LES CABANES EN PIERRE SÈCHE DU VIGNOBLE DU PUY-EN-VELAY (HAUTE-LOIRE) :

MYTHES ET RÉALITÉS

 

The dry stone huts of the ancient Puy-en-Velay vineyard, Haute-Loire:

myth and reality

 

Christian Lassure
Agrégé de l'Université

 

1 - « CHIBOTTE », « TSABONE » OU « CHAZOURNE » ? UNE TERMINOLOGIE À CLARIFIER

De nos jours, les cabanes de pierre sèche de la Haute-Loire sont universellement désignées dans la littérature touristique ou ruraliste sous le vocable de « chibotte ». Une telle unanimité cependant n'est pas sans poser quelques questions. A-t-on affaire à un terme authentiquement vernaculaire, employé déjà au XIXe siècle par les vignerons-constructeurs eux-mêmes ou bien s'agit-il d'un mot savant, popularisé au XXe siècle auprès du grand public par les publications d'érudits locaux, à l'instar des phénomènes de substitution (partielle ou complète) qui sont intervenus dans d'autres régions : borie (féminin) remplaçant chabane en Périgord Noir (1), bori (masculin) puis borie (féminin) délogeant cabane en Vaucluse (2), capitelle se substituant à barraque dans les Pyrénées-Orientales (3), gariote éclipsant cabane et caselle en haut Quercy (4).

Lieu-dit Les Vigneaux à Vals-près-le-Puy (1979) : « chibotte » en parler érudit, ou plus exactement tsabone en langue populaire. © Christian Lassure.

Cette possible substitution d'une désignation savante à une appellation vernaculaire a été soulevée dès 1979 par M. Jean-Claude Pestre qui, lors de notre visite des cabanes de l'ancien vignoble du Puy-en-Velay, nous fit remarquer que le terme « chibotte » avait étét lancé dans la première moitié du XIXe siècle par l'érudit Albert Boudon-Lashermes, le terme local étant (t)sabana, en français local (t)sabone, c'est-à-dire « cabane ». Cette opération de substitution, il faut le préciser, étant le corollaire d'un processus de mythification des cabanes locales, promues au rang de cabanes « ligures » par ce savant (5).

La question se pose donc de savoir si « chibotte », aujourd'hui si profondément ancré, a bien quelque racine vernaculaire. Il convient de remarquer, tout d'abord, que le terme, du moins sous une forme non francisée, n'est pas inconnu des atlas ethnographiques et des dictionnaires occitans.

Ainsi, Pierre Nauton, dans son « Atlas linguistique et ethnographique du Massif Central » (6), donne pour la Haute-Loire, au point 215 tsibwòta, cabane tout en pierre, en forme de pain de sucre, en français local « chibotte ». Mais, objectera-t-on, l'enquête de terroir de ce grand ethnologue a été conduite au début des années 1950, postérieurement donc à la diffusion des ouvrages de Boudon-Lashermes.

De même, Pierre Bonnaud, dans son Grand dictionnaire français-auvergnat (7), mentionne, à la rubrique « cabane » (de pierres sèches), le terme chibotà comme propre à la langue des Protestants du Velay. Il donne également la variante chabota. Mais on peut penser que l'ouvrage, étant paru en 1978, entérine une situation terminologique déjà profondément modifiée.

Curieusement, ce dernier auteur mentionne un autre terme, cazorna. Or il se trouve qu'Albert Boudon-Lashermes lui-même, dans son Histoire du Velay. Le Velay gallo-grec (8), rapporte que les cabanes du Camp d'Antoune, où il s'était abrité pendant les fouilles, de 1911 à 1947, étaient appelées des chazournes. On aurait donc là, avec l'occitan cazorna et le français local chazourne, une autre appellation, peu connue, des cabanes en pierre sèche.

En l'état actuel des choses et faute d'un supplément d'enquête, il apparaît difficile de débrouiller une situation lexicale bien complexe.

