules les claveaux sont présents et où des traces de terre bouchent le fond des joints (fig. 1). Si l’on se réfère à la partie nord-est, qui est au niveau du sol du fait de la pente, il est également possible d’émettre l’hypothèse d’un recouvrement des lauzes par de la terre engazonnée, en guise de protection et/ou d'isolation.
3. Les restaurations Notre première action en 2016 a permis d'entamer le travail de couverture de la cabane. Il est à noter que nous avons alors consommé la totalité des lauzes présentes sur le site pour ne couvrir que moins de la moitié de l’ouvrage. Ceci nous semble dû à la technique que nous avons employée, nous attachant à réaliser une couverture très régulière et soignée de lauzes jointives « en rectangle » (fig. 11 et 17). Nous avons repris l’angle sud-ouest et le mur ouest (fig. 13 à 15). Nous avons restauré le pignon de la façade (fig. 13 et 20).
Notre deuxième action en 2017 est programmée pour restaurer le mur de soutènement du fond de la cabane et pour achever la couverture, ce qui nous amène à étudier plus précisément l’intérieur du bâtiment. 3.1 L’intérieur Côté nord, le mur intérieur est un soutènement qui retient le talus dans lequel s’enterre la cabane. Le mur fait ventre et menace de s’effondrer, raison pour laquelle la bergère n’utilise plus lcet espace. Nous dégageons le mur en fondation.
Les pierres de fondation sont en contre-pendage et ont initié le ventre. Nous les conservons en place et prenons le parti d’avancer le parement en prenant appui sur les pierres plantées des anciens aménagements du sol afin de réinstaller notre première assise avec le pendage nécessaire (tracé en vert et en bleu sur le croquis de la fig. 21).
Le démontage du mur nous a permis d’observer les éléments de sa structure et de sa méthode constructive. L’appareillage est composé de pierres assemblées selon des lignes d’assises régulières à plat. Les plus gros volumes sont placés en parement, l’arrière du parement est appareillé de façon jointive avec les pierres plus informes et de moindre volume. Des pierres placées moins serrées poursuivent vers l’arrière cette épaisseur d’appareillage. Ce système constructif est typique des murs de soutènement à simple face dont l’appareillage n’est pas arrêté franchement à l’arrière du mur et s’effiloche dans le drain qui le poursuit. Le passage de l’appareillage au drain se fait en continuité.
Le mur mesure 1,90 m depuis le haut du sol dallé « d’origine » jusqu'au point haut de la voûte, distance à laquelle il convient d’ajouter la hauteur des pierres de fondation sur lesquelles nous ne sommes pas intervenus pour profiter du tassement du sol et ne pas l’ameublir. Nous n’avons donc pas pu analyser la technique employée en fondation et d’éventuels dispositifs de drainage installés à leur niveau. Il est à noter que le mur n’est pas solidaire de la voûte. Sur ses bords, les pierres du mur sont en simple contact latéral avec l’intrados, en haut de mur aucun contact d’appui n’est installé entre la voûte et le mur. Il s’agit de deux structures voisines mais complétement indépendantes. 3.2 Épaisseur et structure En bas de mur, sur le premier mètre, nous n’avons pas démonté la totalité de la structure dans l’épaisseur devant le risque de devoir décaisser trop profondément en haut de mur. Nous avons découvert plusieurs horizons derrière l’appareillage : Notre méthode de terrassement et de restauration ne nous pas permis d’analyser complètement comment la cabane a été implantée dans la pente originelle du sol. De ce fait, les pierres de l’arrière en bas du mur n’ont pas été touchées et ont été laissées en place telles quelles, c’est à dire posées à la façon d’un drain (appareillage ne privilégiant pas les contacts latéraux entre les pierres pour permettre une meilleure aération). Ces pierres étaient de taille relativement importante (granulométrie moyenne de 7cm à 15cm avec présence de quelques gros volumes). Nous avons noté que l’espace entre les pierres n’était, à cette profondeur, pas encore comblé par les particules de sol. L’espace-mur une fois restauré sera donc profond et continuera à drainer fortement la partie enterrée de la cabane.
