VOÛTEMENT, REVÊTEMENT ET REMPLISSAGE
DANS LA CONSTRUCTION PAR ENCORBELLEMENT

Prof. Borut Juvanec (*)

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L'été dernier, je suis allé du côté de Tomelloso, dans le centre de l'Espagne, pour étudier les bombos, ces curieuses cabanes de pierre sèche qui parsèment le vignoble local. La vue de ces impressionnants édifices a changé du tout au tout ma perception de la structure des couvrements en pierre sèche. Prenant un premier tas de pierres pour un abri, je dus déchanter : ce n'était qu'un pierrier. Apercevant un deuxième amas de pierres, ressemblant au précédent, je m'aperçus que c'était en fait une cabane. Je ne savais plus quoi penser.

Dans le vignoble de Tomelloso en Espagne :

ce qui, malgré des airs d'abri en pierre sèche, n'est qu'un pierrier

Ce qui ressemble à un pierrier mais est en fait l'arrière d'un bombo

Ma perception de la construction par encorbellement

Premier point : La maçonnerie à pierres sèches (ou sans mortier) se rencontre dans des zones où la pierre est abondante en surface et où les champs doivent être épierrés.

Deuxième point : L'encorbellement est un procédé constructif où une pierre, reposant sur une autre, s'avance par rapport à cette dernière en respectant son centre de gravité propre. Cette règle n'est valable que pour deux pierres. Une troisième pierre ne devra pas dépasser hors du centre de gravité commun aux trois pierres. Si le plan au sol est un petit cercle, ou si un contrepoids est appliqué sur l'arrière du corbeau, la structure tient debout. En plus de faire office de contrepoids, la pierre posée sur l'arrière du corbeau sert d'isolant contre les éléments extérieurs. Alors que sur les toits des maisons, la pierre sert normalement de matériau de couverture, dans les abris de pierre sèche les trois fonctions coexistent (contrepoids, isolation et toiture).

Troisième point : La construction par encorbellement fait intervenir trois composants. Le premier est la voûte encorbellée proprement dite, en théorie de plan circulaire. Le deuxième est le parement extérieur ou revêtement, fait de grosses pierres. Le troisième enfin est le remplissage disposé entre les deux « peaux » (encorbellement et revêtement) ou jeté sur la toiture. Ce remplissage est constitué par des chutes de taille ou du cailloutis. Il n'est possible que dans les zones peu pluvieuses.

La construction par encorbellement au plan théorique

Elle met en jeu deux « peaux » : le voûtement et le revêtement.

Bien que circulaire au sommet, la voûte encorbellée ne l'est pas nécessairement à sa naissance (cela dépend de l'usage qu'on en fait). L'angle de pente dans les voûtes encorbellées est en moyenne de 60 degrés, ce qui signifie que la hauteur de la voûte est égale à la racine carrée de trois par deux si le diamètre de la base est égal à 1.

Le revêtement peut « coller » à l'encorbellement, ou être vertical dans les murs de base. Il joue le rôle de parement extérieur ainsi que celui de matériau de couverture. 

La construction par encorbellement dans la réalité

1 - Trullo près d'Alberobello, Pouilles (Italie)

Un trullo, près d'Alberobello en Italie

Voûte encorbellée et revêtement se rencontrent, étroitement imbriqués, dans le toit du trullo. Le toit est de pierres plates, intérieurement comme extérieurement. Le revêtement épouse l'intrados de la voûte. Le toit est limité à deux composants, conformément à la théorie de l'encorbellement.

2 - Pagliaddiu à Santu Pietru, Corse (France)

Un  pagliaddiu à Santu Pietru en Corse (France)

Dans le pagliaddiucorse, l'encorbellement s'amorce à la hauteur de l'épaule d'un homme, au-dessus du mur vertical. Le revêtement est vertical jusqu'aux rives du toit, lequel est recouvert de grosses dalles jusqu'au sommet. Autre possibilité, le toît peut être couvert de terre et d'herbe. Au lieu d'être parallèle à l'intrados de la voûte encorbellée, le revêtement s'en éloigne.

3 - Girna de la vallée de Mistra sur l'île de Malte

Girna de la vallée de Mistra sur l'ïle de Malte

La girna classique possède une voûte encorbellée parfaite et un revêtement presque vertical, de la hauteur d'un homme levant le bras (soit env. 2,20 m). C'est aussi la hauteur de la pièce intérieure couverte d'une grosse dalle. Le toit est de la pierraille jetée par dessus le voûtement, avec quelques pierres empilées tout au sommet. Du matériau de remplissage se trouve également entre encorbellement et revêtement.

