LE DRAIN DANS LA MAÇONNERIE DU MUR DE SOUTÈNEMENT EN PIERRE SÈCHE THE RUBBLE DRAIN IN THE MASONRY OF A DRY STONE RETAING WALL Louis Cagin
Un soutènement est un ensemble composé du sol à retenir et du mur qui le soutient. Un mur de soutènement en pierre sèche est composé de deux parties, l’une maçonnée, l’autre appelée le drain.
En maçonnerie pierre sèche le drain et le mur sont de la même nature, composés de pierres, ils forment cependant deux entités distinctes. Leur différence réside essentiellement dans la façon d’organiser les pierres mais aussi dans leur choix et leur grosseur (fig. 1). 1. La maçonnerie Elle est composée de pierres à bâtir, leur particularité en pierre sèche est qu’elles ne soient pas plus petites que la main, et qu’elles puissent en majorité être maçonnées en boutisses. La maçonnerie lie les pierres entre elles selon des règles très précises de façon à former un ouvrage réagissant aux contraintes qui s’y exercent comme un monolithe dont la structure est souple. Il n’y a aucune règle pour le drain, cependant il est la plupart du temps composé de cailloutis inutilisables pour une maçonnerie, souvent jetés au seau derrière la maçonnerie et juste damés afin qu’il ne puisse y avoir de tassement ultérieur. Il est finalement posé à la façon d’un éboulis stabilisé. Pour réussir un soutènement en pierre sèche il faut que les trois éléments – maçonnerie, drain, sol – réalisent un équilibre pérenne. Selon la nature et la configuration des terrains à soutenir, la partie mur (maçonnerie + drain) sera construite différemment. Ce sont ces différences que cet article se propose d’explorer du point de vue de l'installation du drain. 2. Les matériaux du drain. Traditionnellement le drain permet de stocker hors des zones de culture et dans un moindre espace les cailloux qui composent le sol, ce qui permetde bonifier l’espace de culture et d’optimiser son rendement. Il peut être constitué de tous les matériaux qui ne s’altèrent pas avec le temps, la pierre et les matériaux stables (afin qu’il ne s’affaisse pas et ne crée pas de vide à l’arrière de la maçonnerie). Le drain était souvent une poubelle où étaient recyclées les tuiles, briques, poteries, verres, bétons (fig. 2). Ils s’y retrouvent lors d’une restauration, ils peuvent permettre de dater l’activité humaine dans les parages et dans une moindre mesure la construction du mur.
3. L’utilité du drain Le drain a une triple fonction, qui peut se résumer par le fait que le drain désolidarise la maçonnerie du sol : - fonction de drainage : il permet au sol de se ressuyer et à une grande partie de l’eau de couler sans atteindre la maçonnerie. Ceci protège les pierres de la maçonnerie d’une humidité délétère, et du gel en cas de pierres gélives, ou tout simplement de l’usure et de la dégradation qui les fragilise dans un milieu trop humide. - fonction de zone tampon : les pierres du drain ne sont pas maçonnées afin de ne pas être solidaires les unes des autres, ce qui lui donne une souplesse à la compression et au retrait du sol, il fait donc tampon et protège la maçonnerie des poussées et des retraits, il absorbe par la même occasion une partie des forces de poussée du sol réduisant ainsi celles qui s’exercent directement sur la maçonnerie. - fonction de filtre à particules : Il augmente la profondeur du mur, les particules de terre coulent avec l’eau mais s’accumulent d’abord dans le drain, ce qui augmente notablement la durée de vie du mur. Cette fonction est aujourd’hui optimisée par la pose de géotextile entre le sol et le drain. 4. Les trois zones de drain 4.1 Les drains de fondation Reliés au réseau de circulation de l’eau, aux exutoires, etc. (fig. 3), ils sont installés pour évacuer l’eau de l’ouvrage de soutènement et lui permettre de continuer sa course gravitaire sans endommager l’aménagement, tant maçonné que paysagé (cf. http://pierreseche.over-blog.com/article-le-drainage-d-un-mur-en-pierre-seche-44735939.html ).
4.2 Le drain de l’arrière du mur Il est installé entre la maçonnerie et le sol sur toute la hauteur du mur. 4.3 Le drain de couronnement On le rencontre dans certains terroirs où les cailloux abondent (fig. 4). Il sert de stockage des cailloutis et surtout de filtre à particules pour éviter que la boue ne coule par le haut du mur dans le drain de l’arrière du mur. Là encore, il n’y a pas de règles générales et ces trois drains ne se rencontrent pas toujours en même temps selon les terroirs.