(1) Cf. Christian et Jean-Michel Lassure, Bibliographie de l'architecture rurale en pierre sèche du Quercy et du Périgord, revue analytique et critique ; suivi de Les vestiges lithiques de l'ancien vignoble cadurcien [Cahors, Lot], Les cabanes en pierre sèche, les murs et les tas d'épierrement des pech « Revayrol-Tissandié » et de Sainte-Marguerite, résumé synthétique de deux monographies parues en 1973-1974, ronéotypé, chez les auteurs, Versailles et Panassac, 1976, 122 p. + 30 pl. ; Christian Lassure, avec le concours de Pierre Haasé, Bibliographie analytique et critique de l'architecture rurale en pierre sèche du Quercy et du Périgord (suite), dans L'Architecture rurale en pierre sèche, t. 2, 1978, pp. 210-225 (suite de la 1re partie publiée en 1976).

(2) Cf. Christian Lassure, La terminologie provençale des édifices en pierre sèche : mythes savants et réalités populaires, dans L'Architecture rurale, t. 3, 1979, pp. 35-45.

(3) Cf. Christian Lassure, L'œuvre d'Anny de Pous, dans L'Architecture rurale en pierre sèche, supplément No 1, 1977, pp. 77-86

(4) Cf. note 1.

(5) Albert Boudon-Lashermes, Le Vieux Puy. Les origines de la cité d'Anis, 1923 ; idem, Histoire du Velay. Le Velay gallo-grec, Ed. Subervie, Rodez, 1958. « Un auteur du pays à l'imagination vive leur attribue une origine ligure », écrit, en 1928, le rédacteur de la revue Vie à la campagne (numéro extraordinaire du 15 décembre 1928, p. 15).

(6) Pierre Nauton, Atlas linguistique et ethnographique du Massif Central, vol. II, Le Paysan, CNRS, Paris, 1959, 622.

(7) Pierre Bonnaud, Grand dictionnaire français-auvergnat, Auvernhà tarà d'oc, 1978.

(8) Albert Boudon-Lashermes, Histoire du Velay. Le Velay gallo-grec, op. cit., pp. 93-94.

2 - « CHABOTTE » ET « CHIBOTTE » : EST-CE BIEN LA MÊME CHOSE ?

À en croire Albert-Boudon-Lashermes (1), l'ancien nom des « chibottes » aurait été « chabotte ». À l'appui de cette affirmation, il avance des mentions d'archives et des toponymes. Ainsi, un terroir de Rohac aurait conservé jusqu'en 1509, dans son appellation, cette forme ancienne : « territorium de Rohaco appellatum del Martoret sive de la Chabota », lit-on dans un ancien terrier des Coubladour. Par ailleurs, un village de Vazeilhes (près de Saugues) porte encore ce nom : Les Chabottes.

Las, le terme chabotta des textes médiévaux ou de la toponymie, ne désigne pas nécessairement la même réalité architecturale que le terme chibotta aux XVIIIe et XIXe siècles. Si tant est qu'il s'agisse de variantes d'un seul et même terme, il faut envisager l'éventualité d'une évolution sémantique, chabotta désignant au Moyen Age une habitation rudimentaire, fruste, une masure, avant d'en venir progressivement à ne plus désigner que des cabanes de vignerons en maçonnerie sèche et à voûte auto-clavée. À moins de trouver bien sûr, pour une de ces chabottas médiévales, une description explicite, détaillée qui lève complètement le doute.

Cette élémentaire prudence est dictée par des évolutions sémantiques constatées dans d'autres régions. Tout un chacun a entendu parler des cadoles de Saône-et-Loire, ces cabanes tout en pierre sèche des vignerons des XVIIIe-XIXe siècles. Ce que l'on sait moins, c'est que le terme cadole, historiquement, n'a pas toujours été associé à l'emploi de la pierre. C'est ce que révèle Michel Bouillot dans son livre Les cadoles en Bourgogne du Sud, paru en 1999. On y apprend que ce terme s'appliquait également à la cabine en planches, d'abord fixe puis amovible, des bateaux servant au transport fluviatile sur la Saône et le canal du Charolais, avant l'apparition des flûtes de Bourgogne puis des péniches du Nord et du Centre. Par métonymie, le nom de cadole en était même venu à désigner l'embarcation elle-même, vaste barque de 20 à 40 m de long, affectée au hâlage des matériaux lourds comme la houille. Ces cadoles fluviatiles étaient visibles dans les bassins portuaires de Montceau, Chalon et Digoin.

