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L'ARCHITECTURE VERNACULAIRE
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ISSN 2494-2413 |
TOME 46-47
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2022 - 2023 |
Frédéric Jallet, Yves Manniez, Vincent Mourre
LES GARRIGUES DE NîMES, UN PAYSAGE RURAL FOSSILE. ENQUÊTE DE TERRAIN,
PROSPECTION PÉDESTRE D'UN PAYSAGE STRUCTURÉ : LE JAL ET LE PUECH DES MOLES À
CAVEIRAC (GARD)
Résumé
Aujourd’hui, les garrigues composent une mosaïque de paysages différenciés par le type de calcaire, la topographie et les essences végétales. C’est un environnement essentiellement minéral, brut, parfois jugé inhospitalier. Ces terroirs caractérisent les petits plateaux au pied desquels s’appuie la cité de Nîmes. Le lien qui unit la ville et les formations calcaires existe depuis la fondation de l’agglomération autour d’une résurgence karstique par les Volques Arécomiques. Au fil des siècles, ce déterminisme naturel s’est accompagné d’un déterminisme anthropique. Sous la pression des activités humaines, cet espace naturel a été modelé, organisé, structuré (épierré et construit). Puis, suite à leur déclin, la garrigue est devenue un paysage fossile, dernier témoin actuel des gestes humains se succédant au cours des siècles. Ces petits plateaux karstiques de l’arrière-pays ont ainsi acquis leur place dans l’histoire économique et sociale de Nîmes. Ils ont été le lieu de ressources d’appoint pour améliorer la ration alimentaire de nombreux ouvriers ainsi que de zones de productions (oliviers, vignes, arbres fruitiers) destinées au marché local. La garrigue actuelle doit être perçue comme le vestige des interactions homme-milieu sur un substrat calcaire et sous un climat méditerranéen, ici, à la périphérie d’un centre urbain se transformant en cité industrieuse au fil des siècles.
Abstract
Today, the garrigues (scrublands) make up a mosaic of landscapes differentiated by the type of limestone, the topography and the plant species. It is essentially a mineral environment,raw, sometimes perceived as inhospitable. These terroirs characterize the small plateaus at the foot of which the city of Nîmes sits. The link that unites the city and the limestone formations has existed since the founding of the agglomeration around a karstic resurgence by the Volques Arécomiques. Over the centuries, this natural determinism has been accompanied by anthropogenic determinism. Under the pressure of human activities, this natural space has been shaped, organised, structured (cleared and walled). Then, following their decline, the garrigue became a fossil landscape; the last current witness of human gestures succeeding one another over the centuries. These small karst plateaus in the hinterland have thus made a place for themselves in the economic and social history of Nîmes. They provided additional resources to improve many workers' food diet as well as production areas (olive trees, vines, fruit trees) intended for the local market. The current garrigue should be perceived as the vestige of human-environment interactions on a limestone substrate and in a Mediterranean climate, here, on the outskirts of an urban centre growing into an industrial city over the centuries.
Partie introductive d’ordre épistémologique (point de vue des auteurs)
Les garrigues composent aujourd’hui une mosaïque de paysages différenciés par le type de calcaire, la topographie et les essences végétales. C’est un environnement essentiellement minéral, brut, parfois jugé inhospitalier.
Ces terroirs caractérisent les petits plateaux au pied desquels s’appuie la cité de Nîmes. Le lien qui unit la ville et les formations calcaires existe depuis la fondation de l’agglomération autour d’une résurgence karstique par les Volques Arécomiques.
Au fil des siècles, ce déterminisme naturel s’accompagne d’un déterminisme anthropique. Sous la pression des activités humaines, cet espace naturel a été modelé, organisé, structuré. Suite à leur déclin, la garrigue est devenue un paysage fossile ; dernier témoin actuel des gestes humains se succédant au cours des siècles.
La garrigue a été un lieu où se sont exercées les activités de prédation (glanage de baies et plantes, ramassage du bois, exploitation du gibier) ainsi que de production (vivrière, industrielle, minière). Ces usages ont conduit à différentes formes d’appropriation et les défricheurs de la garrigues ou garrigaïres (F. Mistral, Lou tresor dóu felibrige) ont organisé cet espace en le structurant de chemins et murs, en y construisant parfois des
abris. Cela peut sembler paradoxal mais ce modèle rural est élaboré par des citadins, la plupart travailleurs dans l’industrie textile, moteur économique de la ville de Nîmes jusqu’à la première moitié du XXe siècle.
Les petits plateaux karstiques de l’arrière-pays ont leur place dans l’histoire économique et sociale de Nîmes. Ils ont été le lieu de ressources d’appoint pour améliorer la ration alimentaire de nombreux ouvriers ainsi que de zone de productions (oliviers, vignes, arbres fruitiers) destinées au marché local. Cette relation est illustrée entre autres par un type de construction en pierre sèche intimement lié au territoire nîmois : la capitelle (également dénommée cabane).
La garrigue actuelle doit être perçue comme le vestige des interactions homme-milieu sur un substrat et sous un climat méditerranéen, ici, à la périphérie d’un centre urbain se transformant en cité industrieuse au fil des
siècles.
Les relations historiques entre la Cité et les garrigues sont instituées par une charte selon laquelle, en 1144, le vicomte Bernard Aton V vend ou cède ces terres incultes aux habitants de Nîmes dans des limites définies (dont pour
l’ouest : le lieu-dit l’arche de Caveirac).
En cédant les garrigues pour le nourrissage du bétail au XIIe siècle, Bernard Aton ouvre un cycle. Cet acte va laisser libre cours au dur labeur de l’aménagement des espaces libérant le sol des pierres calcaires rangées en amas, en cordon ou en mur de terrasse pour le maintien des terres ou de délimitation pour marquer l’appropriation du lopin de terre. À partir de l’Époque moderne, les constructions en pierre sèche les plus élaborées, capitelles et tines (cuve dont la paroi interne est enduite de chaux) tiennent lieu de resserres pour les outils ou d’espace de stockage temporaire pour les récoltes avant leur transfert vers la ville. Au XVIIIe siècle, l’impact circum-urbain lié à la pression démographique pourrait être si ce n’est le déclencheur, au moins l’accélérateur d’une métamorphose des garrigues évoluant d’une zone de pâture à un espace à vocation agricole. Ainsi, grâce à la persévérance des garrigaïres, les espaces incultes du Moyen Âge se sont progressivement parcellés de terres fertiles.
Source d’appoint ou espace de production, la garrigue est devenue un réflexe, une composante de la structure économique et sociale de la cité de Nîmes. Il reste aujourd’hui des appétences individuelles, une attraction viscérale
incitant à s’extraire régulièrement du noyau urbain pour s’imprégner de ce paysage fossile, ce vestige des activités humaines qu’il faut concevoir comme un patrimoine. L’étude de la zone du Jal et du Puech des Moles à Caveirac documente un de ces fragments de l’histoire languedocienne.
Nous présentons ici les résultat d’une enquête de terrain couplée à une étude documentaire réalisées en 2018 préalablement au projet d’extension d’une carrière (GSM) située à l’est du village de Caveirac dans la partie limitrophe avec la commune de Nîmes. Il s’agit, en premier lieu, de poser le cadre physique de l’étude, puis de décrire les vestiges observés et de les replacer dans leur contexte.
Ce texte, qui n’aurait pas existé sans l’œuvre de Paul Marcelin (1886-1973), est une modeste contribution en souvenir du cinquantenaire de sa disparition.
