Daniel Bontemps
Résumé Dans une étude parue en 2022 nous avons étudié une rare maison en pan de bois paysanne solognote d’une pièce avec four sur la commune de Lailly-en-Val (Loiret), rive gauche de la Loire, près de la ville de Beaugency implantée entre Orléans et Blois sur le fleuve. Datée par la dendrochronologie de la fin du XVe siècle, elle fournit l’occasion de mettre en parallèle ses caractéristiques architecturales avec des devis/marchés notariés concernant ce type de construction sur la même paroisse qu’une heureuse recherche nous a fait mettre au jour. Ces documents jusqu’à présent non sollicités par les historiens de l’architecture rurale, l’historien-ethnographe Bernard Edeine en avait supposé l’existence et l’importance dans son monumental ouvrage paru en 1974 sur la Sologne, compte tenu de la disparition inexorable de ce modeste patrimoine rural. Dans le présent article nous complétons cette étude par des maisons paysannes en maçonnerie de la fin du Moyen Âge ou de la période de la Renaissance autour de Beaugency abordées également par des devis/marchés mais aussi des vestiges. Ces demeures vouées à la vie d’une famille comprenaient majoritairement une unique pièce avec une porte d’entrée, une modeste fenêtre ou une demi-croisée horizontale, un évier et une cheminée. À quoi venait s’ajouter un four accolé à l’un des murs-pignon pour s’ouvrir dans le contrecœur de la cheminée. Un plancher séparait la pièce de vie du grenier. Abstract In a paper published in 2022 I studied a rare Sologne half-timbered single-roomed peasant house with an adjoining oven in the commune of Lailly-en-Val (Loiret), left bank of the Loire, near the town of Beaugency located between Orléans and Blois on the river. Its dendrochronological dating to the end of the 15th century, provided me with the opportunity to compare the house's architectural characteristics with estimates/contracts from notarial deeds concerning this type of construction in the same parish that I was fortunate to bring to light. The existence and importance of these documents, hitherto neglected by historians of rural architecture, were assumed by the historian-ethnographer Bernard Edeine in his monumental work on Sologne published in 1974, given the inexorable disappearance of this modest rural heritage. In this article I complete the 2022 study with peasant houses in masonry of the end of the Middle Ages or the Renaissance period around Beaugency, these being also approached through their estimates/contracts as well as their remains. These residences dedicated to the life of a family mostly comprised a single room with an entrance door, a modest window or a half-horizontal casement, a sink and a fireplace. To which was added an oven adjoining one of the gable walls to open into the hearth of the chimney. A floor separated the living room from the attic.
Dans cet article, nous engageons l’étude de l’architecture de la maison paysanne en maçonnerie d’une ou deux pièces en rez-de-chaussée aux alentours de Beaugency de la fin du Moyen Âge ou du XVIe siècle principalement par l’intermédiaire de devis/marchés notariés (fig. 1). Sous une apparence banale pour qui n’est pas au fait de l’architecture rurale on ne peut ignorer que cette approche au moyen de tels documents est nouvelle, n’ayant à notre connaissance jamais été envisagée par ce biais sachant qu’en son temps l’historien-ethnologue Bernard Édeine faisait le constat amer de l’absence d’une telle information dans le cadre de ses recherches qui aboutirent à la publication de son magistral ouvrage sur la Sologne en 19741. Ayant eu l’heureuse opportunité de mettre au jour quelques-uns de ces documents dont intuitivement il supposait l’existence nous avons publié il y a peu un article sur une rare maison en pan de bois solognote d’une pièce avec four, datée par la dendrochronologie de la fin du XVe siècle et située sur la paroisse de Lailly-en-Val, rive gauche de la Loire en face de Beaugency (Loiret) 2. Et à cette occasion nous avons pu comparer cette maison avec des devis/marchés notariés de première main concernant la même paroisse. 1 Bernard ÉDEINE, La Sologne, contribution aux études d’ethnologie métropolitaine, t. I, Paris/La Haye, 1974, p. 290, note 1. 2 Daniel BONTEMPS, « Un exemple rare de maison rurale solognote médiévale en pan de bois d’une pièce à Lailly-en-Val (Loiret) : Architecture et marchés contemporains », Histoire et Sociétés rurales, n° 57, 1er semestre, 2022, p. 37-75.
Une meilleure perception de cette architecture vernaculaire médiévale, souvent disparue ou dénaturée lorsqu’elle est conservée, par l’intermédiaire de cette documentation, concernait tout de même plus de 90% de la population du royaume 3. Chaque acte notarié sera donc commenté et le lieu concerné, confronté à des vestiges des XVe et XVIe siècles recensés sur place dans le cadre du service de l’Inventaires général des richesses artistiques de la France de la région Centre. Précisons sur le plan méthodologique que contrairement à la maison de ville de la fin du Moyen Âge approchée par des documents contemporains nous n’avons pas bénéficié de la même opportunité pour la maison rurale mais seulement au moyen de minutes du milieu du XVIe siècle 4. On ne peut expliquer cette situation en dépit de nombreux pointages dans les fonds notariés pour la période médiévale. Néanmoins, rien n’interdit la connaissance de la maison locale médiévale qui était la copie de celle de la Renaissance à quelques détails formels près touchant les portes ou les fenêtres dont des exemples sont toujours en place. 3 En 1328, « L’état des paroisses et des feux » indique une population française aux alentours de 20 millions d’habitants, dont selon Leroy-Ladurie « au moins 85 % de paysans ». Robert Delort défend des chiffres plus élevés : « le poids démographique du monde rural est énorme : 90% voire 95 % de la population vit à la campagne ; et même à la fin du Moyen Âge, […]. Une fois écartée la mince couche des seigneurs, laïcs ou ecclésiastiques, plus un certain nombre de clercs séculiers ou réguliers vivant à la campagne, nous constations qu’au moins 90% des Occidentaux sont des paysans (…). » (Robert HÉRAULT, « La population paysanne : repères historiques », Centre d’études et de prospective, n° 11, juin 2016, p. 7 4 Daniel BONTEMPS, « Maisons en pans de bois des XVe et XVIe siècles à Beaugency et leurs boutiques abordées principalement sous le couverts de marchés notariés ». Société archéologique et historique de Beaugency, n° 48, 2023, p. 2-30. Enfin, l’un des cas étudié a permis de découvrir que le jour ou était accepté le devis/marché de la construction d’une maison paysanne à Messas (cf. infra 4e devis/marché), le même maçon par ailleurs qualifié également de tailleurs de pierre, acceptait par un autre acte notarié de construire le porche du clocher de l’église de cette paroisse qui ne sera naturellement pas étudié ici 5. L’information toutefois était d’importance. Les lignes générales de notre propos étant explicitées, rappelons que la construction d’une maison sollicitant deux spécialités, la charpenterie et la maçonnerie, chaque projet impliquait un devis/marché spécifique conformément à l’usage des communautés de métiers de l’Ancien Régime dont seule la maçonnerie est ici appréhendée. Nous employons souvent la terminologie devis/marché sachant que ce qui est un marché pour nous était quelquefois, dans le corps des textes analysés, signalé comme un devis. 5 À cet égard, nous poursuivons l’écriture d’un article sur ce porche toujours en place et parallèlement sur un portail contemporain de l’église paroissiale Saint-Firmin de Beaugency, dont l’influence de Serlio est perceptible.
MAISON PROJETÉE SUR LA RIVE GAUCHE DE LA LOIRE À Lailly-en-Val Devis/marché Estienne et Marc Gastineau demourant en la paroisse de Lailly, confessent avoir baillé et baille [.] à Jehan Montault et Jacques Rouzeau, maçons demourant à Baugency à ce present, qui ont pris faire d’eulx à L’Orme Thieron, paroisse audict Lailly, une chambre de maison de troys toises 6 [5,85 m env.] de dedans en dedans et de largeur en ensuyvant l’autre maison. Et de haulteur neuf pieds de coing [2,90 m env.] hors de terre du vent de gallerne en ensuyvant l’autre à son [mot ?] faisant fenestre à coulombe 7, jambaige 8, une huysserie, une fenestre d’ung pied en quarré [0,325 m x 0,325 m env.], ung esvyer et une huisserye à entrer d’une chambre en l’autre et le peignon de ladicte maison à l’équippolant 9 de l’autre. Et desdictes maisons seront tenuz à faire la muraille de vings poulces d’espaisseur [0,54 m environ] ; le bas à la haulteur des rasemens des solliveaulx et d’une retrette de quatre poulces [0,11 m env.] pour porter les solliveaux et aussi à la vieille maison mectre des corbeaux pour porter les sablières et aussi ung pillier portant ung pied dehors la muraille. Remner 10 le four et le mectre en l’autre chambre neufve et ung crot 11 à passer d’une chambre en l’autre sans faire huysserie. Et seront tenuz lesdictz preneurs d’enduyre dehors et dedans ladicte maison et fauct ung contre-feu de Bourrez 12 et à fouller la pierre pour faire ladicte maison. Fournir de quartiers 13 qu’il conviendra à ladicte besongne en estant par lesdictz bailleurs tenuz les mener, conduyre et voicturer à leurs despens du lieu de Vernon audict lieu de Lailly et lieu ou le bastiment se faict 14. Outre, seront tenuz lesdicts preneurs d’eventer 15 et fouller 16 les fondemens de ladicte maison comme il appartiendra et le tout à leurs despens en leur fournissant par les bailleurs, de deulx pelles, ung table, une pince et ung pic. Lesquelz table, pince et pic, lesdictz preneurs seront tenuz les faire rabiller s’ilz les rompent. Carreler par les preneurs ladicte maison et de chercher par eulx de la bricque 17 que lesdictz bailleurs payeront. Lesquelles euvres et choses contenues cy dessus, lesdictez preneurs assemblement, l’un seul pour le tout, ont promis et seront tenuz rendre faictes et parfaictes selon le devis dedans la Panthecouste prochaine venant, moyennant la somme de dix escuz que lesdictz bailleurs assemblement, l’un seul pour le tout, en besongnant par egalle portion. Et a esté dict et accordé que iceulx bailleurs logeront lesdictz preneurs en faisant ladicte besongne, Si comme promettant faire lesditz bailleurs, payer, obligeant d’une part et d’autre [mot ?]. Presents Charles Soubrillars et Guillaume Rouzeau, tesmoings.