Pour en revenir à chabotta, la situation se complique du fait que terme était encore employé, en plein XIXe siècle, dans des zones situées dans deux départements peu éloignés de la Haute-Loire, et ce pour désigner des types architecturaux ou fonctionnels autres que la cabane en pierre sèche à proprement parler :

- d'une part en Ardèche, dans les Boutières, où la chabotte est une grangette rectangulaire en pierre dont les pignons supportent les pannes d'une toiture à une ou à deux pentes, couverte de lauses ou de tuiles canal (3) ;

- d'autre part dans la Drôme, dans le Romanais, où le terme, sous sa forme patoise ou sa forme francisée, a les acceptions fonctionnelles de « cabanes à outils » ou de « petite maison de campagne » (4).

Ces deux exemples suffisent à montrer la polysémie de chabotta/chabotte à une même époque et dans des zones pas très éloignées l'une de l'autre. On n'a aucun mal à imaginer les différences de sens qui peuvent dès lors exister entre le terme médiéval et le terme moderne. 

(1) Albert Boudon-Lashermes, Le Vieux Puy. Les origines de la cité d'Anis, 1923, p. 90.

(2) Michel Bouillot, Les cadoles en Bourgogne du Sud, Collection « Au cœur de nos terroirs », Ed. Foyers ruraux de Saône-et-Loire et Maisons paysannes de Bourgogne du Sud, 1999, n. p. (chapitre « Les cadoles de Saône »).

(3) Cf. Jean-François Blanc, Paysages et paysans des terrasses de l'Ardèche, l'auteur, Annonay, 1984, 321 p. (thèse de doctorat en géographie présentée à l'Université de Lyon III), pp. 66-68. « Ces 'chabottes' sont de véritables petites maisons de 2 mètres sur 2 mètres, avec un toit à une ou [à] deux pentes ». Elles « sont fréquemment orientées nord-sud avec l'entrée au midi ». « À l'aide d'une gouttière, les vignerons récupéraient l'eau de pluie dans des tonneaux (ou dans des citernes intégrées dans la construction) pour le sulfatage ».

(4) Cf. Jean-Claude Bouvier, Les parlers provençaux de la Drôme. Etude de géographie phonétique, Bibliothèque française et romane, série A : manuels et études linguistiques, Librairie C. Klincksieck, Paris, 1976, pp. 118-119.

3 - LES FONCTIONS

Pour savoir à quoi servaient les « chibottes », il suffit de se tourner vers les premiers érudits à s'y être intéressé.

En 1928, dans Maisons et meubles du Massif Central (1), Albert Maumené nous apprend que « dans le vallon de Vals, les chibottes étaient autrefois les maisons de campagne des habitants du Puy. Tout Ponot qui se respectait possédait sa parcelle de vignes aux environs immédiats de la ville et au coin de sa vigne, sa Chibotte. Il se rendait là le dimanche en famille, y couchait quelquefois l'Eté ».

Et de préciser : « Ces constructions comportent deux pièces en tout : en général, la pièce du bas, à laquelle on accède par une porte basse et éclairée d'une fenêtre minuscule ; une Chambre-débarras en haut, éclairée de la même façon ». Cette dernière remarque, toutefois, ne cadre pas avec la disposition intérieure des édifices visibles actuellement : de chambre-débarras, éclairée par une fenêtre, il n'est que dans une seule « chibotte », celle dite « du chef » ; dans les autres, il n'y a jamais eu que deux ou trois poutres susceptibles de porter quelques planches.

Lieu dit Le Crousas à Vals-près-le-Puy : La « chibotte du chef » ou « Mairie » vue de face puis de côté ; une partie de l'étage a rejoint la pente... © Christian Lassure.

