PETIT DICTIONNAIRE DES MOTS CENSÉS SIGNIFIER « TERRASSE DE CULTURE » The designations of agricultural terraces in Southern France: tall stories and true facts Christian Lassure
Introduction Les appellations associées aux terrasses de culture sont légion dans la littérature concernant ces aménagements agricoles. Il semble même que leur nombre enfle d'année en année, étude après étude, publication après publication. La diversité des noms de terrasses de culture est une idée ancienne, défendue en particulier par le géographe Roger Livet pour qui cette diversité attestait la discontinuité des périodes de création de terrasses. L'idée n'est donc pas innocente. L'ennui, car il y en a un, c'est que la plupart de ces mots n'ont rien à voir, ni étymologiquement, ni sémantiquement avec le mot français « terrasse » et la chose que celui-ci recouvre, c'est-à-dire la bande de terre horizontale et plate aménagée sur un versant plus ou moins pentu et soutenue par un mur de pierres sèches à parement simple ou double. Il nous a paru utile, dans ce contexte, de prendre un à un les différents vocables traditionnellement mis en avant et de vérifier leur sens exact. Ce passage en revue devrait permettre de dire si l'on assiste à la création d'un mythe romantique ou si l'on est face à une réalité incontournable. NB : Fr. = français - f = féminin - Francis. = francisation - It. = italien - m = masculin - Occ. = occitan - norm. = normalisé - non norm. = non normalisé. Dictionnaire Francis. ACCOL (m) - Occ. ACÒL (m) Sous la graphie francisée accol, on discerne le terme occitan acòl/acòu, signifiant, selon le dictionnaire occitan-français de Louis Alibert, « gradin », « mur de soutènement d'un terrain en pente ». Pour qui s'interroge sur l'origine de ce terme, attesté dans les Cévennes ardéchoises dès la seconde moitié du XVe siècle en liaison avec la création de vignes (Jacques Schnetzler), il convient de savoir que le verbe acolar a, entre autres sens, celui de « butter » (une plante). La littérature sur les terrasses signale également le diminutif français accolette, employé dans l'extrême sud de l'Ardèche dans le sens de « petite terrasse à vocation de potager ». Enfin, à Marseille (Bouches-du-Rhône) existerait le terme acquel. Occ. ANGLADA (f) - Fr. ANGLADE (f) Ce terme occitan est donné par Jacques Schnetzler comme désignant, dans les Cévennes « une très longue terrasse ». Dans le dictionnaire d'Alibert, on trouve les sens de « contenu d'un angle », « angle » et « coin de terre », il n'est nullement question de « terrasse ». Le dictionnaire du monde rural de Marcel Lachiver nous apprend que le terme français « anglade » (localisation non précisée) s'applique à un « pré en bordure d'un cours d'eau, qui s'enrichit de limon ». On est loin de « terrasse ». Un acte notarié de 1739, où il est question de construire six murailles et traversiers à Valleraugue (Cévennnes gardoises) dans une pièce « contenant anglade, muriers et chataigniers », confirme qu'il s'agit bien d'autre chose qu'une terrasse : sans doute « un coin de terre rocheux et inculte » comme l'indique Philippe Blanchemanche. Occ. BANCAL (m) / BANCÈL (m) Ces deux termes occitans, l'un languedocien (bancèl), l'autre provençal (bancal), ont le sens non seulement de « plate-bande », de « planche cultivée » mais aussi de « banquette de terre », de « gradin de culture ». La forme bancèl est répandue dans les Cévennes ardéchoises, dans la Gardonnenque (Gard), à Vialas (Lozère). L'origine des deux termes est évidente : ils sont dérivés de l'occitan banc, « banc », dont ils conservent le sens, sans changement notable pour bancal, mais avec une idéee de diminutif pour bancèl (« petit banc »). En français du XVIe siècle, banc a déjà le sens de « banquette de terre » : « lever à banc », c'est faire une levée de terre en forme de banc. Dans un traité d'agriculture toscan traduit en français en 1571, il est question d' « appuis (…) fais en façon d'un banc ». Olivier de Serres, écrivant en 1600, emploie banc dans le sens de terrasse soutenue par un mur (« murailles traversantes, appelées bancs et colles »). Il n'est pas inintéressant de signaler que ce terme se retrouve dans la catalan employé dans les Iles Baléares : - bancal (m) : « tros de terra plana conreable, limitada per rases, rengles d'arbres o marges; també apareixen les formes bancalot i bancalet » (définition d'Antoni Ordinas Garau) [pièce de terre plane cultivable, bordée par un fossé, une rangée d'arbres ou un talus; on trouve également les formes bancalot et bancalet]. Fr. BANQUETTE (f) C'est par analogie de forme qu'on appelle banquette en français une levée de terre, ou terrasse, destinée à retenir le sol sur un terrain pentu. Le terme, en soi, n'implique pas l'existence d'un mur de soutènement. En agriculture moderne, les banquettes sont réalisées à coups d'engin mécanique. Francis. BAOU (m) - Occ. BALÇ/BAUÇ (m) Derrière la graphie phonétique baou, on reconnaît le terme occitan balç/bauç (m), pour lequel Alibert donne les sens d' « escarpement de rocher, falaise, précipice » et aussi d' « excavation circulaire sur les plateaux calcaires ». Rien sur le sens de « terrasse » qui serait attesté à Apt et à Bonnieux en Vaucluse si l'on en croit Jean-François Blanc. On peut imaginer que le mot ait été employé de façon très lâche pour des planches de culture aménagées en haut d'escarpements rocheux. Il n'y a pas lieu cependant d'en faire un synonyme de « terrasse de culture ». Occ. BARRA (f) - Fr. BARRE (f) Le terme occitan barra (litt. « barre ») serait synonyme de « terrasse » à Vialas en Lozère. Le dictionnaire d'Alibert ne confirme pas ce sens. Le dictionnaire de Lachiver reste muet. Il doit s'agir d'une image, rien de plus, appliquée à une pièce de terre tout en longueur. La même chose vaut pour l'équivalent français barre. Occ. BARRI (m) Faut-il que l'occitan barri soit élastique pour signifier non seulement « rempart », « fossé », « fossé pour provigner », « faubourg », comme nous l'apprend le dictionnaire d'Alibert, mais aussi « terrasse » ainsi que l'avancent certains auteurs modernes ! On laissera à barri ses sens traditionnels. Fr. CABALIÈRE (f) On ne voit pas par quel miracle linguistique le mot cabalière serait employé dans le sens de « terrasse » en Vivarais. Le sens de « surface qu'un cheval peut labourer en une journée », donné par Lachiver (en plus de celui de parcelle soutenue par un mur), paraît bien plus plausible étant donné l'étymologie du mot. À moins que l'on ait affaire à une confusion avec capalière (f), francisation de l'occitan capalièra (f), désignant, dans le vignoble de Marcillac dans l'Aveyron, une tranchée en général empierrée qui dévale le versant en collectant l'eau des capes (f) (de l'occitan capa), rigoles obliques situées de part et d'autre. Mais même dans ce cas-là, il s'agirait d'un contresens pur et simple. Francis. CASER (m) - Occ. CASÈRN (m) Orthographié casèrn en occitan normalisé, ce terme serait employé dans la partie nord du Vaucluse dans le sens premier de « carré de jardin » (ce qui est conforme à l'étymologie latine, quaternus) et dans le sens dérivé de « gradin de culture ». Le mot apparaît dansle dictionnaire d'Alibert à la rubrique acòl, en tant que synonyme de ce vocable (au même titre que bancal). La variante orthographique quasèrn est donnée dans ce même dictionnaire avec le seul sens de « cahier ». Occ. CHAMBA (f) Curieuse appellation que ce terme occitan (litt. « jambe », var. de camba) qui, aux dires de Jean-François Blanc, désigne un « champ soutenu par un mur ou un talus enherbé » dans les Boutières (Ardèche). Alibert ne signale que les sens de « jambée », « tige de plante », « tronc d'arbre », « jambage ». Cet emploi a-t-il un rapport avec l'idée d'étaiement présente dans le verbe cambar, « étayer » (outre « enjamber ») et que l'on retrouve en français dans l'expression « jambe de force » ? Ou faut-il rapprocher chamba de l'expression « jambe pendante » désignant en Picardie, selon Lachiver, « la partie supérieure d'un talus, ou rideau, séparant deux parcelles situées sur le versant d'une colline » ? Jean-François Blanc donne aussi le diminutif chambayou, petit terrain, toujours dans les Boutières, mais le mot ne figure pas dans le dictionnaire d'Alibert (en occitan normalisé, le terme s'écrirait c(h)ambalhon). Occ. CHAMBADA (f) - Fr. CHAMBÉE (f) Le terme occitan chambada (« (en)jambée »), sa francisation chambade et le terme français correspondant chambée seraient attestés dans le sens de « gradin de culture » dans le Velay. Las, le dictionnaire d'Alibert ne donne comme acception agricole que celle d'« allée entre deux rangées de souches ». De même, si l'on reporte au dictionnaire de Lachiver, chambée, dans le département