6 1 toise = 6 pieds. 1 pied = 32,48 cm. 1 toise = 1,95 m env. ou 2 m par excès. Un pied comptait 12 pouces valant chacun 2,7 cm env. 7 Coulombe : meneau ou traverse de pierre. On retrouve ce terme dans un marché du 6 mars 1524 (n. st.) à propos, entre autres, des ouvertures du logis de Dunois refaites par son petit-fils : Item, pour quatre journées de deux hommes à fendre les colombes en ladite pierre de Ver [à Tavers] pour mectre aux croissées et demyes croissées du chasteau dudit Baugency (Daniel BONTEMPS, « Les transformations du logis seigneurial de Dunois au château de Beaugency par Jean d'Orléans-Longueville au début du XVIe siècle », dans Beaugency, Monuments du Moyen Âge et de la Renaissance, Bulletin monumental, t. 165-1, 2007, p. 55, note 52). 8 Ce terme jambaige signifie les piédroits de la cheminée à laquelle il est associé dans les 3e et 4e marchés concernant Messas. 9 À l’equippolant ou equipol : équivalent (Frédéric GODEFROY, Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, t. III, Paris, 1884, p. 325) : comprendre des murs-pignons identiques et parallèles entre eux. 10 Remner ou remener : ramener, reconduire (Ibid., t. VII, 1892, p. 3), c'est-à-dire transporter le four de sa position initiale vers le nouveau mur-pignon. 11 Crot : creux (Frédéric GODEFROY, op. cit., note 9, t. II, 1883, p. 386), soit ici une petite ouverture entre les deux chambres par où regarder. 12 La pierre de Bourré est un tuffeau extrait à Bourré près de Montrichard sur le Cher (Loir-et-Cher). 13 Par « quartiers », sans doute faut-il entendre le nombre de tombereaux de pierre tant taillée ou à tailler sur place, qu’en moellons, qui était nécessaire à la construction de la maison. 14 La pierre nécessaire à la construction de la maison était transportée de Vernon au nord de Beaugency à Lailly en traversant la Loire par le pont. Cette paroisse, dont une partie est en Sologne nécessitant l’apport de pierres calcaire provenant de la Petite Beauce pour des constructions en maçonnerie, faisait couramment appel au Moyen Âge à des constructions en pans de bois ou en terre appelée « bauge » mais aussi partiellement en pierre à l'exemple du demi mur-pignon de la maison du Tertre Blanc (Daniel Bontemps, op. cit., note 2, p. 57, 40 et 42-43).). 15 Eventer ou esventiler : exposer à l'air (Frédéric GODEFROY, op. cit., note 9, p. 667), mettre au jour la surface nécessaire à faire les fondations. 16 Fouler : estropier, mutiler (Ibid., t. IV, 1885, p. 112), comprendre par métaphore le creusement du sol pour poser les fondations. 17 Bricque : brique pour le four et le conduit de fumée qui n’est pas signalé. La paroisse de Lailly-en Val ayant été étudiée au moyen de quelques maisons paysannes en pans de bois d’une pièce 18, le présent devis/marché du 11 février 1548 19 concerne une chambre de maison ou maison en maçonnerie d’une pièce à dresser au lieudit l’Orme-Thieron impossible à situer précisément sur la carte IGN au 1/25 000e non plus que sur le cadastre détaillé de 1984. Ceci précisé, on a affaire au prolongement d’une maison par une seconde de même largeur sur trois toises en œuvre. Quant aux murs gouttereaux de 2,90 m de haut, l’un d’eux en façade principale s’ouvrait d’une porte et d’une modeste fenêtre d’un pied de côté à l’inverse de l’ancienne maison et sa fenestre à coulombe ou demi-croisée horizontale divisée en deux par un court meneau (cf. infra). Une porte intérieure percée dans le mur-pignon de cette dernière formant alors refend reliait les pièces tandis que le four y étant adossé fut reporté sur le nouveau mur-pignon. Dans ce refend était également prévu un jour ou crot sans encadrement spécifique (sans faire huysserie) à ménager entre les deux pièces, tandis qu’au revers de la façade près de la porte un évier avec son souillard traversant le mur rejetait les eaux usées vers l’extérieur. Nous en avons rencontré un exemple en place sur la commune de Baule (fig. 2, 3). Puis, on posait un jambaige, que l’on doit comprendre comme les piédroits de la cheminée adossée au nouveau mur-pignon dans le contrecœur de laquelle ouvrait le four. On apprend également que le maçon devait ménager intérieurement sur ce mur une retraite de 4 pouces (11 cm env.) et face à lui engager des corbeaux dans l’ancien mur-pignon afin de recevoir des sablières sur lesquelles venaient reposer les solives du plancher. Un contrefort fut projeté afin de renforcer l’un des murs. 18 Cf. note 2. 19 AD Loiret, 3E 1321.
Ceci en place, il restait à enduire le tout intérieurement et extérieurement, carreler le sol et fournir la brique nécessaire à la cheminée et au four qui pouvaient provenir de la Sologne 20, de Poilly ou de Lorges à l’est de la forêt de Marchenoir située à l’ouest de Beaugency 21. La pierre nécessaire à cet agrandissement, à l'exception de la pierre de Bourré employée dans la cheminée, était extraite de l’autre côté de la Loire à Vernon, village du nord de Beaugency où se tint au Moyen Âge et plus tard de nombreuses carrières remblayées de nos jours 22. En outre, les commanditaires devaient fournir les outils nécessaires et une table aux maçons afin de préparer les fondations sous réserve que ces derniers les rendent en l'état. Il n’est pas signalé de cave. Enfin, les travaux se montaient à la somme de 10 écus soit environ entre 25 et 30 livres 23 réglées par egalle portion et les maçons logés au frais des commanditaires. Et, Lesquelles euvres [… devront être rendues] faictes et parfaictes selon le devis dedans la Panthecouste prochaine venant [le 28 mai], soit trois mois et demi après la prise du devis/marché. 20 Bernard ÉDEINE, op. cit., note 1, p. 297. 21 Lors de la transformation du logis de Dunois, en mars 1524, 10 milliers de carreaux de Poisly furent nécessaire pour carreler les chambres et la librairie nouvellement aménagées (Daniel BONTEMPS, op. cit., note 7, p. 38). Autres exemples rencontrés dans le manuscrit 1010 (Fonds Abel Adam) de la médiathèque d’Orléans : le 18 février1397 : vente de 3000 tuiles, 200 pour le faîtage et 100 carreaux pour le grenier de l’hôtel de Pierre Seguin au lieu de Villeneuve à Baule, le tout provenant de Poisly (doc. sans numéro) ou vente de 6 milliers de tuiles en provenance de la même paroisse livrés à Beaugency (doc. 544, acte du 2 décembre1450). Par ailleurs un acte du 9 mars 1468 signale la fourniture de 25 mille tuiles par un tuilier de Lorges (Loir-et-Cher) pour couvrir une grange à Saint-Laurent-des-Eaux, paroisse située au sud de Lailly-en-Val (doc. 675). 22 Julien et Brigitte LIGNIÉRE, Vernon, Hameau de Beaugency (Loiret), [Vernon]. 1999, p. 140-142. 23 La valeur de l’écu, entre 1488 et 1515, était de 36 sols 3 deniers tournois, soit 1 livres 16 sols 3 deniers (Alfred SPONT, Semblançay ( ? – 1527), La bourgeoisie financière au début du XVIe siècle, Paris, 1895, p. 47, note 1) et en 1577 de trois livres (ou 60 sols) [Nicolas LE ROUX, Les Guerres de Religion (1559-1629), Paris, 2009, p. 208]. Compte tenu qu’en 1550 à Beaugency nous ne sommes pas encore au faîte des luttes interreligieuses et de la première guerre de Religion (1562-1563) qui toucha fortement l’Orléanais, on supposera que la valeur de l’écu pouvait osciller entre 2,5 et 3 livres ce qui donnait dans le cas qui nous intéresse un marché de maçonnerie compris entre 25 et 30 livres.
MAISONS PROJETÉES SUR LA RIVE DROITE DE LA LOIRE À Messas L’étroit territoire de Messas situé au nord-nord-est de Beaugency fut pris sur les finages des paroisses Saint-Nicolas de Beaugency 24 et Saint-Aignan de Baule, tandis que le village, en grande partie constitué de hameaux s’étirant le long d’un chemin 25 (actuelle rue de la Margottière), fut érigé partiellement en paroisse en avril 1524 26 après qu’une chapelle primitive desservant le lieu fut ouverte en 148927 à la demande des manans et habitans 28. Cette création s’explique par la poussée démographique progressive résultant du départ définitif des Anglais de la Loire moyenne sous l’impulsion de Jeanne d’Arc après la reprise d’Orléans, Jargeau, Meung-sur-Loire puis le 18 juin 1429 de Beaugency 29. De Messas subsista jusqu’à la Révolution un village divisé en deux avec partiellement un côté de sa principale rue dépendant de la paroisse Saint-Nicolas de Beaugency comme le montre un plan de bornage de 1768 réalisé d’après un document de 1692 (fig. 4) 30. 24 Beaugency eut pour paroisse primitive Saint-Firmin avant que ne soit créée la nouvelle paroisse Saint-Nicolas en 1472 dont relevèrent alors Vernon et en partie Messas (Daniel BONTEMPS et Jacques ASKLUND, Beaugency, L’évolution d’une ville en val de Loire, Cahiers du Patrimoine, n° 103, Lyon, 2013, p. 115). 25 Denis MORIN, Messas, Le village et ses lieux-dits. Essai sur l’origine des noms, [Messas], 1999, p. 51. 26 Nicolas BRIDAULT, Notes et renseignements sur Messas, [Messas], 1899, p. 8 (tapuscrit). 27 Ibid., p. 4. 28 Denis MORIN, op. cit., note 25, p. 21. 29 Journal du siège d’Orléans, 1428-1429, publié par Paul CHARPENTIER et Charles CUISSARD, Orléans, 1896, p. 89-105. 30 Toutes les bornes armoriées ont disparu à l’exception de la borne n° 11, qui fut répertoriée et photographiée en son temps pour disparaître à son tour. Elle était aux armes du duché d’Orléans aux trois fleurs de lys surmontées d’un lambel dont la moitié avait disparu et à dextre de l’écu (héraldiquement parlant) se voyait la lettre B de Beaugency (Julien et Brigitte LIGNIÉRE, op. cit., note 22, p. 87-88. et ill. doc. n° 29).
