Gilles Fichou LA « CABANE AUX GALETS » DE SAINT-PARGOIRE (HÉRAULT)
Résumé Cet article est la monographie de la cabane en pierre sèche d'un paysan-défricheur héraultais du XIXe siècle. Située sur la commune de Saint-Pargoire, dans une parcelle retournée à la garrigue, elle a attiré l'attention des spécialistes par son matériau et ses caractéristiques architecturales hors du commun : très gros galets de grès et de calcaire de l'Oligocène moyen et supérieur, refendus à coups de massette, arc clavé à l'entrée, voûte clavée en coupole fermée par trois clés pendantes. Extérieurement, la forme est celle d'un cône tronqué. L'édifice a été restauré partiellement en 2018. Il reste à recouvrir l'extrados, mis à nu, de la voûte. Abstract This article is the monograph of the dry stone hut of a peasant-clearer from Hérault in the 19th century. Located in the commune of Saint-Pargoire, in a plot overrun by scrub, it has attracted the attention of specialists by its unusual material and architecture: very large pebbles of sandstone and limestone from the Middle and Upper Oligocene, split with a hammer, keyed arch at the entrance, dome-like vault first of corbels then of voussoirs keyed by three hanging split pebbles. Its external shape is that of a truncated cone. The building was partially restored in 2018. The exposed extrados of the vault is yet to be covered with stones.
1 - Situation et présentation Commune – Saint-Pargoire (Hérault). Plan cadastral napoléonien de 1825 – Section E2 dite des Virins. Lieu-dit combe des Camillés, le numéro de la parcelle où se trouve la cabane est impossible à déterminer avec certitude : 680 ou 681.
Cadastre actuel – Lieu-dit combe de Canilliers (Camillés est devenu Canilliers), la plus grosse partie de la cabane se trouve sur la parcelle n° 311 (nous l'avons trouvée en lande sur une vue aérienne des années 1950). Une petite partie de cette réalisation déborde sur la 312 (parcelle qui paraît en friche sur la même vue aérienne ancienne, la qualité de la photo ne nous permet pas de donner un avis), section BC. Le fait qu'elle soit à cheval s'explique par son « appartenance » probable au même propriétaire. Si la propriété a été coupée en deux, c'est pour un problème d'imposition : la parcelle 311 est incultivable car trop pentue et rocheuse.
Propriétaire actuel – Commune de Saint-Pargoire. La parcelle 312, cultivable, est redevenue garrigue. On peut se demander si l'on a affaire, à l'origine, à des parcelles rachetées par la commune ou à des biens usurpés par un paysan-défricheur sur les biens communaux et qui n'en serait jamais devenu propriétaire ? Nous avons rencontré ce cas de figure sur la commune toute proche de Loupian (34) où les parcelles sont restées sans possesseur(s). Cultures ancienne et récente – Seule une recherche dans les archives communales permettrait de connaître la nature de ce qui y était cultivé dans ces parcelles au XIXe siècle. Des morceaux de piquets de vigne (à moitié brûlés) sont visibles au sol dans la parcelle 312 mais rien ne prouve qu'ils soient originaires de cette dernière car ils ont pu y être jetés – en provenance des parcelles environnantes. Aspect géologique – Voici la description donnée par le BRGM dans la notice explicative de la carte géologique au 1/50 000 PÉZENAS 26-44 : « g2-3. Oligocène moyen et supérieur (100 à 150 m). Brèches, conglomérats, grès et marnes saumonées. Il lui est attribué une puissante formation conglomératique comparable à celle de la série Eocène-Oligocène indifférenciés et qui est constituée par des blocs parfois énormes de calcaires jurassiques, des galets de grès ou calcaires crétacés et quelques rognons de silex emballés dans un ciment marno-gréseux rosé ou jaunâtre. » Aspect topographique – Carte IGN de Clermont-l'Hérault 2643 est. Lieu-dit sur cette carte : Mas de Boubal. La cabane se situe sur le flanc d'un thalweg (ruisseau temporaire dit des Camillés) dans un lopin en friche délaissé depuis fort longtemps (végétation haute actuelle : quercus coccifera et pinus halepensis accompagnés des plantes xérophiles et thermophiles adaptées au climat sec du midi). Orientation de l'entrée – Sud-ouest. Altitude – 120 m environ. Le coteau est constitué de parcelles à l'abandon soutenues par des murets en très