L'ARCHITECTURE VERNACULAIRE

 

 

ISSN  2494-2413

TOME 44-45

2020 - 2021

Jean-Yves Dufour

LA MAISON BARBE À BESSANCOURT (VAL-D'OISE)


Résumé

Située au pied des coteaux de la Seine, au cœur du village de Bessancourt dans le Parisis, la maison Barbe a fait l'objet d'observations et de relevés avant sa démolition en 2007. L'étude du site montre qu'une maison vigneronne a été transformée au XIXe siècle en maison de culture maraîchère pour s'adapter au changement du sol provoqué par l'apport massif de gadoues parisiennes sur le terroir exploité. La maison bloc vigneronne évolue pour devenir une maison à cour fermée.

Abstract

Located at the foot of hills bordering the Seine river and in the heart of the village of Bessancourt in the Parisis region, the Barbe farmhouse was fully surveyed and measured before being pulled down in 2007. The study of the site has shown that a winegrower's house was transformed in the 20th century into a market gardener's house as a result of the use of urban sludge from Paris being spread on local agricultural soils. This is an instance of a winegrower's single-block house evolving into a house with an enclosed court.

 

Ancienne terre du Parisis, la commune de Bessancourt est située à 22 km au nord-ouest de Paris, dans le département du Val-d'Oise (Fig. 1). Elle est implantée à la confluence des vallées de la Seine et de l'Oise, adossée à la butte de Montmorency, dont elle constitue l’un des derniers maillons. Son terroir est constitué de plaines alluviales et de coteaux exposés au sud-ouest.

Fig. 1 - Localisation de Bessancourt. © IGN.

Cette exposition favorisa la culture de la vigne sur les coteaux du terroir, comme en témoignent de nombreux actes notariés et lieux-dits médiévaux ou modernes.

La maison Barbe était localisée rue Madame, autrefois rue aux Moines, dans le cœur du village ancien de Bessancourt. Autour d’une cour pavée de 100 m2 ouverte sur la rue à l’ouest, dans son état final, la maison Barbe présente trois bâtiments d’habitation et d’exploitation d’une surface au sol de 175 m2 (Fig. 2).

Fig. 2 - Plan d’une maison de culture à Bessancourt (Val-d’Oise). La maison Bonneville vers 1900. © Jean-Yves Dufour et Iliana Pasquier, d’après fond de plan BBJ sarl.

Acquise au début des années 2000 par la mairie, la maison a bénéficié de relevés géométriques complets, d’une information orale de la part de son ancien propriétaire et d’une brève étude dont nous rendons compte ici. La maison a été démolie en mai 2007 pour la construction de logements sociaux.

De la maison de culture, sujet de cette étude, l’observation de terrain permet de dégager d’emblée la partie ancienne, composée d’un petit bâtiment rectangulaire axé nord-sud, en retrait de 7-8 m par rapport à la rue. Cette petite maison dotée d’un étage + combles se distingue du reste de l’habitat par des différences dans ses niveaux de sol, d’huisserie, de plafond, de charpente et de toiture. La maison, de style briard simple, est construite de moellons liés et recouverts de plâtre.

Les dimensions du rez-de-chaussée sont réduites : 4,5 m x 6,5 m (soit 14 x 20 pieds) hors d’œuvre, soit une surface utile de 19 m2 (5 toises en carré). Le sol est revêtu de grandes tomettes hexagonales du XIXe siècle. Une ancienne cheminée signale que la pièce à vivre était au rez-de-chaussée. La présence d’un étage permettait le logement de toute une famille. Une cave voûtée occupe tout l’espace (16 m2) sous la maison ; on y accède par un escalier sur cour, ce qui est ordinairement le cas dans les vignobles.

Cette maison en hauteur, qui correspond à la partie ancienne de la maison Barbe, est caractéristique des villages vignerons de la vallée de la Seine ; massés au pied des coteaux et plus denses en population, les habitats vignerons développent des maisons contiguës, construites en hauteur et précocement couvertes de tuiles (Lachiver 1975-1976).

Dans le Vexin français, les vignerons les plus riches ont une petite ferme avec cave et cellier. Les vignerons les plus modestes ont une maison bloc en hauteur, ou maison à un étage, la cave s’ouvrant généralement sur la rue (Vasseur 1997).

À Bessancourt comme dans le Vexin, le logis du vigneron se compose d’une pièce à feu au rez-de-chaussée, ouvert sur une cour intérieure. Dans les villages vignerons de Seine-et-Marne, cette pièce était appelée le chauffoir.

À côté de la maison de vigneron, s’étendait logiquement une grange ou un hangar, pour y serre des céréales, du foin et du bois, et loger l’animal de trait, âne ou cheval. La vigne n’est qu’un élément de la polyculture.

L’existence d’un pressoir à 200 m, dans la résidence seigneuriale du Château-Madame, ne justifiait pas la présence d’un pressoir privé sur le site de la maison Barbe.

La lecture des plans anciens montre que la maison fut sans doute édifiée au XVIIIe siècle (Fig. 3).

Fig. 3 - Évolution des bâtiments et du parcellaire de la ferme d’après des extraits de différents plans anciens.