Le premier marché le troysieme jour de juillet mil cinq cens quarante huit 31
Robert Gaulthier, vigneron demourant à Messas, confesse avoir baillé et baille à faire à Estienne Fressineau, maçon demourant à Baugency à ce present, qui a pris de luy à faire une chambre de maison que ledict bailleur veult faire ediffyer de neuf au lieu de Chyot, parroisse de Messas, et pour faire icelle chambre faire basse gouctes et peignons pareilles, semblables de façons, longueur et largeur, que celles de une chambre assise audict lieu appartenant à Gentien Langlois et Jehan Jahan, les coings faict de [pierre de] taille, à chau et sable, une huisserye de pierre de taille et en un des coings se assiera demye huisserye. Faire une demye croisée de taille semblable à celle de la dicte chambre. Faire une chemynée, asseoir ung evyer, faire carreller icelle chambre et les soliveaulx 32 assis, la bouriller 33 et blanchir tant au hault que dedans et enduire dehors de chau et sable. Et les euvres cy dessus en fournissant par ledict Gaulthier de toutes matieres sur le lieu. Ledict preneur sera tenu randre faictes et parfaictes dedans la my octobre prochaine venant moyennant la somme de trente livres tournoys que ledict Gaulthier luy payera et a promis payer en faisant la besongne par egalle portion, […], Daniel Charles et Pierre Cucheocan [?], tesmoings. 31 AD Loiret, 3E 1327. C’est ici un projet de chambre de maison identique à celle des dénommés Gentien Langlois et Jean Jean à élever au lieudit Chiot (ou Chiau de nos jours). Et sur cette maison qui cache ses dimensions étaient projetés une porte, une demi-croisée horizontale, un évier, une cheminée, un carrelage et une demye huisserye à l’un des angles. Soit apparemment une demi-porte dont nous sommes bien en mal de définir le contour sachant que nous n’avons jamais relevé d’exemple similaire dans les textes ni dans des vestiges ! Angles ou coings devaient être chaînés de pierres partiellement équarries comme on le constate encore sur des vestiges, et le reste des murs monté en blocage de moellons enduit. Puis le maçon, les solyveaux assis, c’est-à-dire les solives du plancher posées par un charpentier et les entrevous remplis de torchis, les blanchissait avec la chambre. Il n’est pas signalé de four ou de cave. La construction évaluée à 30 livres tournois était payable en deux fois, et le chantier pourvu des matériaux nécessaires par le commanditaire devait être rendu achevé à la mi-octobre soit trois mois et demi après la prise du marché comme précédemment. 32 Solyveaux : solives. 33 Bouriller : mettre du torchis, du bousillage dans les entrevous entre les solives du plancher. Nous avons rencontré ce terme dans la même acception dans un marché du 28 octobre 1549 pour dresser la maçonnerie d’une maison en pan de bois à Lailly-en-Val : bouriller le plancher de dessus la chambre basse (Daniel BONTEMPS, op. cit., note 2, p. 61).
Le second marché (ou confirmation d’un marché précédent) Le douzeme jours dudit moys [de juillet] oudit an [1550] 34
Sire Jehan Pbreschereau, marchant demourant à Baugency, confesse que ung moys à, ou environ, il bailla à faire à Pierre Dupuismaillon dict Picquet, maçon demourant à Aguron, dioceze de Bourges, à ce present, qui a confessé que ou dict temps ledit Pbreschereau luy bailla à faire la maçonnerie et taille d’une maison que ledit Pbreschereau a pris à ediffier de neuf ou lieu de Messas de Jehan Maupou laisnel dudict Messas. Et que pour faire chacune toise d’icelle muraille ledict Picquet debvoit avoir neuf sols tournoys, et pour ladite taille qui est ung portail portant six piedz et demy de large [2,10 m env.] entre les piedz droictz, voulté à son demy rons de pierre de taille, une huisserye et deux fenestres : cent solz tournoys. Sur laquelle besongne a ledict Dupuismaillon confessé avoir receu dudict Pbreschereau la somme de quinze livres tournois. Et le reste ledict Pbreschereau luy a promis et promect paier en besongnant. Et sera ledict preneur tenu faire et parfaire ladicte maçonnerie. Icelle enduire, raser et boucher avec la taille telle que dessus en la fournissant par le bailleur de toutes matieres sur le lieu dedans la Magdaleine prochaine, etc. Jehan Lasur et Pierre Donzier tesmoings 34 AD Loiret, 3E 1328. Cette minute confirme un marché de construction pris un mois auparavant, que nous n’avons pas trouvé, par un dénommé Jean Pbreschereau (ou Preschereau dans d’autres documents), marchand à Beaugency, qui délégua sa mise en œuvre à un maçon du diocèse de Bourges. Il est question d’une maison dont nous ne connaissons pas les dimensions comportant deux fenêtres, une porte et un portail indiquant une maison d’habitation doublée d’un second espace, l’une s’ouvrant d’une simple porte et l’autre d’un portail en plein-cintre (voulté à son demy rons) donnant peut-être accès à une grange. Quant aux deux fenêtres, il dut y en avoir une pour éclairer l’habitation et l’autre pour le bâtiment accolé. Si nous ignorons par ce second marché s’il y eut une cheminée, un four et un évier certainement signalé dans le marché précédent comme généralement dans toute maison d’habitation, en revanche on apprend que le prix de la maçonnerie de blocage (9 sols la toise) se dissocie de la pierre de taille des encadrements des porte, portail et fenêtres, toisés à part 35 pour le prix global de 100 sols tournois ou 5 livres. De ces travaux Jean Preschereau versa 15 livres à la commande au maçon et le reste au long de l’avancement de l’ouvrage puis déposa sur la place les matériaux nécessaires à sa réalisation avant la sainte Marie-Madeleine [le 22 juillet] 36. À Pierre Dupuismaillon de compléter ce qui était commencé un mois auparavant, en rasant, bouchant et taillant ce qui s’imposait et en enduisant. La date de remise de la maison en mains propres n’est pas précisée. 35 Par cette unité de volume de maçonnerie (la toise de muraille) ou « toisé », il est difficile ici d’en définir le mode de calcul. Sur le « toisé » sous l’Ancien Régime se reporter à (Robert GERVAIS, « Mesurer le bâti parisien à l’époque moderne. Les enjeux juridiques et surtout économiques du toisé », Histoire urbaine, 2, n° 43, 2015, p. 31-53 ou https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2015-2-page-31.htm?contenu=article. 36 Jacques de VORAGINE, La légende dorée, traduite du latin par Théodore Wyzewa, Paris, 1910, p. 338.
Le troisième marché Ledit jour [12 juillet 1550] 37.
Ledit Pbreschereau confesse avoir baillé et baille à faire audit Pierre Dupuysmaillon dict Picquet, à ce present qui a pris de luy à faire la maçonnerie qui sera besoing faire à l’ediffice d’une maison que ledict Preschereau a prise à ediffier d’Aignan Renault demourant à Chiot, parroisse de Messas. Et en icelle maçonnerie faire mectre et asseoyr la taille que luy sera besoing qui est ung jambage de cheminée à plain jambe ayant cinq piedz et demy de haulteur, deux fenestres de pierre de taille ayant entre deulx ung tremeau. Lesdites fenestres voultées à leur demy rons porteront chacune fenestre, [ung] pied et trois pousses de largeur [0,40 m env.] et deux piedz troys pousses de haulteur [0,73 m env.] et ung evyer. Laquelle maçonnerie et taille ledit preneur sera tenu faire et rendre fetes et parfetes en le fournissant par le bailleur de toutes matieres sur le lieu dedans la my septembre prochaine venant, moyennant la somme de dix solz tournoys pour chacune toise de muraille comprise la taille. Laquelle somme, ledit Pbreschereau luy promect paier en besongnant. Et sera tenu ledict preneur faire les coings de ladite muraille de pierre de taille, icelle pierre taillée mectre et asseoyr six corbeaulx en ladite muraille. Et icelle muraille enduire. Et oultre sera tenu ledit preneur abatre ung peignon estant de present au lieu auquel ledit ediffice se doibt faire. Si comme et promect ledit preneur faire et ledit bailleur payer, oblige, etc. Pierre Donzier et Jehan Lasur, tesmoings. 37 AD Loiret, 3E 1328. Ce marché passé le même jour que le précédent concerne toujours le dénommé Preschereau qui sous-traite à nouveau les travaux de maçonnerie au même maçon pour dresser à Chiau, une maison en blocage de moellons et chaînes d’angles en pierre de taille, en fait partiellement équarrie on l’a vu dans le 1er marché relevant de Messas. Cette maison dont on n’a pas les dimensions était projetée à l’emplacement d’un peignon ou vieux mur-pignon à détruire. Elle devait s'ouvrir de deux fenestres de pierre de taille ayant entre deulx ung tremeau 38, [et] voultées à leur demy rons, c’est-à-dire des fenêtres géminées en plein-cintre retombant sur un support médian dont on a rencontré un exemple sur la commune de Tavers au sud-ouest de Beaugency 39 (fig. 21), et comporter un évier et une cheminée mais sans four ni cave. Pour recevoir le plancher, le maçon devait engager six corbeaux, soit apparemment trois au revers de chaque mur-pignon à l’instar du marché suivant afin de recevoir les sablières sur lesquelles portera le plancher posé par un charpentier 40. On relèvera que ce marché omet la porte d’entrée qui devait naturellement être signalée, le report en marge de la minute, que nous avons souligné, caractérise une certaine approximation dans son écriture. Puis, les murs furent enduits. Au regard du paiement, Pbreschereau devait régler au maçon, au fur et à mesure de l’avancée du chantier, 10 sols par toise de maçonnerie de muraille et de pierre taillée mélangées, au contraire du marché précédent ou la différence était de mise. Enfin, tous les matériaux essentiels à la construction nécessitaient d’être déposés sur le chantier à la mi-septembre ; aucune information comme précédemment n’est apportée quant à la date de réception de la demeure. 38 Dans le devis/marché de Lailly en Val ci-dessus, tremeau est remplacé par coulombe, les deux termes signifiant le montant d’une demi-croisée. 39 Cette description est intéressante car elle signale que la demi-croisée n’est pas nommée stricto sensu mais sous l’acception de deux fenêtres séparées par un court meneau ici un tremeau. Nous avons en son temps montré comment il fallait considérer la notion de « fenêtre » dans la région de Beaugency et au-delà. En effet si l’on prend par exemple une « croisée » c’est-à-dire une ouverture divisée en quatre par un meneau et une traverse on obtient quatre jours considérés alors comme quatre « fenêtres » (Daniel BONTEMPS, « La « fenêtre », son vitrage, son décor en France à la fin du Moyen Âge. Exemples et hypothèses de recherches, I, La fenêtre », Le vitrail dans la demeure, vitrer et orner la fenêtre des origines à nos jours, Actes du XXVIIIe colloque international du Corpus Vitrearum, Troyes, 4-8 juillet 2016, p. 2-3). Il faut donc toujours avoir à l’esprit cette notion médiévale de « fenêtre » dans les textes et ne pas lui calquer notre propre définition sauf à faire un contresens, qui n’est pas sans conséquences. 40 Ce charpentier était certainement un employé de Jean Preschereau qui n’était pas un simple marchand mais aussi un charpentier comme nous l’apprend le marché du 16 novembre 1550 concernant une maison à Vernon (cf. infra et également la note 101).
