HEURS ET MALHEURS DES ÉDIFICES EN PIERRE SÈCHE Haps and mishaps of dry stone edifices Christian Lassure CAPITELLE « ACCIDENTÉE » DANS LE GARD (DÉCEMBRE 2001) Nous avons reçu, de Mme Christiane Chabert, membre-correspondante de l'Association dans le Gard, une série de photos montrant une capitelle « accidentée » en bordure d'une route de l'Uzège. L'arrière de l'édifice a été percuté latéralement par une automobile qui y a creusé un trou. Les pierres du mur arrière forment un énorme tas tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du bâtiment. Les pierres de la voûte à l'arrière ne sont plus déclives, elles se sont affaissées du fait de la rupture des « anneaux ». La capitelle aurait besoin d'être étayé intérieurement pour éviter que le reste du couvrement ne s'effondre. Si l'édifice doit être restauré, il faudra le protéger par la pose d'une glissière de sécurité car il est trop près de la route pour que ce genre d'accident ne se reproduise pas. Mais peut-être vaudrait-il mieux le démonter et le reconstruire plus en retrait pour éviter tout risque à l'avenir.
DÉJÈTEMENT DE L'ANGLE D'UNE CHABANE À SORGES (DORDOGNE) Le déjètement vers l'extérieur d'un des angles de cette cabane périgordine a abouti à l'effondrement d'une partie de la base et du couvrement.
Ces deux photos nous ont été communiquées par M. François Véber. Elles remontent au début des années 1980. ÉBOULEMENT DU REVÊTEMENT D'UNE CABANE DES ALPES-MARITIMES L'éboulement du revêtement de blocs en opus incertum de cette cabane a pour seul intérêt de révéler au grand jour l'extrados de la voûte, d'où saillent une foule de dalles disposées en boutisses.
Ces deux photos nous ont été communiquées par M. Michel Gourdon. Elles remontent au milieu des années 1970.
EFFONDREMENT D'UN PIÉDROIT ET DU
LINTEAU La vue est prise en 1979, au lieu dit Les Vigneaux, sur la route de Clary, à Vals-près-le-Puy (Haute-Loire).
Le piédroit gauche et le linteau (pierres blanches taillées) en s'effondrant ont entraîné l'écroulement de l'avant du couvrement. On voit nettement la voûte encorbellée à l'intérieur, en lauses de basalte, et le parement extérieur, en brèche basaltique.
BOUCHAGE INTEMPESTIF DU VIDE DE
DÉCHARGE
Façade d'un ensemble formé de deux pièces distinctes (abri à gauche et cuve pour le raisin ou les olives à droite) au lieu dit Villeverte à Nîmes (Gard). La pièce de droite a son entrée murée en raison d'une rupture du linteau. L'entrée de gauche a son linteau soulagé par un rectangle de décharge, malencontreusement muré par un visiteur qui ne comprend pas la fonction de ce dispositif (une photo de 1992 laisse voir le vide tel qu'il était à l'origine). La partie sommitale de l'ensemble est dans un état chaotique du fait du piétinement des visiteurs qui escaladent l'édifice par la droite. Sur une photo publiée en 1999, on distingue encore, en haut de la façade, deux ultimes lauses de rive de l'ancienne couverture de lauses.
Cette grande capitelle parallélépipédique, située au lieu dit Pech Méjean à Nîmes (Gard), est surmontée d'un cône arrondi en retrait : il s'agit non pas d'une morphologie particulière mais de l'extrados de la voûte encorbellée intérieure, la couverture de lauses ayant été retirée après l'abandon de l'édifice. La mince dalle qui sert de linteau était à l'origine soulagée par un rectangle de décharge (ainsi que le montre une photo de 1992) : il faut croire qu'une bonne âme, voyant dans ce vide une maladresse du maçon, s'est empressée entretemps de le combler.
BRIS DU LINTEAU EN BOIS
Ce cabanon en pierres sèches, visible sur la commune de Mane (Alpes-de-Haute-Provence), a son linteau en bois qui s'est rompu, entraînant l'éboulement d'une large plage de la couverture de plaquettes calcaires au-dessus de l'entrée. L'emploi de bois pour le linteau et l'arrière-linteau, joint à la gélivité du matériau calcaire, ne laissent pas envisager une très longue durée de vie pour ce type de bâtiment, bien au contraire.