En fait, le sol gonflé d’eau était encore gelé en profondeur lorsque nous avons débuté le terrassement. Notre action a accéléré le dégel et nous avons été confrontés tout au long de la restauration à des effondrements. Les parties terre et les parties drain colmaté par des particules de sol qui surplombaient notre chantier se détachaient régulièrement et pouvaient couler sur notre appareillage si nous ne l’anticipions pas. Cet aléa nous a permis de comprendre que la façon dont avait été installés cette terre et ce drain en surplomb du mur avait certainement un rapport avec la donnée climatique. La structure ainsi découverte est originale : le mur (en tant qu’entité constituée de pierres, appareillage, drain compris) se réduit en profondeur très rapidement à partir d’1,20 m de hauteur pour ne mesurer qu’une vingtaine de centimètres en haut de mur Seule subsiste alors la partie appareillée en parement qui se trouve directement en contact avec de la terre (fig. 28 et 29). Cette terre est de matière fine et très homogène. Elle a, à l’évidence, été installée dans l’espace puisqu’elle se trouve très clairement confinée d’une part, côté habitat de la cabane, par l’appareillage, et d’autre part, côté talus, par un dispositif de lauze placées comme en couverture afin de diriger les écoulements d’eau. Ce dispositif de lauzes est lui-même recouvert et chargé d’un espace rempli de petits cailloutis (granulométrie de 2 à 7 cm) qui en fait une zone fortement drainante (fig. 24, 25 et 27). Au niveau du raccord entre la voûte et le haut de l’appareillage du mur, nous avons observé un point d’assemblage de petites lauzes qui indique le soin qui a pu être apporté à la construction de ce dispositif (fig. 30).
Ce dispositif nous indique que l’arrière de la cabane était décaissé lors de sa construction et qu’il a été structuré par ces aménagements de l’extérieur pour la gestion de l’eau et des aléas climatiques. Une fouille de l’arrière de la cabane permettrait de comprendre la technique d’implantation d’un tel ouvrage dans la pente de la montagne, de décrire l’ampleur du terrassement nécessaire et de lire les divers dispositifs liés à la gestion de l’écoulement de l’eau et d’isolation au gel. Il nous a été impossible de reproduire ce dispositif à partir de l’intérieur de la cabane. La construction du mur, en fermant l’espace sous la voûte, nous a empêché d’accéder à l’espace arrière que nous avons comblé comme nous avons pu. Il est évident que seul un décaissement depuis le haut permettrait de le reproduire. Ces structures sont donc à considérer comme éléments à reprendre lors des travaux de couverture et non comme nous l’avons fait depuis l’intérieur. Il faut également noter que nous n’avons pas trouvé la totalité de cette structure en place lors du terrassement telle que décrite (fig. 31) . En partie haute de la voûte, aucune lauze ne poursuivait celles observées sur les côtés. Soit elles n'y ont jamais été installées, soit un décaissement précédent lors d’une restauration de couverture ne les y pas replacées, soit enfin une précédente reprise partielle du mur depuis l’intérieur a déjà eu lieu.
3.3 Le sol À notre arrivée, l’espace intérieur est recouvert d’une épaisse couche de sol très humifère issu des déjections du troupeau, couche dans laquelle se trouvaient de nombreuses lauzes. Les travaux de décaissement du mur du fond afin d’en dégager les fondations nous ont permis de découvrir que plusieurs niveaux de lauzes se succédaient [3] jusqu’à une ancienne installation de dalles encore en place plus profondément que nous avons interpréter comme « pose d’origine ». Il faut noter que l’extérieur de la cabane semble lui aussi avoir été dallé, aménageant ainsi une terrasse devant la porte. Notre première action a consisté à décaisser le sol jusqu’à retrouver le niveau des dalles d’origine (fig. 32). Ces dalles, elles aussi lauzes d’ardoises, sont néanmoins plus épaisses et d’une surface moyenne moins grande que celles choisies pour la couverture. Aucun artéfact particulier n’a été repéré lors de ces travaux. Une fois le niveau décaissé jusqu’aux dalles d’origine (fig. 33), nous avons soulevé l’une d’entre elles au fond à droite de la cabane vers les pierres plantées. Nous avons tout de suite remarqué la différence d’horizon du sol qui a confirmé notre intuition d’être au niveau du dallage « historique ». Nous avons récolté des tessons d’une fiole visibles sous la dalle (fig. 34), puis avons aussitôt replacé la dalle.