Le quatrième devis/marché Le vingtroyseme jour de juillet mil cinq cens cinquante
Nicollas Bothereau, marchant demourant à Messas, confesse avoir baillé et baille à faire à Pierre Vallée, maçon et tailleur de pierres demourant à Baugency à ce present, qui a pris de luy à faire et ediffier de neuf une place assise à Chyot, parroisse de Messas. Quant pour la maçonnerie et taille seullement, une chambre de maison portant de longueur depuys le peignon appartenant audit Bothereau jusques à une vieille muraille estant illec qui se abatera pour y faire l’autre peignon de ladite chambre qui aura de haulteur unze piedz [3,60 cm env.] depuys le rés des terres jusques à son carré 41, la pointe à l’equipollant et l’autre peignon ja ediffié se haulsera jusques à telle haulteur que celluy qui sera faict neuf. Les deux basses gouttes de la haulteur du carré et faire les coins de pierre de taille et en iceulx coings laisser des boutisses, et dedans la basse goutte du vend de soullere, se assierra une huisserie ronde 42 faicte de pierre de taille, une demye croisée de la façon des croisillons d’une maison puis naguerre faict ediffier dudit lieu de Messas par Jehan Bothereau, pere dudit bailleur, ung evyer dedans ledit pan et dedans ledit vieil peignon se fera une huisserie de semblable façon que l’autre de troys piedz de largeur [1 m env.] et cinq piedz et demy de haulteur [1,80 m env.], ung jambage de chemynée à saillye ; conduict ledit jambage dudit tuyau à la haulteur qu’il appartiendra. Ladite chambre garnie de six corbeaulx et sera ladite maçonnerie de l’espesseur dudit vieil peignon et basses gouttes. Oultre sera ledit preneur tenu carreller 43 ladite chambre et grenier au-dessus et de enduire et bourlayer 44 la chambre basse et laver et bourlayer le grenier jusques à la haulteur de l’essaucement et razer jusques à la haulteur des chevrons. Et p[..]foir et hurrissonner contre lesdites murailles tant dehors que dedans de chau et sable, à abattre une vieille basse goute tenant au bastiment qui se fera et icelluy relleuer 45 et mectre à la haulteur qu’elle est de present. Lesquelles ouvres de maçonnerie selon le divys cy dessus en fournissant par le bailleur de toutes matieres sur le lieu mesme, de boys pour chafauder. Ledit preneur sera tenu faire dedans la Sainct Michel prochaine, moyennant la somme de trente livres tournoys que ledit bailleur sera tenu paier au preneur en besongnant par egalle pourcion, etc, Jehan Pbreschereau et Pierre Biard, tesmoings 46.
41 Par carré entendons la partie du mur-pignon élevée jusqu’à la naissance de son pignon. 42 On trouve encore de nos jours à Chiau, rue de la Margottière, deux maisons avec une porte cintrée du milieu du XVIe siècle. 43 Carreller : poser un carrelage. 44 Bourlayer : rien dans Godefroy. 45 Relleuer : reconstruire le vieux bâtiment dont il restait des ruines. 46 AD Loiret 3E 1328. Plus précis que les deux documents précédents, ce devis/marché concerne la construction d’une chambre de maison au Chiau – dont les dimensions toutefois ne sont pas fournies – à partir du mur-pignon d’une maison appartenant au commanditaire jusqu’à une ruine à abattre pour dresser l’autre mur-pignon. Ce mur sera parallèle à celui de l’autre peignon ja ediffié, [qui] se haulsera jusques à telle haulteur que celluy qui sera faict neuf, tandis que la hauteur des murs gouttereaux sera de unze pieds ou 3,60 m environ jusqu’à son carré c’est-à-dire jusqu’à la base du pignon des murs-pignons. Un essaucement 47 ou surcroît au niveau du comble afin d’en augmenter le volume y étant prévu, cette précision explicite la hauteur des murs gouttereaux à 3,60 m du sol plutôt que les 2,90 m des maisons de Lailly-en-Val (cf. supra) et de Baule (cf. infra). Ces derniers murs ou basses gouttes seront en pierre de taille aux angles du nouveau mur-pignon (sur cette question cf. les 1er et 3e marchés précédents) où sont prévues des boutisses en attente d’une construction à venir (certainement une grange, une maison nécessitant des corbeaux pour recevoir des sablières sur lesquelles venait reposer le plancher (cf. le marché précédent et suivant). Le gouttereau du vend de soullere devait s’ouvrir d’une porte cintrée à l’instar de la porte du refend entre les deux maisons de troys pieds de largeur [env. 1m ] et cinq pieds et demy de haulteur [1,80 m env.], puis d’une demi-croisée (horizontale) de la façon des croisillons d’une maison puis naguerre faict ediffier dudit lieu de Messas par Jehan Bothereau, pere dudit bailleur. Enfin, un évier, ung jambage de cheminee (où piédroits) complété par son conduit de fumée et la pose de six corbeaux à l’instar du marché précédent, sans oublier de carreler la chambre et le grenier, complétaient le gros œuvre ne prévoyant ni four ni cave. Restait à hurrissonner 48 les murs tant dehors que dedans de chau et sable. Ce devis/marché précisait que les matériaux nécessaires à la construction de la maison et au montage d’un échafaudage devaient être fournis par le commanditaire. Le montant global des travaux était évalué à 30 livres payables par parts égales durant le chantier à achever pour la Saint-Michel (le 29 septembre), soit deux mois environ après la date du devis/marché. 47 Pour plus de précision sur ce terme : Daniel BONTEMPS et Jacques ASKLUND, op. cit., note 24, p. 147 et note 2, p. 64-65. 48 Sur Hurrissonner, et ne trouvant pas de définition dans le Dictionnaire de Frédéric Godefroy, on relève dans le document qu’il correspondait à un mélange de chaux et de sable posé sur les murs tant dehors que dedans, que l’on peut donc considérer comme un enduit. Voir à ce propos ce qu’en disent nos devis/marchés : dans le premier marché de Messas, on lit : blanchir tant au hault que dedans et enduire dehors de chau et sable tandis que dans le devis/marché relevant de Lailly-en-Val il est écrit : Et seront tenuz lesdictz preneurs d’enduyre dehors et dedans ladicte maison. En revanche dans le marché relevant de Baule on discrimine l’extérieur du mur-pignon qui doit etre hurrissonné et la chambre enduite à l’intérieur jusqu’aux solyveaux sans oublier de faire les ravalements de ladite maison !
L’architecture vernaculaire en place Petit en territoire, Messas en revanche n’est pas dénué de témoins relevant de l’architecture rurale de la fin du Moyen Âge mais moins du milieu du XVIe siècle. Un recensement extérieur permit de relever environ une trentaine de vestiges de ces périodes, essentiellement des portes de maisons transformées. On découvre ainsi une maison avec une telle porte en accolade et sur la maison accolée une rare et belle fenêtre bâtarde en accolade plus haute que large non recoupée par une traverse horizontale 49 (fig. 5) [sur l’acception de « bâtarde » se reporter au premier marché concernant Vernon ci-après]. Une autre maison transformée au comble maintenant surélevé conserve un mur-pignon formant primitivement refend percé d’une porte de liaison avec une accolade ouvrant dans une seconde maison de nos jours disparue (fig. 6). On y voit également des corbeaux pour recevoir une sablière où reposaient les solives d’un plancher et dessous les corbeaux d’une cheminée. 49 Cette fenêtre fut conservée pour son bel encadrement. En général les fenêtres médiévales des maisons paysannes ont disparu au profit de fenêtres plus grandes.
Signalons également, le dessin d’une maison transformée, conservé au MUCEM de Marseille (fig. 7) qui présentait à l’origine deux pièces du milieu du XVIe siècle d’après la porte et la lucarne en plein-cintre. Dans la première pièce à gauche dont la façade originelle fut radicalement modifiée se tenait une chambre avec sa cheminée et un évier avec son souillard extérieur. On y accédait à l’origine en passant par la porte d’entrée cintrée de la pièce de droite puis par la porte du mur de séparation des pièces (cf. supra la maison de Baule encore en place ayant une disposition comparable). Cette dernière pièce sans cheminée mais avec un accès à la cave s’ouvrait d’une fenêtre apparemment primitive à l’encadrement mouluré (0,58 m x 0,82 m), aujourd’hui disparue. Enfin vint se greffer postérieurement une troisième pièce côté rue avec un four maintenant détruit. Un cellier en longueur où étaient disposés des tonneaux longea l’arrière de la maison 50. 50 Nous avons recensé à Baulette, écart de Baule près de Meung-sur-Loire, un bâtiment de ferme avec un cellier tout en longueur et ses tonneaux encore en place.
À Baule Marché unique C’est un marché du 7 avril 1550 51 relevant de l'édification d'une chambre de maison au Prasteau, hameau de Villeneuve au sud-est de Messas (fig. 1), le seul rencontré sur Baule, importante paroisse à l’est de Beaugency dont une partie on l’a vu fut prise au bénéfice de la nouvelle paroisse de Messas. Il se substitue à un marché du 30 novembre 1549 52, l’hiver était passé par là sans doute 51 AD Loiret, 3E 1328. 52 AD Loiret, 3E 1327. Ledict jour
Gentien Lorgeou le jeune, vigneron demourant à Villeneufve 53, parroisse de Baulle, confesse avoir baillé et baille à faire à Estienne Pibonnier et Anthoine Pibonnier son filz, maçons demourant en ladicte parroisse à ce present, qui ont pris à faire le lieu du Prasteau en ladite parroisse, une chambre de maison de thuille 54 longueur et largeur que la chambre de maison ou ledit Lorgeou se tient de present, sauf de la largeur qui sera moindre d’un pied [32,5 cm env.] et sera la basse goutte de devant de une toyse et demye [3 m env.] plus longue que celle de derriere. Lesquelles basses gouttes auront d’espesseur [ung] pied et demy [0,50 m env.] et les peignons vings deulx poulces [0,60 m env.]. Laquelle chambre se fera hors des terres de neuf piedz [env. 2,90 m] à son carre 55 et les poinctes des peignons à leur esquerre. Et seront lesdits preneurs tenuz de hurissonner 56 le peignon le cousté du vend d’aval et enlevé 57 icelle chambre par le dedans jusques aux solyveaulx d’icelle. Et mectre et asseoir par iceulx preneurs six corbeaux pour porter les sablieres [et] de troys par le dehors et du peignon du vend d’amont. Faire par iceulx preneurs troys huisseryes qui s’acierront l’une ou pan de d’avant et en ce qui passera oultre ledict peignon, ung autre ou peignon du vend d’amont et en icelluy peignon pour servir à aller ou grenier, une demye creuzée qui se assierre ou pan de d’avant. Faire en icelle chambre ung jambage de chemynée et le thuyau d’icelle qui se conduira jusques à troys piedz [1 m env.] au-dessus le feste de ladite maison et en icelle chemynée faire une gueulle de four. Faire ung esvyer au dehors de la dicte chambre qui se assierra en la basse goute de devant. Faire ung foyer à employer deulx cens de carreau et faire les ravalemens de ladicte maison et rempliront la charpenterie [mize 58]. Lesquelles ouvres de maçonnerye en fonisant 59 par ledict bailleur des ashauffaulx et toutes matieres sauf la taille sur le lieu. Lesdictz preneurs assemblement l’un seul [et pour le tout] seront tenuz rendre faictes et parfaictes dedans la Saint Jehan Baptiste prochaine pour et moyennant la somme de vingt ungne livres tournois. En laquelle ledict Anthoine a confessé avoir receu dudict Lorgeou soixante dix solz tournoys si comme [mot ?] et le reste en besongnant par egalle pourtion, etc.
