LE GRAND MOUVEMENT DE CONSTRUCTION
DE CABANES EN PIERRE SÈCHE
EN FRANCE AUX XVIIIe ET XIXe SIÈCLES The Great Building Movement of Dry Stone Huts in France in the 18th and 19th Centuries Christian Lassure
Version française du prologue en catalan de l'ouvrage L’histoire économique de la France rurale aux XVIIIe et XIXe siècles a été marquée par deux phénomènes, d’une part l’extension des terres cultivées aux dépens des marges incultes des terroirs villageois, d’autre part l’accession à la propriété des couches les plus humbles de la paysannerie, les deux choses étant d’ailleurs liées. À l’origine de ces phénomènes, les décisions administratives ou politiques que sont les défrichements encouragés par des édits royaux tout au long du XVIIIe siècle (avant la Révolution) et le partage des anciens communaux villageois dans la première moitié du XIXe siècle (après la Révolution), mais aussi la démographie galopante (entraînant une véritable « faim de terre » pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle) et le progrès technique (l’amélioration des voies de communication procurant de nouveaux débouchés aux produits agricoles). C’est dans ce contexte politique, social, économique et démographique qu’il faut replacer le mouvement de construction de champs et, par voie de conséquence, de murs et de cabanes en pierre sèche encore visibles aujourd’hui dans les deux tiers sud de la France. Tirant parti de la démocratisation non seulement des outils d’extraction et de taille de la pierre mais aussi des instruments aratoires en fer et de la poudre à canon, les défricheurs, confrontés, aux énormes quantités de pierres engendrées par leurs activités de défonçage et de dérochement, construisirent ou firent construire, avec le matériau à leur disposition, de petites dépendances temporaires ou saisonnières en plein champ, fort utiles en particulier aux « forains » habitant une paroisse ou une commune éloignée de celle où se trouve leur parcelle. LE « SIÈCLE D'OR » DE LA CONSTRUCTION À PIERRE SÈCHE C’est ainsi que se répandirent et se perfectionnèrent les techniques
et procédés de construction à sec : Ce grand mouvement de construction de champs, de murs et de cabanes a connu sa plus grande extension du dernier tiers du XVIIIe siècle au dernier tiers du XIXe, soit grosso modo un siècle, que l’on peut qualifier de « siècle d’or » de la construction à pierre sèche. Les prémices de cet âge d’or remontent toutefois au XVIIe siècle dans les garrigues péri-urbaines du Languedoc, avec les ouvriers d’industrie (gantiers de Millau, faiseurs de bas d’Uzès, tapissiers de Nîmes) se construisant une capitelle ou une tine (cuve couverte) dans leur nouvel enclos. Le déclin du grand mouvement de construction s’amorce vers 1880 avec le début de l’exode rural et les maladies de la vigne, pour s’arrêter après l’hécatombe de la première guerre mondiale, dans des campagnes vidées de leur jeune population mâle. LES AUTO-CONSTRUCTEURS Le propriétaire d’une parcelle de vigne est le bâtisseur à pierre sèche par excellence : il bâtit lui-même son abri ou sa remise-à-outils. Au XIXe siècle, le vigneron du Berry édifie sa loge, le vigneron du Velay bâtit sa tsabone, le vigneron du Quercy érige sa caselle. Autres grands constructeurs à pierre sèche, les manouvriers, engagés dans des travaux de défrichement par de gros propriétaires viticoles. Ainsi, sous le Second Empire, les ouvriers agricoles embauchés (avec femme et enfants) pour la création de vignobles commerciaux, se construisent des gariotes (guérites) dans les murailles (parets) et les pierriers (cayrous) des parcelles défrichées. L’importance numérique, au sein des auto-constructeurs, de représentants de la paysannerie, ne doit pas occulter l’existence d’une autre catégorie de bâtisseurs, les ouvriers d’industrie. Ainsi, dans le Gard, nombre de capitelles des garrigues de Nîmes, de Sommières, d’Uzès et de Marguerittes furent édifiées par les ouvriers textiles de ces villes lorsqu’ils purent devenir propriétaires de quelques arpents. Enfin, au nombre des bâtisseurs à pierre sèche au XIXe siècle, figurent également le chasseur et le braconnier, à l’origine de postes de chasse à l’affût spécialement conçus pour des activités cynégétiques ; le cantonnier, édifiant, seul ou en équipe, des abris en bordure de route pour se protéger de la pluie ; et même l’amateur distingué (châtelain, facteur, artiste) construisant pour le plaisir ou pour se faire valoir. Contrairement à une croyance répandue, le berger construisait rarement des abris individuels en pierre sèche, astreint qu’il était à surveiller son troupeau en constant déplacement. C’est son employeur, le propriétaire du troupeau, qui est à l’origine des bergeries en pierre sèche servant à abriter le troupeau la nuit. LES CONSTRUCTEURS PROFESSIONNELS En dehors des auto-constructeurs, il y avait ce qu’on peut appeler les semi-professionnels et les professionnels de la maçonnerie sèche, édifiant des cabanes à la demande. Au XIXe siècle, nombre de paysans avaient un tour de main de maçon, en particulier en Limousin et en Quercy, et construisaient pour le compte d’autres paysans ou pour des parents et des amis. À côté de ces semi-professionnels on trouvait des professionnels à temps plein, soit artisans-maçons non spécialisés, soit maçons spécialisés dans la pierre sèche. L’existence de ces derniers est attestée pour le Languedoc et la Provence dès la fin du XVIIe siècle. Certains auraient même été des compagnons-maçons dont le chef-d’œuvre était une belle cabane. Enfin, les carriers et les puisatiers sont parfois évoqués à propos de la construction à pierre sèche : les carriers dans la l’édification de cabornes du Mont d’Or lyonnais dans le Rhône, ou de certains cabanons pointus dans les Alpes-de-Haute-Provence ; les puisatiers dans l’édification de chapes voûtées en pierre sèche au-dessus de puits à eau. LES VESTIGES DU « SIÈCLE D'OR » Si les bâtisseurs à pierre sèche de jadis sont désormais mieux connus, les œuvres qu’ils ont laissées sont à l’abandon et en voie de disparition. Christian Lassure © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure page d'accueil sommaire definitions
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