1. Les cadres
1.1. L’espace naturel
La prospection a concerné les lieux-dits Le Jal et Puech des Moles situés dans la partie sud-est de la commune de Caveirac (Gard) (fig. 1). En rive gauche du ruisseau des Jas, Le Jal se situe sur le Puech Rascal formant un relief étiré nord-sud dont le Puech des Moles (alt. : 100 m) constitue la terminaison méridionale. L’étude porte sur le versant exposé à l’ouest. Devèze de Bouzanquet et Puech des Moles dominent le couloir naturel (occupé par la route D40) qui relie les plaines de Nîmes et de la Vaunage.
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Fig. 1 : localisation de la zone d’étude sur fond topographique IGN, Qgis©, IGN scan25®, F. Jallet, Inrap.
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1.2. Le contexte spatial
…à petite échelle
Pour appréhender le cadre anthropique, nous avons choisi de considérer la zone d’étude replacée dans la trame cartographique ancienne avec, pour premier support, le cadastre ancien dit « napoléonien » (source : Archives départementales du Gard en ligne).
L’emprise étudiée se situe plus ou moins au centre de la première feuille de la section C du cadastre napoléonien de Caveirac daté de 1838. Cette section forme un triangle délimité au sud par la commune de Milhaud, à l’est par celle de Nîmes et à l’ouest par la deuxième feuille de la section B (nord) et la deuxième de la section C. L’utilisation de la feuille OO 4 de Nîmes (1825) permet de compléter le contexte cadastral du secteur au XIXe siècle. Le réseau des axes de cheminement du début du XIXe siècle est connecté aux cours d’eau mentionnés (fig. 2). Le lit de ces écoulements intermittents a pu tenir le rôle de chemin creux lors des périodes sèches. Certains axes sont nommés, de Nîmes (est) à Caveirac (ouest) on relève (fig. 162) :
- Chemin dit du Caraou de Lanes
- Chemin de service
- Fossé ou viol (« petit chemin » (Pelaquièr, Casado [sans date])) des Molles dont le tracé délimite les deux communes
- Ruisseau des Jas
- Ruisseau du Rianse
- Chemin de Vermaciel
- Chemin du Mas Viel/Chemin du Mas de Crepon/Chemin de Sauty et de Thoma qui délimitent la feuille C1.
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Fig. 2 : localisation de la zone d’étude sur fond cadastral ancien « napoléonien », Qgis©, Caveirac feuille C Vermaciel (1838), Nîmes feuille OO Védelin 4 (1825),
chemins en tirets, en bleu : dénomination des chemins, en vert : dénominations des lieux-dits, F. Jallet, Inrap.
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Les axes de circulations se surimposent majoritairement aux constantes du terrain : points bas (talwegs) ou points hauts (interfluves). Les utilisateurs des garrigues ont privilégié la géo-morphologie du secteur pour des déplacements plus aisés.
La construction de ce paysage est sans doute ancienne. Mas de Cournon, Pondre et Védelin sont mentionnés dans les documents de 1667 édités par L. Ménard (Ménard 1750) au sujet de la définition de l’étendue des garrigues, mise à jour des accords médiévaux (Charte de 1144). La démarcation ouest de la concession du pacage des garrigues acquise par les Nîmois au vicomte Bernard Aton en 1144 (ou que celui-ci leur a cédé) est établie à l’arche de Caveirac (alius terminus funt arche de Cavairaco) ; aujourd’hui la limite entre les communes de Nîmes et de Caveirac est fixée plus à l’est au valat de Pondres (viol ou fossé des Moles sur le cadastre napoléonien). Ce confin est rapproché du lieu-dit Font d’Arque (source du Rhôny) situé au nord du village actuel. Ainsi les terres environnant le ruisseau des Jas font partie de la concession des garrigues aux Nîmois en 1144 (Ménard 1750 : I preuve XVIII et VI preuve L ; Germer-Durand 1868 : 12 ; Michel 1876 ; sans nom 1877 ; Caillat 2015). Cette démarcation se pérennise dans le temps puisque Fontaine Darque et Fondarque sont localisés sur la carte du Diocèse pour le territoire de Nîmes de 1781 et en 1790, lors de la création du département du Gard, la limite occidentale du district de Nîmes inclut le village de Caveirac dans son territoire.
Une modification majeure de ce paysage aura lieu dans le cadre de la réalisation du chemin de fer reliant Nîmes à Sommières qui doit remonter « le vallon de Pondres jusqu’aux abords de Caveirac » dont l’avant-projet et la mise en place d’une enquête publique sont officiellement annoncés en 1873 (sans nom 1873). L’état indicatif des propriétés expropriées est publié en 1880 pour plusieurs communes dont Caveirac, certaines parcelles de la section C des lieux-dits Pondres et Les Molles sont concernées (sans nom 1880). Les photographies aériennes de la période 1950-1965 de l’IGN montrent que le réseau viaire structurant l’environnement au XIXe siècle est toujours parcouru un siècle et demi plus tard.
Bilan : terrain et documents anciens
Le cadastre napoléonien (1838) a permis d’identifier le réseau viaire dans lequel s’insère l’emprise étudiée. Les activités humaines se sont développées à partir de la trame des voies de communication pour structurer le paysage. En désignant l’arche de Caveirac parmi les limites, la Charte de 1144 intègre cette zone rurale de la commune à la frange occidentale des terres cédées aux Nîmois. Cet acte définit le cadre physique d’un paysage élaboré sur le long cours ; cette démarcation est pérennisée dans les documents de 1667 mettant à jour les accords du XIIe siècle. Plus tard, lors de la création du département du Gard en 1790, le district et le canton de Nîmes incluent Caveirac, cette délimitation reprend probablement celle énoncée dans les documents médiévaux (arche de Caveirac) et en illustre la prégnance dans le temps. Le terroir délimité dans la Charte correspond à l’emprise actuelle des « garrigues de Nîmes », dès lors, les abris en pierre sèche dénommés « cabane » à Caveirac (comme on le verra plus loin) peuvent également être désignés par le terme « capitelle » usité à Nîmes.
À partir du Moyen Âge, les pratiques agropastorales modèlent la garrigue au rythme des pressions et déprises pour composer, en six siècles, un paysage rural dont le dernier élan dynamique se situe au XVIIIe siècle. Seuls les grands aménagements du territoire (Chemin de fer) viendront à nouveau modifier en profondeur cette campagne fossile à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.
…à grande échelle
Dans le détail, l’enquête de terrain a concerné la parcelle C112 sur le cadastre de 1838 ; alors propriété de la commune de Caveirac, elle est utilisée comme pâture, contenance enregistrée : 8 H 07 A (source AD30).
Le toponyme Las Mollas est inscrit dans le secteur des parcelles situées au sud de C112 (fig. 3). D’ouest en est, celle-ci est subdivisée par un axe de circulation nord-sud figuré en traits discontinus (indiquant la présence d’un chemin dans une parcelle, c’est le Chemin des Molles sur le cadastre actuel) : un tiers occidental et deux tiers orientaux.
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Fig. 3 : fond cadastral ancien « napoléonien », parcelle C112, Qgis©, chemin, carrière, F. Jallet, Inrap.
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Au nord, en 1838, C112 est bordée par le Chemin des Molles qui se poursuit en direction de l’est où, figuré en traits discontinus (chemin dans une parcelle), il est dénommé Chemin de Caveirac à Védelin. Il se raccorde au Fossé ou Viol des Moles, axe de circulation marquant la limite entre les territoires des communes de Caveirac et de Nîmes.
