LES CAPITELLES DE FITOU (AUDE) The dry stone huts of Fitou, Aude Robert Guiraud Parution initiale dans Pierre Sèche, la lettre du CERAV, bulletin de liaison No 12, septembre 2000, pp. 96-101. La commune de Fitou a la particularité de présenter une concentration anormale de cabanes de pierres sèches, appelées « capitelles » dans la région. Leur nombre est certainement à rapprocher de celui des foyers de propriétaires fonciers de la commune à une période donnée. Certaines des communes voisines possèdent également des capitelles, mais en nombre bien plus restreint.
Cette singularité a été remarquée par une ethnologue catalane qui a tenté d'en donner une explication. TRAVAUX ANTÉRIEURS Le bulletin N° 25 du C.E.R.C.A. consacre trois pages aux capitelles fitounaises, sous la signature de Pierre Gabignaud. La construction n'y est nullement étudiée, et l'auteur se contente d'émettre une série d'hypothèses sur leur rôle sans apporter la moindre justification. Les recherches les plus intéressantes ont été faites par Anny de Pous. Cette dernière a répertorié 51 capitelles à Fitou, nombre qu'elle a confirmé en 1976 dans le N° 79 de la revue Conflent. Depuis, un inventaire plus fin, effectué au cours des années 1996-1999, a permis d'en localiser 110. Il n'est pas exclu que quelques-unes restent encore à inventorier. INVENTAIRE SUR LE TERRAIN Le dénombrement a été réalisé en tenant compte de : - la situation, par le relevé des coordonnées géographiques à l'aide d'un GPS, - l'emplacement : isolée, incluse dans un mur, dans un parc clôturé de murs, dans une vigne, - l'orientation, - le type de construction, - les dimensions, intérieures et extérieures, reportées sur un croquis, - les aménagements éventuels, - l'état actuel ; enfin, chaque construction a été photographiée. LOCALISATION DES CAPITELLES Anny de Pous a déjà noté que les capitelles se succèdent d'ouest en est, à partir d'un étang asséché (le Pla de Fitou) (2). Le report des capitelles sur la carte permet de définir trois grands groupes.
Le premier, le plus nombreux, avec 68 capitelles, se situe au centre-ouest de la commune. Les constructions entourent l'étang asséché sur trois côtés. Ce sont, entre autres, les lieux-dits Crève-figues, Combe de Rémiols, Les Correts, La Garrigue, Col du Pré, Cortal de Marty. Il n'y en a pas au sud de l'étang où le terrain est constitué d'un lapiaz aride et peu commode d'accès (Serre du Buis, Serre de la Garrigue, Courbayrolles).
Le deuxième occupe la partie centre-est de la commune, près de l'étang de Leucate. Il est actuellement divisé par la route nationale, l'autoroute et la voie de chemin de fer. Il comprend 25 capitelles réparties sur les lieux-dits La Madeleine, Teulière, Le Moulin de Madame. Le troisième est plus restreint puisqu'il ne compte que 17 capitelles groupées au sud-est de la commune, près de la limite départementale, ancienne frontière avec la Catalogne : Plat de la Coum Servi, Les Baucès. INSERTION DANS LE PAYSAGE Nombre de capitelles sont incluses dans des murs en pierre sèche de parcs à bestiaux ou de limites de propriété (seule l'étude du cadastre permettra de faire la distinction). Le nombre important de parcs a été remarqué par les observateurs précédents et a conduit Anny de Pous a formuler l'hypothèse qu'une telle concentration de capitelles et de parcs ne pouvait être expliquée que par le rôle d'étape dans les transhumances qu'avait pu jouer le site de Fitou. Elle revient à plusieurs reprises sur cette hypothèse dans ses diverses publications citées dans la bibliographie.
