FAUT-IL ACCORDER ENCORE QUELQUE CRÉDIT Should the so-called "evidence of oral tradition" still be adhered to? Christian Lassure Éditorial du tome 16, 1992, de L'Architecture vernaculaire L'étude des cabanes en pierres sèches ces quinze dernières années s'est traduite par une floraison, dans les revues savantes, d'articles destinés à un public de spécialistes. Parallèlement, les pages locales des journaux provinciaux et les revues touristiques popularisaient le phénomène auprès de couches de plus en plus importantes de la population, à la ville comme à la campagne. À telle enseigne qu'on est en droit de se demander si, aujourd'hui, une bonne partie de ce qu'on appelle "la tradition orale" ne serait pas de création récente et comme l'écho de ces articles de vulgarisation. Si encore cette vulgarisation était de bon aloi, ce ne serait pas une trop mauvaise chose. Hélas, ces articles véhiculent souvent les clichés les plus affligeants et les contre-vérités les plus criantes. Le résultat est là : pour ne prendre qu'un exemple, le terme "capitelle", appellation attestée historiquement des cabanes de la garrigue nîmoise, se retrouve maintenant employé de l'Ardèche aux Pyrénées-Orientales, supplantant le terme générique (cabane) et les termes locaux (appellations imagées telles que "chambrette" à Nébian (Hérault), désignations fonctionnelles telles que "jasse" - bergerie, etc.). Même le cadastre moderne et les cartes de l'IGN emboîtent le pas ! Cet état de choses a été récemment constaté dans l'Hérault par M. Jean-Pol Nicol à l'occasion de son recensement des cabanes en pierres sèches du plateau de l'Auverne sur la rive nord du Lac du Salagou. Il nous en fait part en ces termes (lettre du 14 mai 1992) : "En parlant de ces constructions, (les agriculteurs) répètent ce que les promeneurs "sensibilisés" leur racontent : "on dit que...", mais très rarement "mon père ou mon grand-père disait...", sauf chez les individus de plus de soixante ans, et c'est ainsi que j'ai pu entendre le terme de "cabane" pour le plateau de l'Auverne. Il faut ajouter que, dans les cartes IGN, lorsqu'une construction est mentionnée, elle est désignée par le nom de "capitelle" et le terme est désormais adopté et devient le nouveau vocable en effaçant l'ancien, et c'est bien regrettable. Par ailleurs, les promeneurs racontent parfois des choses erronées à ces braves gens qui les répètent ensuite à qui veut les écouter. C'est là je crois, un sujet de réflexion pour le chercheur qui doit finalement se garder de prendre ces renseignements au pied de la lettre. La quête orale doit donc être entreprise avec circonspection". Ces remarques font écho à celles, plus générales, de Marie-Dominique Pot, auteur d'une monographie sur la commune de Saint-Herblain en Loire-Atlantique (Naître et renaître, Mille ans d'histoire, Saint-Herblain, Editions Arts-cultures-Loisirs, Nantes, 1986, p. 27) : "Sans arrêt, au cours de l'enquête, j'ai pu voir se construire des légendes et, par ailleurs, vérifier que la mémoire ne remonte pas au-delà de deux ou trois générations. Personne à Saint-Herblain ne se souvient, par exemple, des faits divers ou historiques de 1830, ni même de 1870 si des textes ne sont pas à l'appui d'une telle mémoire. Il ne semble pas y avoir de tradition orale individuelle, familiale, ancienne." Sans être aussi pessimiste, nous dirons pour notre part que, dans le domaine des constructions en pierres sèches, si tradition orale authentique il y a, elle se limite, ainsi que nous avons pu le constater à maintes reprises, à l'évocation d'un aïeul nommément désigné, bâtisseur qui d'une cabane, qui d'un enclos encore existants et conservés parmi les biens de la famille. Mais avec la désertification croissante des campagnes françaises, même ces fragiles témoignages disparaîtront, hélas, à leur tour. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure
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