GARGAS (VAUCLUSE) : L'ÉCROULEMENT DE « LA PLUS HAUTE BORIE DU MONDE »

 Gargas, Vaucluse: the fall of "the world's tallest dry stone borie"

Christian Lassure
 

Au début de l''année2020, un de nos correspondants nous a signalé un regrettable événement qui s'était produit le 20 octobre de l'année écoulée à Gargas (Vaucluse) et qui avait échappé à notre attention : l'écroulement subit d'une cabane en pierre sèche toute neuve, qui venait d'être inaugurée, la « borie Gargan », appelée ainsi en raison de ses dimensions hors norme. Si la presse régionale a relaté la chose, il ne semble pas que les quotidiens parisiens en aient fait état, ni que les muraillers professionnels s'en soient fait l'écho dans leurs sites web.

On trouvera ci-dessous d'une part la relation de cet écroulement par une journaliste du Dauphiné Libéré, d'autre part des photos, trouvées sur la Toile, montrant l'édifice à divers moment de sa construction. Nous y avons ajouté une notice descriptive élaborée à partir des rares informations glanées dans la communication des bâtisseurs gargassiens dans la presse et la radio régionales.

 

 

 

Photo goodmorningirlande.fr.

Les premières assises de maçonnerie sèche le 16 septembre 2017 : au premier plan, une sorte de hérisson. Photo goodmorningirlande.fr.

 


 

Photo fr.ulule.com.

L'entrée après la pose du premier linteau. Photo fr.ulule.com.

 

 

Photo Radio France - Jean-Michel Le Ray.

Le pain de sucre formé par l'édifice en fin de construction.  Photo Radio France - Jean-Michel Le Ray.

 

 

L'échafaudage enserrant la construction. Photo Philippe Zittel sur stagramer.com.

 

 

Photo Radio France - Jean-Michel Le Ray.

L'intérieur avec son sol caladé, ses bancs de pierre, ses deux regards et sa niche protégée par une grille. Photo Radio France - Jean-Michel Le Ray.

 

 

Photo Radio France - Jean-Michel Le Ray.

L'intrados de la voûte encorbellée. © Radio France - Jean-Michel Le Ray.

 

 

Carton réalisé à l'occasion de la présentation au public du bâtiment achevé lors des journées du patrimoine 2019.

 

 

Photo Le Dauphiné libéré.

Les cône de décombres qui s'est formé lors de l'écroulement de la construction le 22 septembre 2019. Photo Le Dauphiné libéré.

 

 

Photo Le Dauphiné libéré.

Idem. L'édifice ne sera pas remonté. Photo Le Dauphiné libéré.

 

LE CHANTIER

Maître d'œuvre : la Maison des métiers et du patrimoine, association loi 1901 organisatrice de chantiers de remontage d'ouvrages en pierre sèche le long des chemins de randonnée.

Maître de l'ouvrage : Jean-Baptiste Peltier, coordinateur des travaux, murailler et formateur au sein de l'association, membre de la Fédération des professionnels de la pierre sèche (FFPPS).

Participants : près de 250 personnes en réinsertion ou en formation, issues du Pôle Emploi, de la Garantie Jeunes, devant être initiées au métier de murailleur.

Emplacement : site de la Maison des métiers et du patrimoine (MMP), chemin des Fournigons, hameau du Chêne, 84400 Gargas.

Début des travaux : première pierre posée en octobre 2014.

Achèvement de la construction : inauguration le 22 septembre 2019 lors des Journées du patrimoine, en présence de nombreux élus.

Financement : souscription au titre du financement participatif (2 euros la pierre) ; budget pour l'achat de pierres : 3000 euros.

 

L'ÉDIFICE

Appellation : « borie Gargan ».

Matériau : pierres calcaires provenant de Saint-Saturnin-lès-Apt ; poids total de l'édifice (fondations comprises) : 255 tonnes ; volume total de pierres : 170 m3 ; pour les seules fondations, poids de 39 tonnes et volume de 26 m3.

Nature du sol : terrain argileux

Échafaudage : recours à la technique des poutres de soutien glissées dans les murs ; après achèvement, les trous sont obstrués par des bouchons en pierre.

Morphologie : cabane en forme de « ruche d'abeilles », présentée comme « la plus haute du monde dans la catégorie conique à base circulaire » (elle fait donc 80 cm de plus que le « bòri en pain de sucre » de Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence).

Dimensions : hauteur : 9,80 m ; circonférence extérieure : 21 m ; circonférence intérieure : 11,40 m ; diamètre extérieur : 7,30 m ; diamètre intérieur 3,60 m ; épaisseur du mur : 1,80 m ; poids : 216 tonnes ; volume : 144 m3.

Fondations : « importantes », « une grosse tarte aux pommes, avec des pierres de 200-300 kilos ».

Aménagements intérieurs : deux fenestrons ; niche avec grille ; petits bancs de pierre ; sol caladé.