Donc, le levé cadastral ancien montre que C112 fait partie des plus grandes entités topographiées au début du XIXe siècle sur la feuille dite de Vermaciel. Les toponymes Las Mollas, Fossé ou Viol des Moles, Chemin des Molles qui ont une racine commune occitane pouvant évoquer le moulin/la meule marquent fortement le paysage autour de C112. Ces éléments peuvent évoquer une activité de production de meules contemporaine du levé cadastral : premier tiers du XIXe siècle (voir un toponyme hérité d’activités antérieures).
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Fig. 4 : emprise de la parcelle C112 sur fond cadastral actuel, Qgis©, F. Jallet, Inrap.
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Cent quatre-vingts ans plus tard, le cadastre actuel présente quelques variations avec les dénominations du XIXe siècle. Le Fossé ou Viol des Moles est dénommé Valat de Pondres. Le Chemin des Molles est l’appellation de la voie nord-sud figurée en traits discontinus sur le cadastre napoléonien (car dans la parcelle C112), de part et d’autre se situent les parcelles actuelles BC40 et BC44, subdivisions de la parcelle C112 du XIXe siècle. La mention Chemin de Caveirac à Védelin n’apparaît plus. Le lieu-dit cadastral actuel est Devèze de Bouzanquet, le toponyme Les Molles est secondaire pour les parcelles recoupant l’emprise de la C112. Plus généralement, la délimitation des parcelles dans ce secteur diffère peu entre le levé des cadastres ancien et actuel.
1.3. Les lieux-dits
Ils sont pour la plupart issus de la langue d’oc.
Devèze de Bouzanquet : le terme devèze désigne un « défens, pâturage clos, jachère, friche » (Mistral, 1878, p. 794). C’est un terrain clos dont l’entrée est interdite (http://www.cnrtl.fr/definition/defens). Bouzanquet est un nom attesté aujourd’hui encore sur la commune de Caveirac (Roger, Méjean 2007).
Le Jal : ce mot désigne le coq chez Mistral et se retrouve dans Jalenco, terme qui désigne une variété de châtaigne (Mistral 1878 : 151). On notera que le lieu-dit « Les Châtaigniers » est présent à proximité de celui du Jal.
Jas : lieu où on couche, creux dans le lit ou dans le sol, lit d’une rivière…meule d’un moulin qui est immobile selon Mistral (p. 156). Ce terme désigne la bergerie (Pelaquièr, Casado [sans date]).
Puech des Moles : Puech : colline, hauteur ; le toponyme Moles ou Mollas apparaît sur le Cadastre napoléonien,1838). Un lien entre ce terme et l’existence d’une meulière avait déjà été établi (Bianciotto et al. 2011 ; Boyer
2016). Ce terme apparaît sous différentes formes francisées. Pélaquier et Casado retiennent la graphie occitane mòla (prononciation : molo) (Pelaquièr, Casado [sans date]). Chez Mistral, Molo désigne la « meule, pierre qui sert à broyer » mais répond également à d’autres définitions variées. Mollo désigne le moule (Mistral 1878 : 349). Au XVe siècle, le terme français mollière désigne une « carrière d’où on tire les meules » (http://www.cnrtl.fr/definition/meuli%C3%A8re).
Puech Rascal : rascal : écalé, rascalat : raclé, rasé, dénudé (Mistral 1878 : 702), colline dénudée, aride.
Bilan : que disent les toponymes ?
La Devèze de Bouzanquet, cette dénomination renseigne sur un terroir et sur son propriétaire ou utilisateur, le toponyme Le Jal informe sur les usages ruraux tant par la présence d’animaux domestiques (coq) que par les pratiques culturales (châtaignier). Ces activités agropastorales ont peut-être impacté la couverture arborée donnant ainsi l’image d’une éminence dénudée : le Puech Rascal. Ces usages classiques mais méconnus de la garrigue prennent un certain relief puisque dans le cas particulier de ce secteur du territoire de Caveirac une meulière s’inscrit dans le paysage et pose sa marque au Puech des Molles. Un témoin indirect de l’activité de mouture peut-être également représenté par le toponyme Jas à moins qu’il n’évoque que le lit dudit ruisseau.
Chemin des Molles, Las Mollas, viol ou fossé des Moles (1838) localisés dans le même espace contiennent probablement la graphie corrompue de mòla. Le toponyme décliné pour caractériser trois entités spatiales illustre la force du sens de mòla et consolide une unité de lieu. Avec le report sur le cadastre napoléonien, le lieu-dit est inscrit et passe à la postérité, on peut donc supposer que l’usage pour désigner ce secteur est antérieur à 1838 ; d’une ou plusieurs décennies ? d’un siècle ou plus ? De mòla à molles, la meule occitane gagne un « l » en se francisant. En 1838, si l’objet « meule » avait eu un sens pour
caractériser ce secteur de la commune de Caveirac, on pourrait s’attendre à ce qu’il eût été préféré permettant ainsi de diluer la mémoire locale en la francisant par ce transfert.
2. La construction d’un paysage
Sur le terrain, les tracés qui structurent le plan cadastral sont matérialisés par différentes catégories de vestiges construits (chemins, murs) auxquels d’autres structures bâties (abris, masets) ainsi qu’une carrière sont associés.
2.1. Les chemins
Axe majeur qui structure déjà l’espace au début du XIXe siècle, le chemin des Molles (feuille C1) prolonge le chemin de Caveirac (feuille C2) en provenance du village sur une longueur de 740 m dans l’axe ouest-est. Le chemin des Molles, large de 5 m, est bordé de murs en pierre sèche (fig 5). Cet axe de circulation se poursuit vers le sud dans la parcelle C112 où il se scinde en deux puisqu’un axe s’oriente vers l’est et devient Chemin de Caveirac à Védelin qui rejoint le fossé ou viol des Moles. Ces chemins sont figurés par des traits discontinus car ils s’inscrivent dans une parcelle. La section nord-sud du chemin des Molles (actuel DFCI) se développe sur les points hauts de l’éminence et sépare le tiers occidental des deux tiers orientaux de la parcelle C112 : le versant à l’ouest, le sommet à l’est. La dénomination Chemin des Molles constitue une parenthèse sur le chemin de Caveirac à Védelin.
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Fig. 5 : vue du Chemin des Molles, F. Jallet, Inrap.
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Le chemin 340 (dénomination créée dans le cadre de l’étude) (fig. 6), d’axe nord-sud, se situe à mi-pente sur le versant à équidistance entre le ruisseau des Jas et le chemin des Molles auxquels il est parallèle mais également perpendiculaire aux segments nord et sud de ce dernier. Il s’inscrit dans un réseau de voies de communications dont le cadre est constitué par le chemin des Jas à l’est et le chemin des Molles pour les trois autres côtés. Le chemin 340 occupe une plateforme en lanière maintenue par un mur de soutènement situé à l’ouest ; il longe le mur de terrasse (mur 1, voir ci-dessous) côté est qui maintient un gradin (faïsse en langage vernaculaire) auquel on accède par des escaliers. Le chemin 340 mesure environ 450 m pour une largeur de 4 m. Étonnamment, malgré des délimitations plus élaborées et une emprise remarquable sur le terrain, il n’est pas identifié comme un axe viaire sur le plan cadastral et n’a pas de numéro de parcelle.
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Fig. 6 : cartographie des résultats, Qgis©, F. Jallet, Inrap.
