LA STRUCTURE DU MUR DE SOUTÈNEMENT EN PIERRES SÈCHES

The structural components of dry stone retaining walls

Christian Lassure (texte et coupe) et Michel Rouvière (dessins et photos)

 

1. Les fondations

Les fondations du mur de soutènement ont un double rôle :

- stabiliser la partie inférieure de l'ouvrage,
- transmettre au sol le poids du mur et la force de poussée du massif de terre.

On distingue deux types de fondations :

- celles sur substrat rocheux,
- celles sur substrat non rocheux.

1.1 Fondations sur substrat rocheux

De règle en zone très pentue, elles consistent en une surface rocheuse mise à nu et réglée de façon à éviter les risques d'affouillement et de tassement inégal qui iraient de pair avec un substrat meuble; le plan de cette surface est en contrepente vers l'amont de sorte que les pierres de la première assise soient inclinées côté amont pour mieux résister aux poussées.

1.2 Fondations sur substrat non rocheux

Rencontrées en zone peu pentue, elles consistent en une semelle de gros blocs bien calés, ancrée dans le sol meuble et reposant sur une couche de cailloux bien tassée. Cette semelle forme un empattement de largeur supérieure à celle du mur, et ce de façon à répartir sur une plus grande surface les charges transmises.

Il arrive qu'un mur de soutènement se passe de fondations sur une petite portion de son tracé : on trouve à la place

- soit un arc clavé en plein cintre ou surbaissé qui vient franchir une source, un banc rocheux friable, etc.,

- soit une poutre en châtaignier ancrée dans le mur qui vient enjamber la zone instable (dans les Cévennes).

Coupe d'un mur de soutènement de terrasse © Christian Lassure

2. Le corps

2.1 Mur à un seul parement

Le corps du mur (ou élévation) est, dans la majorité des cas, à un seul parement – celui de la partie visible du mur –, la face arrière étant réduite aux queues des boutisses et aux saillies des parpaignes. Un drain de petites pierres, réalisé au fur et à mesure de la montée du mur pour éviter les mouvements ultérieurs, vient s'intercaler entre la face interne du mur et le massif de terre (ou le front rocheux).

2.2 Mur à deux parements

Dans le cas d'un mur à double parement, le parement intérieur, n'étant pas destiné à être vu, est généralement moins soigné que le parement extérieur, et les boutisses parpaignes y saillent davantage de manière à bien s'ancrer dans le massif de terre. Le fruit du parement côté aval est généralement plus accentué que celui du parement côté amont.

Le montage d'un mur à double parement se justifie en particulier lorsque sa partie supérieure continue sur plusieurs assises au-dessus du niveau de la terre retenue. Il suppose également d'avoir à disposition une pléthore de pierres convenant au parementage.

Les murs à double parement sont généralement des murs édifiés avant le remodelage du terrain et sur des pentes faibles.

Ils se rencontrent en particulier dans des vallons où ils ont été édifiés pour barrer le cours d'un torrent temporaire et piéger derrière eux les éléments solides charriés par celui-ci (l'eau, quant à elle, poursuivant sa course). Le colluvionnement en arrière du mur a abouti à la constitution d'une terrasse (cf., infra, Les rascasses ou clavades).

2.3 Fruit du parement

Le parement du mur présente, à partir des fondations, un fruit – ou pendant – vers l'amont – destiné à augmenter le polygone de sustentation du mur d'une part et à contrecarrer la poussée au vide de celui-ci d'autre part..

L'importance du fruit est liée non seulement à la hauteur du mur mais aussi à la dimension et la qualité des pierres qui le composent.

Plus le mur est élevé, plus le fruit est prononcé.

Plus la pierre est de petite taille et de mauvaise configuration, plus le fruit est prononcé. Il peut aller de 5 cm par mètre de hauteur (c'est le cas des murs en gros blocs de granite du mont Lozère) à 30 cm (c'est le cas de certains grès ou calcaires médiocres).

Enfin, la stabilité naturelle des terres soutenue par le mur entre également en ligne de compte dans le calcul du fruit.