 

RÉACTIONS ET COMMENTAIRES

Des explications ont été fournies par le maître d'ouvrage au micro de France Bleu le 17 octobre 2019 : « Mardi, on a eu un événement climatique assez exceptionnel, vous avez vu ce qui s'est passé à Cavaillon, [...] des trombes d'eau qui sont tombées un petit peu sur Gargas et ses environs. Je pense qu'il y a eu un affaissement à un côté des fondations avec le sol gorgé d'eau et ça a entraîné l'ouvrage, qui est sans mortier, sans ciment, les pierres sont tombées, tout est tombé malheureusement ». [...] Il y avait 255 tonnes, on avait surdimensionné les murs en les faisant d'1,80 d'épaisseur, on avait fait une fondation de 26 m3, une grosse tarte aux pommes avec des pierres de 200-300 kilos. Après [...], je ne vois pas ce qui a pu entraîner cette chute parce qu'un bâtiment comme ça, avec cette masse de poids, ça ne tombe pas ».

Pour connaître les réactions du public sur place et dans le département, on se reportera aux articles parus dans la presse régionale (outre Le Dauphiné libéré, déjà cité, aussi La Provence du 19/10/2019).

 

PROLONGEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

1 - Le « cabanon pointu » de Pierre Martel à Bonnechère (Alpes-de-Haute-Provence)

L'effondrement de la cabane neuve de Gargas n'est pas sans rappeler un dénouement similaire survenu, il y a quelque 50 ans, à la première tentative de construction expérimentale d'un « cabanon pointu »  menée par l'ethnologue provençal Pierre Martel, mais alors que le volumineux cabanon gargassien a été victime d'un terrain impropre et de fondations inadéquates, celui de Bonnechère s'est effondré à mi-hauteur en raison d'une méconnaissance des règles élémentaires de la maçonnerie sèche (règles que Pierre Martel cherchait justement à retrouver). L'histoire de la cabane de Bonnechère a été évoquée dans notre « Bibliographie analytique et critique de l'architecture rurale en pierre sèche de Provence », parue dans L'Architecture vernaculaire rurale, suppl. No 2, 1980, pp. 100-102.

Cabanon pointu construit par Pierre Martel à Bonnechère (Alpes-de-Haute-Provence). Photo de Jean Laffiite

Le résultat de la deuxième tentative de construction d'un « cabanon pointu » par Pierre Martel à Bonnechère (Alpes-de-Haute-Provence). L'édifice a fêté ses cinquante ans. Photo Jean Laffitte © CERAV.

 

Constitution d'un socle de gros blocs dans l'anneau de fondation. Source de la photo : Charles Ewald, À construire vous-même, le "cabanon" romain, dans La revue des bricoleurs, bricole et brocante, No 11, septembre 1973, pp. 54-64

 

2 - La tradition de la petite architecture rustique en pierre sèche du Lot : ses dernières manifestations (1860-1975)

Pour trouver une toute première relation de vicissitudes survenues à des constructions en pierre sèche neuves à cause de leur établissement sur un sol mou, non rocheux, il faut se tourner vers l'article que nous avions écrit en 1976 pour une revue lotoise, à savoir « La tradition de la petite architecture rustique en pierre sèche du Lot : ses dernières manifestations (1860-1975) », paru dans Quercy-Recherche, No 13, août-septembre 1976, pp. 4-7. Il y est question de la construction de deux petite cabanes en pierre sèche, l'une cylindro-conique, l'autre en forme d'ogive, comme couvertures de deux puits contigus creusés dans une poche d'argile. Un dizaine d'années plus tard, les édifices étaient toujours là mais, du fait des mouvements du sol, lequel se gonfle au gel et s'aplatit au dégel, les deux chappes s'étaient déformées et il avait fallu murer leur entrée avec des planches (en attendant un possible écroulement ou une éventuelle démolition).

 

 

 

 

3 - La «capitelle » de Jean-Marie Barre dans la région de Lunel (Hérault)

Sans fondations solides et parfaitement stables, la cabane de pierre sèche la mieux construite ne peut espérer tenir debout très longtemps. C'est sans doute ce que pensait, en 2004, le peintre Jean-Marie Barre lorsqu'il dota son « cabanon pointu » de Lunel d'un anneau de fondation profond de 0,80 m et large de 1,50 m et y coula du béton sur chacun des lits de grosses pierres emboîtées remplissant la fouille. La solution du béton cyclopéen ne peut manquer de heurter le puriste mais des compromis sont parfois nécessaires pour parvenir à ses fins. Le compte rendu de cette expérience est consultable sur le présent site.

Le cabanon pointu construit par Jean-Marie Barre près de Lunel (Hérault). Photo Jean-Marie Barre.

Le cabanon pointu construit par Jean-Marie Barre près de Lunel (Hérault). Photo Jean-Marie Barre.

 

« Béton cyclopéen » (béton coulé sur des pierres jointives et bien calées) remplissant la tranchée de fondation. Photo Jean-Marie Barre.


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© CERAV
Le 28 juillet 2020 / July 28th  2020

 

Référence à citer / To be referenced as :


Christian Lassure
Gargas (Vaucluse) : l'écroulement de « la plus haute borie du monde » (Gargas, Vaucluse: the fall of "the world's tallest dry stone borie")
http://www.pierreseche.com/borie_ecroulee.htm
mis en ligne initiale dans Nouvelles du monde de la pierre sèche le 28 juillet 2020 et constitué en page indépendante et remis en ligne le 23 juin 2022

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