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2.2. Les murs
La plupart des murs en pierre sèche géolocalisés lors de la prospection dans les parties accessibles (moins denses en végétation) se superposent à des limites parcellaires figurées sur le cadastre napoléonien. L’épierrement du sol est donc antérieur ou contemporain (au moins en partie car on ne peut exclure des recharges postérieures) à la date de levé (1838).
Un mur monumental
Ce mur (numéro d’entité : 1) présente une façade soignée (fig. 7) et de nombreux aménagements lui sont associés. Plusieurs segments de ce linéaire ont été documentés, de manière plus ou moins détaillée en fonction de la densité de la végétation, sur une longueur de 375 m environ. Sa façade borde à l’est le chemin 340. Il maintient les terres situées en amont constituant ainsi une terrasse artificielle. Son extrémité sud se caractérise par la présence d’un mur en pierre sèche appuyé à la perpendiculaire contre cette façade (fig. 8) réduisant ainsi la largeur du chemin 340 (pour matérialiser un accès ?). L’angle formé constitue la limite en coin sud-est (massif 215) de l’actuelle parcelle 39. Cette bordure est déjà figurée sur le cadastre ancien (propriété n°113). La permanence de ce bornage pourrait suggérer que cette délimitation marque déjà physiquement le paysage lors du levé de 1838. En plan, le massif 215 prend la forme d’un L dont les parements nord et ouest sont chaînés en angle droit.
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Fig. 7 : vue d’un segment du mur de terrasse 1 édifié sur une strate naturelle, F. Jallet, Inrap.
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Fig. 8 : au premier plan le massif 215 appuyé sur le mur de terrasse 1, noter la présence d’une barbacane, F. Jallet, Inrap
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Ce point de passage franchi, plus au nord dans le secteur de la meulière, le mur 1 a été observé sur une hauteur de 1,20 m. La façade est construite de blocs calcaires sur la partie basse et de moellons en hauteur. La morphologie de certains d’entre eux pourrait suggérer leur mise en forme, le parement présente un aspect soigné et évoque la recherche d’un rendu esthétique peu fréquent dans l’architecture vernaculaire rurale en garrigue (fig. 9).
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Fig. 9 : vue d’un segment du mur de terrasse 1 édifié sur une strate naturelle, assises régulières et modules réguliers, F. Jallet, Inrap.
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Des aménagements ponctuels s’ouvrent dans ce parement. À partir du chemin 340, quatre marches permettent d’accéder à la partie supérieure de la terrasse (fig. 10). Une trentaine de mètres plus au nord, un dispositif identique (également à quatre grades) remplit la même fonction.
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Fig. 10 : marches aménagées dans le mur de terrasse 1, F. Jallet, Inrap.
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Le mur 1 est percé d’au moins trois ouvertures (fig. 11) sans doute prévues pour faciliter l’écoulement des eaux (barbacanes).
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Fig. 11 : deux barbacanes réservées dans le mur de terrasse 1 édifié sur une strate naturelle, F. Jallet, Inrap.
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Le mur, ses aménagements, sa longueur et le soin apporté pour un visuel esthétique de la façade ainsi que le lien avec un large chemin constituent un cas particulier. Cet ensemble est une composante originale du paysage peu commune en contexte de garrigue.
- Murs et parcellaire
Parmi les trente-sept segments de murs en pierre sèche relevés dans les zones accessibles de cette garrigue, vingt se rapportent à des limites cadastrales matérialisées sur le levé de 1838. Une partie de la structure du paysage actuellement perceptible est donc antérieure ou contemporaine du début du XIXe siècle.
Une quinzaine de ces murs (fig. 12) se superposent aux limites parcellaires actuelles, ce qui suggère de faibles remaniements des surfaces cadastrées entre le début XIXe et le début du XXIe siècles et tend à donner l’image d’un milieu anthropisé dont la morphologie est stable au long des 200 dernières années. On notera que l’évolution des limites fiscales n’induit pas une modification des tracés physiques matérialisés sur le terrain par les murs en pierre sèche, il y a permanence de la morphologie du paysage.
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Fig. 12 : mur parcellaire, matière première brute et geste habituel en garrigue, F. Jallet, Inrap |
Bilan :
La forme générale de l’espace observé en 2018 est déjà en place au début du XIXe siècle. Le cadastre ancien a enregistré les données parcellaires figées au moment du levé topographique. Celui-ci daté de 1838 pour la commune de Caveirac témoigne que les chemins et les murs qui organisent cette zone rurale existent depuis au moins 200 ans. On pose le postulat suivant : la physionomie des terres cadastrées au début du XIXe siècle est héritée des pratiques humaines antérieures. La persistance au XXIe siècle d’un espace naturel structuré documenté au début du XIXe siècle, et probablement élaboré auparavant, justifie le concept de « paysage fossile ».
2.3. Les cabanes ou capitelles
Quatre structures bâties en pierre sèche évoquent des abris par leur plan ; deux d’entre elles portent encore une couverture.
- Les vestiges d’une cabane ?
À l’extrémité occidentale du mur 250 plusieurs assises en élévation (1 m de hauteur conservée) délimitent un plan circulaire de 2 m de diamètre environ (fig. 13) constituant les derniers témoins de la structure bâtie 253. Ces vestiges de construction appartiennent à un type fréquent dans les garrigues gardoises. Il peut s’agir d’une cabane/capitelle ou d’une cuve (tine).
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Fig. 13 : vestige de cabane ?, F. Jallet, Inrap.
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- Deux capitelles, témoins pluri-séculaires
La cabane 258 jouxte l’emprise explorée au nord. Elle se situe à l’angle de deux murs dans la parcelle BD 32. À la base le plan est quadrangulaire. L’accès situé sur la paroi ouest (fig. 14) présente un linteau au-dessus duquel une ouverture semble avoir été bouchée. Les murs nord, sud et ouest à droite de la porte (vue de face) sont doublés par des renforts en matériaux grossiers sommairement agencés.
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Fig. 14 : cabane 258, la végétation dense n’a pas permis de réaliser une vue globale, F. Jallet, Inrap. |
À l’intérieur (carré de 1,70 m de côté environ), une partie de la construction est bâtie sur le banc rocheux dont la strate est visible sur 50 cm de hauteur. Dans les quatre angles, l’encorbellement est amorcé vers 1,50 m environ de hauteur. Le parement interne des murs nord, est et sud présente une pierre oblongue en saillie : maintien de support (étagère, claie) ? La voûte est terminée par une grande pierre plate. Cette construction se caractérise par
l’utilisation de modules très divers, de la dalle au bloc massif.
Une autre particularité de la capitelle 258 est la présence de nombreux graffitis déchiffrables ou non, inscrits pour certains dans des espaces délimités sur les pierres du parement interne. Ils sont gravés à la pointe fine
ou épaisse ou tracés au charbon. Parmi les inscriptions lisibles, plusieurs millésimes sont identifiés : 1807 ?, Chapot 1809, 1855, 1913, 1940 ?, 1951, 1977. Plusieurs inscriptions se rapportent à de courts textes dont le premier
n’est que partiellement déchiffré : « Je me suis trouvé dans cette cabane le 29 mars 1893… » (fig. 15), « le 28 octobre huit heures du matin », « Albert Martin le 24 avril 1906 » (fig. 16).