5. La technique de pose Le drain est installé comme un éboulis stabilisé. Selon la grosseur des pierres utilisées il est plus ou moins travaillé. Dans le cas où des petits cailloutis sont utilisés, ils sont jetés en vrac et très grossièrement tassés. Si ce sont de plus grosses pierres qui le composent, elles sont posées de façon stable mais afin de laisser le maximum de vides entre leurs faces de joint et d’assise. Ces vides permettent l’écoulement optimal de l’eau et la meilleure ventilation possible de l’ouvrage. Ils augmentent également la capacité de stockage de la terre qui s’infiltre dans le drain avec le temps, ce qui a un effet sur la durée de vie de l’ouvrage. La règle de pose des pierres du drain réside alors dans un juste équilibre entre la création d’espaces vides et l’installation des pierres de façon à ne pas permettre un effondrement ultérieur. Le coup de main pour réussir un tel drain est instinctif. Il s’agit de faire « gonfler » le volume disponible de pierres tout en installant celles-ci de façon souple, stable et tassée (fig. 5). Le fait de créer un maximum de vides entre les pierres lors de la pose du drain a également un effet notoire sur la quantité de pierres nécessaire pour réaliser l’ouvrage, entraînant une économie de matériaux et un allègement du poids total de l’ouvrage (1).
On
rencontre également selon les terroirs différentes techniques de constructions
qui font varier les notions de maçonnerie et de drain.
En fait la coupure est dans la plupart des cas moins franche entre la maçonnerie en moellons et le drain en cailloutis ou en pierres plus grosses ; la maçonnerie et le drain sont en continuité, les plus « belles » (2) pierres sont bâties en parement, les autres servent à la maçonnerie du corps du mur et commencent « à se perdre » dans le drain (fig.7).
Un dernier cas de figure peut se rencontrer dans les terroirs riches en cailloutis et pauvres en moellons, le mur se compose alors d’un parement maçonné avec les moellons comblés à l’arrière par les cailloutis qui forment ainsi en même temps le corps du mur et le drain (fig. 8).
6. L’épaisseur de la maçonnerie et du drain Etant amené à restaurer des murs de soutènement paysans en pierre sèche dans différents terroirs, j’ai pu observer qu’il n’y a pas de règles générales quant au drain. La seule règle est celle de l’adaptation aux ressources en pierre et à la nature du sol et des pierres. C’est justement cette règle générale qui fait qu’aucune recette valable sur un terroir ne l’est obligatoirement dans un autre. La façon de maçonner, le profil du drain, son épaisseur, sa technique de pose varient selon des procédés qui ont fait leurs preuves pour les conditions proposées par le terroir et qui devaient se transmettre d’un « maçon » à l’autre (3).
De nos jours où les carrières fournissent à moindre coût les cailloutis et où le pétrole permet un transport peu onéreux les maçons dimensionnent leur drain selon une règle générale afin qu’il soit environ de la moitié de l’épaisseur de la maçonnerie. Cette épaisseur permet d’installer entre la maçonnerie et le sol un drain suffisant épais pour laisser passer l’eau dans la plupart des cas de figure. La problématique était traditionnellement très différente, le maçon s’adaptait à la proportion de cailloux présents dans le sol. Le drain était ainsi plus ou moins large, voire inexistant. Chaque terroir offre ainsi un dimensionnement différent dû aux ressources en pierre et en cailloutis présents dans le sol à proximité. Cette adaptation peut aller d’un extrême à l’autre (du stockage des cailloux en pierrier à l’arrière du parement (fig. 9), à pas de drain du tout). Pour obtenir l’équilibre du soutènement, lorsque les ressources en cailloux n’étaient pas suffisantes, le maçon jouait alors sur d’autres facteurs, principalement liés aux techniques de maçonnerie, ou au « gonflement » du drain. Dans le pire des cas, il prévoyait un entretien (voire une réfection) plus régulier de ses soutènements. 7. Les profils du drain Dans l’idéal, le profil du drain est déterminé par l’adaptation aux poussées du sol et c’est le terrassement préalable à la construction du mur qui va le dessiner. Les poussées du sol ne sont pas les mêmes sur toute la hauteur du mur, elles sont les plus fortes au milieu du mur, les plus faibles au niveau du couronnement. Il était coutumier d’adapter l'épaisseur du drain à ces poussées dans les terroirs où les cailloutis n’étaient pas assez présents pour les économiser. Le sol lui-même, selon sa nature, n’exerce pas les mêmes poussées sur l’ouvrage de soutènement. Le drain ne sera dans l'idéal pas le même selon que le sol est par exemple argileux ou sablonneux. La poussée du sol n’est pas la même sur toute la hauteur du mur : elle est optimum sur le deuxième tiers de sa hauteur, ce qui entraîne souvent la nécessité d’augmenter l’épaisseur du drain de l’arrière du mur à ce niveau. La quantité d’eau à drainer est plus importante en bas du mur, où se recueillent toutes les eaux d’écoulement, qu’en haut du mur où n’aboutissent que les eaux de ruissellement de la surface, c’est pourquoi l’on retrouve souvent sur sol meuble un drain de l’arrière du mur plus large en bas de mur. Selon les sols, le drain de bas du mur sera augmenté en profondeur pour permettre à l’eau de couler, et une attention particulière sera donnée aux exutoires afin que l’eau sorte de la maçonnerie rapidement (cf. http://pierreseche.over-blog.com/article-le-drainage-d-un-mur-en-pierre-seche-44735939.html et http://pierreseche.over-blog.com/article-16016701.html). Les eaux de ruissellement de surface apportent plus de particules de terre qui se déversent directement dans la structure du drain par le haut du mur, ce qui nécessite une attention particulière. Plusieurs techniques sont mises en œuvre pour pallier cet inconvénient, un drain recouvre le mur et protège ainsi le couronnement du mur (fig. 4). Cette technique permet de protéger le haut du mur des infiltrations de terre par son sommet lors du ruissellement en surface des eaux de pluie. Dans certains terroirs, des dalles dressées, un talus retiennent les eaux boueuses et leur permettent de décanter avant de s'écouler dans le mur (fig. 10).