Le sol ainsi découvert a permis de lire la trace d’anciens aménagements mobiliers (fig. 21) :
Nous avons fini en recouvrant le sol de terre pour sa protection (fig. 23). 3.4 La couverture Simultanément aux travaux de restauration du mur, une équipe s’est occupée à poursuivre la restauration de la couverture commencée l’an passé. Ceci a été largement rendu possible par la récupération de lauzes d’ardoises placées au sol de la cabane. Beaucoup étaient gravées. Nous n’avons pas installé de terre sur l’extrados de la voûte pour caler les dalles, le choix a été fait d’utiliser les cailloutis environnant pour ce faire, ce qui a largement contribué à nettoyer l’alpage aux alentours de la cabane. Le chantier est naturellement reparti sur les bases qui avaient été mises en place l’an passé mais nous avons changé le mode d’appareillage pour une pose « en losange » irrégulière et non jointive plutôt qu’en « rectangle » régulière et jointive. La réserve de lauzes n’a pas permis de finir, un quart de la face reste à couvrir, nous y avons replacé les tôles en métal.
Notre troisième action en 2018 est programmée pour finir la restauration en terminant la couverture. La réserve de lauzes disponibles n’étant pas suffisante, nous avons cherché alentour et exploré la falaise. Certains de ses lits étaient composés de lauzes identiques à celles utilisées initialement pour la cabane. Cette recherche nous a permis de répondre à la question de l’origine des pierres de la cabane et de confirmer qu’elles étaient bien issues des différentes couches géologiques découvertes par la coupe de la falaise (fig. 48). Idem pour le linteau millésimé de 1617 (?) qui a donc dû être choisi, taillé et travaillé sur place (nous espérons enrichir ce compte rendu de l’avis d’un géologue sur ces points). Nous avons recueilli les pierres à lauzes tombées ou détachées de la falaise (fig. 48). Les pierres brutes ont nécessité un travail de reprise pour devenir des lauzes appareillables : délitage des bancs pour obtenir des épaisseurs plus fines puis reprise des bords des lauzes en les biseautant pour faciliter leur appareillage et l’écoulement de l’eau (fig. 45).
Lors de la première restauration, nous avions essayé de poser les lauzes « en rectangle », c'est-à-dire selon des lits réguliers dessinant des lignes parallèles mais il nous est vite apparu que cette méthode impliquait un besoin disproportionné de pierres. Nous avons donc depuis posé les lauzes en nous adaptant à leur forme propre, ce qui nous a amené à les placer « en losange » pour faciliter les recouvrements, d'où l’aspect final irrégulier de la couverture (fig. 46 et 47).
Nous n’avons finalement pas mis de terre entre la voûte et les lauzes, les seuls dispositifs que nous ayons ajoutés au-dessus de l'extrados de la voûte sont des pierres de petit volume pour caler les lauzes et les maintenir à la bonne place et dans la bonne inclinaison.
4. Les graffitis Au cours de la restauration nous avons répertorié de très nombreux graffitis au niveau de la façade de la cabane et sur les lauzes. Nos investigations alentour nous ont indiqué qu’ils étaient aussi pratique courante sur des pierres affleurant dans l’alpage. La plupart ont été gravés à même la pierre, quelques-uns sont écrits à la mine de plomb. Les dates inscrites débutent en 1617 (?) (date gravée sur le linteau de la porte d’entrée de la cabane mais qui reste énigmatique car la seule du XVIIe siècle, toutes les autres étant du XIXe), la plus récente est de 2016 (gravée par Maxime Pottier sur l’une des lauzes lors de notre restauration). À noter que la plupart des dates (hors la nouvelle cabane) correspondent à la deuxième moitié du XIXe siècle et à la première moitié du XXe. Il est intéressant de noter la continuité de la pratique sur la façade de la nouvelle cabane (fig. 49). Les graffitis attestant a minima de la présence d’un(e) berger(e) sur l’alpage par un prénom, une date, ou en étant plus bavards ou artistiques. Marion Molina, la bergère du site, nous a par ailleurs éclairé sur la présence de cette accumulation de marques pour les bergers en nous racontant son arrivée dans la nouvelle cabane du bas. Toute neuve et avec juste la table de l’ancienne cabane comme mobilier attestant de la continuité de l’alpage, « elle était couverte de graffitis » nous dit-elle, « j’étais la première à utiliser la nouvelle cabane, mon graffiti est toujours tout seul sur la porte, heureusement il y avait la table, j’étais entourée ». Nous avons décidé de répertorier tant que faire se peut ces traces écrites, un travail photographique d’inventaire a été commencé par Pascal Saulay du Parc des Écrins et poursuivi lors de nos interventions.