EFFONDREMENT DE LA VOÛTE Lorsqu'une voûte s'est affaissée, elle est en équilibre instable et peut s'effondrer à tout moment. Le mieux à faire, c'est de l'y aider pour ensuite la remonter complètement. Les photos ci-dessous, prises à Saint-Clément-sur-Guye en 2006, en offrent une illustration très parlante.
DÉCHARGE DE FORTUNE D'UN LINTEAU BRISÉ À VILLEVIEILLE (GARD) A voir l'entrée de cette cabane de Villevieille dans le Gard, on serait tenté de croire que le système de décharge n'a pas rempli son rôle puisque le linteau s'est brisé en deux parties, dont celle de gauche s'est légèrement affaissée avant de se bloquer contre celle de droite. A y regarder de plus près, une autre explication vient à l'esprit : le linteau se serait brisé en premier et le « système de décharge », à la facture plutôt malhabile, ne serait en fait qu'une trouée pratiquée dans l'urgence par le propriétaire pour sauverson édifice. D'ailleurs, si on lève les yeux, on ne manque pas d'être frappé par l'énorme masse de pierres à l'aplomb de l'entrée. On distingue même une surélévation faite de grosses dalles qui tranchent avec le matériau inférieur. Se pourrait-il que la rupture du linteau soit consécutive à cette malencontreuse surélévation ?
PERCEMENT DE BAIES DANS UN NEF GORDOISE Cette photo, trouvée sur le site www.sciascia-maçonnerie.com, nous a laissé abasourdi.
Voilà une grande carène, du type de celles de Gordes dans le Vaucluse, « restaurée » et « rehaussée » afin de servir de logement. Résultats des travaux, notre ancien grangeon – car c'en est un et rien de plus – a vu un de ses longs côtés percé de trois hautes baies, à usage de portes, qui brisent l'uniformité et le développement de cette vaste face convexe et donnent à la bâtisse l'aspect d'un gros mastodonte éléphantesque. Les ultimes assises de cette face trahissent, par leur absence de pâtine naturelle, le surhaussement. Il ne manque plus que des hublots entre les baies et des velux dans la moitié supérieure ! On n'ose imaginer les transformations faites intérieurement. Restaurer, c'est remettre un bien en l'état où il se trouvait avant sa dégradation. Ce n'est certainement pas ce qui s'est passé ici. On se prend à penser qu'il aurait mieux valu laisser ce bâtiment en ruines que d'en prolonger l'existence sous cette forme indigne. Bien sûr, l'artisan qui a effectué cette transformation, n'y est pour rien, il n'a fait qu'exécuter la commande qui lui avait été passée par le maître d'ouvrage. Il a certainement fait les choses du mieux qu'il pouvait, mais le résultat ne pouvait être qu'une défiguration du bâtiment. TRANSFORMATION EN FABRIQUE ARCHITECTURALE DES «CABANES DU BREUIL» À SAINT-ANDRÉ-D'ALLAS ( DORDOGNE) Qui n'a pas entendu parler des « Cabanes du Breuil » (1), cette fabrique architecturale située au lieu dit Calpalmas à Saint-André d'Allas (Dordogne) et proposée à la contemplation des touristes par les officines touristiques du Périgord ? Sait-on que ces belles toitures de lauses ont fait l'objet, depuis quatre décennies, de diverses restaurations qui, tout en prolongeant la durée de vie des bâtiments, leur ont donné un aspect bien propre, bien « léché » qu'ils n'ont pas toujours eu. Qu'est-ce qui permet de dire cela ? Tout simplement la comparaison avec des cartes postales ou des photos du début des années 1970.
Rappelons que le site visitable se décompose en quatre groupes de cabanes :
Sur une photo de 1971 montrant le groupe 2 depuis
l'aval, on distingue deux cabanes dont les bases sont accolées mais dont les
toitures coniques sont indépendantes (la toiture de gauche est d'ailleurs
délestée d'une partie de ses lauses à partir du coyau).