53 Écart de la commune de Baule au sud-est de Messas. 54 Thuille remplace telle du marché du 30 novembre 1549 (erreur de lecture du scribe). 55 Sur le carré se reporter note 41. 56 Sur ce terme, se reporter note 48. 57 Enlevé remplace enduyre du marché du 30 novembre 1549. 58 Dans le marché du 30 novembre 1549 remplacé par le présent marché on lit : la charpenterye mize. 59 Comprendre « fournissant ». Tout d’abord précisons que ce marché fut recopié avec quelques erreurs dont nous tenons compte dans notre commentaire. Cela précisé, la chambre de maison à dresser dans le prolongement d’une autre devait avoir un mur gouttereau principal plus long d’une toise et demie que l’autre gouttereau, qui laisse supposer une demeure de plan trapézoïdal vraisemblablement contraint par la parcelle ! Quant aux murs-pignons, qui n’étaient pas parallèles et donc de longueur différente mais de même hauteur, ils nécessitaient de présenter une différence de pente, traduction de et les poinctes des peignons à leur esquerre. Pour le reste, il est question de monter les murs gouttereaux à 2,90 m du sol à l’instar de la maison de Lailly-en-Val (cf. supra), de prévoir une demi-croisée sur la façade principale avec une porte, une porte de liaison dans l’ancien mur-pignon formant refend entre les deux demeures et une porte d’accès au grenier dans le nouveau pignon. Sans oublier une cheminée dont le conduit de fumée devait déborder d’un mètre environ le faîte du toit et le foyer comporter 200 carreaux. Le reste du sol de la chambre restant en terre battue. Enfin, un évier était prévu ou dehors de la dicte chambre qui se assierra en la basse goute de devant, formule qu'il faut comprendre par sa présence à l’extérieur de la façade principale et non à l’intérieur comme c’est généralement le cas. Ensuite, il fallait engager trois corbeaux au revers de chaque mur-pignon pour porter les sablieres d’un futur plancher, et en prévoir troys par le dehors du nouveau mur-pignon en prévision d’une éventuelle troisième maison à venir. Pour cette raison il est possible que la gueulle de four 60, ou four projeté, fut prévu sur le mur gouttereau arrière à l’instar de la maison dont le dessin est conservé au MUCEM (fig. 11) et sur une maison transformée encore en place à Tavers (cf. Infra en 2). Cela fait, il restait, la charpenterie mize du plancher par un charpentier, à étendre le torchis entre les entrevous par le maçon 61, ravaler les murs et enduire la chambre jusqu’au niveau des soliveaux du plancher sans oublier à l’instar du dernier marché relevant de Messas de dresser un échafaudage et de transporter sur le lieu de construction les matériaux nécessaires au chantier par le commanditaire, à l’exception des pierres ouvragées ou équarries sur place. Le tout pour 21 livres, dont le maçon avait reçu 70 sols soit 3 livres 10 sols, le reste étant payable par egalle pourtion. L’achèvement du chantier était prévu pour la saint Jean Baptiste. C’est-à-dire que le 24 juin 62 fêtant sa naissance ou le 29 août 63 sa décollation, le chantier dura approximativement deux mois et demi ou un peu moins du double. 60 Cf « gorle ou gueule » (Frédéric GODEFROY, op. cit. note 9, t. IV, 1885, p. 313) signifie bourse, gibecière ou valise, soit des contenants et ici par métonymie, le four. 61 Sur cet aspect des choses se reporter à Daniel BONTEMPS, op. cit., note 2, p. 67-69. 62 Rosa GIORGI, Les Saints, traduit de l’Italien par Dominique Férault, Paris, 2003, p. 189. 63 Jacques de VORAGINE, op. cit., note 36, p. 476.
Le bâti vernaculaire Contrairement à Messas, Baule n’a guère conservé de vestiges visibles de la même époque sinon principalement une maison de la première moitié du XVIe siècle de deux pièces aux fenêtres transformées, celle de droite présentant apparemment des éléments d’encadrement originels (fig. 8). Elle était complétée par une cave dont l’accès par une trappe se tenait derrière la porte d’entrée comme c’est courant dans la région 64. Toutefois on l’a vu pour les maisons d’une seule chambre pour la période étudiée la présence de caves n’est pas signalée. Enfin, une porte de liaison à gauche de l’entrée, à l’encadrement moulurée en quart de rond, reliait chaque pièce. Un évier prolongé vers l’extérieur de son souillard se tenait près de cette porte dans la seconde pièce (fig. 2 et 3), souillard, qui majoritairement dans d’autres exemples, a été détruit. 64 C’est ce que rapporte pour Baule, M.-P. BIDAULT (La Potée, chronique villageoise, Paris, 1958, p. 50) : « Pour descendre dans toutes les caves du pays, il faut entrer dans la maison, une trappe de chêne s’ouvre dans le carrelage près de la porte, et l’on descend par des degrés de pierre sous la voûte profonde et fraîche ». Cet écrit du milieu du XXe siècle signale que cette tradition remonte haut dans le temps. Toutefois, il faut signaler que l’accès à certaines caves, qui n’étaient pas toujours sous une maison, se faisait de l’extérieur. Un édicule en forme de voûte pentue avec porte dont un exemple a été recensé au lieudit Baulette à l’extrémité orientale du village, en marquait la présence.
À Vernon Le premier document (échange et devis de construction) Cet acte n’est pas relatif à un marché mais à un échange de propriétés au village de Vernon situé à un peu plus de 2 km au nord de Beaugency dont il était l’extension paroissiale Saint-Nicolas et à moins de 1,5 km à l’ouest de l’église de Messas (fig. 1). Il comporte également le devis d’une maison à dresser, etc. Le quinziesme jour d’octobre mil cinq cens trente cinq 65
Fustian Rogier 66, demourant à Vernon, parroisse Sainct Nicollas de Baugency, en son nom et comme soy servant et faisant fort de Michelle, sa femme, promectant, confesse esdictz noms et en chacun d’iceulx, seul et pour le tout, sans division, avoir baillé et delaissé, et par ces presentes baillé, delaissé dés maintenant à tousjourmés à Gencian Cousté l’ainsnel, marchant demourant audit lieu de Vernon 67 en ladite paroisse, à ce present et l'acceptant pour lui, ses hoirs, une chambre de maison sans chemynée non doublée, et trois toises et demi d’eritaige de terre en frou au bout de ladite chambre que ledict Rogier dict avoir assis à Vernon ; le tout en ung tenant. Tenant ladicte chambre et troys toises et demye, d’un long au vent d’aval à la court commune desdits Rogier et Cousté ; d’autre long du vent d’amont audict Rogier, d’un bout du vent de gallerne audict Fustian Rogier et d’autre bout du vent de soullere audict Cousté. Et où ledict Cousté fait faire en l’advenir esdictes troys toises et demye derriere quelques ediffices de maison ou autre ediffices, ledict Cousté aura son egout et tour d’eschelle quant ledict Cousté aura affaire à repparer l’heritage ainsi ediffié et demourra comung ledict tour d’eschelle et egout ausdictz Rogier et Cousté, leurs hoirs et ayans cause dessaisir, saisir ce delais faict, moyenant que lesdictz Rogier et Cousté ont promis et seront tenuz paier chacun an à tousjoursmés chacun par moictié, les charges qui doyvent leur hereau et sur ce en acquiter l’un l’autre. Et aussy moyennant et en recompence dudict heritaige ledict Cousté a promis et promect faire faire dedans la saint Jehan Baptiste prochaine venant, une chambre de maison en l’heritaige dudict Rogier qu’il a assis devant ledit hereau de l’autre cousté du chemin et deppendance de l’hereau desditz Rogier et Cousté et la fera de neuf selon le divis quy ensuit : Premierement fera faire ung pignon de muraille de pierre, de terre, chaulx et sable qui sera faict entre l’heritaige desdicts Rogier et Cousté. Lequel pignon sera mestais 68 entre lesditz Rogier et Cousté et icelluy pignon aura quatre toises [7,80 m] hors les euvres de largeur et de longueur troys toises [5,85 m] hors les euvres. Et faire le coing de ladite muraille de neuf piedz [2,90 m env.] hors terre. Et faire faire une huisserye et fenestre batarde de pierre de taille. Et ledict Cousté y fera faire mectre troys fers de bout et ung de travers qui fermera lesdictz troys fers ou il plaisa [plaira] audict Rogier. Et faire faire ladicte chambre de charpenterye, couverture de thieille. Savoir est la charpenterye de chevrons, troys à la latte, feste, soubz feste, arbalestier pour porter l’esguille 69, tray 70 et la piece au travers ou repourera [reposera] l’esguille. Et les chevrons lacté autour, lacte, chanlacte, clou, thieille et de tout ce qu’il conviendra à faire et couvrir ladicte maison. Le tout faict aux despens dudict Cousté dedans ladicte sainct Jehan Baptiste et pour recompense de ce, ledict Rogier a promis et sera tenu la somme de vingt livres dix sols tournoys qu’il promect paier audict Cousté, ses hoirs ou au porteur. Savoir est la moictié à Noël prochain venant et l’autre moictié à l’autre Noël ensuivant. Et oultre moiennant que ledict Rogier, ses hoirs, auront à tousjourmés leur rouissage en ung rotouer que ledict Cousté a assis en son heritaige oudict hereau sans en paier aucune chose sauf qu’ilz paieront seullement leur droicte part et porcion qu’il fauldra faire à curer et nectoyer ledict rotouer. Promectant, gardant, obligeant, renonçans. Presents, Jehan Cousté, Nicollas Cousté, Jehan Lorgeou, Gencian Langloys et Mathurin Aurain, tesmoings. Et le dernier jour de novembre mil cinq cens trente six, Fustian Rogier et Michelle sa femme de luy de mement [mot ?] en ceste partye esquictz après lecture à eulx faicte du contenu cy dessus vue, eu et vue pour agreable le contenu cy dessus et promis ladicte Michelle à ladicte auctorité non jamais venir outre en la presence et acceptation dudict Gencian Cousté l’aisnel. Et au garentaige se est obligé ladicte Michelle tenir ainsi que sondict mary est tenu et obligé. Et au surplus ont confessé que des euvres et choses cy dessus promises par ledict Gencian Cousté a faict et faict tout ce qu’il estoit tenu faire et obligé par le contenu cy dessus en ont quicté et deschargé quictance et deschargent ledict Gencian Cousté l’aisnel à ce present et acceptant pour luy ses hoirs et ayans cause, etc. Thomas Boissonneau, Pierre Bourreau et Jehan Ruau clerc, temoings.