ORIENTATION Le vent dominant est le cers, qui souffle du nord-ouest. Il est aussi le plus froid en hiver. Il n'est donc pas étonnant que, dans la mesure du possible, compte tenu du relief et de la disposition des parcelles, l'entrée des capitelles soit opposée à cette direction. Ce sont 66% des entrées de constructions qui se trouvent dans un angle de 90° centré sur le nord-ouest (75 sur 110). MODE DE CONSTRUCTION Matériaux utilisés Seules quelques rares capitelles ont pu bénéficier sur place de dalles de grès permettant une construction aisée. Toutes les autres utilisent le calcaire qui constitue la majeure partie de la commune et qui ne se débite qu'en blocs irréguliers dans le processus de l'érosion de type karstique. Ce calcaire est d'époque mésozoïque, allant du Trias au Crétacé inférieur. Différents étages étant représentés, il reste à faire une étude plus fine analysant les constructions en fonction du type de roche utilisée.
Forme à la base La plupart des constructions révèlent à l'intérieur un espace de forme ovale plus ou moins régulier, quelques-unes sont quadrangulaires. Les rapports profondeur/largeur vont de 0,81 à 2,57, mais 93% se situent entre 1 et 2 : - 33% de l à 1,25 ; - 34% de 1,26 à 1,50 ; - 26% de 1,51 à 2. Voûte -18 capitelles ont une voûte à encorbellement ; - 3, plus étroites, sont recouvertes de dalles plates ; - 52 sont constituées d'un ou de plusieurs arcs clavés (quelques-uns du type arc doubleau), le reste de la voûte étant clos par des encorbellements ou simplement un bourrage de roches de formes diverses lorsque la surface à fermer est réduite (3). - 27 ne possèdent qu'un arc, 13 en ont deux, et 12 en ont trois.
La disparition de la voûte dans 34 capitelles ne permet pas de les attribuer à un type de construction ou à un autre. La hauteur intérieure permet une station debout dans près de la moitié des cas : - 14 ont entre 1 m et 1,49 m ; - 43 entre 1,50 m et 1,99 m ; - 23 ont plus de 2 m. Partie sommitale À l'extérieur les constructions sont recouvertes de cailloux parfois mélangés à de l'argile pour en assurer l'étanchéité. Certaines, à la finition plus soignée, possèdent un dôme de dimension plus réduite que le corps même de la capitelle. Entrée Les piliers latéraux des portes d'entrée sont, en général, constitués de gros blocs plus ou moins jointifs. Les constructeurs ont souvent réservé à cet usage leurs plus belles pierres. La partie supérieure est réalisée soit avec un linteau monolithe dans 29 cas, dont 7 avec un arc de décharge, et 45 avec arc à claveaux (3 en forme d'ogive). L'état de dégradation de 33 capitelles ne permet pas d'en connaître le type d'entrée. Aménagements 19 capitelles disposent de bancs intérieurs, en général au fond, face à l'entrée, réalisés avec de larges pierres plates ou des blocs. Une seule a un banc extérieur. 17 ont une ou plusieurs niches aménagées à l'intérieur, dans l'épaisseur du mur. Ces niches sont de dimensions 25 à 40 cm sur 30 à 50, pour une profondeur variant de 40 à 75 cm. Elles se trouvent souvent à plus de 1 m de hauteur et devaient servir de rangement. Deux capitelles ont des cavités qui devaient servir de foyer. Il faut noter que dans cinq cas une niche extérieure a été aménagée à proximité dans le mur de l'enclos. Certains y voient une niche pour chien compte tenu de leur position au niveau du sol. DATATION Aucun élément ne permet actuellement de dater les constructions. Il ne semble pas que des fouilles aient été effectuées dans une ou plusieurs d'entre elles.
