ULTIMES MANIFESTATIONS
DE LA TRADITION CONSTRUCTIVE DES CABANES EN PIERRE SÈCHE

The very last moments of the dry stone hut building tradition

Christian Lassure

Dans le monde rural d'aujourd'hui, la tradition de bâtir des abris en pierre sèche est bel et bien morte. Les techniques sont passées dans l'oubli en même temps que disparaissait la société rurale du XIXe siècle. L'habitat temporaire est tombé en désuétude avec l'accession de la paysannerie à des moyens de transport rapides et avec l'abandon à la friche des terres – généralement éloignées des villages – où cet habitat était implanté. Il paraît intéressant de voir, à travers quelques exemples quercynois, bourguignons et provençaux, jusque vers quelle période on construisit encore des cabanes.

1 - Derniers constructeurs (en Quercy, en Bourgogne et en Provence)

Dans le Lot, à Aujols, les dernières cabanes à être construites le furent vers la fin du XIXe siècle par un dénommé Joannas Ausset, qui monta trois édifices sur le même modèle (plan carré et passage du carré de la base au cercle de la voûte au moyen de pendentifs) (1).

De même, à Cremps, la dernière cabane à être bâtie le fut, à une date située entre 1900 et 1914, par un amateur du nom de Linon, qui réalisa en pierres soigneusement taillées et appareillées un véritable bijou, malheureusement aujourd'hui détruit (2).

Il faut croire que la tradition survécut localement à la saignée de la Grande Guerre puisqu'en 1921, le célèbre archéologue lotois, Armand Viré, avait pu se faire construire par ses ouvriers, sur son chantier de fouilles à l'oppidum de L'Impernal à Luzech, un abri en pierre sèche contre la pluie, et ce « très rapidement et sans tâtonnements », bien que, rapporte-t-il, « La coutume de ces constructions tendît à disparaître » (3).

Dans le canton de Nolay, en Côte-d’Or, les deux dernières cabanes construites le furent l’une au début du XXe siècle et l’autre aux alentours de 1930 (4), tandis que dans la région de Tournus, en Saône-et-Loire, on édifia des cadoles en pierre sèche jusqu’en 1920 (5).

En Provence, la construction de cabanes est encore attestée à la veille de la Guerre de 14-18 et même jusque dans les premières années de l'entre-deux-guerres. Jules Formigé, l'inspecteur des Monuments Historiques, signale avoir vu, en 1913, près de Laroque-sur-Pernes, dans le Vaucluse, deux cabanes en construction (6).

On sait par Pierre Martel (7), l'ethnologue provençal, que le dernier cabanon pointu de haute Provence fut édifié en 1922 par un paysan d'Aubenas-les-Alpes, du nom de Marius Brémond, dans l'enclos que celui-ci avait créé et aménagé près du Col de la Croix du Chêne à Saint-Michel-de-l'Observatoire. Il faut signaler, pour la petite histoire, qu'un journaliste tombant sur l'enclos et sa cabane, prétendit avoir découvert « un camp gaulois encore intact, avec une cabane de 2000 ans ».

Toujours en haute Provence, un cas de perdurance peu commun est signalé par le même Pierre Martel avec ce berger du Contadour qui, jusqu'en 1955, construisit de petits abris « pour un homme, un chien et un sac de sel » (8).

© Christian Lassure

Une des cabanes du berger Bernard. Le hiatus visible dans le côté gauche correspond à une extension en façade. © Christian Lassure

2 - Derniers restaurateurs (en Velay, en Provence et en Quercy)

Si la construction d'édifices neufs revêt un caractère exceptionnel dès la première guerre mondiale, néanmoins l'entretien et la restauration de bâtiments existants ayant encore une utilité, ne cessent pas pour autant, mais non sans un amoindrissement des techniques « traditionnelles ».