2.4 Lits de pose

Les lits de pose – les deux faces par lesquelles sont superposées les boutisses qui composent le mur – sont légèrement inclinées vers l'extérieur du mur de façon à s'opposer au glissement des pierres vers l'extérieur du mur. (Provoqué par la composante horizontale Fsh de la poussée oblique de la terre Fs, ce glissement ne peut être uniquement compensé par les forces de frottement s'exerçant entre les pierres).

2.5 Appareil

L'agencement des pierres entre elles de façon à former un appareil (ou maçonnerie de pierres posées), répond à un double objectif :

- assurer le blocage des pierres entre elles en exploitant les forces de frottement;

- renforcer la cohésion du mur en rendant la densité de ce dernier aussi proche que possible de celle du matériau constitutif.

La variété des matériaux correspondant à la variété des substrats géologiques, entraîne une très grande diversité des appareils. En simplifiant, on distingue :

- l'appareil d'éléments quadrangulaires,

- l'appareil d'éléments polygonaux,

- les appareils de pierres posées en délit et sur la tranche.

2.5.1 Appareil d'éléments quadrangulaires

C'est un appareil assisé constitué d'éléments dont la face vue est celle d'un rectangle aux arêtes vives et aux faces latérales en retour d'équerre; les moellons sont posés à rupture de joints (ou recouvrement des joints montants). Les dalles et les plaquettes calcaires donnent ce type d'appareil (1).

© Michel Rouvière

La Chapelle-sous-Aubenas (Ardèche) : mur de soutènement calcaire à appareil d'éléments quadrangulaires (dessin Michel Rouvière).

2.5.2 Appareil d'éléments polygonaux

C'est un appareil non assisé, constitué d'éléments dont la face vue est celle d'un polygone irrégulier aux arêtes vives; les angles saillants d'une pierre viennent s'enchasser dans les angles rentrants formés par les pierres déjà posées. Le calcaire en blocs, le granite en blocs, donnent ce type d'appareil (2).

© Michel Rouvière

Sablières (Ardèche) : mur de soutènement de granite à appareil d'éléments polygonaux (dessin Michel Rouvière).

Entre ces deux types, existent de nombreux appareils intermédiaires, tributaires de la géologie et du débitage des pierres.

© Michel Rouvière

Ruoms (Ardèche) : mur de soutènement en moellons calcaires globulaires ou "miches" (dessin Michel Rouvière).

2.5.3 Appareils de pierres posées en délit et sur la tranche

Ces appareils se répartissent en deux sous-types :

- celui où les éléments sont posés en assises (c'est le cas de murs en moellons calcaires molassiques mais aussi de murs en moellons schisteux),

- celui où les éléments sont empilés verticalement, sans souci d'obtenir des assises mais où les joints sont plus ou moins croisés verticalement (c'est le cas de murs en plaquettes de schiste mais aussi de murs en plaquettes calcaires).

Une variété du premier sous-type est l'appareil en épi : lorsque les pierres sont inclinées d'un côté dans une assise puis de l'autre côté dans l'assise supérieure, et ainsi de suite, on a un appareil en épi (3).

© Michel Rouvière

Vinezac (Ardèche) : mur de soutènement avec épi (dessin Michel Rouvière).

Une variété du deuxième sous-type est l'appareil en désordre : lorsque les pierres sont empilées obliquement d'un seul et même côté, sans souci de faire des assises, les joints étant plus ou moins croisés verticalement, on a un appareil en désordre.

2.6 Le drain

Etabli au fur et à mesure que monte le mur (cf. supra), le drain est constitué de cailloutis et de pierrailles impropres à la confection des fondations, du corps et du couronnement du mur mais parfaits pour laisser passer l'eau.

Les plus gros éléments sont posés côté mur, les plus fins côté massif de terre.

Le drain est traversé par les boutisses parpaignes qui s'ancrent dans le massif.

Le drain, par son effet de filtration, participe donc non seulement à la cohésion de l'ensemble de l'ouvrage mais aussi à la stabilité de ce dernier.

3. Le couronnement

Le faîte du mur, lorsqu'il ne dépasse pas en hauteur le niveau de la terre en amont, est exposé aux passages des animaux et à l'érosion. C'est pour cette raison qu'il est consolidé au moyen de deux types de couronnement qui viennent en bloquer les dernières assises et chaîner longitudinalement la partie supérieure.

