LES BONNES PRATIQUES DE LA MAÇONNERIE SÈCHE The best practices of dry stone walling Christian Lassure En maçonnerie à pierre sèche, un poncif que certaines officines méridionales cherchent à répandre est l'idée que l'on a affaire à un savoir-faire « ancestral », voire « immémorial », deux qualificatifs bien creux qui tendent à remplacer un autre adjectif, désormais galvaudé après quatre décennies d'usage et d'usure, celui de « traditionnel ». On peut se demander par quel miracle ce prétendu « savoir-faire ancestral ou immémorial » est parvenu jusqu'à nous alors que l'art de la construction à sec, dont le déclin s'était amorcé vers 1880, s'est éteint dans notre pays après la première guerre mondiale, il y a près d'un siècle. Quand le grand ethnologue provençal Pierre Martel abandonna la construction de son premier « cabanon pointu » à Bonnechère (Alpes-de-Haute-Provence) en novembre 1967, il eut ces paroles terribles mais révélatrices : « J'ai renoncé à le terminer car il n'aurait pas tenu. C'est à ce moment précis que j'ai compris pourquoi plus personne n'en faisait : les techniques avaient été perdues » (1).
Si aujourd'hui, les techniques se répandent à nouveau, c'est d'abord parce qu'elles ont été retrouvées par des passionnés comme Pierre Martel, à partir des années 1970, grâce non seulement à des tentatives de construction ou de restauration mais aussi à l'observation minutieuse des vestiges, sans oublier, en ce qui concerne l'auteur de ces lignes, la lecture de manuels en anglais parus à cette même époque en Grande-Bretagne et aux États-Unis (car il est vrai qu'à la différence de la France, l'Angleterre avait su conserver, vivantes, les techniques de ce qu'on appelle outre Manche « dry stone walling ») (2).
Si l'art de la pierre sèche revit aujourd'hui, l'honnêteté commande de reconnaître les artisans de cette renaissance et non de taire leur mérite en invoquant une transmission venant du fond des âges ou de la nuit des temps et autres balivernes. Les règles de l'art, telles que nous les connaissons aujourd'hui, ne viennent donc pas de la préhistoire, elles sont le fruit des tâtonnements et des observations des trente dernières années. Profitons de cette mise au point pour rappeler (succinctement) ici ces règles d'or ou « bonnes pratiques » comme l'on dit aujourd'hui dans un français mâtiné d'américanismes.
Lorsque le socle rocheux affleure, il doit être dégagé et assaini avant de commencer la construction du mur. Lorsque le sol est de terre ou de cailloutis et de ce fait sujet à des mouvements (gel et dégel, sol détrempé), il faut y creuser une tranchée de fondation profonde et large où poser plusieurs lits de blocs noyés dans du ciment, solution adoptée, sous le nom de « béton cyclopéen », par Jean-Marie Barre, constructeur d'une capitelle héraultaise.
Cette solution ne peut manquer de heurter le puriste mais elle est préférable pour les murs porteurs d'édifices pesant plusieurs dizaines de tonnes.
Les pierres litées ou stratifiées (comme le calcaire et le schiste) seront posées dans le sens du lit de carrière ou des joints de stratification pour éviter qu’elles ne se fissurent, voire se désagrègent, sous le poids de la maçonnerie supérieure. La pose en délit n’est acceptable qu’avec un matériau homogène, compact et dur.
Pour qu’une pierre ait le plus de points de contact possibles avec la pierre inférieure, elle doit être posée sur sa face la plus plate, son dessous.
Un mur est soumis à des forces de déjètement. Pour les contrecarrer, on donnera à chaque parement un fruit ou décalage entre sa base et son faîte. Autrement dit, les parements doivent être obliques et non pas verticaux.
Dans le cas d’un mur de soutènement de terrasse ou d’un mur de retenue de pierrier, cette règle ne concerne évidemment que le seul parement existant.
Avec un matériau autorisant la pose selon le lit de carrière, on édifiera des assises horizontales, de préférence réglées (où les pierres ont la même épaisseur à l’intérieur de l’assise). Le tri des pierres, leur classement par ordre d’épaisseur s’impose au préalable.
Qu’elles soient assisées ou non, les pierres doivent être posées de façon à ce qu’il n’y ait pas deux séparations à l’aplomb l’une de l’autre. Autrement dit, les joints verticaux seront croisés ou, comme on dit également, décalés ou découpés.
Si l’on déroge à cette règle du plein sur joint, on rique de se retrouver avec un « coup de sabre » pouvant provoquer un désordre.
Si l’on multiplie les « coups de sabre », le résultat est un parement en « piles d’assiettes », dépourvu de toute solidité.
Pour éviter l’apparition de renflements dans les parements, il faut lier les pierres d’un parement aux pierres de calage de l’entre-deux du mur, sinon aux pierres de l’autre parement. Cela implique de les disposer en boutisses, c’est-à-dire avec leur plus petit côté ou bout en parement et leur plus grande dimension dans le sens de l’épaisseur du mur.
Leur pose dans le sens de la longueur du mur, ou pose en panneresses, peu propice au liaisonnement, est à éviter.
Pour solidariser deux parements opposés, le moyen le plus sûr est de placer, à intervalles réguliers dans une même assise, des boutisses faisant toute l’épaisseur du mur (on parle alors de boutisses parpaignes).
Une fois posée, chaque pierre doit être calée de façon à ne pas bouger d’un pouce dans aucune des six directions perpendiculaires aux faces d’un moellon parallélépipédique.
Pour ce calage, dit de pose, on évitera les petites pierres friables susceptibles de s’écraser sous le poids de la maçonnerie.
Bourrer l’entre-deux du mur avec de la mitraille (ou menue pierraille), est fortement déconseillé : celle-ci ne manquera pas en effet de glisser vers le bas avec le temps. Il est donc préférable de combler chaque vide avec de petites pierres qui en épouseront la forme. On évitera cependant les pierres en forme de coin ou de bille, lesquelles risquent de pousser sur les pierres adjacentes.
L’introduction, à coups de massette, de cales dans les interstices des parements lorsque ces derniers sont déjà montés, est à proscrire. Ces cales de parement, censées donner l’impression d’un mur bien fait, risquent en effet de se déchausser et d’être éjectées par la suite.
Les pierres d’un mur doivent toujours être disposées de façon à laisser le moins d’espace entre elles, autrement dit il faut réduire les joints le plus possible. Pour ce faire, il faut généralement retoucher ave un outil de taille les faces de retour des pierres. On parle alors de « maçonnerie à joints vifs ».
Pour renforcer la solidité des dernières assises du mur, il est conseillé d’y employer des blocs plus lourds et plus allongés si l’on n’a pas prévu de couronnement.
NOTES (1) Charles Ewald, À construire vous-même : le « cabanon » romain, dans La revue des bricoleurs. Bricole et brocante, septembre 1973. (2) Pour la Grande-Bretagne : Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure page d'accueil sommaire maçonnerie
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