DESTINATION DES CONSTRUCTIONS La tradition locale en fait des abris de bergers. Quelques capitelles, situées en limite de vignes, peuvent avoir été construites par les vignerons. Encore n'est-on pas certain que le sol était à destination viticole lors de la construction. En effet, le développement de la vigne est intervenu essentiellement au cours du XlXe siècle, l'économie rurale étant auparavant basée à la fois sur l'élevage caprin et ovin et sur des cultures, en particulier les céréales. On peut ainsi émettre l'hypothèse que la majorité des capitelles a été construite entre le XVIIIe et la fin du XlXe siècle. Des recherches plus poussées sont nécessaires pour apporter une confirmation. Anny de Pous a vu dans la concentration exceptionnelle de parcs et d'abris la mise en place d'un lieu d'étape pour les transhumances en direction ou au retour des estives dans les Pyrénées ou en Catalogne. Elle a bâti un théorie séduisante à partir de cette « cité pastorale », des grands chemins de transhumance et des importants troupeaux dépendant des abbayes du Languedoc. Curieusement elle n'a pas utilisé l'argument du point d'eau ou de l'herbage (après son assèchement) que constituait la présence de l'étang du Pla. Christian Lassure a dit ce qu'il faut penser de cette théorie qu'aucun document ou fait précis ne permet de confirmer (4). NOTES (1) Anny de Pous indique 3 capitelles à Leucate et 15 à Opoul (cf. Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, Bibliothèque Nationale, 1968). (2) Cet étang se situe à environ 1,5 km à l'ouest du village. Il a été asséché par le creusement d'un galerie de 300 mètres environ sous le Col du Pré. On ignore la date et les auteurs de cet ouvrage, la tradition l'attribuant tantôt aux Templiers, tantôt aux Romains (la voie Domitienne longe l'étang sur sa partie nord-ouest où ont été retrouvées de nombreuses tegulae). Sa superficie est d'environ 1 km2 ; il constitue une dépression d'altitude 124 à 130 m, dominée par des garrigues culminant à 180 m. (3) Anny de Pous décrit ainsi la construction des capitelles de Fitou et d'Opoul : «après avoir dressé les parois de la capitelle, (…) on a lancé un premier arc ou cintre à l'aide de pierres choisies pour leur forme vaguement prismatique, puis un second et autant qu'il en fallait pour couvrir l'espace libre. Sur la carcasse ainsi formée on a entassé les pierres sans ordre, tant pour compléter la capitelle que pour contrebuter les poussées latérales de ces blocs en équilibre instable ». (4) Voir L'œuvre d'Anny de Pous, dans L'architecture rurale en pierre sèche, supplément N° 1, 1977, pp. 77-86, et Baraques et cortals du Roussillon ou le mythe des "capitelles" et des "orris", dans Études et recherches d'architecture vernaculaire, C.E.R.A.V., N° 11, 1991. BIBLIOGRAPHIE Gabinaud P. - Les capitelles fitounaises - C.E.R.C.A., 25, 1964, pp. 372-375. Lassure C. - L'œuvre d'Anny de Pous - L'architecture rurale en pierre sèche, supplément N° 1, 1977, pp. 77-86. Lassure C. - Baraques et cortals du Roussillon ou le mythe des "capitelles" et des "orris" - Études et recherches d'architecture vernaculaire, C.E.R.A.V., N° 11, 1991. Pous A. de - L'architecture de pierres sèches et les grands chemins de transhumance pyrénéens - Conflent, N° 20, mars-avril 1964, pp. 55-58, N° 21, mai-juin 1964, pp. 103-114 ; N° 30, 1965, pp. 251-256 ; N° 41, 1968, pp. 212-225. Pous A. de - L'architecture de pierre sèche dans les Pyrénées méditérranéennes - Gaule, N° 8, 1965, pp. 129-144 ; N° 9, 1966, pp. 147-152. Pous A. de - Et si nous reparlions un peu des "pierres sèches" - Conflent, N° 79, 1976, pp. 33-41. Pous A. de - L'architecture de pierre sèche dans les Pyrénées méditerranéennes - Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, Nlle série, N° 3, 1968, Bibliothèque Nationale, Paris, pp. 21-115. Pous A. de - L'architecture de pierre sèche des Pyrénées méridionales. Orris, cabanes et cortals - Archéologia, N° 85, 1975, pp. 20-28. Pour imprimer, passer en format paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Robert Guiraud page d'accueil sommaire mythes cabanes de Fitou
|