de la Loire, aurait le sens de « largeur de piochage lorsqu'on nettoie une vigne ». Il semble donc que le terme chambada soit lié non pas à la notion de terrasse de culture mais au travail même dans la vigne. CHELET/CHALET (m) Ce terme est donné par Jean-François Blanc comme signifiant « terrasse de vigne » en Ardèche septentrionale, sur les coteaux de la rive droite du Rhône. S'agit-il d'une variante de cheyet (m) rencontré sur la rive opposée, dans le vignoble de Tain-l'Hermitage ? Lachiver ne connaît pas chelet mais donne au terme chalet le sens de « terrasse édifiée par l'homme sur les pentes ». Il donne par contre chey (f) (pl cheyes ou cheyx, à rattacher à l'étymon calj, « caillou »), censé désigner, dans le vignoble de Côte-Rôtie (rive droite du Rhône), une « murette destinée à soutenir les terrasses sur lesquelles on cultive la vigne ». Comme par ailleurs le même auteur donne la même localisation et la même définition pour murgeyes (f pl) (« murettes destinées à soutenir les terrasses », à rattacher à muricarium, « tas de pierres »), on est en droit de s'interroger. It. CIGLIONE (m) (pl. CIGLIONI) Ce terme est employé par l'agronome toscan Giovanni Batista Landeschi dans son traité Saggio di agricoltura (Essai d'agriculture) publié en 1770, pour désigner les talus transversaux édifiés de bas en haut d'un champ trop pentu de façon à y ménager des planches plus faciles à cultiver. Ces talus sont habillés de mottes de gazon. Par métonymie, le terme en est venu à désigner, sous la plume de Landeschi, l'ensemble formé par le talus et la planche. Occ. non norm. COLO / COUOLO / COUOL (f) - Fr. COLLE (f) C'est le mot occitan còla (litt. « cale ») qui se cache sous ces diverses graphies, employées, pour les deux premières en Rouergue, et pour la dernière, en Ardèche (à Saint-Mélany exactement). Alibert signale le sens de « champ en terrrasse » à côté de celui de « cale ». L'idée véhiculée ici est celle de « retenue », d' « arrêt »; le verbe colar signifie d'ailleurs « caler », « fixer », « arrêter ». L'équivalent français de còla est colle, employé dès le début du XVIIe siècle par Olivier de Serres dans son Théâtre d'agriculture et mesnage des champs, où il parle de « murailles traversantes, appelées bancs et colles ». Occ. CORREJA (f) - Fr. COURRÈGE (f) Ce terme occitan (litt. « courroie ») serait, dans les Cévennes, synonyme de « terrasse ». Chez Alibert, les seules acceptions qui se rapprochent de ce sens sont « plate-bande », « lisière de terrain étroite et longue ». La francisation corrège/courrège est, d'après Lachiver, dans la région d'Arles, une « digue séparant les bassins où l'on fait pénétrer l'eau pour la fabrication du sel ». On peut conclure en disant que, dans la bouche du paysan cévenol, les correjas d'un versant ne sont rien d'autre qu'une image, celle de lanières de terre découpant un versant. Fr. ECHAMP (m) - Occ. ESCAMP (m) Malgré les apparences, ce terme n'a rien à voir avec « champ » : il ne s'agit que de l'équivalent français ou de la francisation de l'occitan escamp, donné par le dictionnaire d'Alibert comme signifiant « espace », « intervalle entre deux rangées de souches ». Le sens de « terrasse » qu'il est censé avoir dans le haut Vivarais et dans les Boutières, n'est pas relevé par le lexicographe. Si l'on se tourne vers le ruraliste Lachiver, on trouve par contre le sens de « terrasse de culture sur le versant d'une colline » mais en deuxième position, après celui d' « intervalle compris entre deux rangs de ceps de vigne et consacré à la culture d'autres plantes » (aucune localisation n'est fournie dans les deux cas). La parenté d'échamp (ou échant) avec champ, variante orthographique de chant, face étroite d'un objet, nous renseigne sur le sens premier du terme, avant son extension de sens par métonymie. En terrain pentu, l'expression au pluriel « les échamps » désigne une succession de bandes de terre, de planches, de niveaux superposés, séparés par un talus ou un mur (échamps sur talus ou échamps sur mur). Occ. non norm. ECHANOU (m) Selon l'ethnologue François Juston, ce diminutif d'échamp employé dans les Boutières traduirait moins la faible longueur de la planche à flanc de pente que son étroitesse. Fr. ESCAYRE (f) L'expression faire escayre (var. équaire/équerre) rencontrée, à propos de pièces de terre, dans des documents archivistiques du bas Vivarais