65 AD Loiret, 3E 1297. 66 Fustian Rogier était gagier de la chapelle de Vernon (AD Loiret 3E 1327 du 25 août 1549). Acte par lequel il est question de faire une partie de la charpente de cette chapelle qui sera pareille et sera icelle charpenterye que celle qui est en la chapelle prés la Porte Tavers de Baugency (chapelle Notre-Dame-des-Aides du cimetière, tous deux disparus de nos jours (Daniel BONTEMPS et Jacques ASKLUND, op. cit., note 24, p. 89-90). 67 Vernon était un village dépendant de la paroisse Saint-Firmin de Beaugency avant de faire partie de la seconde paroisse Saint-Nicolas créée en 1472. La paroisse d’origine était alors jugée insuffisante pour le nombre d’habitants de la cité (Gaston VIGNAT, Cartulaire et histoire de l’abbaye Notre-Dame de Beaugency, ordre de Saint-Augustin, Orléans, 1879, p. 404-409). 68 Metais signifie sans doute « mitoyen ». Frédéric GODEFROY donne pour ce terme : métayer (op. cit., note 9, t. V, 1982, p. 314). 69 L’esguille ou le poinçon de la ferme à arbalétriers de la charpente de comble. 70 Tray : entrait. De ce long texte, et pour nous en tenir à l’essentiel, il ressort que Fustian Rogier et Michèle sa femme donnent de leur propriété à Gencian Cousté l’aîné, une maison avec trois toises et demie de terrain en frou 71 d’un seul tenant s’étirant devant une cour commune à Vernon. Sur ce terrain ce dernier s’engage à construire quelques ediffices de maison ou autres ediffices. Et en contrepartie de l’échange il promettait de dresser une maison de l’autre côté du chemin, sur un autre terrain appartenant à Rogier, qui lui était également mitoyen et devant une autre cour commune (cf. infra). Cette maison devait avoir un mur-pignon de largeur de quatre toises hors œuvre (7,80 m env.) en suivant la mitoyenneté et de longueur troys toises (5,85 m env.) pour les murs gouttereaus. tandis que leur hauteur jusqu’à la naissance des pignons devait être de neufs pieds (soit 2,90 m env.) [cf. les devis/marchés de Lailly-en-Val et de Baule ou cette hauteur est identique]. Y étaient prévues, une porte en façade et sur le mur-pignon une fenêtre bâtarde à encadrement en pierre de taille, soit une fenêtre vraisemblablement deux fois plus haute que large sans meneau 72 du type de celle de Messas en plus simple (fig. 5), là où le désirera Rogier. Et par mesure de sécurité une grille de trois barreaux de bout ou verticaux et ung de travers viendra en interdire l’accès. Ensuite, il est question de la charpente 73 et de la couverture de tuiles à poser. Le tout achevé pour la saint Jean-Baptiste, soit suivant les dates proposées dans le marché précédent, un peu plus de 8 ou 10 mois après l’accord. Et pour recompense de ce, ledict Rogier paiera 20 livres 10 sols tournois à Cousté et à ses hoirs ou au porteur par moitié de Noël en Noël. Comparés aux maisons précédentes justifiant de moins de temps pour être édifiées on en déduit que ce chantier était moins urgent pour les intéressés. 71 Frou : terre inculte et abandonnée (Frédéric GODEFROY, op. cit., note 9, t IV, 1885, p. 153). 72 Nous avons rencontré ce type de fenêtre dite « bâtarde » sur le mur nord du logis seigneurial de Jean d’Orléans-Longueville en construction au château de Beaugency où on lisait sur un devis du 22 juin 1519 qu’il fallait prévoir une grande fenestre carrée [c’est-à-dire à quatre angles droits] ou mur de l’enclousture du chasteau […] laquelle fenestre aura deux pieds de large et quatre piedz de hault et fort enbrasée (Daniel BONTEMPS op. cit., note 7, p. 61), tandis qu’un certificat de paiement concernant le verre nécessaire à son vitrage précisait que le verrier a mis en une fenestre bastarde ou corps de maison fait de neuf ou chastel dudit Baugency (AD Loiret, A 42, acte du 26 novembre 1521). 73 Comme toujours les devis/marchés de la fin du Moyen Âge ou de la Renaissance sont d’une précision toute relative comme on peut le constater. En effet, de cette charpente à pannes, ces dernières sur lesquelles reposaient les chevrons, ne sont pas signalées, tandis que le poinçon, recevant à son sommet les arbalétriers, venait s’assembler sur un entrait retroussé ou piece disposée parallèlement au-dessus de l’entrait portant sur les murs. Enfin, on apprend que Rogier et ses héritiers pourront utiliser ung rotouer pour rouir lin ou chanvre que ledict Cousté a assis en son heritaige oudict hereau sous l’astreinte de curer et nectoyer ledict rotouer. Ce détail signale un lieu fournissant de l’eau sur cette zone calcaire de la Petite Beauce, qui ne pouvait que se tenir près de la source du Rû à la Fontaine de Vernon au nord-ouest du village. À bien lire ce document, on retire l’impression que la maison donnée à Cousté, décrite sans cheminée ni évier tandis qu’il faisait dresser à l’usage de Rogier une maison avec une porte et une fenêtre bâtarde barreaudée sans qu’il soit question non plus de cheminée ou d’évier, laisse entendre qu’elles n’eurent pas un usage d’habitation mais vraisemblablement d’entrepôt où l’on conservait le textile après traitement dans le « rotouer » ; ce qui pourrait expliquer le recours à une grille de fenêtre. Nous avons rencontré une maison de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe ayant apparemment eu une fonction comparable dans le village de Greez-sur-Roc (Sarthe) 74, à deux pas de la rivière où se tint en son temps le lavoir communal (fig. 9). À Vernon, cette petite industrie textile familiale sur le Rû complétait l’usage d’une dizaine de moulins s’y égrenant jusqu’à la Loire 75 entre lesquelles ne manquèrent pas de s’insérer sept tanneurs en 1476 76 et en 1491 un tondeur de moutons de grans forces 77, grand utilisateur d’eau pour tremper les toisons. 74 Cette maison n’a ni cheminée ni évier mais une porte d’entrée chanfreinée ouvrant sur la rue. La seule fenêtre est une petite ouverture sur la façade postérieure. Greez-sur-Roc (Sarthe) est un village devenu célèbre à la suite de la découverte par Jean Jousse, professeur d’anglais à la retraite et habitant du village, qui suite à des prospections de surface repéra nombre d’outils en silex de la période néolithique qui débouchèrent par un chantier de fouilles archéologiques conduit par Jean-Noël Guyodo, enseignant chercheur à l’université de Nantes, qui se déroulant de 2003 à 2011, permit la mise au jour d’un « site majeur en Europe par sa superficie, l’état de conservation du sol préhistorique et le nombre d’objets retrouvés » (https://fondation-jeanjousse.jimdofree.com/le-site-arch%C3%A9ologique/). Un espace Jean Jousse dédié peut-être visité prés de la mairie au centre du village. Par ailleurs, Jean Jousse créa un Dictionnaire du patois sarthois qui fait référence : Du Français au patois (Heulà, patois sarthois sur Google). 75 Daniel BONTEMPS et Jacques ASKLUND, op. cit., note 24, p. 87-88. 76 Médiathèque d’Orléans, Fonds Abel Adam, ms. 1010, doc. 2895. 77 Selon Frédéric GODEFROY (op. cit., note 9, t. IV, 1885, p. 65), force signifie, entre autres : grand ciseau (avec lequel on tondait les moutons). Sur cette maison : Daniel BONTEMPS, op. cit., note 4, p. 12-15 et fig. 13.
Le second document (marché) Nous avons affaire à un document relevant de la charpenterie et de la maçonnerie dont Jean Preschereau déjà rencontré prenait le marché 78 : Le seizieme jour de novembre mil cinq cens cinquente
Mathurin Hueteau, vigneron, demourant à Vernon, parroisse Sainct-Nicolas de Baugency et Thomassé Letrosne, sa femme, de luy auctorisant, confessent avoir baillé et baillent à faire à sire Jehan Preschereau, marchant-charpentier demourant à Baugency, à ce present, qui a pris à luy faire en une maison assise à Vernon, les œuvres de massonnerye et charpenterye qui ensuyvent. C'est assavoir une huisserye de boys et ung huys pour ladicte huisserye, une cloison de la longueur de la chambre, ung plancher garny de sollyveaulx, quatre à la toise [tous les 2 m env.]. Lesquels solliveaulx auront cinq poulces de grosseur en tous sens [13,5 cm]. Plancheyer lesdicts planchers et faire les enchevastreures à l'endroit de la chemynée et à l'endroit d'une yssue à aller ou grenyer. Ung jambage de chemynée, ung manteau à ladicte chemynée, et conduyre le tuyau d'icelle jusques à sa haulteur. Enduyre ladicte chambre et carreller le foyer d'icelle. Et bouscher ung huys qui est du cousté du vent d'amont. Sera tenu, ledict bailleur, fournyr de terre pour bouscher ledict huys et pour asseoir ladicte huisserye et boureiller ladicte cloison. Icelles œuvres rendre faictes et parfaictes. La bailleront en fournissant par luy de toutes matieres, sauf ladicte terre, dedans Noël prochain venant moyennant la somme de trentelivres tournois. De laquelle, lesdictz bailleurs assemblement l'un seul et pour le tout fournyr audict preneur dix livres tournois d'huy en huy jours et le reste à la Toussaint prochaine venant. Pour ce ledict preneur et ledict bailleur payer d'une part et d'autre, etc. Pierre de Gangy et Jehan [nom ?], tesmoings (fig. 10).
