LES GABIROTTES DE LA SEUDRE (MARAIS CHARENTAIS) THE GABIROTTES OF THE SEUDRE AREA IN THE CHARENTAIS MARSH Erwan Faux (*)
La gabirotte est une petite construction qui tire son originalité de sa forme simple plus ou moins conique, de son plan circulaire et de sa technique de construction. Répartition actuelle Les recherches réalisées à ce jour révèlent que l'on ne trouve la gabirotte que sur certains prés-marais de la rive droite de la Seudre, prés-marais qui sont nés de l'envasement des marais de la Seudre qui commença au XIVe lors de la chute de la prévôté de la Seudre. Les gabirottes se dressent uniquement sur les prés-marais situés en périphérie des villages de Souhe-du-Gua, Nieulle-sur-Seudre et Saint-Martin-du-Gua. Une exception demeure néanmoins : celle du domaine de Montélin, perchée au sommet de la motte féodale, et du Moulin de Chalons (carte). Description Les gabirottes se composent d'un volume simple (plan monocellulaire), de forme conique, certaines présentant une légère retraite entre la paroi extérieure du mur de base et le recouvrement (G.7, G.8 et G.10). Cette base de construction circulaire donne très certainement une meilleure stabilité de la voûte et permet sa construction sur des terrains meubles.
Leur appareillage se compose de moellons réguliers jointoyés par un mortier en terre de bri (argile de couleur gris-bleu), parfois recouvert de chaux, le tout se liant au sommet par une pierre en guise d'épi de faîtage, élément de décoration couronnant l'édifice. Le plan intérieur est aussi circulaire, à l'exception peut-être d'une ruine indéterminée de petite superficie dont la base restante est carrée (interne et externe, G. Ind). La voûte de forme conique est fermée à son sommet interne par deux pierres plates demi-circulaires formant un cercle. Toutes possèdent des niches dont le nombre varie entre trois et 14.
Les ouvertures se composent généralement d'une porte basse, évasée vers l'extérieur, surplombée par un linteau en pierre, très certainement remplacé sur la G.2 par un linteau de bois. Chacun des piédroits est constitué de gros moellons, voire de pierres de taille (G.6 et G.9). À l'exception des gabirottes G.6 et G.9, toutes possèdent une petite fenêtre à feuillure externe, généralement évasée vers l'intérieur, permettant la pause d'une trappe, identique à celles que l'on peut trouver dans certains poulaillers.
À ce jour, aucune mention de ces constructions dans les archives et ouvrages locaux n'a été relevée lors de nos recherches bibliographiques. La seule mention trouvée sur ces édifices figure sur le cadastre napoléonien. Dans ce document à vocation fiscale, cinq gabirottes y figurent sous la forme d'un cylindre surmonté d'un cône.
Plusieurs inscriptions dont la signification nous est encore inconnue figurent sur les dessins de gabirottes. Sur le corps de quatre d'entre elles, de petits carreaux sont inscrits : leur nombre et leur localisation varient d'une gabirotte à l'autre. Pour trois gabirottes, une petite flèche incurvée part de la base vers l'extérieur : pour l'une d'elles une croix est dessinée au sommet. Il est à noter que toutes les gabirottes figurant sur le cadastre napoléonien sont construites sur une même propriété délimitée sur la carte par un fin trait rouge.
Lors du relevé de 1833, cinq gabirottes existaient en périphérie de Saint-Martin-du-Gua. Entre 1833 et aujourd'hui, deux gabirottes ont entièrement disparu (G.4 et G.5). En revanche, deux gabirottes semblent avoir été construites sur cette même propriété (G.2 et G.3) tandis que quatre autres ont été créées autour des villages voisins (G.8, G.9, G.10 et G.11).
Ce type de constructions peut être rapproché de celui d'autres régions comme les capitelles du Languedoc, les galinières du Quercy et les cabanes du Périgord et du Luberon (photo ci-contre). Concernant le Luberon, les cabanes sont de forme et de dimensions analogues mais ne comportent pas de niche, ni de fenêtre à feuillure (tableaux).
À la différence de ces constructions, les gabirottes ne sont pas à proprement parler des constructions en pierres sèches puisque leur maçonnerie fait appel à un mortier. "Elles se rapprochent de ces constructions par leur morphologie et leur recours au procédé de l'encorbellement" (Lassure, in litt.).
Caractéristiques des gabirottes G.2, G.3, G.6, G.7 et G. Ind (?) présentes en 2000-2001 dans la zones d'étude de la Seudre (les G.1, G.3 et G.4 ont disparu).