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Fig. 15 : cabane 258, inscription gravée à la pointe dure, V. Mourre, Inrap. |
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Fig. 16 : cabane 258, inscription tracée au charbon couvrant un texte à la pointe dure, V. Mourre, Inrap. |
Si on exclut l’hypothèse d’un ré-emploi des blocs, ces gravures indiquent que la cabane 258 est déjà en élévation au début du XIXe siècle ; l’âge minimum de cette capitelle est estimé à 210 ans. La période de fréquentation de cette capitelle, début XIXe- deuxième moitié XXe siècles coïncide avec les éléments de chronologie avancés à partir des données cadastrales.
Son maintien en élévation au cours du temps implique des réfections et un entretien dont les contreforts constituent le témoignage. La qualité de cette architecture, son ancienneté, les marques inscrites, leur contenu et l’excellent état de conservation général confèrent à la cabane 258 le statut de document patrimonial de premier ordre.
La cabane 260 se situe dans la parcelle BC 32 à l’ouest du mur 266 perpendiculaire au mur 261. De plan est rectangulaire, elle est décrite dans l’article paru en 2011 (Bianciotto et al. 2011 : 45) (fig. 17). L’entrée ouverte
à l’ouest est surmontée par un linteau qui porte une décharge triangulaire.
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Fig. 17 : cabane 260, F. Jallet, Inrap. |
Le parement extérieur est doublé par un mur de contrefort sur l’ensemble de son pourtour. La construction jouxte une plateforme accolée au nord. L’accès originel, réduit sur sa paroi nord, s’ouvre sur un espace de 3 x 3 m. L’encorbellement est amorcé vers 1,60 m environ. Les murs est, nord et sud sont chacun percés d’une « niche » (fig. 18) ; leurs formes et dimensions évoquent les logettes de la SB 127 (voir ci-dessous). Ces ouvertures et leur disposition peuvent suggérer, soit la contemporanéité des deux constructions, soit un phénomène d’imitation. La présence d’un départ d’encorbellement dans l’angle sud-est et les similitudes avec la cabane 260 pourraient indiquer que SB 127 était une capitelle. La voûte de la cabane 260 est ouverte à son sommet (pas de dalle plate).
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Fig. 18 : cabane 260, niches réservées dans la paroi interne, F. Jallet, Inrap
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Huit graffitis ont été repérés, ils appartiennent à trois catégories : initiales (2), représentations graphiques (4) et dates (2). Trois représentations ont des similitudes sans être identiques, elles semblent illustrer le même objet ou le même sujet. Les initiales apparaissent sur le linteau de la niche sud : la gravure SC est séparée d’une autre marque SC par une bande verticale raclée ; les secondes lettres sont suivies d’une représentation graphique illustrant un cœur transpercé d’une flèche. Le style des lettres semble récent : fin XXe-début XXIe siècles. Ces éléments pourraient composer un ensemble. Les autres graffitis sont localisés dans le secteur de la porte en hauteur de part et d’autre du triangle de décharge ainsi que sur le linteau. Parmi les gravures, un rectangle dont le grand côté est horizontal repose sur deux triangles longs et étroits pointe en bas espacés (fig. 19), le grand côté supérieur supporte un petit carré. La surface du bloc qui sert de support à la gravure semble avoir été préparée préalablement à l’exécution du motif. Les espaces internes délimités par les traits gravés ont été raclés. Ce dessin pourrait représenter un outil agricole de type bigot.
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Fig. 19 : cabane 260, représentation d’outil ? bigot ?, V. Mourre, Inrap.
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La gravure présente sur le linteau est également un assemblage de formes géométriques gravées (fig. 20). Il s’agit d’un rectangle dont le grand axe est vertical portant un trapèze dont le petit côté se situe au sommet. Au centre du trapèze, deux lignes obliques se joignent à la base. Le rectangle est empli par deux lignes obliques qui se croisent au centre. Cette forme repose sur une ligne horizontale doublée par un autre trait parallèle. Pour Vianney Forest (archéozoologue, Inrap), ce dessin pourrait être la représentation stylisée d’une lanterne de plan carré à faces latérales ajourées barrées de tiges croisées. On serait en présence d’une lanterne surmontée de son aération posée sur un plan horizontal (lignes parallèles : planche, dalle ?), sa situation sur le linteau au-dessus de la porte et sous l’arc de décharge (deux sources de lumière) est à souligner.
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Fig. 20 : cabane 260, représentation d’une lanterne ?, V. Mourre, Inrap.
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Les millésimes sont situés à droite de l’arc de décharge et à gauche du linteau, chacun est encadré par un cartouche sommairement tracé. Le style des chiffres est homogène. Les traits gravés sont fins. Le plus ancien (fig. 21) indique la date de 1731, le second est exécuté une quarantaine d’années plus tard : 1773 (fig. 22). Ces deux millésimes ont été gravés sous le règne de Louis XV (1715-1774). Ils font partie des occurrences les plus anciennes et les plus rares relevées parmi les cabanes en pierre sèche (Lassure, Repérant 2004 : 184). On doit en déduire que la capitelle 260 était en élévation en 1731, par conséquent l’âge de cette construction avoisine 290 ans. Dans le contexte de l’architecture en pierre sèche, la cabane 260 fait partie des plus anciens édifices encore en élévation attestés au XXIe siècle.
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Fig. 21 : cabane 260, millésime gravé : 1731, V. Mourre, Inrap. |
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Fig. 22 : cabane 260, millésime gravé : 1773, V. Mourre, Inrap. |
- Une cabane restaurée
Qualifiée de cabane de carrier dans l’article de 2011 (Bianciotto et al. 2011 : 44‑45), la structure bâtie 127 se compose de trois murs (sud, est, ouest), elle est ouverte au nord (pour les auteurs, ce mur est détruit) (fig. 23) ; ce bâtiment est appuyé contre un front d’extraction à l’est, le sol interne est constitué par la surface d’une strate de substrat située à -50 cm de la surface actuelle. Le comblement intérieur a été décaissé récemment (différence de coloration des pierres calcaires), ce comblement est pourtant représenté sur la coupe figurée page 44 de la publication ; le dégagement des sédiments est donc contemporain ou postérieur à cette publication. Les murs sont chaînés au sud-ouest et au sud-est, angle dans lequel s’observe un départ d’encorbellement. Les assises supérieures ont été remontées récemment (différence de coloration). Chaque mur conservé présente une logette ouverte dans le parement interne. Les éléments déjà observés par nos prédécesseurs (Bianciotto et al. 2011) et les constations de terrain au cours de notre prospection suggèrent que le comblement interne et les élévations de la structure bâtie 127 ont été affectés par des remaniements récents (restauration).
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Fig. 23 : cabane 127, F. Jallet, Inrap.
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2.4. Murs et cabanes : bilan
Trois abris sont associés à des murs en pierre sèche (un doute subsiste pour la SB 127 en raison des modifications récentes). On est en présence d’une situation classique en garrigue sur laquelle Paul Marcelin et Paul Marres ont insisté : la capitelle est indissociable de son champ clos.
Les chemins, les murs et les capitelles structurent les garrigues. Les deux bâtiments pourvus de leur couverture en encorbellement confortent les données avancées à partir de la morphologie cadastrale, la structure de l’espace
enregistré en 1838 est très certainement déjà en place au début du XVIIIe siècle comme le millésime gravé 1731 le laisse envisager.