mauvais état montés en galets. Observations – Cette cabane est appuyée contre la parcelle supérieure. Elle a deux particularités : la première d'être construite entièrement en galets de toutes les grosseurs et la seconde d'avoir une voûte clavée avec clefs pendantes. Nous n'avons pas trouvé d'autres cabanes en galets dans la zone étudiée mais il faut se rendre à l'évidence : cette zone est recouverte, pour ne pas dire envahie, par les pins d'Alep qui rendent le coin inaccessible. Seul un incendie pourrait peut-être révéler d'autres cabanes entières ou écroulées. D'autre part, de grandes surfaces ont été défrichées récemment avec de gros engins mécaniques pour des plantations viticoles : des traces d'édifices ont pu être définitivement détruites. Il est difficile de savoir de quelle époque date la construction et/ou les défrichements. Sur le cadastre napoléonien, les parcelles 680 et 681 sont déjà signalées. Étaient-elles déjà mises en culture ? Seule une étude plus poussée auprès des archives départementales pourrait nous renseigner (matrices cadastrales). À noter que ces parcelles du cadastre napoléonien (680 et 681) n'ont absolument pas la même morphologie que celles du cadastre actuel (311 et 312). Le plan ancien les donne perpendiculaires au lit du ruisseau quand l'actuel les donne parallèles, ce qui est plus logique quant à une mise en culture en terrasses de ces terres – situées sur le flanc d'un thalweg – mais les desseins des arpenteurs étaient-ils les mêmes que ceux des cultivateurs ? Un indice pourrait confirmer que cette zone était déjà en cultures (et donc la cabane construite avec les pierres d'épierrement) : elle est déjà desservie par un chemin vicinal sur le cadastre de 1825. Note : sur le cadastre napoléonien, nous avons remarqué que les parcelles avaient soit des formes assez bien délimitées avec une géométrie quasi parfaite, soit des formes fantaisistes avec des recoins, des langues, des presqu'îles qui s'insinuent entre les parcelles dites précédemment « parfaites ». Nous en sommes arrivés à la conclusion que les premières étaient cultivées alors que les dernières étaient encore en landes. Autres indices matériels qui pourraient nous donner une autre indication intéressante sur la date de cette construction, deux dates gravées dans deux cabanes proches : 1851/55 (dans un cartouche sur le linteau à l'extérieur) et 1876 sur une pierre à l'intérieur de l'abri (ce qui ne veut pas dire que la cabane date de cette année-là, la gravure a pu être réalisée plus tard). Ces deux constructions sont élevées à proximité : La seule date sur le linteau pourrait être une indication intéressante car les quidams désireux de laisser une trace de leur passage le font habituellement à l'intérieur (le plus souvent au crayon à papier mais ici la pierre tendre a pu inciter à graver pour la postérité : la cabane des Allemands est couverte de graffitis intaillés à l'intérieur et même à l'extérieur). 2 - Description de la cabane avant restauration Pour avoir une description de la cabane avant restauration, nous utilisons la description faite par Élodie Fichou dans son mémoire de master 2 (Architecture vernaculaire à pierre sèche au XIXe siècle en milieu rural héraultais : cabanes témoins, mémoire de master 2, UFR III Sociétés, art, religions des mondes modernes et contemporains, spécialité histoire de l'art, université Paul Valéry Montpellier III, 2010).
Dénomination – « Cabane aux galets ».
Entrée – Orientée à l’ouest, très basse (1,15 m), surmontée d’un arc clavé utilisant des galets cassés sauf pour la clef réalisée avec un galet entier.
Aspect intérieur – Plan subcirculaire de 2,70 m à 3 m de diamètre englobant un énorme bloc à la base.
Voûte en encorbellement originale du fait du pendage vers l'intérieur des dalles la composant Habituellement les dalles ont un dévers extérieur afin d’évacuer l’eau de pluie mais dans le cas de cette construction elles penchent vers l’intérieur comme si le ou les constructeurs avaient voulu mettre en place une voûte à claveaux. Cette voûte est d’ailleurs close par un ensemble de clefs pendantes occupant un demi-mètre carré environ, à 2,50 m du sol en terre battue. Voûte encorbellée au départ, clavée à l'arrivée. Fini de voûte remarquable techniquement.