Caractéristiques des gabirottes G.8, G.9, G.10 et G.11 présentes hors zone d'étude, et d'une cabane du Parc naturel Régional du Luberon ressemblant aux gabirottes. 1 : Présence d'une ouverture à même le sol. 2 : Niche à même le sol. 3 : Mur de base en moellons de petite taille (entre 15 et 25 cm) + voûte composée de moellons plats. 4 : Muret en pierres à proximité. 5 : Absence de pierres de faîtage. 6 : Encadrement de porte refait. 7 : petites ouvertures (20 x 20) avec reposoir, à 175 cm du sol. 8 : Pierre de faîtage taillée. 9 : Présence de trois pierres en appendice du mur interne, à 100 cm du sol. 10 : Inscription sur le linteau "1876" ou "1896". 11 : Pierre de faîtage sculptée en forme de pion de jeu d'échecs. Utilisation Les gabirottes n'ont suscité que très peu de recherches, l'origine et la fonction de ces édifices restent donc soumises à des hypothèses diverses. À l'origine, tout laisse à penser que l'investissement financier nécessité par ces constructions (il a fallu payer des maçons) a été réalisé en vued'une production à usage familial ou commercial que l'on veut pérenne, d'autant qu'elles ont été, rappelons-le, érigées sur une même propriété. Le volume de pierres (plusieurs dizaines de tonnes) exclut l'épierrement comme source principale, ce qui signifie qu'il y a eu extraction, surtout pour les pierres nobles des encadrements, et charroi. On peut lire ou entendre que ces gabirottes étaient utilisées pour ranger le matériel du saunier, ce qui est difficilement imaginable lorsque l'on met en relation la hauteur de ces dernières et la taille de certains outils. D'autres pensent qu'elles servaient d'abris à gabelou d'où serait tiré son nom (Godillot, http://www.cr-poitou-charentes.fr/vivre /actions/palma2k-1.htm). Or ces constructions, qui auraient été des constructions temporaires, "ne présentent aucun élément de confort minimal que l'on serait en droit d'attendre d'abris pour les humains (cheminée, banquette)" (Lassure, in litt.). Les cabanes de gabelous ont bien existé sur ces marais, comme l'atteste le témoignage de R. Brouhard (viva voce), vivant depuis son enfance à Saint-Martin-du-Gua. Elles étaient au nombre de trois, deux en "dur" et une dans le style des premières loges de saunier. Certains guides touristiques du pays Marennes-Oleron et même un étude réalisée localement les appellent saloches, répandant l'idée que ces constructions ont été utilisées pour stocker le sel. Or, lorsque l'on rapproche la quantité de sel produit sur ces marais et la capacité de stockage de ces gabirottes, cette hypothèse s'écroule immanquablement. La saloche a toutefois bien existé. C'est un bâtiment dans lequel a été stocké le sel après 1833, et dont il ne reste aujourd'hui qu'un pan de mur. Ces édifices semblent avoir été conçus pour une toute autre utilisation. En effet, lors de nos recherches, nous avons obtenu le témoignage de R. Brouhard (viva voce), propriétaire des gabirottes G.2 et G.6, qui a connu des poules dans la G.3. La fenêtre à feuillure est en effet caractéristique des abris à volailles, qui leur permet d'entrer et de sortir grâce à une échelle. Ce type d'ouverture a été retrouvé sur des poulaillers des marais de Brouage et sur d'autres, davantage dans les terres. L'idée du poulailler pourrait coïncider avec l'étymologie de gabirotte qui selon C. Lassure (in litt.), n'a rien à voir avec "gabelle" et "gabelou" comme certains le pensent. Il serait à rapprocher du vieux français gabie et de l'occitan gabia signifiant tous les deux "cage".
La localisation éloignée de ces constructions par rapport aux habitations peut, dans un premier temps, aller à l'encontre de cette idée de poulailler. Mais des édifices "homologues, construits au XIXe siècle, existent en Périgord et dans le Haut-Quercy, dans d'anciennes vignes. On les ouvrait le matin et on les fermait le soir. L'investissement que représente leur construction pour l'époque ne se justife que par la perspective d'un rapport économique" (Lassure, in litt.). Les prés-marais présentent les mêmes caractéristiques : les chenaux servaient de barrières naturelles. L'autre point obscur réside dans la petite taille des niches, dont les dimensions moyennes sont de 28 x 28 x 30 cm (H./L./P.). Or, nous ne connaissons rien des espèces de poules anciennes, concernant principalement leur taille. Toutefois, les poules naines, autrefois davantage élevées pour de multiples couvaisons annuelles (environ 12 fois par an contre quatre pour les poules plus grosses actuelles) semblent pouvoir se contenter de ces niches.
Ainsi l'hypothèse qui semble actuellement la plus cohérente est celle de poulaillers où les poules se logeaient dans les cases ou sur un plancher légèrement en hauteur. L'existence d'un plancher est vérifiée pour certaines, par la présence de trous de poutres dans des édifices où la voûte est percée plus haut, ou présentant une fenêtre à deux trous. Dans certains cas, le poulailler pouvait être associé à un pigeonnier (photo ci-contre).
(*) Le présent texte est extrait d'une maîtrise intitulée "Les constructions vernaculaires des marais littoraux de la Charente-Maritime : un élément patrimonial culturel et écologique à prendre en compte et à préserver", soutenue le 18 avril 2002 par l'auteur. Pour imprimer, passer en mode paysage ©
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