Ces deux édifices sont porteurs de contenus patrimoniaux de premier ordre. En premier lieu en raison de leur édification puis leur maintien en élévation pendant près de 290 et 210 ans ; en second lieu, ces monuments en pierre sèche, vestiges des gestes anthropiques en garrigue, révèlent également des pratiques humaines intimes : signes, graffitis (initiales et noms), textes et millésimes sont des écrits ordinaires et constituent des archives « mineures » (Lecompte 2020). « Traces d’un geste spontané, ils instaurent un dialogue à travers le temps et l’espace entre le graffiteur du passé et le visiteur d’aujourd’hui, connectant deux histoires humaines et faisant de la trace un témoignage historique qui a beaucoup à raconter » (http://graffiti.monuments-nationaux.fr/Programme/Sur-les-murs-une-saison-a-decouvrir#698ae662c95f301bd91e57176af5822f, consulté le 20 octobre 2022).
2.5. Un marqueur original du paysage : la carrière
Découverte fortuitement en 2011 par Claude Bianciotto (Bianciotto et al. 2011), la carrière de meules du Puech des Molles a fait l’objet de différentes campagnes d’observation et de mise en valeur, notamment par des opérations de
débroussaillage par les associations Aserpur et Pierre sèche et garrigue de Caveirac. Une notice de site archéologique établie par Olivier Boyer (UMR 5608 TRACES) en février 2016 (Boyer 2016) a conduit à son référencement au sein de la Carte archéologique nationale (n° d’inventaire 30 075 0012). Dans le cadre de l’enquête de terrain, nous avons complété les observations de nos prédécesseurs et avons pu préciser certaines caractéristiques de l’exploitation.
- Description
La carrière a été repérée sur 200 m de long (nord-sud) et 30 m de large (est-ouest). L’exploitation est alignée sur la courbe de niveau des 95 m NGF marquant le rebord occidental de l’ensellement qui sépare le Puech Rascal du Puech des Moles, partie supérieure du versant en rive gauche du ruisseau des Jas. Elle se caractérise par la présence d’une strate calcaire en élévation à l’est sur laquelle s’appuient des amas de blocs et débris calcaires plus ou
moins volumineux, ponctuellement ils peuvent être construits, ils sont associés à des blocs normalisés et la meule citée ci-dessus.
Le front d’exploitation (fig. 6) s’appuie sur le rebord naturel. Il présente un tracé discontinu, certaines interruptions du levé sont dues à la présence de végétation ou aux déchets d’exploitation qui masquent ponctuellement le front d’extraction. Il a pu être suivi sur une distance de 200 m. La hauteur visible actuellement varie de 0,50 à 3 m. Le pied du front est systématiquement masqué par des débris calcaires ; le sol étant exhaussé par ces derniers on ne peut estimer la hauteur réelle exploitée (fig. 24).
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Fig. 24 : carrière, front d’exploitation, déchets calcaires au pied, blocs préformés au premier plan, F Jallet, Inrap. |
Les déchets liés à l’extraction sont constitués en amas de débris calcaires. Leur répartition n’est pas homogène, on observe des concentrations par modules :
- Amas de blocs et dalles (fig. 25) : ils sont constitués d’éléments dont l’arête varie entre 40 et 180 cm de long. En plan, on constate la présence de deux pôles associant un monticule à un épandage en lanière séparés par un espace libre linéaire de 4 à 5 m de large (espace de circulation ?). Certains éléments massifs sont posés sur chant.
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Fig. 25 : carrière, amas de blocs et dalles, F. Jallet, Inrap |
- Amas de blocs, dalles et éclats (fig. 26) : l’arête des plus petits éléments est inférieure à 40 cm, c’est un épandage étendu.
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Fig. 26 : carrière, amas de blocs, dalles et éclats, F. Jallet, Inrap. |
- Amas de blocs massifs 52 : l’arête minimale est égale à 1 m (fig. 27).
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Fig. 27 : carrière, amas de blocs massifs, F. Jallet, Inrap |
- Amas de blocs : l’arête se situe entre 30 et 50 cm, les blocs les plus fréquents (fig. 28) ont une arête de 40 cm. Dans deux espaces les amas de blocs semblent associés aux pôles identifiés par la répartition des amas de blocs et dalles. Un pôle jouxte des amas de blocs localisés au sud. Un second pôle est situé à proximité d’amas de blocs également positionnés au sud. L’espace est organisé.
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Fig. 28 : carrière, amas de blocs, F. Jallet, Inrap |
- Maintien des amas : certains amas sont maintenus par des murs (fig. 29).
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Fig. 29 : carrière, amas, mur de maintien, F. Jallet, Inrap. |
Plusieurs éléments remarquables caractérisent la zone d’activité, ils se rapportent au système technique de mise en forme des meules :
- Blocs à perforation : parmi les déchets massifs, onze blocs portent des stigmates de perforation(s) isolée (1) ou groupées (2 à 5) (fig. 30 et 31). On distingue deux types : les perforations de longueur inférieure ou égale à 10 cm (fig. 33 prosp), lees perforations pluri-décimétrique pouvant atteindre 50 cm. Aucune organisation spatiale dans la répartition de ces éléments n’est relevée.
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Fig. 30 : carrière, bloc à perforations, V. Mourre, Inrap. |
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Fig. 31 : carrière, fond de perforation
(diam. 5 cm), détail, V. Mourre, Inrap.
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- Ébauches de meules : six blocs se caractérisent par leur circonférence ne présentant pas ou peu d’angles. Ces ébauches ne sont pas posées au contact du sol mais reposent à l’horizontale sur des pierres de calage. Elles sont brutes à l’exception de l’ébauche 191 dont la surface visible est piquetée (fig. 32). Le plan de répartition ne dessine pas de concentration.
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Fig. 32 : carrière, ébauche de meule, V. Mourre, Inrap. |
- Meule (fig. 33) : une seule meule abandonnée (7) affleure à la surface actuelle du terrain. Elle mesure 1,58 m de diamètre pour 0.48 m d’épaisseur et est perforée d’un œillard carré de 19 cm de côté.
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Fig. 33 : carrière, meule abandonnée, J. Guerre, Inrap |
- Reconstitution de la chaîne opératoire de production de meules en 12 étapes (fig. 34) :
1 : dégagement de la découverte par débroussaillage et évacuation de la terre végétale, en bord de plateau ;
2 : évacuation de la découverte en creusant en sape dans le niveau marneux sous-jacent, figuré en vert, puis dégagement du deuxième banc d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur ;
3 : évacuation du deuxième banc par fracturation in situ à la masse puis évacuation du niveau marneux sous-jacent ;
4 : délimitation d’un bloc d’environ 160 × 160 × 50 cm par des perforations verticales réalisées à la chante-perce, d’une trentaine de centimètres de profondeur et espacées d’une quarantaine de centimètres, définissant des lignes de coupe ; utilisation possible d’explosifs (« poudre noire ») à ce stade pour permettre l’extraction, la face inférieure étant délimitée par le niveau marneux sous-jacent ;
5 : déplacement du bloc extrait en vue du façonnage de l’ébauche ;
6 : début du façonnage de l’ébauche ; creusement de perforations verticales d’une dizaine de centimètres de profondeur et espacées d’environ 20 cm pour créer des lignes de coupe dans les angles du bloc ; 7 : débitage à la masse métallique des angles du bloc ; certains sous-produits générés à cette étape portent les deux types de perforations ;
8 : poursuite du façonnage de l’ébauche par détachement d’enlèvements à la masse métallique ;
9 : retournement de l’ébauche et poursuite du façonnage par détachement d’enlèvements depuis l’autre face
10 : régularisation des surfaces de mouture sur le chant de la meule ;
11 : finition des surfaces de mouture par bouchardage ;
12 : perçage d’un œillard carré d’environ 20 cm de côté depuis les deux faces planes ;
Les étapes 1 à 6 ont pu également être suivies pour la production des pierres à bâtir issues de cette carrière.