4 - Bombo près de Tomelloso (Central Spain)

Une bâtisse des plus intéressantes : un bombo près de Tomelloso (Espagne centrale)

La structure interne du bombo est la suivante :  

1/ à l'intérieur, une voûte encorbellée classique, au-dessus de murs verticaux enduits de chaux jusqu'à hauteur d'épaule (pour le séjour des humains) ou de terre argileuse (pour la stabulation) ; 

2/ à l'extérieur, un revêtement de pierre faisant le tour de l'édifice ;

3/ entre les deux, un remplissage de cailloutis.

Le profil extérieur du bombo entre le mur de base et le sommet, est délimité par la pente suivie. Le bombo est hérissé d'autant de monticules qu'il comporte de cellules. Le matériau de remplissage peut représenter de 10 à 20 fois la quantité de matériau employée dans la voûte elle-même.

Le sommet du bombo est parfois orné d'une pierre fichée, parfois recouvert d'un badigeon blanc. 

Celui-ci se rencontre également sur l'encadrement de l'entrée, sur les murs périphériques, voire sur le cailloutis lui-même (signe que l'édifice est encore en usage).

Conclusions

Dans la construction par encorbellement, trois éléments entrent en jeu : le voûtement proprement dit, le revêtement et le remplissage.

construction = voûtement - frame = revêtement - filler = remplissage

Le voûtement est principalement en pierres plates, taillée, dégrossies ou brutes.

Le revêtement, qui joue également le rôle de contrepoids, est en gros blocs dans la partie inférieure et en pierres plates dans la partie supérieure.

Le remplissage de débris de pierres ou de cailloutis occupe l'intervalle entre voûte et revêtement et, dans certains cas, recouvre le dessus, lequel peut être couronné par quelques pierres.

La technique des deux « peaux » (employée conjointement avec des pierres taillées) se rencontre dans les trulli de l'Italie méridionale ainsi que dans les crots suisses (1). 

Lorsque le revêtement n'épouse pas l'extrados, il y a place pour un remplissage de petites pierres ou de cailloutis comme dans les pagliaddius ou paillers de Corse en France (2).

Les giren de Malte et certains trulli des Pouilles ont le toit couvert de cailloutis (3).

L'épaisse paroi du bombo laisse un ample espace au remplissage de cailloutis entre voûte encorbellée et revêtement. Alors que dans les trois premiers cas, c'est le revêtement  qui détermine le profil de la cabane, dans le bombo par contre, l'aspect est celui d'un tas de pierres (4).

Le dernier stade de l'évolution des cabanes en pierres sèches est atteint.

BIBLIOGRAPHIE

Egenter, Nold, Architectural Anthropology,  Structura Mundi, Lausanne, 1992

Fsadni, Michael., Girna, Dominican Publication, Malta, 1992

Geist, Henri, Groupes de structures en pierre sèche, ARCHEAM, 2, Nice, 1995

Juvanec, Borut, Shelters in Stone, research, Ljubljana University, Ljubljana, 2001

Juvanec, Borut, Six Thousand Years of Corbelling, UNESCO Congress, Paris, 2001

Juvanec, Borut, Dry Stone Story, short version, Ljubljana University, Ljubljana, 2002

Juvanec, Borut, Arquitectura en piedra seca, Universidad Politecnica, Valencia, 2002

Lassure, Christian, Eléments pour servir à la datation des édifices en pierre sèche, ERAV, 5, CERAV, Paris, 1985

Pedrero Torres, J., Inventario de los bombos del término municipal de Tomelloso, Ediciones Soubriet, Tomelloso, 1999

Rohlfs, G., Primitive costruzioni a cupola, Olschi Editori, Firenze, 1963

Tiret, André, Stabilité des coupoles en pierre sèche, ARCHEAM, 7, Nice, 2000

Zaccaria, Carlo A., ed., Architettura in pietra a secco, Schena Editore, Fasano, 1990

Zaragoza Catalan, A.., Arquitectura Rrural primitiva en seca, Colleccio Politecnica, 10, Valencia, 2000

 

(*) Borut Juvanec, Faculté d'architecture, Université de Ljubljana, Zoisova 12 - 61000 Ljubljana, Slovénie (courriel : borut.juvanec[at]fac.uni-lj.si)


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© CERAV
Le 2 mars 2003

Référence à citer :

Borut Juvanec (Prof.)
Voûtement, revêtement et remplissage dans la construction par encorbellement
http://www.pierreseche.com/los_bombos_francais.htm
2 mars 2003

 

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