4.1 La cabane Nous n’avons rencontré qu’un seul graffiti à l’intérieur de la cabane (fig. 40) mais la prospection reste à faire sérieusement avec des outils adaptés. Les graffiti sont présents en façade sur les pierres structurantes comme les linteaux ou les pierres d’angle des baies, mais également sur quelques pierres de l’appareillage, de préférence les grès. Aucun n’a été repéré sur les murs latéraux. Ils sont également gravés en nombre sur des lauzes de la couverture (cf. fig. 4, où Sandrine indique leur emplacement à la suite de notre réemploi) et notamment sur une très grande lauze que nous avons placée en faîtage de couverture mais qui aurait tout aussi bien pu servir de plateau de table à l’intérieur de la cabane, ce qui pourrait expliquer le nombre des graffiti recouvrant une seule de ses faces (fig. 50).
4.2 Les alentours Marion Molina a découvert des graffitis aux alentours du site ruiné voisin de la cabane. Ils sont millésimés fin XIXe et les représentations de croix pourraient être liées à la célébration de Pâques [4].
Cloé Verwaerde a découvert une pierre plate gravée plus haut dans l’alpage, celle-ci affleure au sol et se trouve située près de la crête de la falaise sous-jacente à l’alpage côté Embrun (fig. 53). Le point se situe en surplomb du sentier d’accès à l’alpage et correspond certainement à un poste de garde. Il était certainement prisé par les bergers pour surveiller les arrivées et les départs tout en gardant un œil sur les bêtes (fig. 54 et 66).
Quelques-unes des pierres graffitées de la façade (fig. 56 à 60).
5. Les artéfacts 5.1 Première intervention Plusieurs objets sans grand intérêt ont été trouvés dans l’appareillage lors de la réfection de l’angle sud-ouest : une clé à ouvrir les boîtes de conserves, un demi bocal en verre, un tesson de poterie vernissé jaune, des lauzes fines taillées en cercle, certainement des bouchons. Autour de la cabane quelques tessons de bouteille en verre épais soufflé, un galet oblong à la forme d’un pilon venant de la Durance, une pierre de grès à la forme d’un fusil à affûter. Ces objets ont été laissés sur place dans une niche de la cabane.
5.2 Deuxième intervention Aucun objet n’a été trouvé dans le mur du fond, non plus lors du décaissage du sol intérieur de la cabane (ce qui s’explique par l’usage très moderne de l’espace comme espace de séparation des agneaux ainsi que nous l’a expliqué la bergère).
Une fois le niveau décaissé jusqu’aux dalles d’origine (fig. 33), nous avons soulevé l’une d’entre elles au fond à droite de la cabane vers les pierres plantées. Nous avons tout de suite remarqué la différence d’horizon du sol qui a confirmé notre intuition d’être au niveau du dallage « historique ». Nous y avons récolté des tessons d’une fiole visibles sous la dalle (fig. 64), puis avons tout de suite replacé celle-ci. Janick Roussel a analysé les tessons. Voici ses conclusions : « Trois fragments verdâtres, indéterminés. Une embouchure de flacon bleu-vert, à bord évasé, lèvre coupée, col étroit. Diamètre bord : 16 mm ; diamètre col : 10 mm. L’embouchure semble évoquer une production moderne (plutôt XVIIe-XIXe siècles). Les fragments ne permettent pas de déterminer des formes. » 5.3 Troisième intervention Nous avons découvert un bouton placé dans le joint entre deux pierres (fig. 65 et 66). Il semble correspondre à celui d’un uniforme des armées napoléoniennes du 1er Empire, possiblement du 12e régiment d'infanterie de ligne qui a guerroyé dans les Alpes vers 1800 [5].