Pour finir, la fonction première des soutènements restant la culture, le drain du haut du mur est dans la plupart des cas moins large pour augmenter la surface de culture. C'est
lors du terrassement préalable à la construction du mur que le profil du drain
est déterminé. Lors d'une restauration le profil d'un drain nous renseigne sur
le terrassement préliminaire à la construction du soutènement. En voici trois
cas de figure fréquents :
- Le terrassement « pioche sur sol stable » (fig. 12), il est généralement moins large en bas de mur afin d’économiser un gros effort de terrassement.
- Le mur construit avant l’installation du talus (fig.13). Le mur de soutènement est construit avant l’apport du sol à soutenir. Le talus n’étant pas encore là pour tenir le drain, celui-ci est bien plus large en bas. (cf. http://pierreseche.over-blog.com/article-soutenement-en-pierre-seche-sans-talus-69699513.html )
8. Le climat Il est également à prendre en considération. L’exemple le plus parlant concerne les zones méditerranéennes sujettes à de très violents orages et où des quantités importantes d’eau peuvent se précipiter en quelques minutes. Le drainage du haut du mur est alors primordial, ainsi qu’un réseau de drains et d’exutoires permettant à l’eau de s’écouler rapidement sans emporter les ouvrages. Dans les zones sujettes à de forts gels, le drainage et la maçonnerie seront adaptés pour que les pierres restent le plus sèches possible afin de ne pas se décomposer sous l’effet conjugué de l’humidité et du gel, notamment par l’installation d’un couronnement larmier comme ici (http://pierreseche.over-blog.com/article-restauration-d-un-mur-de-cloture-46746728.html). 9. Le géotextile Certains sols coulent très facilement dans le mur, ils remplissent rapidement les vides dans lesquels l’eau se draine. Cela fragilise le mur et rompt l’équilibre recherché. La solution actuelle est d’installer entre le drain et le sol un géotextile. Celui-ci enveloppe le mur sur toutes ses faces en contact avec le sol. Il s’agit aussi bien des fondations que de l’arrière du mur et sans oublier la partie haute du drain où se récoltent les eaux de ruissellement. Là encore des solutions existaient avant l’utilisation du géotextile : un drain de cailloutis sous les fondations ; des végétaux (paille ou tiges creuses résistant relativement longtemps au pourrissement) pressés entre le drain et le sol, ils permettaient au sol de se tasser et de faire bloc le temps de leur putréfaction (fig. 14).
NOTES (1) C’est la même technique de pose que celle des pierres de calage des lauzes pour les toits des cabanes en pierre sèche. Des pierres peu nombreuses, bien calées, gonflent le volume et réduisent ainsi le poids qui s’exerce sur l’ouvrage sans nuire à l’équilibre (fig.5). (2) Ces pierres sont appelées « demoiselles » en Provence. (3) Quelques personnes sont porteuses de cet héritage souvent de façon parcellaire. Les impératifs de la « bonne construction » s’expriment par des interdits. Il ne faut pas poser la pierre ainsi, il ne faut pas faire ceci, il ne faut pas faire cela. Sur un autre terroir certains interdits peuvent devenir la règle. Chaque terroir a ainsi un rapport très particulier à la pierre du cru. Les personnes ayant été en contact avec l’héritage de la pierre sèche ont au moins retenu que pour construire ainsi il faut développer un savoir-faire empirique particulier ressenti d’une façon presque magique ? avec la pierre. Ceci tient au fait que pour maçonner à pierre sèche il faut avant tout s’abstraire de la matière pour ne construire qu’avec le volume avec pour seul objectif l’équilibre, chaque sorte de pierre demande un coup de main particulier pour obtenir le même résultat : que cela tienne. Auteur de l’article et des illustrations Louis Cagin, http://pierreseche.over-blog.com
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