UNE NOUVELLE MÉTHODE DE RESTITUTION DES CONSTRUCTIONS CIRCULAIRES A new method for reconstructing circular huts of the Chalcolithic period: Christian Lassure (*) En 1982, lors du colloque de Viols-le-Fort sur "l'évolution des techniques de la construction à sec dans l'habitat en Languedoc du néolithique à la période contemporaine" (1), nous avions été mi consterné, mi amusé d'entendre les spécialistes du site chalcolithique de Boussargues à Argelliers dans l'Hérault, user de la circonlocution "habitat ceinturé" pour éviter de parler de "village fortifié", et de recourir à l'anachronisme "capitelle" pour éviter de parler de "tour". Deux décennies plus tard, les tenants de ces fadaises pastorales n'ont rien perdu de leur superbe ainsi qu'on peut le constater à la lecture de deux articles récemment parus. Dans un premier article (La pierre dans la vie des hommes à la Préhistoire récente, dans Actes des journées de la pierre sèche de Marguerittes (Gard) des 19 et 20 novembre 1999, ASERPUR, mai 2000, 112 p., pp. 50-58), Jacques Coularou, ingénieur au CNRS, affirme sans sourciller, à propos des substructions circulaires de Boussargues, que "les différentes notes prises sur le terrain ainsi que les coupes et les mensurations des pierres ont permis de conclure que ces structures circulaires de 4,50 m de diamètre extérieur pouvaient être considérées comme des capitelles". Voilà une méthode de déduction scientifique qui jusqu'ici nous avait échappé : avant M. Coularou, nous étions persuadé que pour conclure à l'existence d'une voûte en pierre (c'est ce que le mot "capitelle" implique) sur une structure d'habitation, il fallait se trouver en présence d'une masse de pierres de plusieurs dizaines de tonnes. L'auteur de l'article sait-il que la "capitelle" édifiée en 1991 sur un rond-point à Marguerittes dans le Gard par l'entrepreneur en maçonnerie sèche Maurice Roustan a nécessité trente tonnes de pierres, extraites de carrière, avec des moyens modernes ? Sait-il que la masse d'une belle "capitelle" de 1834 située à Villevielle (Gard) est estimée à 138 tonnes par l'ingénieur des Arts et métiers Jean Gautier-Pardé ? Il est permis d'en douter. M. Coularou est indubitablement de ceux qui pensent ou affectent de penser que les pierres poussent toutes seules, qu'il suffit de se baisser pour les ramasser, et qu'avec quelques centaines de lauses fines trouvées dans un comblement on peut restituer une voûte autoclavée sur une base circulaire de 4,50 m de diamètre extérieur. Si les structures circulaires de Boussargues sont des "capitelles" effondrées, comment se fait-il que leur restaurateur attitré n'ait pas à ce jour remonté le moindre édifice à partir des seules lauses récupérées à l'intérieur? En fait, il semblerait que M. Coularou ait mis au point une nouvelle méthode de restitution des constructions circulaires chalcolithiques : il s'agit de ce qu'on pourrait appeler la mémoire de la pierre. Il suffit d'examiner "les coupes et les mensurations des pierres" pour que ces dernières révèlent si elles ont fait partie ou non d'un voûtement en pierres sèches. Au cas où le doute habiterait encore le lecteur, l'auteur assène une preuve infaillible : la photo d'une maquette du village chalcolithique où l'on aperçoit deux "capitelles" flanquant une enceinte. La mémoire des pierres de Boussargues est si peu diluée qu'elle permet de constater que les dites "capitelles" languedociennes, avec leur corps cylindrique surmontée d'une toiture conique de lauses à larmier débordant, pourraient en fait tout aussi bien s'appeler caselles lotoises ou cabanons pointus provençaux. (Encore que, dans une restitution grandeur nature d'une "structure ronde" faite à côté du site archéologique par M. Roustan en 1997 (2), le larmier de lauses saillantes à la base de la toiture ait curieusement disparu ...). Dans un deuxième article (J. Guilaine, J. Coularou, G. Escalon, I. Carrère, J.