6. Les alentours
D’autres traces de bâtis anciens sont encore visibles sur l’alpage : Aux alentours proches de la cabane plusieurs alignements de pierres de fondation visibles après pature témoignent de divers aménagement, enclos, voire d’éventuelles autres cabanes ou annexes (fig. 67). Certains de ces aménagments sont visibles sur les vues aériennes du site Géoportail (cf supra). Plus loin, un site ruiné d’une superficie importante (44.604955 , 6.449757 ; altitude : 2297,42 m ) se trouve lui aussi au pied d’une falaise et sous un important chaos de pierres issues de celle-ci. Le site laisse encore lire des appareillages de bas de murs ruinés (fig. 68 et 69). Nous y avons lu un espace composé de quatre unités regroupées en deux modules doubles et séparés par un passage.
À droite de ces modules un espace poursuit le passage et dessine sur le même niveau une esplanade soutenue par des murets de soutènement. Au pied de cet ensemble, se situe un grand enclos dont le mur ruiné dessine encore un grand arc de cercle dans l’alpage (cf. fig. 67). Nous avons effectué un relevé sommaire du lieu (cf. fig. 70). Cet ensemble est également bien visible sur les vues aériennes Géoportail. Une cabane moderne, construite à la fin des années 1950, permet aujourd’hui aux bergers de bénéficier d’un meilleur confort (fig. 71).
NOTES [1] Source orale recueillie par Maxime Pottier : « un des éléveurs de Caléyère, dont le père utilisait déjà cet alpage ». [2] Sandrine Raymond nous indique la bergerie dite « Gauthier » sur la commune des Orres. Elle se compose de murs en pierre sèche à demi enterrés dans la pente avec un toit en lauzes recouvert d’une couche de terre végétalisée. Par contre le toit est porté par une charpente en mélèze. L’ensemble a été reconstitué. Il se dit qu’un autre bâtiment serait situé en amont et présenterait les mêmes caractéristiques. [3] La bergère, Marion Molina, nous indique avoir elle-même installé des lauzes récoltées autour de la cabane afin d’aménager l’espace. [4] Hugues Chatain : « sur un socle une "croix voilée". Peut-être ce graphisme (dans l'horizon culturel moderne) représente-t-il les croix que l'on voilait de violet le Vendredi Saint en mémoire de la mort du Christ. La présence, sur votre site, d'un socle (présent également sur les croix simples voisines) pourrait conforter cette hypothèse ». [5] Éléments de recherches effectuées par Janick Roussel à confirmer. Lien à consulter : http://frederic.berjaud.free.fr/Articles_de_Didier_Davin/012edeligne/12e_de_ligne.htm REMERCIEMENTS Merci à Janick Roussel, archéologue spécialiste du verre pour son aide précieuse ; à Christian Lassure du Centre d’études et de recherches sur l'architecture vernaculaire pour son intérêt et son appui ; à Marion Molina, bergère du site lors de notre passage, pour son accueil et son aide ; à Hugues Chatain pour ses éclairages sur les graffitis d’alpage. © CERAV, Paris Référence à citer / To be referenced as : Louis Cagin Restauration de la cabane de berger de L'Hivernet à Embrun (Hautes-Alpes) (2016-2018) (Restoration of L'Hivernet shepherd's hut at Embrun, Hautes-Alpes, 2016-2018) L'Architecture vernaculaire (en ligne), tome 44-45 (2020-2021) http://www.pierreseche.com/AV_2020_cagin.htm 15 janvier 2020 L'auteur : Louis Cagin est murailleur professionnel et auteur de manuels sur la maçonnerie en pierre sèche. Il est vice-président du CERAV et membre du comité de rédaction de la revue L'Architecture vernaculaire. Il est l'auteur de plusieurs articles parus dans pierreseche.com : * Le chaînage d'angle intégré. Une solution technique lors de la restauration de murs de soutènement à pierre sèche http://www.pierreseche.com/chainage_integre.htm, 1er août 2007 * Remontage de trois brèches dans le mur de soutènement longeant l’ancien chemin menant à Réallon depuis Embrun (Hautes-Alpes) http://www.pierreseche.com/remontage_trois_breches.htm, 1er octobre 2018 * Restauration de la cabane de berger de L'Hivernet à Embrun (Hautes-Alpes) : première étape * Restauration de la cabane de berger de L'Hivernet à Embrun (Hautes-Alpes) : suite * Restauration de la cabane de berger de L'Hivernet à Embrun (Hautes-Alpes) : troisième étape sommaire tome 44-45 (2020-2021) sommaire site architecture vernaculaire
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