La riche monographie communale s’appuie sur vingt quatre descriptions archivistiques de logis ; elle nous offre une bonne idée de la maison du laboureur-vigneron bessancourtois. Sa maison consiste en un bassier (pièce du rez-de-chaussée), avec chambre à l’étage et grenier dessus couvert en tuiles. Un cellier est fréquemment surmonté d’un grenier couvert en chaume. Une modeste écurie (avec grenier) est également couverte en tuiles. Un toit à porc est noté, ainsi qu’une cave sous l’ensemble. Une cour de 4 perches et un jardin de 10, avec droit de passage et murs de clôture communs, complètent l’assise villageoise du paysan. Sur les 46 laboureurs-vignerons recensés dans le terrier de 1762, plus de la moitié ne possèdent pas un hectare de vigne.

En 1765, Denis Vollant hérite de son père, riche laboureur, une maison couverte en tuile, comportant deux pièces au rez-de-chaussée, deux chambres au dessus, une partie de cave, une cour de la largeur de la maison jusqu’à une grande porte, laquelle doit livrer passage à la communauté pour aller au puits. Dix ans plus tard, il déclare avec sa maison un jardin de 70 perches. En outre, il possède en propre 51 perches de vigne, 54 de terres et 26 de bois.

Le patrimoine de ce vigneron est caractéristique d’un terroir où la vigne complète les revenus tirés des céréales. Le bois est nécessaire à la fabrication des échalas, au chauffage quotidien.

Cette polyculture traditionnelle est bouleversée au XIXe siècle.

Le développement du chemin de fer Paris-Pontoise en 1846, permet l’apport massif de gadoues parisiennes et le développement des cultures légumières dans la plaine entre Seine et Oise. Le même chemin de fer qui amène les vins du Midi, élimine la vigne de Bessancourt et de maint terroir francilien dans les dernières décennies du XIXe siècle.

La maison vigneronne évolue rapidement pour se transformer en maison maraîchère ou maison de culture (Fig. 1). L’agrandissement de l’habitat suggère une nouvelle prospérité des campagnes. Au vieux logis (l’ancienne maison vigneronne), est adjointe une demeure de style bourgeois qui triple l’espace au sol de l’habitation principale (Fig. 4).

Fig. 4 - Corps de logis nord de la maison de culture. Au fond, à droite l’ancienne maison vigneronne, état 2004. © Jean-Yves Dufour.

La profondeur et la largeur du bâtiment d’origine donnent la mesure de cette extension qui conserve un accès sur cour côté sud. Sols, plafonds et huisseries sont toutefois plus hauts dans le bâtiment neuf. Le bâtiment neuf et le vieux sont reliés au rez-de-chaussée, à l’étage et dans les combles (Fig. 5). Un nouvel escalier bâti dans la travée centrale (neuve) dessert trois chambres à l’étage. Deux d’entre elles sont dotées de cheminées en marbre noir. Le goût pseudo-bourgeois s’affiche dans la fausse cheminée qui décore la troisième pièce.

Fig. 5 - Plan de l’étage et plan des combles d’une maison de culture à Bessancourt (Val-d’Oise). La maison Bonneville vers 1900. © Jean-Yves Dufour et Iliana Pasquier, d’après fond de plan BBJ sarl.

Ce développement de l’habitation s’est fait aux dépens des anciens bâtiments d’exploitation de la maison vigneronne.

De l’autre côté de la cour pavée, un peu avant 1900, le quart sud-ouest de la ferme est reconstruit : dans 22 m2, une chambre avec plancher et cheminée d’angle, un garde-manger et une cuisine sont mis à disposition d’un ménage d’ouvriers agricoles (Fig. 6). La vie de la ferme se fait donc autour de cette cour, sans doute partagée par des frères ou des cousins plutôt que par des voisins.

Fig. 6 - Faïence murale dans la cuisine du corps de logis sud de la maison de culture, état 2004. © Jean-Yves Dufour.

Ce nouveau bâtiment permet de développer sur rue une façade de 22,5 m de longueur (Fig. 7 et 8). Cette façade à l’allure symétrique, est enduite d’un plâtre « de fond de four », c’est-à-dire avec des inclusions de charbon de bois. À 90 cm du sol, elle est toutefois rehaussée d’un liseré de briques, décor parcimonieux que l’on retrouve en entourage de la grange et de l’habitation principale. La porte d’accès est intégrée à une porte charretière à deux battants, véritable fierté du monde paysan, ici datée précisément de 1873 par son ancien propriétaire (Fig. 9). L’ensemble de l’exploitation est fermé le soir par cette porte charretière qui traduit l’ordre et l’épanouissement économique de l’exploitation familiale.

Fig. 7 - Relevé de la façade d’une maison de culture à Bessancourt (Val-d’Oise). La maison Bonneville vers 1900. © Jean-Yves Dufour et Iliana Pasquier, d’après fond de plan BBJ sarl.

 

Fig. 8 - Façade sur rue de la maison de culture, état 2004. © Jean-Yves Dufour.

