CABANES EN PIERRE SÈCHE ET FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES

Is there any point in excavating dry stone huts?

Christian Lassure

« de tels ouvrages [...] appartiennent

non au domaine de l'archéologie

mais à celui de l'histoire rurale »

Joseph Desaymard et Emile Desforges

(à propos des ouvrages de pierre sèche

sur le plateau des Côtes de Clermont)

 

Envisager de fouiller le sol à l'intérieur d'une cabane encore entière, ou de dégager le comblement de pierraille d'une cabane effondrée, relève d'un a-priori qui pose ce genre d'édifice comme objet archéologique, susceptible de remonter à une période reculée, alors qu'il est avant tout objet architectural, et que la seule « archéologie » qui soit justifiée à son endroit, c'est celle de ses structures au-dessus du sol, c'est-à-dire l'analyse constructive, architecturale et stylistique de ses parties visibles, à l'instar de ce qui se ferait normalement pour un édifice situé plus haut dans l'échelle socio-économique.

On comprend dès lors qu'ici et là, depuis des lustres, des chercheurs aient fait chou blanc lorsqu'ils se sont avisé de procéder à des fouilles pour résoudre le prétendu problème de datation que posait leur objet d'étude.

Le sac de l'oppidum de Castelréal

Creusant le sol d'une cabane se dressant sur l'oppidum de Castelréal dans la commune de Siorac-en-Périgord, oppidum datant du Bronze final, François Poujardieu ne fut guère surpris lorsqu'il tomba, à 80 cm de profondeur, sur un sac à engrais en matière plastique ! La simple vue des arêtes vives des pierres de calcaire maëstrichtien de l'édifice, lui avait déjà appris qu'il avait affaire à une cabane récente. La même pierre, employée dans les piliers de la Halle de Belvès, datée du XVe siècle, est tout alvéolée (1).

La cadole ne livre que dalle(s)

Semblable déconvenue survint en 1997 au Groupe de recherches archéologiques tournugeois ou GRAT (le bien nommé), lorsqu'il s'avisa de « procéder au dégagement » d'une cadole « dont la voûte effondrée semblait a priori recouvrir un remplissage assez épais, susceptible de recéler des vestiges contemporains de son édification ». Tout ce que la « fouille » révéla, c'est que l'édifice était en fait construit sur un murger et que le sol en avait été régularisé par un dallage, d'où une hauteur de mur conservée moindre que celle escomptée. Dans le comblement ne furent trouvés que des « fragments de céramiques » « de facture récente » (2).

Une capitelle qui a l'âge du bronze

Dernier exemple, le sondage archéologique effectué dans une capitelle située à Aubussargues dans le Gard, par la section archéologique de l'Association « Histoire et civilisation de l'uzège ». Voyant dans l'aspect massif et la construction soignée de l'édifice, ainsi que dans la faible hauteur de son entrée, la marque d'un « certain archaïsme » et la promesse d'un « remplissage important », les fouilleurs furent quelque peu déçus lorsque leur méticuleux sondage s'arrêta à 15 cm de profondeur à peine, au substrat rocheux, pour ne livrer que « des boutons, un clou, une figurine en plomb très abîmée, une plaquette de broche, une pièce de monnaie en bronze de cinq centimes, à l'effigie de Napoléon III, datée de 1856 ». Aucun tesson de poterie, de rares charbons de bois, dont aucun sous l'« orifice circulaire au sommet » de l'édifice, censé être une cheminée (3).

De la capitelle au grand ensemble

On pourrait multiplier les exemples anciens ou récents de sondages partiels ou de fouilles complètes de cabanes qui se sont traduit par des déconvenues pour leurs initiateurs. Il semblerait que l'on ait là comme un passage obligé pour chaque nouvelle génération de chercheurs. Mais de là à dire que la fouille archéologique est totalement inutile, il y a un pas que nous ne franchirons pas.

D'ailleurs, dans le cas d'un groupe de cabanes accolées ou reliées entre elles, la fouille archéologique des diverses pièces peut livrer des renseignements sur leurs fonctions respectives mais aussi sur leur datation relative, autrement dit l'antériorité d'une cellule par rapport à l'autre.

C'est ce qui s'est passé pour un ensemble en pierre sèche situé au lieu dit La Librotte sur la commune de Blauzac dans le Gard. Composé d'une cabane en forme d'ogive, d'une cabane carrée à quatre faces convexes et d'un local voûté intermédiaire, le tout précédé d'une cour et flanqué d'un enclos, cet ensemble a vu ses différentes parties sondées par l'association « Histoire et Civilisation de l'Uzège » déjà citée (4).

La quantité de céramique recueillie (une vingtaine de pièces différentes !) vient conforter les indices fournis par les aménagements de la cabane carrée (cheminée d'angle avec hotte et conduit, fenêtre dans le niveau supérieur) : il s'agit d'une habitation. La cabane carrée a fourni de la poterie jaune clair de la seconde moitié du XIXe siècle ou du début du XXe alors que la cabane circulaire recélait de la céramique glacurée attribuable au XVIIIe siècle ou au début du XIXe, la ronde est donc antérieure à la carrée. La deuxième moitié du XVIIIe siècle ayant été en Uzège une époque marquée par des défrichements pour créer des emblavures, on peut imaginer le scénario suivant :

- XVIIIe - début XIXe : édification d'une capitelle circulaire à usage purement agricole (d'où les pierres à aiguiser mises au jour);

- 2e moitié du XIXe - début du XXe : adjonction de la capitelle carrée à usage d'habitation, ainsi que du local intermédiaire.

Cette chronologie est confirmée par les gens du mas voisin : un ménage de domestiques, travaillant pour le compte d'un écclésiastique, habitait encore les lieux au moment de la Première Guerre mondiale.

NOTES

(1) François Poujardieu, Les cabanes en pierres sèches du Périgord Noir, manuscrit, 1999.

(2) Georges Bellicot, Les cadoles du Roy Guillaume, tiré-à-part, Société des amis des arts et sciences de Tournus, 1998, p. 5.

(3) Albert Ratz, Sondage-prospection dans une capitelle à Aubussargues (Gard), dans L'Architecture vernaculaire, t. 14, 1990, pp. 29-30.

(4) Albert Ratz, Sondage dans une habitation en pierre sèche à la Librotte, commune de Blauzac (Gard), en 1995, dans Pierre sèche, La lettre du CERAV, bulletin de liaison No 9, septembre 1997, pp. 42-45.


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© CERAV
9 février 2002 / February 9th, 2002

Référence à citer / To be referenced as

Christian Lassure
Cabanes en pierre sèche et fouilles archéologiques (Is there any point in excavating dry stone huts?)
http://www. pierreseche.com/cabanes_et_archeologie.htm
9 février 2002

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