Parement – Entièrement constitué de gros galets. Le ou les constructeurs ont dû donner beaucoup de fruit pour assurer la stabilité de ces pierres aux contacts « glissants ». Malgré cela, la partie droite de
l’édifice s’est écroulée, découvrant l’extrados de la voûte.
État de conservation – Très mauvais du fait que la partie droite s’est éboulée. Cet édifice, de par l’originalité du matériau mis en œuvre, mériterait d’être restauré afin d’être préservé. 3 - Observations Le nom de « cabane aux galets » lui a été donné par Élodie Fichou. Pas de nom connu pour cet abri. Les pierres roulées qui ont été utilisées pour la voûte sont tirées de galets calcaires gréseux formés de strates qui ont facilité le refend (fissures plus ou moins apparentes selon les pierres). Ces galets ont souvent une forme aplatie avec deux faces utilisables (ce n'est pas une constante car on peut en voir avec une face bombée très accentuée dans les pierriers tout autour). Ils ont bien sûr leurs angles et arêtes arrondis lorsqu'ils sont entiers.
On peut en trouver d'une épaisseur assez importante, 20 à 40 cm, dans la zone concernée. Ils sont facilement reconnaissables par leur couleur brune qui jure par rapport aux autres galets (beaucoup plus abondants) de couleur claire gris-bleu et de texture très dure, style calcaire kimméridgien (pierre froide).
On en découvre aussi déjà refendus « naturellement », prêts à l'emploi. L'arête du refend n'est pas érodée par le roulement des eaux. Le refend a dû se réaliser en fin de parcours ou lors de l'épierrage. Mais le nombre de ces pierres refendues dans les clapasses est très restreint. On peut donc imaginer que les bâtisseurs – inspirés par ce qui était sous leurs yeux – ont refendu eux-mêmes certains de ces galets pour leur usage. Nous avons cherché des points d'impact sur les arêtes vives des dalles de la voûte mais cela n'est pas facile à détecter : des coulées de terre sur ces pierres ne facilitent pas l'examen. Parfois, nous avons cru déceler des traces d'impact mais nous avons aperçu les mêmes sur celles des pierriers à l'extérieur.
Pour revenir sur ce que nous venons de dire au sujet de la possibilité pour les bâtisseurs d'avoir eux-mêmes refendu les galets pour édifier l'intrados de la toiture, il faut savoir que nous avons repéré des pierres plates identiques à celles-ci dans la paroi extérieure de la cabane ! Ce qui porterait finalement à penser que ces dalles n'étaient pas si rares que ça ou alors très faciles à refendre pour certaines (c'est quand même un avantage pour le bâtisseur de travailler avec ces pierres aux assises plus stables). Note : nous avons testé la refente avec massette et burin sur des galets où les fissures étaient très apparentes. L'opération a pu se dérouler assez facilement en remarquant que la coupe n'était jamais parfaite : des parties sont restées adhérentes sur les tranches obtenues. Dans la voûte, on remarque par ailleurs des dalles plates ayant perdu tous leurs angles arrondis, c'est-à-dire que leurs deux faces sont en arêtes vives : ces pierres ont été refendues deux fois naturellement ou manuellement (?) : du sandwich, il ne reste que la tranche de jambon ! On en découvre aussi dans les pierriers aux alentours mais les chocs violents de l'épierrement – ou du roulage – ont pu provoquer ces modifications.
Le ou les bâtisseurs ont d'ailleurs employé ce genre de pierres pour les linteaux des deux niches à l'intérieur (longueur en façade 0,60 m) mais sur un de ces deux linteaux apparaissent des traces de percussion (!).
Lorsque nous parlons de dalles plates, tout est relatif : la planitude n'est point parfaite pour ces « pseudo-lauses ». C'est très inégal car la refente n'est jamais parfaite : des morceaux restent collés sur les grandes faces des pierres débitées comme signalés plus haut. Sur ce site, on découvre donc plusieurs sortes de pierres (ce qui est somme toute normal car elles ont été déplacées et roulées par des eaux diluviennes). Le couvrement de l'entrée L'absence de blocs suffisamment longs pour enjamber les deux piédroits a poussé le ou les bâtisseurs à mettre en place un arc clavé en plein cintre rudimentaire. Il est réalisé avec des galets cassés sauf la clef qui est un galet entier choisi pour sa forme en « biseau » (un bien grand mot car la forme biseautée n'est pas vraiment évidente). D'autres claveaux ont été choisis pour leur forme en sifflet – ou « fabriqués » pour avoir une forme biseautée. Les sommiers extérieurs, de droite et de gauche, ont été mis en œuvre avec un galet plat en partie supérieure et refendu sur sa face inférieure. Pour les sommiers intérieurs, celui de droite a été refendu deux fois, celui de gauche, une fois.