allant du XVe au XIXe siècle, a été interprétée de prime abord comme synonyme de « former un gradin / une terrasse ». Une lecture plus attentive des actes notariés concernés a permis à Michel Rouvière de rectifier ce qui s'avère un contresens : l'expression « faire escayre » renvoie non pas à un découpage vertical, en degrés, mais à l'angle droit, rentrant, fait par une parcelle. Occ. non norm. ESTANCO / norm. ESTANCA (f) - Fr. ESTANQUE (f) Estanco se rencontrerait dans le Rouergue avec le sens de « mur de soutènement » et, par métonymie, de « terrain soutenu par un tel mur ». Cela n'est que partiellement confirmé par le dictionnaire d'Alibert, lequel ne note, pour l'occitan normalisé estanca, que les sens généraux de « soutien », d' « étai »; par contre, notre lexicographe attribue le sens de « mur de soutènement » au dérivé estancada (outre « volume d'eau », « mare », « vivier », « écluse », « barrage » !). La francisation estanque (f) est attestée, dans le sens de « mur de retenue », dans des actes notariés des XVIIIe et XIXe siècles pour les Cévennes. En fait, estanca et estanque sont à rapprocher de restanca et restanque (cf. infra). Occ. non norm. FAISSO / norm. FAISSA (f) - Fr. FAISSE (f) Sous la graphie phonétique faisso, on reconnaît l'occitan faissa (f), dans lequel la littérature sur les terrasses veut voir un des grands termes vernaculaires désignant la terrasse soutenue par un mur. Effectivement, Alibert donne comme sens « bande de terre soutenue par un mur » mais aussi « sole de terrasse », « plate-bande de jardin », deux acceptions d'où l'idée de gradin est absente. De plus, dans des textes d'archives du XVIIe siècles, relatifs au Languedoc, on découvre des faisses ou faysses en des terrains non pentus, plats, voire dans des marécages en cours d'assèchement ! Curieusement, Olivier de Serres, écrivant en 1600, ignore le mot faisse, employant seulement les mots bancs et colles. La conclusion qui s'impose, c'est que le français faisse/faysse et son pendant occitan faissa ne désignent strictement rien d'autre, dans un contexte foncier ou agricole, qu'une bande ou lanière de terre en terrain plat comme en terrain pentu. Cette acception est conforme à l'origine latine du terme : fascia, signifiant « bande », « bandelette ». Le faux sens fait par des chercheurs ne connaissant pas l'occitan ou ne fréquentant pas les archives notariales, n'oblige aucunement à confiner faisse/faissa au sens de « bande de terre soutenue par un mur », autrement dit « terrasse ». Une « remise à plat » terminologique s'impose. Le sens du mot catalan feixa vient conforter cette intreprétation : - feixa (f) : peça de terra llarguera en la qual es conren cereals, llegumùs o hortalisses; en les terres muntanyoses o costerudes, les feixes són trossos de terra plans, horizontals, en forma de terrassa, situats en el coster i limitats per marges o parets de pedra en sec que els protegeinen contra les avingudes; també apareixen els diminutius feixeta i feixetó (définition d'Antoni Ordinas Garau). [parcelle de terre allongée ou l'on cultive des céréales, des légumes ou des plantes potagères; dans les régions de montagnes ou de collines, les feixes sont des pièces de terre planes, horizontales, en forme de terrasse, situées sur un versant et bordées par un talus ou un mur de pierre sèche qui les protègent contre les inondations; on trouve également les diminutifs feixeta ou feixetó]. On peut donc, sans crainte, parler, selon le cas, de « faisses en terrain plat », « faisses sur talus », « faisses sur parets ». Occ. norm. LAISSA (f) (pron. « laïsso ») Ce terme occitan, signalé comme signifiant « terrasse » dans le département de l'Hérault, désigne en fait un « banc de rocher » (dictionnaire d'Alibert). Son pendant français est laisse, employé au sens d' « espace que la mer laisse à découvert à chaque marée » (Petit Robert). Le masculin de laissa est lais, alluvion, dépôt des eaux (Alibert). Lais existe également en français dans le sens de « terrains que les eaux de mer ou de rivière laissent à découvert en se retirant » (Petit Robert). Il faudrait vérifier si laissa/laisse ne s'appliquent pas en réalité à un atterrissement de terre en arrière d'un mur jeté en travers d'un torrent. Francis. LAONE (f) - Occ. LAUNA (f) À Saint-Remèze et à Gras, en bas Vivarais, une laone serait une terrasse plantée en vigne. Sous