 

Fig. 9 : Portail et porche de 1873. © Jean-Yves Dufour.

En 1896, une remise de 30 m2, ouverte au nord est accolée à ce nouveau logement. Cette remise est surmontée d’un grenier à foin accessible par échelle mobile. Le devis de l’entrepreneur précise les matériaux ; le mortier hydraulique provient d’Argenteuil, les briques sont fabriquées à Montlignon, commune du Val-d’Oise distante de quelques lieues seulement. Le ciment de Boulogne-sur-Mer, introduit en France en 1802, fait toujours recette en 1896. Le devis distingue bien les briques pleines et creuses pour les cloisons, les briques pleines pour les planchers et les briques de parement. Enfin, la caillasse n’est pas toujours fournie, ce qui suggère que le propriétaire en fait venir.

Le côté est de la ferme est sans doute reconstruit quelques années plus tard ; une grange de 72 m2 accueille une écurie (12 m2) pavée pour deux chevaux. Cette grange servait au stockage de blé et avoine. Un vaste auvent en toile, visible sur les vieilles photos, atténuait le défaut de son ouverture à l’ouest. Sous la moitié nord de cette grange, une vaste cave sous poutrelles métalliques permettait la conservation des betteraves, des pommes de terre et du charbon.

L’acte de partage après décès de 1908, attribue à Monsieur Alexandre Bonneville la maison de ses parents décédés, Émile Bonneville et Marie Angélique Paren.

La maison est décrite comme suit :

« Une maison située à Bessancourt, rue Madame numéro 4, ayant son entrée sur la rue par une porte charretière, comprenant :
- un corps de bâtiment à gauche élevé sur terre plein
--- un rez-de-chaussée divisé en deux pièces
--- un premier étage divisé en deux chambres
--- fournil au bout de ce corps de bâtiment avec chambre à grains au-dessus
-- -grenier sur le tout
- Un autre corps de bâtiment à droite comprenant une remise et deux pièces avec grenier dessus
- Au fond, grange élevée sur caves
- Cour entre tous ces bâtiments
Le tout d’un seul ensemble cadastré section C numéros 1811 et 1812, [suivent les confronts]
».

Outre les bâtiments d’habitation, une grange, une écurie, une petite fosse à fumier, un hangar et le logement d’un ouvrier agricole sont les divers bâtiments juxtaposés autour de la cour fermée. La ferme maraîchère de Bessancourt reproduit donc, en miniature, la structure fermée autour d’une cour, structure plus marquante dans les grandes exploitations céréalières.

Ces petites fermes ont moins de 10 ha. Avant guerre, la maison Barbe exploitait 7 hectares avec un seul cheval. 50 % des terres étaient en céréales, l’autre moitié en légumes : poireaux, carottes, pommes de terre, pois, haricots,…

Cette maison à cour fermée est proche de celles connues dans le Vexin. Elle s’en distingue par l’absence d’escalier extérieur et d’étable sous l’habitation.

De telles maisons de maraîchers peuvent s’observer encore à Sartrouville, Achères, ...

L’habitation paysanne a subi de nombreuses modifications au XIXe siècle, pour s’adapter à polyculture. Ici, la maison bloc s’est transformée en maison cour.

Bibliographie

Bornet Robert – Bessancourt des origines à la Belle-Époque, 1989, Éditions municipales, 303 p.

Bougeatre Emile – La vie rurale dans le Mantois et le Vexin au XIXe siècle, Meulan, 1971, 284 p.

Cabedoce Béatrice – Épurer et produire : les champs d’épandage de Méry-Pierrelaye, in Jardinages en région parisienne XVIIe – XXe siècle, sous la direction de J.-R. Trochet, J.-J. Péru et J.-M. Roy, éditions Créaphis, Paris, 2003, p. 195 – 207.

Lachiver Marcel – Sur quelques aspects de la maison rurale en Seine-et-Oise au milieu du XIXe siècle. Nature des couvertures et hauteurs des maisons. Mémoires de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-de-France, tome 26-27, 1975-1976, p. 73-85.

Parrain André – Habitat rural dans le Vexin, Mémoires de la Société historique et archéologique de l’arrondissement de Pontoise et du Vexin, tome LVI, 1957, p. 49-53.

Pédelaborde Pierre – L’agriculture dans les plaines alluviales de la presqu’île de Saint-Germain-en-Laye, École pratique des hautes études, VIe section, Études et mémoires 49, Paris, 1961, 379 p.

Perthuis M. De - Traité d’architecture rurale, Paris, 1810, 263 p. + 25 pl.

Vasseur Roland – Le Vexin français – Architecture rurale, in La maison paysanne du Vexin français, Pontoise, 1997, les Amis du Vexin français, 148 p.


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© CERAV

 

Référence à citer / To be referenced as :

Jean-Yves Dufour

La maison Barbe à Bessancourt (Val-d'Oise)

L'architecture vernaculaire, tome 44-45 (2020-2021)

http://www.pierreseche.com/AV_2020_dufour.htm

6 mars 2021
 

L'auteur :

Jean-Yves Dufour, archéologue Inrap, UMR 7041, équipe Archéologies environnementales

 

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