IDÉES FAUSSES SUR LES MURS ET CABANES EN PIERRE SÈCHE Crotchety notions about dry stone walls and huts Christian Lassure
Pour bâtir, il faut parfois démolir. C'est que nous faisons ici en faisant table rase de certaines idées toutes faites concernant les petites constructions rurales en pierres sèche. 1/ « Une maçonnerie en pierre sèche est solide et résistante et peut, de ce fait, traverser les siècles ». L'absence de liant dans une maçonnerie de pierre sèche, même bien faite, nuit à sa cohésion et à sa solidité. Une maçonnerie de pierre sèche n'est pas une maçonnerie au mortier romain et il est illusoire de croire qu'elle ait pu traverser 2000 ans d'histoire (à moins d'avoir été enterrée et de ce fait protégée).
L'observation sur le terrain ces dernières décennies montre que les constructions en pierre sèche sont en fait très fragiles et que, partout en France, elles évoluent vers la ruine lorsqu'elles ne sont plus entretenues.
L'inscription « Nous passerons, ces pierres resteront », trouvée par André Cablat dans une cabane en pierre sèche du Larzac, participe de cette illusion, trop fréquemment rencontrée, d'une extraordinaire longévité de la pierre sèche. Ironiquement, avec le développement du tourisme rural et la multiplication des sentiers de la pierre sèche, c'est plutôt la devise « Nous passerons, ces pierres trépasseront » qui s'impose. 2/ « Les interstices entre les pierres sèches formant la maçonnerie d'une cabane suffisent à assurer le tirage d'un foyer » Si cela était le cas, pourquoi tel bâtisseur lotois de cabanes en pierre sèche aurait-il pris la peine de ménager une véritable cheminée avec conduit intégré dans la muraille, ou encore pourquoi le constructeur berrichon des cabanes du lieu dit Marigny à Châteauneuf-sur-Cher aurait-il systématiquement terminé leur voûtement par un conduit débouchant sur l'extérieur et simplement protégé par une dalle sur billettes ? Seuls des chasseurs ou des promeneurs du dimanche font du feu dans des cabanes non prévues à cet effet, et encore en découronnent-ils le sommet pour permettre à la fumée de s'évacuer ... 3/ « Un pierrier – cayrou, murger, clapas, tarter, etc. – a pour origine une cabane ruinée, au dedans et autour de laquelle ont été déposées ou jetées les pierres tirées du champ ». Si le cas peut se présenter, il est davantage l'exception que la règle. Les tas d'épierrement ne sont généralement rien d'autre que ce que désigne cette expression : des tas d'épierrement.
Au mieux ils servent de réserve de pierres au cultivateur pour la construction et la restauration de son enclos ou de son abri. La pierre tirée du champ est mise à sécher et à durcir sur le pierrier. Elle ne servira que si elle résiste à une année d'exposition à l'air et aux intempéries et en tout cas aux alternances de gel et de dégel de l'hiver. 4/ « Certaines cabanes de pierre sèche ont fait office de poste de surveillance». Une cabane avec son entrée de taille réduite est certainement moins indiquée pour la surveillance des alentours que le sommet dégagé d'une tour ou d'un pierrier parementé. Depuis l'intérieur de l'édifice le champ de vision est obligatoirement des plus réduits. Tout ce que peut faire un guetteur avec une cabane, c'est s'y abriter ou s'y reposer.
Par contre, il est avéré que des cabanes dotées de fenestrons aux parois ébrasées vers l'extérieur sont (entre autres) d'anciens postes d'affût pour la chasse aux grives et aux sangliers. 5/ « Les niches des cabanes servaient de réceptacle à une lampe ». En fait, la lampe était simplement suspendue à un bâton fiché dans la muraille. Depuis l'intérieur d'une niche, une lampe n'aurait guère éclairé la pièce. Source : François Poujardieu, Les cabanes en pierres sèches du Périgord Noir, 1999, manuscrit, p. 10. 6/ « Les cabanes situées sur le terroir d'un village ou d'une commune ont été construites et utilisées par les habitants du village ou de cette commune ». Cela n'est pas systématiquement vrai. Les cabanes et les parcelles qui les portaient pouvaient appartenir à des habitants d'une autre commune, à des « forains », venant donc de loin, et à qui un bâtiment à usage d'abri ou de resserre était indispensable.
Un tel état de choses a été mis en évidence par Daniel Thiery pour les bastidons des quartiers du Ferrier et du Doublier à Saint-Vallier-de-Thiey dans les Alpes-Maritimes. D'après le cadastre de 1817, les propriétaires des terres étaient pour 78 d'entre eux des gens du village voisin de Magagnosc et pour 8 seulement des résidents de Saint-Vallier. Pour gagner leurs labours, c'est-à-dire des terres à céréales, ces propriétaires, ou ménagers, devaient grimper par des chemins muletiers, de 400 m d'altitude à 1000-1300 m, et parcourir des distances, à vol d'oiseau, de 8 à 15 km. Il est difficile, pour ces raisons, d'imaginer un aller-retour dans la journée, en particulier lors des gros travaux - épierrement, labourage, hersage, moisson, battage des gerbes sur l'aire - où il fallait passer plusieurs jours sur place, après avoir apporté outils et provisions. En fait, toute la famille, avec le mulet, devait monter de Magagnosc et s'installer dans le bastidon, généralement doté d'une citerne d'eau recueillie par ruissellement sur le sol ou provenant d'une toiture de tuiles. Quand on sait que pour un hectare, à l'époque, la moisson et le battage exigeaient 12 jours de travail, on comprend l'utilité de ces bastidons.