On peut avoir un rang de pierres plates, plus lourdes, de largeur égale ou supérieure à celle du mur, posées horizontalement, et parfois en saillie : elles permettent de marcher au sommet du mur sans abîmer celui-ci.

On peut avoir un rang de pierres posées en délit et sur la tranche, type de couronnement qui freine le ruissellement de l'eau lorsqu'il est trop grand, mais qui empêche tout passage en haut du mur.

Sur le faîte de certains murs de soutènement, on rencontre parfois, à intervalles réguliers, des pierres fichées : il s'agit d'anciens tuteurs de la vigne.

Enfin, on peut trouver également, entre le sol de la terrasse et le faîte du mur, une assises de lauses posées sur la tranche parallèlement à la direction du mur, de façon à retenir la terre en amont.

4. Les angles

Les murs de délimitation des parcelles, les murs bordant les ruisseaux, suivant généralement la ligne de la plus grande pente, forment des angles droits avec les murs de soutènement.

Ces angles sont construits avec des pierres plus grosses et plus longues, disposées en besace et taillées sur leurs deux faces apparentes pour assurer une bonne liaison entre les deux pans de mur.

5. Les rascasses ou clavades

Dans les Cévennes, les rascasses des zones granitiques ou les clavades des zones schisteuses sont soit des murs de retenue barrant le fond d'un ravin, soit des murs de soutènement de parcelles (ou des tronçons de ceux-ci), dont les pierres sont posées en délit, sur la tranche.

© Michel Rouvière

Saint-Melany (Ardèche) : clavade en plaques de schiste barrant le lit d'un ruisseau (dessin Michel Rouvière).

Dans le cas d'un soutènement bordant le lit d'un ruisseau, cette disposition des pierres ralentit la vitesse d'écoulement de l'eau lorsque le cours d'eau passe du simple filet qu'il est habituellement au puissant torrent qu'il peut devenir après de fortes précipitations.

Dans le cas d'une retenue barrant le fond d'un ravin, ce type d'appareillage joue le rôle de piège à matériau, retenant les éléments solides arrachés aux versants tout en laissant passer l'eau. Le creux derrière la rascasse ou la clavade finit par se combler de gravier et de terre, formant une terrasse. Un deuxième barrage est alors élevé en amont, qui se colmate à son tour, et ainsi de suite jusqu'à ce que le vallon se transforme en une succession de terrasses.

Ces murs de retenue édifiés dans le lit d'un cours d'eau sont souvent légèrement incurvés vers l'amont, et ancrés dans le roc ou dans les murs bordant le cours d'eau : il s'agit alors de petits barrages-voûtes capables de résister à la poussée des terres, un effet de clavage s'exerçant dans le sens horizontal et empêchant la formation de "ventres" (à la différence des murs rectilignes).

La pose de quelques assises horizontales au sommet du mur-barrage, renforce l'effet de blocage des pierres sous-jacentes entre elles.

Dans les Corbières (Aude), on trouve, barrant des vallons (secs sauf lors des pluies d'équinoxe d'automne), des rascasses couronnées de grandes dalles horizontales (4).

NOTES

(1) On laissera l'appellation savante "opus romanum" aux maçonneries de pierres taillées de l'époque romaine.

(2) Employer, à propos de ce type d'appareil, l'expression d' "appareil cyclopéen" lorsque les blocs sont d'un très gros gabarit, relève de l'abus de langage mâtiné d'anachronisme.

(3) Il n'y a pas lieu de parler à leur sujet d' "appareil wisigothique", appellation qui s'applique stricto sensu à des murs de cette haute époque du Moyen Age.

(4) Cf. Claude Bouet, Le système "Pierre Sèche" : les bocages lithiques des garrigues du Bas Languedoc, Ministère de l'environnement, Sous-direction de l'aménagement et des paysages - Association "Pierre sèche et patrimoine aubaisien", juin 1997, 480 p., en part. p. 58.


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© CERAV
5 août 2002 / August 5th, 2002 - Complété le 3 décembre 2005 / Augmented on December 3rd, 2005

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
La structure du mur de soutènement en pierres sèches (The structural components of dry stone retaining walls)
http://www.pierreseche.com/structure_du_mur_de_soutenement.htm
5 août 2002

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