L'auteur souligne en outre la désaffection des « vignards » pour les « chibottes » : « le dimanche, on va toujours à sa vigne, mais les Chibottes ne suffisent plus, on les démolit les unes après les autres, pour les remplacer par les minuscules constructions carrées, blanches, à toits rouges, qui émaillent de si curieuse façon la campagne environnante ».

En 1923, Albert Boudon-Lashermes (2) lui-même reconnaît la relation entre les « chibottes » et l'ancien vignoble du Puy (même s'il n'y voit qu'une simple cause commune, à savoir la recherche d'une bonne exposition) : « elles entourent notre ville de façon à peu près absolue, et (…) elles sont généralement exposées au midi, ou tout au moins au soleil. (…) il existe presque toujours des traces de culture de vigne autour de ces chibottes ».

Il apporte également quelques précisions sur leurs derniers avatars fonctionnels : « À Chausson, il en existe plus de cent, presque toujours transformées de nos jours en lapinières, en poulaillers, en caves » (…) « Chausson regorge de villas édifiées sur des chibottes devenues des cuvages. Des bâtisses modernes à deux et trois étages reposent de la sorte sur l'humble muraille circulaire ». Ce qu'Albert Boudon-Lashermes qualifie de « bâtisses modernes », ce sont des maisons-bloc en hauteur, à escalier intérieur, surélevées d'un étage, avec cellier ou cave au rez-de-chaussée, salle d'habitation au premier étage, chambre au 2e étage. Il en existe de plus anciennes, du XVIIe siècle si l'on se fie à leurs éléments stylistiques très marqués (entrée en anse de panier, fenêtres à meneau), avec salle habitable à l'étage et galetas sous le comble, mais sans « chibotte » en lieu et place de cave (3).

(1) Albert Maumené, Maisons et meubles du Massif Central, dans Vie à la campagne, numéro extraordinaire du 15 décembre 1928, p. 15.

(2) Albert Boudon-Lashermes, Le Vieux Puy. Les origines de la cité d'Anis, 1923, p. 46.

(3) Cf. Jean Pestre, Le vignoble du Puy-en-Velay [Haute-Loire], l'auteur, Le Puy-en-Velay, 1981, en part. pp. 231-279 (L'architecture du vignoble).

4 - LES MATÉRIAUX

Étant donné la nature géologique des plateaux volcaniques du Velay, les matériaux employés à la construction des « chibottes » sont évidemment des matériaux d'origine volcanique.

À Vals-près-le-Puy, il s'agit de dalles et de blocs de basalte, extraits sur place lors du dérochement nécessaire à l'établissement des parcelles de vigne. On peut penser que, comme ce fut le cas dans d'autres régions, la poudre et des outils en acier furent employés pour mener à bien ce travail, produisant d'énormes quantités de matériaux lithiques.

On distingue deux morphologies de matériau, à la place et à la fonction bien distinctes dans un même édifice (1) :

- d'une part un parement intérieur et une voûte auto-clavée réalisés en dalles ou en lauses assez larges, peu épaisses ;

- d'autre part un parement extérieur et une couverture en blocs et moellons.

Si les lauses de la « peau » intérieure ne sont jamais taillées, par contre elles sont souvent fracturées, sans doute pour en réduire les dimensions et obtenir un meilleur jointoyage. Les pierres du parement extérieur sont, elles, quelconques ; seul leur volume reste égal dans une même assise. On note l'emploi de très gros blocs à la base, puis de pierres de moins en moins grosses à mesure que l'on se rapproche du sommet.

Quant à l'encadrement de l'entrée, il est fait souvent avec des blocs de brèche basaltique, plus rarement avec des blocs de ponce volcanique. Deux faces sont alors taillées : celle en façade et celle de l'embrasure.

(1) Emile Garnaud, Les chibottes du Velay, étude technique sur leur mode de construction, dans Gaule, bulletin de la Société d'histoire, d'archéologie et de tradition gauloises, No 20, mars 1962, pp. 15-18. Se référant à l'ensemble des plateaux volcaniques du Velay, cet auteur distingue le phonolite, affecté au parement intérieur et à la voûte, du basalte affecté au parement extérieur et à la couverture. À Vals-près-le-Puy, il n'y a pas de phonolite.