Ce lien crucial entre étrangers à la commune et habitat temporaire avait déjà été mis en lumière, mais à un niveau un peu plus élevé de la hiérarchie architecturale – la maisonnette de vigne – et pour une autre région – le bas Limousin –, par Dominique Lestani. À Voutezac, en Corrèze, au XIXe siècle, les maisonnettes appartenaient aux montanhiers, en l'occurrence des gens qui habitaient Orgnac ou ailleurs, dans un rayon de 10 km, et qui avaient leur vigne à Voutezac. Quand ces montanhiers passaient la journée dans leur parcelle, la maisonnette constituait leur pied à terre. Ils pouvaient, en cas de mauvais temps, s'y réfugier, ou, par temps de grosse chaleur, y faire la sieste, car pour venir d'Orgnac il fallait se lever de bonne heure. Ils y entreposaient des outils et récupéraient l'eau de pluie dans une citerne alimentée par la toiture pour les traitements.
Sources :
- Daniel Thiery, Pierre sèche et milieu rural dans les montagnes de l'arrière-pays de Grasse (Alpes-Maritimes), dans (sous la direction de Christian Lassure), L'art de la pierre sèche en Languedoc et en Provence : des bâtisseurs de l'Age d'or (XVIIIe-XIXe siècles) aux restaurateurs modernes, Actes de la journée d'étude de Blauzac (Gard) du 27 septembre 1997, L'architecture vernaculaire, t. 23 (1999), pp. 59-72.
- Dominique Lestani, Les cabanes de vigne en bas Limousin, dans Périgord Magazine, no 293, avril 1991, pp. 2-7. 7/ Mythes et légendes sur les trulli des Pouilles (Italie) On peut lire, dans une certaine littérature touristique ou immobilière sur les trulli, des affirmations dont la fausseté le dispute au ridicule. Ainsi, à l'intérieur d'un trullo, du fait de la seule épaisseur des murs, on ne souffrirait ni de la chaleur en été, ni du froid en hiver. L'été, si l'intérieur reste frais dans la journée, par contre le soir les pierres chauffées restituent la chaleur accumulée dans la journée dès que la température extérieure est moindre que la température intérieure, et l'on étouffe faute de ventilation ; en hiver, les murs restent froids et condensent l'humidité issue de la respiration humaine et des activités culinaires, si bien qu'on doit laisser la porte ouverte pour assécher l'intérieur. De même, les trulli seraient antisismiques. Cette affirmation n'est pas recevable en l'absence de documents relatant les dégâts causés à des trulli par des séismes dans le passé. On dispose par contre de constatations faites en France sur l’état de conservation de certaines cabanes provençales, touchées par plusieurs séismes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Ainsi, le tremblement de terre du 11 juin 1909, d’une magnitude 6 et à l’épicentre situé à l’ancien volcan de Beaulieu près de Rognes (Bouches-du-Rhône), est la cause des « ruines ainsi que des dômes tronqués de certaines bories » (*). De même, les grandes cabanes qui forment aujourd’hui le pseudo « village des bories » à Gordes en Vaucluse, avaient été dégradées par ce même tremblement de 1909 mais aussi par celui, antérieur, de 1886 qui avait détruit une partie du village proprement dit (**). Les plus vieux trulli, antérieurs au XVIIe siècle, seraient ceux qui sont en forme de cône de la base au sommet. Ils auraient précédé ceux dont le cône repose sur une base cylindrique. Là encore, il s'agit d'une fable d'autant plus que cette morphologie particulière n'existe pas dans la réalité. De fait, l'obliquité des murs se prête mal à l'aménagement de baies et à la pose de huisseries. Une légende historique veut qu'en cas d'inspection de son fief par des envoyés du roi de Naples, le comte de Conversano faisait démolir les trulli illégaux en faisant attacher une corde autour de leur pinacle et en faisant tirer sur la corde par un cheval ; en tombant, le pinacle entraînait le reste de la construction. Las, le pinacle est non pas une clé de voûte mais un simple lest posé sur la dalle coiffant le couvrement. On peut enlever le pinacle, la voûte et sa couverture de lauses ne bougent pas d'un pouce. D'ailleurs, il n'existe aucun document officiel corroborant l'existence d'une telle pratique. Sources :
* Louis Mille, Les bories des terroirs d’Aix et Salon-de-Provence, l’auteur, 1993, 27 p., en part. p. 21.
* Pierre Viala, Histoire d’une restauration : le « village des bories » de Gordes (Vaucluse), dans L’architecture rurale en pierre sèche, tome 1, 1977, pp. 151-153. Citation : « Deux tremblements de terre ont ébranlé le site, en 1880 [lire 1886] et en 1909. Sans doute faut-il leur imputer des linteaux cassés, des lézardes et quelques tassements ». Liste non exhaustive Pour imprimer, passer en format paysage
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