cette francisation, on peine à reconnaître l'occitan launa (litt. « lame »). On peine encore plus avec « louane », variante citée par Agnès Redon. Faut-il que les terrasses vinifères de Saint-Remèze soient bien étroites pour mériter l'appellation métaphorique de « lames » ! Fr. MURETTES (f pl) Selon Jean-François Blanc, sur la rive ardéchoise de la vallée du Rhône, de Serrières à Tournon, les terrasses vinifères sont appelées murettes, désignation métonymique tout à fait patente (le mur de soutènement pour la bande de terrain soutenue). Occ. PAILHAT (m) - Francis. PAILLAT (m) Dans l'ancien vignoble de Courgol, dans le Puy-de-Dôme, ce terme aurait désigné la terrasse de vigne. On voit mal cependant par quel cheminement tortueux ce vocable, participe passé substantivé du verbe occitan palhar, « pailler », « clisser », en serait venu à désigner une bande de terre soutenue par un mur. Le sens véritable de pailhat nous est fourni par le dictionnaire de Lachiver : à la rubrique paillat (forme francisée de palhat), on apprend qu'« à Saint-Pourçais (Allier) » (donc dans le département immédiatement au nord du Puy-de-Dôme), « on appelait vignes en paillats, les vignes conduites en berceau bas ». Un pailhat / paillat n'est donc rien d'autre qu'une vigne cultivée sur un treillage en berceau. Occ. PARAN / PARRAN / APARRAN / PARRÒ (f) Contrairement à ce qui a été écrit, l'occitan paran / parran / aparran / parrò n'a jamais été synonyme de « terrasse ». Alibert donne 1/ « terre près de la maison » (Rouergue), 2/ « jardin », « enclos » (Cévennes), 3/ « place » (Aude). Le sens numéro 2 est confirmé par Lachiver : parran, « dans les Cévennes, petit jardin situé derrière une maison, où il y a ordinairement une treille, et où l'on peut s'abriter du soleil ». Sans doute la confusion vient-elle de ce que sur les pentes des Cévennes, jardins et enclos sont très susceptibles d'être en terrasses… Occ. PAREDAL (m) D'après le dictionnaire d'Alibert, ce terme occitan, dérivé de paret, « paro », « mur », « muraille", a pour première signification celle de « mur de soutènement d'une terrasse », mais aussi, du moins dans le Rouergue, celle de « gradin de vigne de montagne », métonymie tout à fait évidente. Ces informations sont reprises par Lachiver, lequel signale en outre la graphie poredal. Occ. PARET (m) Dans l'expression paret de faisso (en occitan normalisé paret de faissa), paret ne désigne rien d'autre que le mur soutenant la faisse, la bande de terre, en terrain pentu. Occ. non norm. PARO /norm. PARA (f) À Saint-Laurent-les-Bains en Ardèche, le vocable paro (en occitan para, du verbe parar, « parer », « protéger ») désignerait une « terrasse encore cultivée » (Jean-François Blanc). Ce sens est corroboré par la rubrique para du dictionnaire d'Alibert : « gradin », « bande de terre soutenue par un mur », mais on trouve aussi : « espace inculte autour d'une maison », « pelouse », « préau », et même « terrain en pente » (acception qui est contradictoire avec celle de « bande de terre soutenue par un mur »). C'est l'acception très particulière d'« espace inculte autour d'une maison« qui retient l'attention, sans que l'on puisse dire comment l'on est passé de terrasse à ce dernier sens ou inversement. Fr. PLANCHE (f) » Dans la région niçoise, le terme français planche serait employé dans le sens de de « bande de terre plane soutenue par un mur » (Jean-François Blanc). Cette acception est plus restrictive que celle qui est traditionnellement réservée à ce mot. Ainsi Lachiver parle seulement d' « espace de terrain allongé, séparé des parties environnantes par une bordure, une allée, un fossé, une raie de charrue, etc.; l'idée de « mur de soutènement » n'est pas évoquée (à moins qu'elle ne soit incluse dans « etc. »). Il faut croire que dans la région de Nice, c'est le relief qui fait que les planches de culture soient automatiquement séparées des autres par un mur de soutènement… Le terme planche, appliqué à une terrasse de culture, refait son apparition à Sainte-Enimie, en Lozère, sur les versants bordant le Tarn, sous la forme de planque et son diminutif planquette : des panneaux destinés aux visiteurs se font un devoir de leur signaler cette spécialité du cru, attribuée, comme il se doit, aux moines de l'abbaye locale. Il reste à actualiser le Dictionnaire d'Alibert, qui ne mentionne, à planca et planqueta, que