78 AD Loiret, 3E 1328.
Ce marché signale des travaux de maçonnerie et de charpenterie à réaliser sur une maison en maçonnerie de deux pièces déjà en place à Vernon. Il fallait boucher de terre une porte extérieure, poser une cloison de la longueur de la chambre avec une porte en bois ou huysserie fermée par un huys ou vantail, ouvrant sur une seconde pièce, et mettre en place un plancher garni de quatre solives à la toise. Soit pour quatre solives de 13,5 cm de largeur, un entrevous de 50 cm environ entre les solives, loin du tant plein que vide courant à Beaugency durant la Renaissance dans l’architecture bourgeoise ou seigneuriale 79. Il fallait en outre prévoir dans ce plancher deux enchevêtrures pour laisser filer le conduit de fumée jusques à sa haulteur hors du toit et ouvrir un accès au grenier, puis le plancheyer 80 ; comprendre sans doute un équivalent de bouriller 81 ou poser du torchis, et boureiller la cloison ou la hourdir 82. Restait à disposer les piédroits de la cheminée et son manteau, carreler le foyer, et non le sol apparemment, et enduyre ladicte chambre, ce qui laisse entendre que de l’autre côté de celle-ci, la pièce non enduite d’où l’on accédait au grenier, se tenait un espace sans fonction d’habitation. Peut-être une grange, une étable ou autre écurie. 79 Daniel BONTEMPS et Jacques ASKLUND, op. cit., note 24, p. 152-153. 80 Planchyer ou plancheer : être étendu sur le plancher (Frédéric GODEFROY, op. cit., note 9, t. VI, 1889, p. 196). 81 Cf. note 33. 82 Daniel BONTEMPS, op. cit., note 2, p. 68. Cette maison n’est donc pas sans rapport avec une autre maison de la fin du Moyen Âge située à Messas dont un dessin du MUCEM déjà signalé rappelle la mémoire (fig. 11). Celle-ci comportait d’un côté de sa cloison en pan de bois une chambre avec un évier, une cheminée et une haute fenêtre peu ancienne (cf. infra la loi de 1903). Puis de l’autre côté, une grange éclairée par une petite fenêtre grillagée s’ouvrait sur l’extérieur par une porte au linteau chanfreiné apparemment d’origine 83 et une entrée de cave s’y ouvrait. Revenant à notre marché, on ne s’étonnera pas que les travaux de charpenterie et de maçonnerie fassent ici l’objet d’un seul marché sachant que Jean Preschereau, qui le prit était un marchand responsable des deux postes (cf. les 2e et 3e marchés relevant de Messas) et non uniquement un charpentier (cf. notes 40 et 101). 83 On rencontrait à Villorceau au nord de Beaugency une maison-grange couverte de chaulme prise à loyer, apparemment semblable à celle de Vernon et du MUCEM, signalée par un acte notarié (AD Loiret, 3E 1328, acte du 12 juillet 1550).
Le bâti vernaculaire À l’instar de Messas le village de Vernon conserve de nombreux vestiges de la période étudiée avec, entre autres, une maison dont la façade sur rue caractéristique des maisons analysée présente toujours sa porte au linteau en accolade et une demi-croisée horizontale ou double fenêtre d’origine séparée par un court meneau dont subsiste le départ (fig. 12). Inversement, une maison d’une pièce dont la façade fut refaite au XIXe siècle conserve encore sa cheminée d’origine (fig. 13) et une cave.
À Tavers Le bâti vernaculaire Excepté un marché de four de 1502 84 offert par le seigneur de Tavers, chevalier, à une veuve en remerciement de services rendus par son mari, notaire, nous n’avons pas rencontré dans les centaines de documents visionnés de devis ou marché de maisons paysannes relevant de cette importante paroisse. En revanche, c’est la commune du canton de Beaugency, qui présente le plus de traces non négligeables de la fin du Moyen Âge et une maison paysanne du milieu du XVIe siècle encore debout. Lors du recensement du service de l’Inventaire général quelques maisons étaient encore d’un intérêt certain dont quelques exemples remarquables : 84 AD Loiret, 3E 1218, acte du 30 août.
85 Cet impôt introduit par la loi du 4 frimaire an VII (24 novembre 1798) est resté opposable jusqu’en 1926. Il fut cause de la destruction du remplage de nombreuses croisées et demi-croisées pour ne laisser qu’une « fenêtre ». Prenons en effet une croisée recoupée par un remplage en croix définissant pour l’époque quatre « fenêtres ». Si l’on fait sauter ce remplage, toujours selon l’acception du temps il ne restera plus qu’une « fenêtre ». 86 Article n° 5 de la loi relevant des chambres à coucher.
TABLEAU DE SYNTHÈSE DES DEVIS/MARCHÉS Le tableau ci-dessous souligne les caractéristiques principales de chaque maison rapportées par les devis/marchés précédents auxquelles on a ajouté les maisons en pan de bois de Lailly-en-Val étudiées dans un article précédent 87 : 87 La partie grisée du tableau signale ces quatre maisons (Daniel BONTEMPS, op. cit., note 2, p. 56-57, p. 60-61 et p. 62-63). 88 h = horizontale. Ce type de demi-croisée en majorité disparu et signalé par les marchés subsiste encore ici et là sous la forme de vestiges plus ou moins conséquents (cf. les fig. 12 et 22). 89 1450d signifiant la date de coupe des bois fournie par la dendrochronologie (d). 90 Gout. ar. = gouttereau arrière. De ce tableau et des devis/marchés analysés, il ressort que les maisons avaient majoritairement un évier avec son souillard rejetant les eaux usées devant la façade principale, à l’exception du cas d’une maison à Baule où il fut prévu adossé à la façade. Les cheminées y sont omniprésentes avec un four prenant naissance sur un mur-pignon, qui s’ouvre dans le contrecœur, pour environ la moitié des cas considérés. Quant aux fenêtres, elles ont un seul jour de modestes dimensions ou deux sous la forme d’une demi-croisée horizontale séparée par un meneau tandis qu’au milieu du XVIe siècle pour se plier à la mode du temps elles prenaient la forme d’une demi-croisée aux fenêtres en plein-cintre plus haute que ses semblables médiévales. Et par ces fenêtres ou demi-croisée décorées ou non d’accolades, sans oublier les portes aux encadrements à chanfreins ou mélangés à des cavets ou quarts de rond, et bien sûr également d’accolades plus ou moins sophistiquées, les propriétaires soulignaient leur statut dans l’environnement social de leur paroisse. Le tiers ordre paysan n’échappait pas à ses propres hiérarchies dont l’architecture dans sa simplicité se faisait à sa façon le vecteur. Par ailleurs, quatre des documents étudiés signalent des maisons, le temps faisant, venant s’appuyer sur une maison en place (Lailly, Baule et les 1er et 4e devis/marché de Messas), dont on a trouvé d’autres exemples dans des actes notariés. Ainsi, le 22 mai 1535, un meunier et sa femme baillent à titre de rente annuelle et perpétuelle à François La Rouze, demeurant aux Marais de Beaugency deux chambres basses de maison à feste, couverte de thuille ainsi qu’elle se comporte et poursuit, de grenier dessus, cave dessoubs, court devant et vergier le tout contenant ung quartier et demy ou environ […] 91. Tandis qu’en 1550 Alexis Texier, vinaigrier à Beaugency, confesse bailler à titre de loyer pour six ans à un laboureur demeurant à Congnières, paroisse de Poilly, deux chambres de maison en l’une desquelles y a cheminée et four avec une grange joignant lesdites chambres le tout couvert de chaulme 92 au lieu de la Tavernerye. Grange apparemment édifiée en 1473 par Jehan Girard dit la Haze, charpentier, qui à pris à faire de luy [le commanditaire] une grange de son dit mestier de charpentier en sa mestairie de Congneres en la paroisse de Poisly […] 93. Le quatrième devis/marché relevant de Messas prévoyait en vue d’un prolongement de deux maisons attenantes de laisser des boutisses sur le nouveau mur-pignon pour y appuyer une grange. 91 AD Loiret, 3E 1297. 92 AD Loiret, 3E 1328, acte du 30 octobre. 93 AD Loiret, 3E 1188, acte du 28 décembre. Une ferme de Cognière est présente à un peu plus de 2 km à l’est de Poisly (cf. carte IGN, série bleue 2120 SB Beaugency au 1/25 000). Notre collègue Marie Bardisa signala en son temps deux cas de maisons mitoyennes sur la commune du Petit-Pressigny (Indre-et-Loire). Un à la Chichardière où une maison dressée en 1478 vint s’appuyer sur une précédente dressée en 1451, et un aux Bergeons où sur une maison non datée s’en accola une seconde en 1514 94. À Baule, on en prévit en 1550 une troisième par la pose de corbeaux sur le mur-pignon extérieur de la maison à dresser (cf. supra) et au Clos de Guignes à Tavers nous avons encore devant les yeux le cas de trois maisons disposées en équerre (cf. supra). De cette situation vers 1550, si l’on s’en rapporte à Emmanuel Leroy-Ladurie, la fécondité fut la cause des constructions en cascade qui s’égrenèrent entre 1450 et 1560 dans un hexagone « plein comme un œuf dans les dernières années de Henri II [† en 1459] », à la suite de la « quadruple série de désastres (pestes, guerres, crises économiques ou démographiques en spirale qui s’engendr[èr]ent ou s’aggrav[èr]ent les unes les autres) » de 1340 à 1440 95. 94 Marie BARDISA, Pressigny en Touraine, Architecture et peuplement de la basse vallée de la Claise jusqu’au XVIe siècle, Cahiers du Patrimoine, n° 47, Orléans, 1997, p. 279-280. 95 Emmanuel LE ROY-LADURIE, L’État Royal, De Louis XI à Henri IV, 1460-1610, Paris, 1987, p. 46-47. Quant à l’implantation des bâtiments disposés devant une cour commune joignant perpendiculairement un chemin principal à l’instar de maisons à Tavers ou de celles de Rogier et Cousté à Vernon, on retrouve cette particularité dans le vignoble autour de Beaugency 96. Une photographie aérienne de Messas (fig. 23) illustre précisément cette situation que rappelle dans sa généralité régionale l’historien-géographe Roger Dion : La traversé d’un village de vignerons ne laisse voir ordinairement que des pignons dépourvus d’ouverture : les façades se développent perpendiculairement à la rue sur celui des longs murs qui regardent le soleil. Cette disposition qui n’est nulle part sur la Loire aussi rigoureusement observée que dans le vignoble orléanais-blésois est celle qui permet de concilier au mieux la forte agglomération des maisons avec la recherche d’une orientation favorable pour chaque façade 97.
96 Situation illustrée par un schéma dans Enquête sur les conditions de l’habitation en France, Les maisons types. Avec une introduction de M. Alfred de FOVILLE, Paris, 1894, p. 313-314. 97 Roger DION, Le Val de Loire, Étude géographique régionale, nlle édition, Laffite, éditeur, Marseille,1978, p. 646.