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Fig. 34 : carrière, chaîne opératoire de production de meules, V. Mourre, Inrap.
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- Datation
Les arguments pour une attribution chronologique à cette (ces ?) activité(s) d’extraction sont maigres voire inexistants. Dans l’article de 2011 (Bianciotto et al. 2011), les auteurs font état de la découverte de cette carrière destinée à la fabrication de « meules de grands modèles pour les moulins à huile et de pierre à bâtir » (p. 43). Ils situent cette exploitation pendant l’époque moderne ou au début de la période contemporaine. Cette hypothèse est compatible avec les toponymes figurés sur le cadastre ancien. Le paysage dans lequel s’inscrit cette carrière est vraisemblablement en place au début du XVIIIe siècle, la capitelle 260 qui permet d’avancer cette datation présente des points communs avec la cabane de carrier 127. Si la notion d’imitation ne permet pas d’aborder la question de la chronologie, celle de contemporanéité ouvre une perspective. Dans ce dernier cas, les deux constructions sont déjà érigées au XVIIIe siècle. Étant donné que la cabane 127 prend appui sur un des fronts d’exploitation, il faut considérer qu’une activité d’extraction a déjà cours au début du XVIIIe siècle…voire antérieurement.
- Bilan
Ces éléments donnent de l’amplitude au postulat énoncé plus haut. La morphologie de l’espace naturel structuré par les dynamiques anthropiques perceptible au XXIe siècle apparaît dans la physionomie des terres cadastrées au début du XIXe siècle. L’instantané figé en 1838 est très certainement en place dès les premières décennies du XVIIIe siècle comme l’enclos et sa capitelle portant le millésime 1731 permettent de le proposer. En fonction de ces données, la cabane au plan comparable érigée sur un des fronts d’exploitation témoignerait-elle d’une activité d’extraction de calcaire antérieure au premier tiers du XVIIIe siècle ?
Dans la zone d’étude, le paysage fossile relève d’une chronologie relative d’évènements dont l’articulation dans le temps est complexe. Le large chemin soutenu par un mur bordier est longé par la façade soignée d’un mur maintenant
une terrasse. Ces différentes entités composent l’image originale d’un ensemble monumental au sein de ce secteur de garrigue.
Le mur de soutènement retient la plateforme sur laquelle sont répandus les déchets issus de l’exploitation de la carrière. Au cours de cette activité ou après son terme, une probable capitelle est édifiée sur un front d’extraction
abandonné.
La chronologie relative de mise en place des éléments du paysage permet de proposer l’esquisse d’un scenario de construction de cet espace de garrigue. Dans un premier temps, le mur de terrasse (contemporain du chemin ?) est édifié. La présence de blocs mis en forme dans cette élévation témoignerait d’une première phase d’exploitation de la carrière pendant laquelle le mur est édifié. Progressivement, les activités liées à l’extraction du calcaire se développent à la surface de la plateforme. Blocs choisis pour une façade soignée, barbacanes et escaliers composent une entité architecturale élaborée et massive.
Le large chemin serait-il à mettre en relation avec le transport des pierres à bâtir et des meules ? Cette voie permettant d’acheminer les produits de la carrière est connectée au réseau viaire qui mène à Caveirac, Védelin,
Saint-Césaire et l’actuelle route de Sauve via le Carreau de Lanes.
Construit sur un des fronts d’exploitation, donc postérieur, un abri en pierre sèche témoigne du dynamisme agropastoral impulsé au XVIIIe siècle ; la carrière et la voie associée pourraient donc être plus anciens. Rien n’interdit cependant la concomitance des deux activités (au rythme des commandes par exemple) ; dans ce cas, il y aurait non pas succession mais contemporanéité, agropastoralisme et exploitation du calcaire étant à placer (au moins en partie) au XVIIIe siècle.
L’aspect monumental de la carrière et des aménagements marquent le paysage et les toponymes soulignent l’importance d’une des spécificités de sa production (meules) dans la mémoire collective.
2.6. Les masets
Après les murs et abris ainsi que la carrière, trois bâtiments témoignent dans l’emprise prospectée d’un nouvel épisode d’élaboration du paysage. Ces constructions (fig. 6, symbole « structure_bâtie »), structures bâties simples,
se différencient des capitelles par leur technique de construction et les matériaux employés : maçonnerie liée (et non plus en pierre sèche), toit constitué d’une charpente en bois couverte de tuiles. L’édifice de la parcelle
BD 28 (non étudié car non accessible) et la SB 278 (parcelle BC 43) (fig. 35) semblent occupés à titre temporaire en ce début de XXIe siècle. Le maset de la parcelle BC 32 est partiellement dégradé.
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Fig. 35 : maset 278, F. Jallet, Inrap.
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Ces deux derniers bâtiments sont constitués d’une seule pièce contre laquelle est accolée une citerne dont la partie supérieure de l’habillage sert de terrasse. Dans le parcelle BC 32, le maset est doté d’un auvent. La pièce possède une cheminée et une arrivée d’eau alimentée par une pompe à main puisant dans la citerne (fig. 36). L’auvent au pied duquel s’étale un parterre d’iris domine un terrain dont la surface herbacée est cernée par une chênaie dense qui masque en grande partie les murs de délimitation en pierre sèche. Cette garrigue occulte la capitelle 260 évoquée ci-dessus. Entre celle-ci et le maset, une éolienne liée à un forage assure un appoint d’eau souterraine complétant les eaux pluviales stockées dans la citerne. Cette parcelle rassemble donc deux constructions typiques, des témoins de l’histoire architecturale de la garrigue nîmoise.
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Fig. 36 : maset parcelle BC32, évier et pompe manuelle, F. Jallet, Inrap. |
- Le maset est un concept
Pour J. Igolen (Igolen 1931), le maset désigne l’édifice et le champ dans lequel il se trouve (p. LIV). Cette notion ramène à l’origine du mot puisque selon Pierre-Augustin Boissier de Sauvages mas désigne au départ une portion de champ, « on y comprit ensuite l’habitation du propriétaire » (Boissier de Sauvages 1785 : 68). Comme on l’a vu ci-dessus, Paul Marcelin et Paul Marres ont rappelé que la capitelle est indissociable de son champ clos, cette nouvelle entité répond donc à un concept comparable. L’enclos connaît une transformation au cours de laquelle l’abri en pierre sèche voit apparaître le petit pavillon plus confortable.
De la capitelle au maset, en modifiant la morphologie du refuge au sein de l’enclos, l’objet social s’est transformé. Le maset tient lieu « d’abri aux petits cultivateurs (les rachalans dans le dialecte local) et de lieu de détente, le dimanche, pour les citadins » (Bernié-Boissard 2014 : note 1). En tant qu’espace de labeur et de repos à l’écart de la cité, le maset participe du corps urbain par le lien humain. Le lieu de ressources est également celui où on se ressource loin des commodités de la ville ; le maset n’est pas une habitation car il n’est pas occupé de façon durable. Le mouvement pendulaire de la ville vers la garrigue constitue un système, c’est un fait social qui caractérise le modèle urbain dans lequel il s’inscrit. Il existe une réelle dynamique nîmoise, J. Igolen relève qu’entre 1832 et 1930 le nombre s’accroît de 634 à 4194 masets (Igolen 1931). Ce lien fort s’exprime également en période de crise. Au mois de juin 1944, la Société Nationale d’Électricité qui fait partie des distributeurs d’énergie sur Nîmes constate une baisse de distribution de 20 % en ville, une partie de la population s’étant réfugiée dans les masets pour s’abriter des bombardements (Delevaux 1985). Dans ces circonstances, aller au maset est un réflexe vital.