le sens de passerelle en planche... Occ. PLÒ (m) Le terme occitan plò aurait le sens de « terrasse » si l'on en croit Jacques Schnetzler. Si ce mot, qui est une variante de plan (« plaine », « plateau », « surface plate et horizontale »), désigne un « petit plateau », une « place sur un point élevé » d'après Alibert, il reste quand même éloigné de ce que représente une « terrasse ». Lachiver nous indique qu'un plan en Ardèche est « une aire à battre » dans une grange. L. Bourdin, à la fin du XIXe siècle, donne piot comme synonyme de « terrasse » à Beauchastel, en Ardèche : s'agirait-il d'une variante orthographique de plò ? Occ. non norm. RASO / norm. RASA (f) Ce terme, derrière lequel on reconnaît l'occitan rasa, désigne, selon Jean-François Blanc, un « fossé », un « talus de gazon », un « mur de terrasse », et par voie de métonymie une « terrasse de vigne », un « gradin qui soutient un terrain en pente » (aucune localisation toutefois n'est fournie mais d'autres sources indiquent l'Aveyron et l'Hérault). Ces divers sens se retrouvent dans le dictionnaire d'Alibert ainsi que « rigole », « sentier creux », « allée de jardin », « berge », « orée », « lisière », « limite ». Le dictionnaire d'occitan donne par ailleurs rasada (f) avec, entre autres sens, celui de « terre soutenue par un mur ». Au vu de ces indications, il conviendrait de circonscrire « rasa » au sens étroit de talus ou de mur bordant une terrasse de culture (sans oublier l'acception originelle de rigole que l'on retrouve, soit dit en passant, dans le français rase ou raze du Mont d'Or dans le Lyonnais). Occ. RELAIS (m) Ce terme occitan signifierait « terrasse » en Ardèche. Le dictionnaire d'Alibert ne mentionne pas ce sens mais donne « tablette de fenêtre »; pour le diminutif relaisset, il donne « relief ». Peut-être ne faut-il voir dans l'emploi de ce terme qu'une simple image, la terrasse évoquant par sa forme un appui de fenêtre. Cela reste à vérifier. Un auteur donne felais pour les Boutières et le haut Vivarais, mais sans doute s'agit-il d'une coquille... En fait, de par son étymologie (le verbe occitan relaissar), relais a vocation de désigner un terrain laissé à découvert par une rivière ou par la mer, sens bien éloigné de terrasse, à moins qu'il ne s'agisse d'un atterrissement provoqué par un mur barrant un cours d'eau intermittent. Occ. non norm. RESTANCO / norm. RESTANCA (f) - Francis. RESTANQUE (f) Restanco, forme prononcée de l'occitan restanca, et restanque, sa francisation, sont traditionnellement donnés comme synonymes de « terrasse soutenue par un mur » en basse Provence (Bouches-du-Rhône en particulier). Ce sens n'est pas signalé par Alibert, qui se contente du sens premier, à savoir « barrage », « digue ». Comment restanca a-t-il pu, dans ces conditions, en venir à désigner un mur de soutènement de terrasse ? Tout simplement parce qu'à l'origine, les restanques sont des murs de retenue construits dans le lit d'un torrent intermittent pour provoquer des atterrissements en amont tout en laissant passer l'eau et créer ainsi des terrasses. Fr. RIVE (f) - Occ. RIBA (f) Le terme français « rive » désigne, dans des textes provençaux de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le talus broussailleux d'une terrasse de culture. Le dictionnaire d'Alibert donne un sens semblable à l'occitan riba (« talus de gazon ») et à son augmentatif ribàs (« talus gazonné et broussailleux »). Un texte de loi du Parlement de Provence, datant de 1767 et imposant le soutènement des terrains défrichés, apporte des éclaircissements bienvenus sur la nature et le rôle des rives : au défricheur échoit « la charge de faire une muraille ou rive plantée de buits ou autres arbustes pour le soutien du terrain à chaque toise de pente » (Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, Aix-en-Provence). Ainsi donc, le soutènement de terrain se fait au moyen de deux techniques : soit le mur de pierres sèches (la muraille), soit le talus planté d'arbustes (la rive). Occ. non norm. TASSO (f) À Mayres, dans la haute vallée de la rivière Ardèche, ce vocable désignerait, selon Jean-François Blanc, une terrasse. Voilà un terme dont l'aire d'usage est pour le moins limitée. Par ailleurs, l'identification de son origine reste problématique : faut-il y voir l'occitan taça (f), littéralement « tasse », ou une déformation locale de l'occitan