Si l'on se tourne vers une photo du même groupe prise en 2007, mais depuis l'amont, on s'aperçoit que les deux cônes de toiture sont harmonieusement soudés l'un à l'autre sur les deux tiers de leur hauteur, avec une sorte de faîtage concave de grandes dalles coiffant la jointure entre les deux; de plus, la toiture de la cabane qui était abîmée en 1971, est à présent impeccable. Cette jointure – qui n'est pas sans évoquer l'excroissance de peau entre deux doigts d'une main palmée – est en tous points identique à celles qui existent déjà entre les trois premières toitures du groupe 1 de l'autre côté de la venelle. Restaurer, c'est au sens propre remettre en l'état initial. Ici, on est allé plus loin, on a manifestement voulu créer le pendant symétrique du groupe 1 pour faire plus vrai que nature, mais ce faisant on a dénaturé le monument historique – car les cabanes sont classées – et l'on a privé le visiteur d'un élément d'information important sur l'aspect originel de ces deux cabanes.
Si l'on se tourne maintenant vers une autre carte
postale de la fin des années 1960 ou du début des années 1970 montrant la
triple toiture du groupe 1, on remarque, à l'arrière et au-dessus du dernier
cône de lauses, le faîtage de la première des deux cabanes disposées en équerre.
Ce faîtage, qui suit une ligne convexe puis concave en se rapprochant de la
maison d'habitation, devient curieusement rectiligne sur les photos actuelles
et vient buter contre le pignon d'un bâtiment à bâtière de lauses édifié contre
le pignon de la maison. On est en droit de se demander quelle raison peut bien
expliquer l'abandon de la courbe et contrecourbe pour un faîtage rectiligne ?
Comme il n'existe aucun historique des réfections subies par les bâtiments du site
– ni d'ailleurs aucun relevé architectural –, on en est réduit à des conjectures.
Mais il y a mieux. Si l'on compare le cône de toiture le plus en avant du groupe 1 visible sur la carte postale du tournant des années 1970 avec la même toiture en 2007, un détail retient l'attention : le petit houteau placé dans l'axe longitudinal du bâtiment n'existait pas auparavant. Là encore, aucune explication n'est disponible quant au pourquoi de cette interpolation.
Ajout ici, retrait là, pourrait-on dire quand on
constate que sur une photo du groupe 2 prise dans les années 1970, un réduit
ouvert est bâti à la jonction des deux cabanes côté aval. Aujourd'hui, ce
déchargeoir ou bac a disparu alors qu'il devait avoir très certainement un
rapport avec l'usage qui était fait de la cabane à sa gauche. Mais peut-être
a-t-on jugé que cette disgrâcieuse excroissance utilitaire déparait trop le
charme de ces lieux dont l'exploitant actuel fait remonter l'origine au moins
à l'époque des cathédrales gothiques... (2).
(1) Comme le Breuil est un hameau qui se trouve à 500 m de là, l'appellation authentique devrait être non pas « Cabanes du Breuil » mais « Cabanes de Calpalmas », ce dernier terme étant, dans les deux cadastres, le nom donné au lieu-dit. (2) « Au Moyen Age, les cabanes du Breuil étaient habitées par les Bénédictins de Sarlat », affirme avec un bel aplomb et sans aucune preuve le propriétaire des lieux. Sur les « Cabanes du Breuil » : CIMENTAGE D'UNE NEF GORDOISE À SAUMANE-DE-VAUCLUSE (VAUCLUSE) Le cimentage de lauses est l'arme ultime dans la lutte contre les toitures qui fuient. On rencontre, ici et là, des cabanes dont le couvrement a été enduit d'une couche de ciment lorsqu'elles étaient encore en activité mais il semble que le but recherché pouvait être non pas tant la suppression de « gouttières » que la confection d'une surface de collecte de l'eau de pluie. La pratique du cimentage de cabanes en pierre sèche n'est pas morte apparemment comme le prouve cette photo prise en 2010 par Roger Chenard à Saumane de Vaucluse, en bordure d'un sentier de randonnée au nord du château. Une grande cabane du type « nef gordoise », fraîchement enduite d'une couche de ciment, en particulier sur son pignon, se distingue à travers le feuillage. On peut penser que la raison de cette métamorphose est la transformation de la cabane en logement ou en pièce utilitaire pour la maison au toit de tuiles.
Cette « nef gordoise » rejoint, dans la série des cimentages modernes, la grande cabane révolutionnaire du lieu-dit Les Garrigues à Rognes (Bouches-du-Rhône). Pour imprimer, passer
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