On retrouve le même type de construction au verso.
Entre les deux peaux, le vide est comblé par un remplissage en claveaux posés en clefs pendantes. À l'origine, il y avait trois claveaux, il n'en reste plus que deux. Largeur totale du couvrement de l'entrée avec les deux peaux et le remplissage : entre 1,25 et 1,30 m (des difficultés pour obtenir des mesures précises avec le matériau mis en œuvre). Le couvrement arrière est plus large que le couvrement de façade : 0,60 m pour seulement 0,45 m pour l'arc extérieur.
Ces deux peaux sont liées l'une à l'autre par les sommiers : à gauche les deux sommiers sont mis en contact indirect par une « pierre relais » centrale posée au-dessus ; à droite le sommier de façade est quasiment une boutisse parpaigne – il manque seulement 20 cm environ pour atteindre le parement de la paroi intérieure (cette insuffisance a été complétée par une pierre posée en panneresse). La voûte mi-encorbellée, mi-clavée Les dalles constituant la voûte ont une saillie de 12 à 20 cm pour une épaisseur allant de 3 cm minimum à 14 cm maximum environ. Elles sont posées en encorbellement mais avec un dévers intérieur, il s'agit donc d'une voûte mi-encorbellée, mi-clavée. Il pleut d'abondance dans ce style de cabane (nous avons vérifié dans la cabane de Manasque un jour d'intempérie). Ici le sol de terre battue est constellé de petits nids de poule dus aux gouttières. Des clefs pendantes closent cette voûte, combinées ainsi : au centre, on aperçoit trois claveaux plats (galets) posés côte à côte, entourés d'une dizaine d'autres claveaux. Les queues de ces clefs sont apparentes sur l'extrados de la voûte : voir plus loin.
Ce type de disposition en dévers intérieur nous a rappelé le système utilisé dans la voûte à cuire du four à chaux ramier découvert à Puéchabon (34), four – avec sa voûte prête à être calcinée – , abandonné (oublié ?!) dans la garrigue depuis de nombreuses décennies par les chaufourniers. L'extrados de la voûte est apparent : on peut voir les extrémités des dalles sommitales. Soit la pierraille entreposée a migré lors de l'écroulement du côté droit, soit il n'y a jamais eu de pierraille sur la toiture. Nous penchons pour cette dernière supposition car le dessus, assez plat, n'a pu être impacté par l'affaissement latéral. De la terre avait dû être jetée sur le faîte du dôme, terre chassée ensuite par les orages et les vents – nous en avons fait l'expérience sur la cabane restaurée en 1990 à Villeveyrac (34) (pour les besoins du film Les capitelles de Villeveyrac (34). Maurel frères / Fichou, 1991), où nous avions déposé de la terre sur l'extrados : elle a déjà disparu !
La cabane a été restaurée en 2018 par l'association Pierres d'Iris et le CFFPA de Pézenas (34) avec l'autorisation de la municipalité de Saint-Pargoire (article de presse dans le Midi Libre du 11 mars 2019). Des problèmes de temps et de matériau facile d'accès ne nous ont pas permis de recouvrir l'extrados convenablement. Nous avons prévu de conclure cette remise en état pour protéger les queues exposées aux rigueurs du temps.
Sites internet consultés - http://www.pierreseche.com © CERAV, Paris Référence à citer / To be referenced as : Gilles Fichou La « cabane aux galets » de Saint-Pargoire (Hérault) (The pebble-built hut of Saint-Pargoire, Hérault) L'Architecture vernaculaire (en ligne), tome 44-45 (2020-2021) http://www.pierreseche.com/AV_2021_fichou.htm 21 juin 2021 / June 21st, 2021
sommaire tome 44-45 (2020-2021) sommaire site architecture vernaculaire
|