terrassa (f), « terrasse » ? Il y a de quoi rester perplexe. Fr. TERRASSE (f) En agriculture, une terrasse est une levée de terre en forme de banquette, édifiée sur un terrain pentu pour obtenir une surface plus ou moins horizontale. La terrasse peut être bordée par un talus (terrasse à talus) ou soutenue par un muret (terrasse à muret). Le talus est revêtu de gazon ou d'arbustes, le mur est en pierres sèches. Par rapport au talus gazonné ou arbustif courant sur des versants peu déclifs, le mur en pierres sèches constitue un progrès technique, permettant de convertir à la culture des pentes plus fortes, sur lesquelles un soutènement est indispensable. L'emploi du terme terrasse (en français) est attesté en Ardèche méridionale dans des écrits du début du XIXe siècle (livres de raison de la famille de Gigord à Coussac). Curieusement, ce terme technique, à valeur générique, est oublié de nombre d'auteurs : faut-il voir là un trop grand attachement à la couleur locale ? Occ. TRAVÈRSA (f) – Fr. TRAVERSE (f) Le terme occitan travèrsa, rencontré parmi les lieux-dits (Traversa) de la paroisse ardéchoise de Thines dans des Estimes (estimations de biens) de 1464, est présenté comme « évoquant directement les terrasses » par Jean-François Blanc. À en juger d'après l'emploi de son pendant français traverse par Olivier de Serres un siècle et demi plus tard et dans un acte notarié de 1744 à propos d'un terrain sis à Saint-Martin-de-Castillon en Vaucluse, il semble que travèrsa ait désigné en fait un obstacle placé en travers d'une parcelle, soit haie vive, soit mur de pierre : - « défaillant la pierre, telles traverses seront faites de haies vives » (Olivier de Serres, 1600, I, 212); - « un pré » où « faire trois aqueducs en pied de géline » et « faire deux traverses de pierre » (cité par Philippe Blanchemanche, pp. 102-103). Aux XIXe et XXe siècles, le terme occitan travèrsa se retrouve avec des acceptions aussi diverses que « traverse, chemin de traverse, raccourci; pièce de bois posée en travers; vent du nord-ouest, Rgt.; colline à traverser; obstacle, contrariété » (dictionnaire d'Alibert). L'idée de terrasse n'est pas présente. Fr. TRAVERSIER (m) - Occ. TRAVERSIÈR (m) L'équivalent français de l'occitan traversièr s'appliquerait aux terrasses de culture barrant transversalement, d'un bord à l'autre, une parcelle occupant un versant. L'emploi est attesté, en Ardèche et dans les Cévennes gardoises, entre autres régions. Le dictionnaire d'Alibert passe ce sens sous silence, se contentant de l'acception très vague de « pièce en travers ». En fait, si l'on se fie à des prix-faits du XVIIe et du XVIIIe siècles publiés par Adrienne Durand-Tullou et Y. Chassin de Guerny, on s'aperçoit que le terme désignait les murs en pierre sèche eux-mêmes, à l'exception des murs de démarcation en haut et en bas de la parcelle : - « 16 cannes de traversiers à pierre sèche » (1653)(Aumessas); - « 4 traversiers (…) de hauteur convenable » (1661)(Alzon/Arrigas); - « construire 12 murailles à pierre crue et de bonne qualité, savoir 10 en traversiers pour soutenir le terrain » (1788) (Saint-Laurent-le-Minier). Il saute aux yeux qu'un traversier est en premier lieu un « mur traversier » et que ce n'est que par métonymie qu'il en est venu à prendre le sens de terrasse soutenue par un mur. Occ. VAS (m) / Fr. VASE (m) Jean-François Blanc inclut le terme occitan vas, signifiant littéralement « vase », dans son « Petit dictionnaire terminologique des terrasses ». On voit mal cependant à quel titre ce mot, ainsi que son homologue français « vase » donné comme signifiant « petit carré de jardinage », « compartiment d'un pré » en Ardèche, auraient un rapport avec la notion de terrasse. Alibert, pour sa part, mentionne les sens de « vase », « planche de jardin » et de « tombeau » (!). Le grand-père et le père de Michel Rouvière entendaient par ce mot « une petite surface de semis » (« vase de radis », « vase de salade ») (communication à l'auteur). Il n'y a donc pas lieu de retenir ce vocable. Conclusion À l'issue de cette enquête terminologique, on peut affirmer, sans peur de se tromper, qu'un certain nombre des vocables étudiés n'ont rien à voir avec la notion de « terrasse » au sens technique de ce mot; il s'agit de : anglada (coin de terre), bauç (escarpement de rocher, falaise), casèrn (carré de jardin), cabalière (surface