De la cabane en pierre sèche au modeste pavillon, le champ clos est le sujet central. Au temps des capitelles, persévérance et ténacité ont permis de domestiquer la parcelle de garrigue. À partir de l’avènement des masets, l’objet social a progressivement mué pour se transformer en lieu de détente. Grâce au labeur et au temps passé, la terre inhospitalière est progressivement devenue, au cours des siècles, un lieu de délassement et de passe-temps.
3. La garrigue : une histoire sociale
Le champ clos, la capitelle puis le maset sont les vestiges d’une histoire, d’une pièce majeure du patrimoine social. De Bernard Aton à Colbert, de la laine à la soie, les masses laborieuses ont permis à l’industrie textile nîmoise de prospérer (Teisseyre-Sallman 1982). Cette main d’œuvre qui assurera la prospérité des usines jouera également un rôle essentiel pour la « mise en valeur de la garrigue » (Marcelin 1941 : 48) car « un grand nombre de Nîmois des basses classes étaient à la fois ouvriers de ville et ouvriers des champs…le fait était courant au XVIIIe siècle et pendant la première moitié, peut-être même, les deux premiers tiers du XIXe siècle » (Marcelin 1941 : 94). Ainsi au fil des siècles, décisions politiques, exigences économiques et facteurs humains se sont entremêlés pour composer un paysage original.
« L’élévation des salaires et l’amélioration des conditions de vie des ouvriers » (Marcelin 1941 : 94) à la fin du XIXe siècle va induire un déclin des activités humaines dans la garrigue et la fin d’une dynamique rurale séculaire. Cette déprise est donc le corollaire d’un mieux-être social urbain.
Cet épisode aurait pu entraîner un abandon, si ce n’est définitif au moins temporaire, de ces terres ingrates mais ce ne sera pas le cas. La communauté nîmoise se définissant en partie par sa relation avec les garrigues, le lien ne peut pas se rompre. En procurant du mieux-vivre au prolétariat, la vie économique de la ville a initié une mutation de l’interaction garrigues-cité. Dans ce cadre de nombreux enclos vont être dotés d’une construction en dur
modeste mais maçonnée et couverte de tuiles, c’est ainsi que la seconde moitié du XIXe siècle connaît l’apogée de la mode des masets (Marcelin 1941 : 95). La période 1830-1930 est désignée « siècle des masets », leur émergence n’est pas antérieure à la fin du XVIIIe siècle (Lheureux 1988 : 43, 120). La capitelle – abri et resserre temporaire de la récolte – va désormais côtoyer le maset – édifice d’agrément – progressivement les espèces végétales à vocation vivrière (vignes, oliviers…) jouxtent des essences ornementales (arbres de
Judée…). Ces pavillons de plaisance ont transformé le rapport à l’enclos. Petit à petit le rachalan a cédé la place au masetier qui assistera à partir des années 1950 à « l’amélioration » puis à l’agrandissement des masets puis les enclos recevront des maisons neuves qui seront des habitations permanentes (Lheureux 1988). À la fin des années 1980, J.-C. Lheureux a fixé le contenu social et culturel du parcours qui mena de l’enclos à la capitelle puis au maset constitué au cours de siècles de labeurs.
Les terres concédées en 1144 ont donné naissance à un paysage façonné au cours des siècles. Le développement industriel de Nîmes a profité de la persistance de son prolétariat dont le dynamisme s’est également développée en zone rurale pour contribuer à la genèse de la garrigue. En fin de compte, pour les rachalans « la rigueur même de leur sort a été pour eux une occasion de progrès » (Marcelin 1941 : 100).
Pour conclure
L’enquête de terrain menée dans les garrigues de Nîmes aux lieux-dits Le Jal et Puech des Molles (Caveirac, Gard) a permis de documenter la structure d’un espace rural en contexte karstique méditerranéen. Le réseau viaire actuel est déjà en place en 1838 comme les plans du cadastre napoléonien l’ont enregistré. Ces voies de communication ont constitué une trame à partir de laquelle le paysage s’est structuré. Au début du XIXe siècle, ces levés fixent une organisation spatiale héritée des comportements humains au sein de l’espace agraire. C’est sans doute la Charte de 1144 qui constitue l’acte fondateur du mouvement de la ville vers les garrigues. Elles seront modelées en six siècles au rythme des pressions et déprises jusqu’au dernier élan dynamique impulsé par la croissance démographique et le succès de l’industrie textile nîmoise au XVIIIe siècle.
Les épierrements en amas, les murs d’enclos et leur capitelle constituent la structure du paysage. L’espace rural cartographié en 1838 est déjà centenaire le millésime 1731 gravé dans une des cabanes en pierre sèche en est le témoin. Au Jal et au Puech des Molles, le paysage agropastoral classique des garrigues côtoie une exploitation en carrière de meules et pierres à bâtir. Cette activité est probablement antérieure à 1838 puisqu’elle est inscrite dans les toponymes du cadastre napoléonien. Au cours du XIXe siècle, la construction de plusieurs masets va marquer le dernier stade de transformation de cette garrigue.
Modelées par le prolétariat citadin, les garrigues sont les marqueurs minéraux de l’Histoire et le discret témoin de réalités sociales passées.
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BERNIÉ-BOISSARD C., « Du Mouvement moderne à la question urbaine (Nîmes, 1960-2000) », Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 137, 7, pp. 108‑114.
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des provinces méridionales, connues autrefois sous la dénomination générale de la langue-d’oc [en ligne], s.l. : s.n., URL:
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http://lejournal.cnrs.fr/articles/les-archives-mineures-sources-de-grandes-histoires.
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sans nom 1877
SANS NOM, 1877, « Nîmes et ses rues, rue de La Garrigue », Le Midi, journal républicain, s.l., 22 mars 1877, p. 2.
sans nom 1880
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Teisseyre-Sallman 1982
TEISSEYRE-SALLMAN L., « De la ville traditionnelle à la ville industrielle du XVIe au XVIIIe siècle », in Histoire de Nîmes, s.l. : s.n., pp. 173‑213.
Référence à citer / To be referenced as :
Frédéric Jallet, Yves Manniez, Vincent Mourre
Les garrigues de Nîmes, un paysage rural fossile. Enquête de terrain, prospection pédestre d’un paysage structuré : le Jal et le Puech des Moles à Caveirac (Gard) (The scrublands of Nîmes as a fossilised rural landscape.
Field survey and pedestrian approach of a structured landscape: Jal and Puech des Molles at Caveirac, Gard)
L'Architecture vernaculaire, CERAV, Paris
tome 46-47 (2022-2023)
http://www.pierreseche.com/AV_2023_frederic_jallet.htm
8 juillet 2023
Les auteurs / The authors :
Frédéric Jallet : Institut national de recherches archéologiques préventives, centre de recherches archéologiques de Nîmes et UMR 5140 Archéologie des Sociétés Méditerranéennes
Yves Manniez : UMR 5140 Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, docteur en archéologie
Vincent Mourre : Institut national de recherches archéologiques préventives, centre de recherches archéologiques de Nîmes et UMR 5608 TRACES, docteur en archéologie
© CERAV
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