5 - LES PROCÉDÉS DE CONSTRUCTION

L'originalité architecturale des « chibottes » vient de l'emploi qu'on fait leurs constructeurs de la technique dite « des deux peaux », technique signalée pour la première fois par Emile Garnaud (1).

Prenons une construction circulaire.

Intérieurement, on a une voûte de plaquettes encorbellées et inclinées, c'est-à-dire une succession verticale d'anneaux, à diamètre dégressif, dont les éléments sont inclinés vers l'extérieur (selon un angle de l'ordre de 15°). Du fait de cette inclinaison, chaque assise est témoin d'un phénomène de contrebutement entre ses éléments, ces derniers agissant comme autant de clavaux. Ce phénomène entraîne la fermeture d'un polygone des forces : chaque assise est alors « auto-clavée » et tient toute seule.

Extérieurement, on a, épousant la forme de la voûte, un parement de moellons disposés avec une inclinaison vers l'intérieur, le rôle de ces moellons étant de caler les lauses en les empêchant de glisser et de se disjoindre.

La construction de ce type de voûtement qui associe de façon complémentaire voûte intérieure et revêtement extérieur, se fait assise par assise, et non point en érigeant d'abord la voûte et ensuite le revêtement extérieur. Les procédés habituels de la maçonnerie sèche entrent en jeu pour la réalisation des assises successives : en particulier l'imbrication verticale des pierres de façon à obtenir des joints croisés (ou « découpés »).

Le système des deux parements à inclinaisons contraires entraîne une mode d'évacuation original de l'eau de pluie. Celle-ci va passer dans les joints des blocs du parement extérieur, puis rencontrer les lauses de la voûte qui, grâce à leur inclinaison, vont l'obliger à s'écouler vers le bas où elle sera absorbée par le sol. L'écoulement des eaux pluviales se fait donc dans l'épaisseur de la paroi.

Lieu-dit Le Crousas à Vals-près-le-Puy : plage d'éboulement dans la calotte de la « Chibotte du chef » ou « Mairie » laissant voir les queues des pierres de l'extrados de la voûte, le parement extérieur et le remplissage de caillasse intermédiaire. © Christian Lassure.

(1) Emile Garnaud, Les chibottes du Velay, étude technique sur leur mode de construction, dans Gaule, bulletin de la Société d'histoire, d'archéologie et de tradition gauloises, No 20, mars 1962, pp. 15-18.

6 - LES ENSEIGNEMENTS DES MILLÉSIMES

Quelques rares millésimes ont été observés sur des cabanes de Haute-Loire : 1736 (ou 1786 ?), 1761 et 1808 (1). La question se pose de savoir dans quelle mesure ces millésimes sont fiables avant de pouvoir les exploiter pour une datation du mouvement de construction des cabanes.

Fiches descriptives

1786)

LOCALISATION : Lieu dit Chanceaux, commune de Polignac (Haute-Loire).

INSCRIPTION : Millésime 1786, encadré des initiales A (ou P?) et C, gravé sur le parement du linteau d'une cabane de vigneron.

INTERPRÉTATION : Ce linteau est une dalle de brèche basaltique posée de chant, à la sous-face taillée en arc segmentaire, reposant sur deux piédroits alternant boutisses et carreaux taillés en parement ; l'ensemble de cet encadrement, de faible hauteur (1,62 m) et très marqué stylistiquement, pourrait bien être un remploi provenant d'une maison de village dont l'entrée aurait été agrandie au XIXe siècle Le remontage n'est d'ailleurs pas parfait : l'arc segmentaire est légèrement plus large que la distance entre les piédroits ; le montant de gauche a flambé ; des fentes sont visibles au linteau et sur une pierre du montant de droite.

SOURCE : Christian Lassure, Eléments pour servir à la datation des constructions en pierre sèche, Etudes et recherches d'architecture vernaculaire, No 5, 1985, 44 p. (dessins page de couverture et p. 9).

