QUATRE INSCRIPTIONS MILLÉSIMÉES SUR DES CONSTRUCTIONS EN PIERRE SÈCHE Four date inscriptions encountered in dry stone structures Jean Laffitte
INTRODUCTION Les millésimes associés aux constructions diverses en pierre sèche sont relativement nombreux et ont fait l'objet de plusieurs études par le biais du CERAV notamment. Si les dates répertoriées sont souvent associées aux initiales du propriétaire beaucoup plus rares sont celles évoquant un évènement particulier. La présente étude concerne quatre inscriptions. Deux d'entre-elles sont associées à des évènements d'ordre sanitaire majeur : l'épidémie de grippe de 1837 et la grande peste de 1720. Une autre relate un des grands moments de notre histoire, l'avènement de la République et enfin la dernière fait état de la construction de l'édifice.
1. VENASQUE (VAUCLUSE) PP. 1720. LAN DE LA PESTE Gravée sur une longue dalle d'une grande cabane de Vénasque dans le Vaucluse, cette inscription relate le souvenir de la grande peste de 1720 qui fit 40 000 victimes à Marseille et 50 000 en Provence entre le mois de juillet et la fin octobre. Cet évènement fut à l'origine de la construction du mur de la peste, étudié et restauré par l'association « Pierre Sèche en Vaucluse », qui traverse une partie de la Provence (1). Description Cette pierre gravée est un témoignage très touchant sur cette épidémie. La personne qui a écrit ce texte voulait témoigner de ce qu'elle avait vécu cette année là, et que l'on se souvienne de cette date comme étant une des plus terribles de l'histoire de la Provence. (1) La cabane portant cette inscription est décrite ici.
2. ROGNES (BOUCHES-DU-RHÔNE) 1791 Cette inscription est gravée sur une pierre de forme circulaire, en façade d'une grande cabane de Rognes, dans les Bouches-du-Rhône. Cet édifice comporte trois millésimes : 1788 gravé sur le linteau, 1790 sur le manteau de la cheminée et 1791 en façade. On peut supposer qu'il s'agit des différentes étapes de la construction, laquelle s'est donc poursuivie sur quatre ans (2). L'inscription qui nous intéresse est liée à l'avènement de la République. Le 22 septembre 1792, six semaines après l'incarcération du roi Louis XVI, les députés de la nouvelle assemblée de la Convention décident, sur proposition de Danton, que les actes publics seront désormais datés de « l'An 1 de la République ». C'est de cette manière « furtive », selon le mot de Robespierre, que la France se découvre en République ! Mais en ce qui concerne cette cabane, le propriétaire ne fait qu'afficher ses convictions républicaines; on peut y voir aussi sa fierté d'être enfin devenu propriétaire. Description Cet édifice est aujourd'hui méconnaissable puisqu'il a été entièrement recouverte de ciment par son propriétaire. Ce « disque » de pierre gravé, plus difficilement lisible depuis qu'il a été « nettoyé », reste un vibrant hommage à cette époque remplie de promesses et d'espoir. À la suite des évènements de septembre 1789, de nombreux linteaux gravés « LAN DE LA LIBERTE » sont apparus un peu partout en France comme celui-ci au village de Chaligny en Lorraine, dans le département de la Meurte-et-Moselle, au 12, Rue de Geleau. Ce linteau a été gravé par Monsieur Collot qui était certainement un fervent républicain, puisqu’il fait graver dans la pierre, non seulement l’année : 1792, mais aussi « l’an de la Liberté ». Après la prise de la Bastille, les gens avaient pris l’habitude de nommer l’année 1789 : « l’an I de (l’ère) de la Liberté ». Le 22 septembre 1792, la Convention décrète : « Tous les actes publics sont désormais datés à partir de l’an I de la République » (sources Internet : Si Chaligny m'était compté). (2) La Grande cabane des Garrigues à Rognes est décrite ici.
3. CASENEUVE (VAUCLUSE) LAM 1800 Gravée sur une pierre située au-dessus du linteau d'une cabane de Caseneuve dans le Vaucluse, cette inscription est un rare exemple de datation de l'édification d'une construction en pierre sèche dont on peut être sûr puisqu'on a en prime le nom du bâtisseur. Description La cabane est de plan carré et à toiture pyramidale. Elle a été répertoriée par l'APARE sous le numéro 84003B18. À environ 200 m à l'ouest, se trouve une autre cabane similaire mais qui ne porte pas de date visible à l'extérieur; une porte fermée à clef ne permet pas de visiter l'intérieur. L'association d'une date et du nom du bâtisseur est le seul exemple, à ma connaissance, en Provence, sur une cabane en pierre sèche.
4. COURSEGOULES (ALPES-MARITIMES) LAN Cette inscription est gravée sur une pierre d'un mur de soutènement en bas du village de Coursegoules dans les Alpes-Maritimes. Elle a depuis été repeinte en jaune comme d'autres millésimes du village. Elle rappelle un évènement douloureux en cette année 1837 où la grippe jaune avait décimé une grande partie de la population. Description Enfin, en bas et au milieu, gravée dans un cartouche creusé dans le rocher, la date de 1837 avec encore une étoile à six branches gravée sous la date. De même que la peste à Vénasque, cette épidémie aura à tel point marqué la population de Coursegoules, qu'une pierre rappelle cet événement à tous ceux qui montent au village par l'ancien chemin.
CONCLUSION Les quatre inscriptions que nous venons de voir ont la particularité commune d'avoir utilisé la formule « L'AN » écrite sans apostrophe et deux fois avec la lettre M en terminaison du mot. À cette époque l'écrit était souvent une transcription de l'oral, du moins chez les gens pauvres, et l'orthographe n'avait pas d'importance. Ce qu'il est intéressant de constater ici c'est la volonté qu'a eue une personne, à un moment donné, de laisser une trace écrite en souvenir d'un évènement particulier, qu'il s'agisse d'un évènement douloureux (peste, grippe) ou politique (la Révolution), ou tout simplement de la fierté d'avoir terminé la construction de sa cabane. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Jean Laffitte |