qu'un cheval peut labourer en une journée), chambada (largeur travaillée), escayre (équerre - sur le plan horizontal), laissa (atterrissement en amont d'un mur de retenue), pailhat (treillage en berceau), parran (jardin enclos près de la maison), relais (terrain laissé à découvert par l'eau), vase (petit carré de jardinage, compartiment d'un pré). Deux termes restent opaques pour l'instant : cheyet et tasso. Deux désignations évoquent l'idée de soutènement : acòl (butte), estanca (soutien, étai) (et peut-être aussi chamba); deux autres, l'idée de retenue, d'arrêt : còla (cale), restanca (barrage, digue); une autre, l'idée d'élément transversal : travèrsa; une autre enfin, une idée de protection : para (cf. le français « pare » en composition). La notion de surface plane est contenue dans plò (plan, plateau) et planche. L'idée de surface longiforme et étroite est présente dans : barra (barre), correja (courroie), échamp (chant, face étroite), faissa(bande), launa (lame). La notion de banquette est véhiculée par bancal/bancel et évidemment banquette. Rasa et rive évoquent l'idée de fossé, de talus. Paret, paredal et murettes sont transparents. Avec traversier, il est fait allusion à la longueur de la parcelle sur le versant, d'un bord à l'autre. Le bilan est pour le moins décevant. Faudra-t-il donc se résigner à appeler « terrasse » une « terrasse » ? BIBLIOGRAPHIE A. Gallo, Le vinti giornate dell'agricoltura e de piaceri della villa, Venise, 1569, 447 p. Traduction de A. de Belleforest sous le titre : Secrets de la vraye agriculture et honnestes plaisirs qu'on reçoit en la mesnagerie des champs, 1571, 375 p. (de) SERRES Olivier, Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs, Paris, 1600. Roger Livet, Habitat rural et structures agraires en Basse-Provence, Publication des Annales de la Faculté des Lettres d'Aix-en-Provence, 1962, 459 p. Louis Alibert, Dictionnaire occitan-français d'après les parlers languedociens, nouvelle édition, Toulouse, 1977. Michel Rouvière, L'aménagement des terrasses agricoles dans la région de Vinezac (Ardèche), dans L'Architecture rurale, t. 3, 1979, pp. 145-148. Christian Lassure, Vocabulari occitan-francés de l'arquitectura de peira seca / Le vocabulaire occitan-français de l'architecture de pierre sèche, L'Architecture vernaculaire rurale, supplément No 3 (1980), 18 p. Jean-François Blanc, Paysages et paysans des terrasses de l'Ardèche, l'auteur, 1984, 312 p. François Juston, Lexique de termes en usage entre Eyrieux et Doux, avec rappel de pratiques locales, manuscrit, 17 septembre 1985. Philippe Blanchemanche, Les terrasses de culture des régions méditerranéennes. Terrassements, épierrement et dérivation des eaux en agriculture. XVIIe-XIXe siècles. Etude ethnohistorique, Ecole des hautes études en sciences sociales, mémoire de doctorat de 3e cycle, 1986, 275 p. Régis Ambroise, Pierre Frapa, Sébastien Giorgis, Paysages de terrasses, Edisud, La Calade, Aix-en-Provence, 1989, 191 p., en part. p. 184 (« Quelques définitions »). Christian Lassure, Vocabulari occitan-francés de l'arquitectura de pèira seca / Vocabulaire occitan-français de l'architecture de pierre sèche (réédition), dans L'Architecture vernaculaire, t. 16, 1992, pp. 59-76, en part. p. 62. Antoni Ordinas Garau, La fixació en el paisatge balear de les construccions de pedra en sec. Una approximació a travès d'aguns genèrics toponimics, dans La pedra en sec. Obra, paisatgi i patrimoni, IV Congrés Internacional de Construcció de pedra en Sec, Mallorca, del 28 al 30 de setembre de 1994, Consell Insular de Mallorca - Fodesma / Leader - Grup Serra de Tramuntana, Mallorca, 1997, pp. 305-318. Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé, Fayard, Paris, 1997, 1766 p. + XL p. h. t. Michel Rouvière, De pierre et d'eau. Architecture vernaculaire au Coussac, polycopié, s. d. (1998), 4 p. + 1 fig. h. t. Michel Rouvière, À propos de faysse et escayre : l'indispensable « remise à plat » terminologique, dans L'Architecture vernaculaire, t. 24, 2000, pp. 111-115. Jacques Schnetzler, Nos terrasses de versants, « faïsses » et « accols », sont-elles datables ? L'exemple du pays des Vans aux confins de l'Ardèche, du Gard et de la Lozère, dans L'Architecture vernaculaire, t. 24, 2000, pp. 47-57, en part. p. 49. Jean-François Blanc, Terrasses d'Ardèche. 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