Lieu-dit Chanceaux à Polignac : millésime 1786 entre des initiales sur un linteau de remploi. © Christian Lassure.

1761

LOCALISATION : À Bonnassou, près du Puy-en-Velay (Haute-Loire).

INSCRIPTION : Millésime 1761, suivi des initiales L L, gravé sur le parement du linteau d'une cabane.

INTERPRÉTATION : Si l'on en croit Albert Boudon-Lashermes, qui signale cette cabane comme démolie en 1923, les initiales seraient celles d'un Louis Lobeyrac dont la famille fut, au XVIIIe siècle, propriétaire du bâtiment.

SOURCE : Albert Boudon-Lashermes, Le vieux Puy. Les origines de la cité d'Anis, 1923, en part. p. 45.

1808

LOCALISATION : Commune de Vals-près-le-Puy (Haute-Loire).

INSCRIPTION : Millésime 1808 gravé sur le parement du linteau.

INTERPRÉTATION : Le linteau n'est pas un remploi. La date est d'origine. Elle est un des rares millésimes rencontrés sur cette commune car le linteau des cabanes, d'habitude en basalte, est ici en brèche facilement incisable (tout comme le reste de la façade plane d'ailleurs).

SOURCE : Observation personnelle de l'auteur.

Lieu-dit non précisé à Vals-près-le-Puy : millésime d'époque napoléonienne gravé sur le linteau d'une cabane © Christian Lassure.

De ces trois millésimes, seuls 1808 et, dans une moindre mesure,1761 semblent exploitables pour une datation. On peut peut-être faire confiance à Boudon-Lashermes dans la mesure où pour une fois il n'attribue pas un édifice aux Ligures…

(1) Cette rareté est sans doute imputable à la dureté des dalles de basalte employées comme linteau dans la majorités des cas.

7 - LES ENSEIGNEMENTS DES CADASTRES

Ainsi que nous l'apprend Jean Pestre (1), à Vals-près-le-Puy les « chibottes » apparaissent sur un plan cadastral intermédiaire entre celui de 1808 (qui ne comporte que les états des sections) et celui de 1849. Ainsi, pour le seul secteur de La Sermone, douze cabanes y sont figurées.

Il se trouve qu'Albert Boudon-Lashermes (dans Le Velay gallo-grec, à la page 92) mentionne qu' « au XVIIIe siècle (…) tout le territoire de Crousas, à Vals, appartenait au même propriétaire ». L'évidence qui s'impose, c'est que la centaine de chibottes qui s'y trouvaient fin XIXe - début XXe ont été construites à la suite du morcellement de cette vaste propriété entre une centaine de petits propriétaires, processus semblable à ce que l'on observe pour d'autres régions (défrichements de la deuxième moitié du XVIIIe, lotissements de communaux au XIXe, etc.) (2).

Les cabanes du Crousas seraient ainsi liées à l'établissement de parcelles viticoles en ces lieux entre le milieu du XVIIIe siècle et le début du XIXe.

(1) Cf. Jean Pestre, Le vignoble du Puy-en-Velay, l'auteur, Le Puy-en-Velay, 1981, p. 203.

(2) Christian et Jean-Michel Lassure, Origines et formation des paysages lithiques du Lot : la part du XIXe siècle, dans Bulletin de la Société des études littéraires, scientifiques et artistiques du Lot, t. 96, 1975, 1er fasc., janvier-mars, pp. 11-14 ; André Cablat, Les cabanes de défricheurs du Larzac héraultais (baracous, caselles, masets, baumas), dans L'Architecture vernaculaire rurale, t. 4, 1980, pp. 85-93 ; idem, Les cabanes de défricheurs de la Gardiole (Hérault), dans Bulletin de la Société d'études scientifiques de Sète et sa région, t. 10-11, 1980, pp. 41-66.