POUR CONCLURE Les devis/marchés notariés d’un grand intérêt de par l’absence de leur utilisation dans les recherches sur la modeste maison paysanne d’une pièce, nous ont offert, couplés à des vestiges, l’opportunité de reconstituer la chambre de maison d’habitation d’un feu en maçonnerie dressée sur l’aire balgentienne durant la fin du Moyen Âge et au XVIe siècle 98 (fig. 24). Son principe ne changea pas durant cette dernière période à l’exception de la forme des fenêtres et des portes où l’accolade éventuelle est remplacée par un arc cintré puisant sa source dans l’architecture bourgeoise ou seigneuriale de la seconde Renaissance. Relevons par ailleurs que certaines maisons encore en place à peu près dans leur état primitif en viennent de nos jours à être inexorablement dénaturées lors de réhabilitations comme on a pu le constater et soulignent l’importance de ces devis/marchés notariés qui viendront, le temps faisant, à devenir les seules références obligées pour appréhender un patrimoine rural, qui composait au bas mot 90% de l’habitat sous l’Ancien Régime 99. Quant aux caractéristiques majeures de ces maisons de maçonnerie autour de Beaugency comparées à celles qui sont en pan de bois à l’exemple du cas médiéval rencontré au Tertre Blanc à Lailly-en-Val 100, elles ne s’en démarquent pas dans leur économie générale. 98 Je remercie ma fille Marion d’avoir bien voulu restituer l’extérieur de la maison paysanne type autour de Beaugency de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. 99 Citons a contrario certains exemples de maisons rurales aux caractéristiques exceptionnelles, qui peuvent, à l’exemple des maisons rurales bressanes du type à « cheminée sarrasine », avoir fait l’objet pour certaines d’entre elles de protections au titre des Monuments historiques. 100 Daniel BONTEMPS, op., cit. note 2.
Enfin, on ne peut éviter de rappeler succinctement le cas de Jean Preschereau, marchand, mais aussi charpentier, qui apparaît dans trois de nos documents, dont certains de ses lointains ascendants n’étaient que charpentiers avant de devenir marchands. La nuance qui est d’importance s’inscrit dans le cadre du tiers ordre de la société d’Ancien Régime et s’extrait ici du thème de la maison paysanne stricto sensu 101. Se pose une dernière question concernant les maisons dressées au milieu du XVIe siècle. Tout d’abord il faut rappeler que la longue période de reconstruction, après le départ des Anglais de la Loire moyenne autour d’Orléans peu après la levé du siège de la ville par Jeanne d’Arc en mai 1429, prit fin dans ses grandes lignes à la charnière des XVe et XVIe siècles à Beaugency intra-muros 102. On peut donc supposer qu’il en fut de même pour la campagne environnante. En revanche, les demeures projetées durant la seconde Renaissance s’expliquent certainement par la seule natalité et l’agrandissement des familles dont le processus vint butter dès 1562 sur la première guerre de Religion dans l’Orléanais entre catholiques et protestants 103. Dans ces conditions, l’exemple de la maison proche de 1550 toujours en place au Clos de Guignes à Tavers et celles dont il a été question dans ces lignes caractérisent symboliquement les derniers feux d’une période de paix pour entrer dans un hiver local, qui ne prendra fin qu’au siècle suivant 104. Ce que rappelle Jacques-Nicolas Pellieux traitant de Beaugency et implicitement de la campagne alentour pour l’année 1562 : La province de l’Orléanais fut long-temps le théâtre de cette guerre civile, et pendant ces règnes malheureux [des derniers Valois], la ville de Beaugency fut tant de fois exposée au pillage par les deux armées qu’elle ne put jamais se relever des pertes qu’elle essuya alors 105.
101 Un court article sur le thème des Preschereau, charpentiers et marchands, sera publié en mars 2025 dans le n° 49 de l’année 2024 de la revue Société archéologique et historique de Beaugency sous le titre : « Des Preschereau, charpentiers à Beaugency aux XVe et XVIe siècles ». 102 Daniel BONTEMPS et Jacques ASKLUND, op., cit. note 24, p. 104 et 113. 103 Nicolas LE ROUX, op. cit., note 23, p. 61-82. 104 Daniel BONTEMPS et Jacques ASKLUND, op. cit., note 24, p. 164-169. 105 Jacques-Nicolas PELLIEUX, Essais historiques sur la ville de Beaugency et ses environs, Première partie, Beaugency, An VII, réimpression Laffitte, Marseille, 1980, p. 165-178.
Référence à citer : Daniel Bontemps De quelques maisons paysannes en maçonnerie autour de Beaugency (Loiret) [fin XVe – milieu XVIe siècle] abordées par des devis/marchés notariés et des vestiges tome 48-49 (2024-2025) http://www.pierreseche.com/AV_2024-2025_bontemps.htm 26 février 2025 L'auteur :
Daniel Bontemps, conservateur en chef honoraire du patrimoine Étant demandé aux auteurs de la revue électronique Architecture vernaculaire de faire une synthèse de leurs recherches et publications les plus marquantes : je débutai ma carrière en m’intéressant à l’architecture en pan de bois et à la charpente médiévale du chœur de l’église Saint-Pierre de Gonesse (Val d’Oise) dont la monographie parut à l’aube d’un intérêt qui ira croissant pour cet aspect du bâti alors peu sollicité depuis l’étude générale et pionnière de 1927 d’Henri Deneux. Recherches publiées dès les premières années quatre-vingt du siècle dernier et poursuivies dans le cadre du Centre de recherches sur les monuments historiques (CRMH) [Direction du Patrimoine du Ministère de la Culture]. Les thèmes abordés intéressant, entre autres, à l’usage des bâtiments anciens, les menuiseries de fenêtres médiévales et de la première Renaissance ou la serrurerie, j’ai sur ce dernier thème appris que dès la fin du XVIIe siècle furent réalisés des garde-corps en fonte de fer ornée ou des rampes d’escalier selon le Cours d’architecture de Daviler paru en 1691. Ce fut ainsi l’occasion grâce à cet ouvrage de découvrir une rare et à l’heure actuelle unique rampe d’escalier de ce métal dans l’ancien hôtel parisien Le Peletier de Saint-Fargeau de nos jours absorbé par le musée Carnavalet. Et faisant suite à l’intérêt pour ce matériau sous l’Ancien Régime, à la suite des recherches métallurgiques menées par le savant Réaumur au début du XVIIIe siècle, s’ouvrit une manufacture dédiée à la fabrication d’objets de qualité dans ce matériau et un magasin parisien pour les écouler (articles en collaboration avec Huber Beylier et Catherine Prade). Enfin, ma carrière s'étant poursuivie au service de l'Inventaire général du patrimoine de la Région Centre, je profite de la retraite pour approfondir mes recherches sur divers sujets abordés. Bibliographie partielle « Un exemple de maison à pans de bois. Le 25 rue de la Hallebarde », Mémoires de la Société archéologique de Touraine, dans L'architecture civile à Tours des origines à la Renaissance, t. X, 1980, p. 72-80 « La charpente du chœur de l'église Saint-Pierre de Gonesse », Archéologie médiévale, t. XIV, 1984, p. 127-167 En collaboration avec Hubert Beylier, « La rampe en fonte du XVIIe siècle de l'escalier de l'hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau à Paris », Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile de France, 1986, p. 125-131. « Étude d'un édifice en pans de bois : la maison de Rue en Picardie », Charpentiers au travail, Collection Le tour d'Europe des Tours de main, Die, 1993, p. 168-183 (Livre édité avec le concours de la Direction du Patrimoine). À ce propos signalons qu’Alain Nafilyan (La demeure urbaine à pans de bois, Édition du patrimoine, Centre des Monuments nationaux, Paris, 2023, p. 104-120) ne signale pas notre article dans sa notice dédiée à cette maison ! L’ouvrage a bénéficié de la contribution de Florence Journaux et Yannick Le Digol. Une œuvre méconnue de Jacques V Gabriel, La chapelle de l'hôpital général d'Orléans, (1989), non paginée : 12 pages (plaquette publiée par le Centre régional hospitalier d'Orléans) « La « grange » de l'abbaye cistercienne de Chaloché (Maine et Loire) ou de l'importance de l'étude de la charpente dans un bâtiment médiéval », Archéologie médiévale, t. XXV, 1995 (1996), p. 27- 61. Charpentes de la région Centre des XIIe et XIIIe siècles avec la participation des architectes en chef des Monuments historiques Patrice Calvel et Arnaud de Saint-Jouan, Paris, Monum. Éditions du Patrimoine, 2002, 204 p. Pl. et photos. « La grange seigneuriale de « l’hébergement » de Flux à Lailly-en-Val (Loiret) au XIVe siècle », dans revue électronique du Ministère de la Culture in situ, 2006, p. 1-19 « Le cabinet héraldique de Jean d’Orléans-Longueville au logis seigneurial du château de Beaugency (début du XVIe siècle), Essai d’interprétation de l’emblématique des Orléans-Longueville depuis Dunois », Bulletin de la Société française d’héraldique et de sigillographie, t. 80-82, 2010-2012, 93-111 « Regards sur les Orléans-Longueville des deux premières générations, Étude d’un contrat de vitraux pour la chapelle du cimetière Saint-Michel à Beaugency (fin du XVe siècle) », 1re partie, Société archéologique et historique de Beaugency, n° 40, 2015, p. 23-33 et 2e partie, n° 41, 2016, p. 12-25 « Le siège du château de Beaugency et Jeanne d’Arc durant les journées du 16 au 18 juin 1429 », 1re partie, Société archéologique et historique de Beaugency, n° 42, 2017, p. 21-32 et 2e partie, n° 43, 2018, p. 31- 40 « De l'art d'honorer une rançon et autres tribulations chez les Orléans-Longueville (XVIe siècle), ou de leurs incidences financière, politique et architecturale », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, t. LXXX, n° 3, Genève, Librairie Droz S.A., 2018, p. 583-623 « La Renaissance architecturale à Beaugency (1515-1555), et de quelques aspects symboliques dans le contexte urbain », Société archéologique et historique de Beaugency, n° 44, 2019, p. 13-34 « Commandes de sceaux normands, reconnaissance d'acquisition des sceaux aux causes de la châtellenie de Beaugency et contexte », De la conquête anglaise de la Normandie à la victoire de Patay (1418-1429), Revue française d’héraldique et de sigillographie, Études en ligne, 2022- 4, mai 2022, 19 p. http://sfhsrfhs.fr/wp-content/PDF/articles/RFHS_W_2022.004.pdf « La statuette équestre de Louis XIV et les débuts de l’art de la fonte de fer ornée vers 1700 en France », Bulletin monumental, t. 181-3, 2023, p. 231-243
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