-C. Roux, Village de pierre préhistorique, dans L'archéologue, No 46, février-mars 2000, pp. 29-31), les auteurs présentent le site du Rocher du Causse à 30 km au nord de Montpellier, longue courtine rectiligne flanquée de sept tours circulaires, barrant un éperon rocheux, comme étant "une localité à infrastructures de pierre sèche qui comporte des unités circulaires à toiture de lauses similaires à certaines architectures historiques, bories de Provence ou capitelles du Languedoc". Ici encore, l'interprétation défensive répugne tellement aux auteurs qu'ils osent des périphrasees alambiquées telles que "encerclé de mur" (plutôt que "fortifié" ou "défensif") ou "unité circulaire" (plutôt que "tour"). Engoncés dans leur douce rêverie de communautés chalcolithiques hippies avant l'heure, ils vont jusqu'à avancer l'hypothèse "d'une sorte de grande bergerie temporaire", laquelle fermerait, comme par hasard, le troisième côté d'un éperon barré ! Nous ne nous appesantirons pas sur l'idée saugrenue de mener des troupeaux dans un endroit bordé de précipices ! Il est affligeant de constater que de telles affabulations, si contraires à l'évidence frappante des vestiges, puissent continuer à être professées de nos jours. Si encore les dites "unités circulaires" avaient leur entrée donnant à l'extérieur de la muraille, en aval de l'éperon barré, une utilisation autre que défensive pourrait être envisagée, mais tel n'est pas le cas : les entrées sont toutes du côté intérieur, en amont de la courtine, comme il se doit pour des tours de défense. Toutes les "unités circulaires", sauf une, permettent par leur position le flanquement de la courtine à gauche et à droite. Enfin, il n'y a aucune "unité circulaire" à l'intérieur du triangle de l'éperon, ce qui ne laisse pas de surprendre de la part d'édifices qui sont censés ne pas avoir de destination défensive. Ces observations de simple bon sens restent manifestement étrangères aux auteurs, enferrés qu'ils sont, depuis des lustres, dans des théories d'un pacifisme bêlant pourtant battues en brèche par d'autres archéologues (3). Si, comme le prétendent ces auteurs, ces "unités circulaires" sont les restes de simples "capitelles" ou "bories" et non des tours de défense, si le site est une "grande bergerie temporaire" et non un réduit fortififié, il faut alors qu'ils expliquent pourquoi et comment les habitants chalcolithiques - alors qu'ils ne disposaient pas des barres à mine, pics, masses et marteaux en fer (sans parler de la poudre) des bâtisseurs à pierre sèche des XVIIe-XIXe siècles de notre ère - ont consenti l'effort disproportionné, dans le contexte technologique limité de l'époque, d'extraire et de mettre en œuvre l'énorme masse de 350 tonnes de pierres (à raison d'une moyenne de 50 tonnes par édifice) pour élever des cabanes de bergers. Il est urgent que ces théories niaiseuses, ne reposant sur aucune preuve scientifiquement établie et si contraires à l'évidence architecturale des vestiges, soient abandonnées une bonne fois pour toutes. Dans l'immédiat, nous demandons que la pseudo "capitelle" chalcolithique édifiée à côté du site soit démontée et transférée sur quelque rond-point ou aire d'autoroute où elle ne heurtera pas le sens commun ... (*) Agrégé de l'Université, licencié d'archéologie médiévale (Paris I), diplômé de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, président du Centre d'études et de recherches sur l'architecture vernaculaire et directeur de la revue L'architecture vernaculaire. NOTES (1) Christian Lassure (sous la direction de), L'évolution des techniques de la construction à sec dans l'habitat en Languedoc du néolithique à la période contemporaine, Actes de journées d'étude de Viols-le-Fort (Hérault) des 2 et 3 octobre 1982, L'architecture vernaculaire, suppl. No 3, 1983. (2) Maurice Roustan, 1972-1997, 25 ans de pierre sèche, s. l., 1997, n. p. (3) Cf. Gaston-Bernard Arnal, Critique sur une interprétation équivoque. Etat de la question sur les substructions du site chalcolithique de Boussargues à Argelliers (Hérault), dans L'architecture vernaculaire, tome XVIII, 1994, pp. 53-57. Pour imprimer, passer en format paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure page d'accueil sommaire mythes
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