8 - LES ENSEIGNEMENTS DES CARACTÉRISTIQUES ARCHITECTURALES

Si l'on fait abstraction des guérites, dont le caractère fruste est imputable au manque d'habileté du constructeur ou encore à son défaut d'ambition architecturale, sinon à l'absence d'un matériau adéquat ou en quantité suffisante, les cabanes visibles actuellement relèvent d'un type morphologique et constructif bien caractéristique, dont les grands traits peuvent se définir comme suit :

- engagement partiel de la partie arrière de la base dans un versant, ou dans un talus séparant deux parcelles étagées ;

- façade rectiligne, plane, pas plus haute que l'entrée, aux angles en forme d'éperons ;

- couvrement en ogive ou en cône au sommet arrondi, dépassant seul du versant ou du talus ;

- entrée à l'élévation rectangulaire, aux piédroits en blocs de brèche basaltique taillés et appareillés, destinée à recevoir une porte en bois.

Lieu-dit Les Vigneaux à Vals-près-le-Puy : la cabane dite d'Andrieu en 1979 ; derrière Christian Lassure et Jean Pestre, se dresse un édifice à la morphologie toute classique. © Christian Lassure.

S'éloignent légèrement de ce schéma morphologique et architectural deux édifices uniquement :

- une cabane sans façade rectiligne, au mur de base entièrement circulaire, mais au couvrement et à l'entrée identiques à ceux des autres cabanes (cabane à contreforts au lieu-dit Les Vigneaux) ;

Lieu-dit Les Vigneaux à Vals-près-le-Puy : cabane au corps de base circulaire renforcé par un contrefort sur son pourtour. © Dominique Repérant

- une cabane surdimensionnée, à la façade plane se dressant sur toute la hauteur de l'édifice, dont le couvrement a alors la forme d'une demi-ogive (« cabane du chef » au lieu-dit Le Crousas).


Lieu dit Le Crousas à Vals-près-le-Puy : calotte de la « chibotte du chef » ou « Mairie » vue depuis l'amont. © Christian Lassure.

Il ne s'agit en fait que de variantes du type.

Si les cabanes s'étaient succédé sur trois, quatre, cinq siècles, on devrait obligatoirement trouver une plus grande diversité typologique, avec quelques rares spécimens des types anciens à côté des exemples, en grand nombre, du type récent. Or ce n'est pas le cas.

L'impression qui se dégage de ce panorama est celui d'un surgissement des édifices dans un même mouvement de construction et dans un laps de temps assez court, disons quelques décennies (1).

Un indice révélateur permet de cerner une des décennies de cette époque : le millésime 1808 inscrit sur le linteau en brèche basaltique d'une cabane située à Vals-près-le-Puy. Il indique très clairement que la façade rectiligne, plane, est un trait architectural présent au début du XIXe siècle.

On peut d'ailleurs penser qu'au moment de leur généralisation, les « chibottes » ont été le fin du fin en matière d'habitation temporaire, qu'elles ont été un temps à la mode. Et comme tout passe, après avoir connu leur heure de gloire, elles ont été délaissées. Le rédacteur de la revue Vie à la campagne, en 1928, ne dit pas autre chose lorsqu'il rapporte leur démolition et leur remplacement par de petites maisonnettes à toit de tuiles rouges (cf. supra).

Il aura fallu attendre les deux dernières décennies du XXe siècle pour qu'elles redeviennent à la mode !

(1) Il ne faut pas confondre le type architectural qu'est la cabane de pierre sèche répondant au nom de « chibotte » et le procédé de voûtement en pierre qu'est la voûte d'encorbellement : ce procédé est vieux comme le monde et se retrouve dans des architectures relevant d'un niveau plus élevé de l'échelle sociale, à différentes époques. L'ancienneté du procédé n'implique pas automatiquement l'ancienneté de l'édifice où ce procédé est employé.


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Complété le 22 octobre 2006 / Augmented on October 22nd, 2006

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Les cabanes en pierre sèche du vignoble du Puy-en-Velay (Haute-Loire) : mythes et réalités (The dry stone huts of the ancient Puy-en-Velay vineyard, Haute-Loire: myth and reality)
http://www.pierreseche.com/mythe_chibottes.html
22 octobre 2006

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