La réfection de cabanes dans la première moitié du XIXe siècle a été le fait de paysans eux-mêmes – ainsi ce paysan de la Haute-Loire, « Dzamblèu », cité par Albert Boudon-Lashermes pour avoir restauré « convenablement » quelques chibottes à « La Labèntse » (au-dessus de Montusclat) (9) – ou de professionnels – ainsi ce maçon de Forcalquier dans les Alpes-de-Haute-Provence, Jean Laugier, qui restaura des cabanons pointus jusqu'en 1950 (10).

Le manque d'assurance et de connaissances techniques des restaurateurs ressort généralement de ces essais de restauration.

Amusant exemple que celui, signalé par Martine Sylvos (11), du propriétaire d'une ferme sur la commune de Livernon (Lot) qui, restaurant entre 1945 et 1955 une cabane à usage de cellier dans sa cour, y avait passé tant de temps qu'il en était devenu la fable du village. La cabane s'était retrouvée consolidée par du ciment, et une gouttière en zinc était venue orner l'entour du toit.

À l'opposé, des considérations d'économie de main d'œuvre pouvaient se conjuguer avec un manque de compétence technique, pour aboutir à des restaurations mutilatrices. Tel était le cas, ainsi que nous le rapporta le maçon lotois Elie Puech, de plusieurs cabanes du causse de Limogne qui, entre les deux guerres, avaient été tronquées et débarrassées de leur couvrement abîmé au profit d'une toiture de tuiles sur pannes, à une seule pente (12).

NOTES

(1) Ces cabanes ont fait l’objet d’une courte description dans l’article de Pierre Dalon, Les cabanes en pierre sèche du causse de Limogne, dans Bulletin de la Société des études du Lot, t. XCIV, 2e fasc., avril-juin 1973, pp. 103-131 (en part. p. 110 et fig. 25). Joannas Ausset est mort vers 1924-1925.

(2) A ce sujet, cf. Christian Lassure, La tradition de la petite architecture rustique en pierre sèche du Lot : ses dernières manifestations (1860-1975), dans Quercy-recherche, No13, pp. 4-7, en part, p. 5.

(3) Cf. la discussion faisant suite à la communication du Vicomte de Sartiges, Les cabanes en pierre sèche du sud de la France, dans Bulletin de la Société préhistorique française, t. XVII, 1921, No 12, pp. 338-357 (et discussion pp. 357-358).

(4) Cf. Elisabeth Reveillon, Cabanes de pierres sèches, dans Canton de Nolay, architectures et œuvres d’art, catalogue de l’exposition de Nolay, juillet-août 1981, Secrétariat régional de l’inventaire général en Bourgogne, Dijon, pp. 98-105.

(5) Référence en attente.

(6) Jules Formigé, Les cabanes de pierre sèche dans le Vaucluse, dans Bulletin monumental, t. XXVIII, 1914, pp. 46-57, en part. p. 56.

(7) Pierre Martel, chap. Concrétiser un vieux rêve, dans Pierre sèche en Provence, Les Alpes de lumière, No 89-90, 1er et 2e trim. 1985, en part. pp. 68-69.

(8) Rapporté par Charles Ewald dans : A construire vous-même, le « cabanon » romain (sic), dans La Revue des bricoleurs, septembre 1973, pp. 54-64, en part. p. 56.

(9) Albert Boudon-Lashermes, Histoire du Velay. Le Velay gallo-grec, éd. Subervie, Rodez, 1958, p. 96.

(10) Rapporté par Charles Ewald, op. cit., p. 50.

(11) Martine Sylvos, L'habitat rural en France. Contribution à l'étude de la construction en pierre sèche des causses du haut Quercy. Inventaire de la commune de Livernon (Lot), mémoire de l'Unité pédagogique 6, Ecole d'architecture, Paris, juin 1976, No inv. 4267, en part. p. 50.

(12) Entre autres, les édifices restaurés par Élie Puech sur la propriété des Delon à Pouzergues (commune de Cremps), en 1937-1938.


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© CERAV
Le 28 février 2006 / February 28th, 2006

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Ultimes manifestations de la tradition constructive (The very last moments of the dry stone hut building tradition)
http://www.pierreseche.com/ultimes_manifestations.htm
28 février 2006

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